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samedi 12 septembre 2015

« Vive la mort » : une interpellation toujours actuelle des fanatismes.


« … je trouve répugnant ce paradoxe ridicule. ».

« Vive la mort » : tel est bien le mot d’ordre qui aujourd’hui se fait entendre partout  où les fanatismes assouvissent leurs pulsions homicides, déchaînent leur violence et leur cruauté, se livrent à leur œuvre d’extermination.

Défenestrer, trancher les gorges, passer au fil de l’épée ou faire brûler vif, sans préjudice bien sûr des multiples autres moyens praticables de supplicier et de mettre à mort, ont toujours formé l’idée que les fous de Dieu, de toutes croyances, convaincus d’avoir à purger le monde des hérésies et des déviances, se font faites de l’excellence de la piété. En ce que tout ce sang à faire couler, toutes ces vies à supprimer, tous ces bras corrompus à amputer constituaient exactement ce que leur Créateur leur commandait d’accomplir.

Que ce Dieu fût dépeint comme miséricordieux et qu’il eût édicté en premier commandement pour les justes de ne pas tuer, que ces hérésies et ces déviances à éradiquer fussent déterminées de leur seule appréciation ou approximation de la vérité et de la loi, n’ont jamais arrêté le bras des assassins, n’ont pas seulement instillé en eux un doute ni même suscité une hésitation sur l’’adéquation de leurs crimes aux desseins de leur Dieu. Rien n’a été susceptible de faire trébucher leur aveuglement - et c’est bien à cela au reste que le fanatisme se reconnaît.

Rien ne leur a paru leur assurer une entrée plus certaine dans le paradis de leur foi que de mourir en faisant mourir des infidèles et des mécréants. Comme si rien ne comblait davantage un Père bien-aimant que de les voir ceinturés d’explosifs se faire exploser dans un autobus, devant un poste de police ou milieu d’un mariage.

Pour que la violence perpétrée expose autant sa légitimité religieuse que sa fureur meurtrière, l’œuvre de mort devait être validée par l’Ecriture la plus sacrée : on y a trouvé, par le travestissement absurde que fournit toute lecture prise ‘’au pied de la lettre’’, de quoi transformer la plus indicible horreur en commandement divin, ou de quoi justifier à des sources infiniment lointaines et incomprises la spoliation la plus éhontée ou la discrimination la plus avilissante. On sait que « la lettre tue et que l’esprit vivifie », et en l’occurrence la lettre n’a jamais fait défaut à aucun fanatisme.

Pour nous, européens, ce « Vive la mort » résonne à présent à nos portes, mais nous ne l’entendons distinctement qu’à la mesure du dérangement et de la peur que nous causent celles et ceux, de tous âges, qui fuient les égorgements, les décapitations, les bûchers, les crucifixions et les viols, ou tout simplement - si on ose en l’espèce employer ce ‘’simplement’’ (mais rien ne se banalise aussi vite que la représentation des violences guerrières) - les tirs d’artillerie, le fracas meurtrier des bombes, la pénétration de colonnes des chars dans les rues de leur village ou de leur quartier, les brouillards mortels des armes chimiques et les rafales de kalachnikovs.

Dès lors que nous sommes bien forcés de l’entendre, et pour autant que nous voulons l’entendre avec une volonté de résistance, ce « Vive la mort » nous confronte à un constat : celui de l’absence de réponse où nous nous trouvons, ou au mieux celui du très petit nombre de réponses, parcellaires et incertaines de surcroît, que nous sommes à même de mobiliser face à cette formulation paroxystique du fanatisme et à la folie sanglante à laquelle elle donne libre cours.

D’où l’importance de la lecture, ou de la relecture, qui est proposée ci-après de la protestation de l’intelligence exprimée pendant la Guerre d’Espagne par le philosophe Miguel de Unamuno.

Elle vaut contre tous les fanatismes, religieux ou laïcs -, contre tous les totalitarismes - cléricaux ou politiques.

Il est des prises de parole qu’il ne faut pas laisser s’effacer des mémoires, et maintenant moins que jamais.

Didier Leuwen - 11 09 2015


Discours de Salamanque
MIGUEL de UNAMUNO  [1]

Le 12 octobre 1936, pour le "Jour de la Race", se tenait une cérémonie à l'Université de Salamanque, en zone nationaliste: Cérémonie sous la présidence de Miguel de Unamuno - philosophe catholique de tendance conservatrice et recteur de l'Université - et en présence du général Millan Astray, fondateur de la Légion Etrangère espagnole, ‘’gueule cassé’’ et grand mutilé de guerre (il avait perdu un bras et un œil dans des opérations militaires coloniales au Maroc) et proche collaborateur et futur ministre de Franco. Au moment des discours fut lancée du fond de la salle le cri de guerre de la Légion Etrangère « Viva la Muerte ! » dont le général Millan Astray était l’inventeur. Celui-ci approuva bruyamment et échangea avec la salle les mots d'ordres franquistes et phalangistes : "Espagne !-Une !", "Espagne !-Grande !", "Espagne !-"Libre !". (…). Puis Miguel de Unamuno, se leva pour son discours de clôture qui devait être son ultime allocution publique (l'Université "réclama" et obtint sa révocation, et Unamuno mourut le dernier jour de 1936).

Il déclara :

‘’Je viens d’entendre le cri nécrophile « Vive la mort » qui sonne à mes oreilles comme «A mort la vie ! » Et moi qui ai passé ma vie à forger des paradoxes qui mécontentaient tous ceux qui ne les comprenaient pas, je dois vous dire avec toute l’autorité dont je jouis en la matière que je trouve répugnant ce paradoxe ridicule.

‘’Et puisqu’il s’adressait au dernier orateur [le général Millan Astray] avec la volonté de lui rendre hommage, je veux croire que ce paradoxe lui était destiné, certes de façon tortueuse et indirecte, témoignant ainsi qu’il est lui-même un symbole de la Mort.

‘’Une chose encore. Le général Millan Astray est un invalide. Inutile de baisser la voix pour le dire. Un invalide de guerre. Cervantès l’était aussi. Mais les extrêmes ne sauraient constituer la norme. Il y a aujourd’hui de plus en plus d’infirmes, hélas, et il y en aura de plus en plus si Dieu ne nous vient en aide. Je souffre à l’idée que le général Millan Astray puisse dicter les normes d’une psychologie des masses. Un invalide sans la grandeur spirituelle de Cervantès qui était un homme, non un surhomme, viril et complet malgré ses mutilations, un invalide dis-je, sans sa supériorité d’esprit, éprouve du soulagement en voyant augmenter autour de lui le nombre des mutilés.


‘’Le général Millan Astray ne fait pas partie des esprits éclairés, malgré son impopularité, ou peut-être, à cause justement de son impopularité. Le général Millan Astray voudrait créer une nouvelle Espagne – une création négative sans doute- qui serait à son image. C’est pourquoi il la veut mutilée, ainsi qu’il le donne inconsciemment à entendre.

Des interruptions se firent entendre (dont «  A bas l’intelligence ! », autre cri de ralliement cher au général Millan Astray).

Miguel de Unamuno poursuivit :

‘’Cette université est le temple de l’intelligence et je suis son grand prêtre. Vous profanez son enceinte sacrée. Malgré ce qu’affirme le proverbe, j’ai toujours été prophète dans mon pays. Vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas. Vous vaincrez parce que vous possédez une surabondance de force brutale, vous ne convaincrez pas parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le droit dans votre combat.


‘’Il me semble inutile de vous exhorter à penser à l’Espagne. J’ai dit’’.


Cet article a été également publié le 14 septembre 2015 sur le blogue « aubonheurdedieu-soeurmichele » - dans Invité-es

[ aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/ ]






[1] Texte tiré  de "La Guerre d'Espagne" de l'historien Hugh Thomas (Ed. R. Laffont).

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