« … je trouve répugnant ce paradoxe ridicule. ».
« Vive la mort » : tel est bien le mot d’ordre qui aujourd’hui se fait entendre partout où les fanatismes assouvissent leurs pulsions homicides, déchaînent leur violence et leur cruauté, se livrent à leur œuvre d’extermination.
Défenestrer, trancher les gorges, passer au fil
de l’épée ou faire brûler vif, sans préjudice bien sûr des multiples autres
moyens praticables de supplicier et de mettre à mort, ont toujours formé l’idée
que les fous de Dieu, de toutes croyances, convaincus d’avoir à purger
le monde des hérésies et des déviances, se font faites de l’excellence de la
piété. En ce que tout ce sang à faire couler, toutes ces vies à supprimer, tous
ces bras corrompus à amputer constituaient exactement ce que leur Créateur leur
commandait d’accomplir.
Que ce Dieu fût dépeint comme miséricordieux et
qu’il eût édicté en premier commandement pour les justes de ne pas tuer, que
ces hérésies et ces déviances à éradiquer fussent déterminées de leur seule
appréciation ou approximation de la vérité et de la loi, n’ont jamais arrêté le
bras des assassins, n’ont pas seulement instillé en eux un doute ni même suscité
une hésitation sur l’’adéquation de leurs crimes aux desseins de leur Dieu.
Rien n’a été susceptible de faire trébucher leur aveuglement - et c’est bien à
cela au reste que le fanatisme se reconnaît.
Rien ne leur a paru leur assurer une entrée plus
certaine dans le paradis de leur foi que de mourir en faisant mourir des
infidèles et des mécréants. Comme si rien ne comblait davantage un Père
bien-aimant que de les voir ceinturés d’explosifs se faire exploser dans un
autobus, devant un poste de police ou milieu d’un mariage.
Pour que la violence perpétrée expose autant sa
légitimité religieuse que sa fureur meurtrière, l’œuvre de mort devait être
validée par l’Ecriture la plus sacrée : on y a trouvé, par le
travestissement absurde que fournit toute lecture prise ‘’au pied de la
lettre’’, de quoi transformer la plus indicible horreur en commandement
divin, ou de quoi justifier à des sources infiniment lointaines et incomprises
la spoliation la plus éhontée ou la discrimination la plus avilissante. On sait
que « la lettre tue et que l’esprit vivifie », et en
l’occurrence la lettre n’a jamais fait défaut à aucun fanatisme.
Pour nous, européens, ce « Vive la mort » résonne
à présent à nos portes, mais nous ne l’entendons distinctement qu’à la mesure
du dérangement et de la peur que nous causent celles et ceux, de tous âges, qui
fuient les égorgements, les décapitations, les bûchers, les crucifixions et les
viols, ou tout simplement - si on ose en l’espèce employer ce ‘’simplement’’ (mais
rien ne se banalise aussi vite que la représentation des violences guerrières)
- les tirs d’artillerie, le fracas meurtrier des bombes, la pénétration de
colonnes des chars dans les rues de leur village ou de leur quartier, les
brouillards mortels des armes chimiques et les rafales de kalachnikovs.
Dès lors que nous sommes bien forcés de
l’entendre, et pour autant que nous voulons l’entendre avec une volonté de
résistance, ce « Vive la mort » nous confronte à un constat :
celui de l’absence de réponse où nous nous trouvons, ou au mieux celui du très
petit nombre de réponses, parcellaires et incertaines de surcroît, que nous
sommes à même de mobiliser face à cette formulation paroxystique du fanatisme
et à la folie sanglante à laquelle elle donne libre cours.
D’où l’importance de la lecture, ou de la relecture,
qui est proposée ci-après de la protestation de l’intelligence exprimée pendant
la Guerre d’Espagne par le philosophe Miguel de Unamuno.
Elle vaut contre tous les fanatismes, religieux
ou laïcs -, contre tous les totalitarismes - cléricaux ou politiques.
Il est des prises de parole qu’il ne faut pas
laisser s’effacer des mémoires, et maintenant moins que jamais.
Didier Leuwen - 11 09 2015
Discours de Salamanque
Le 12
octobre 19 36, pour le "Jour de la Race", se tenait une
cérémonie à l'Université de Salamanque, en zone nationaliste: Cérémonie sous la
présidence de Miguel de Unamuno - philosophe catholique de tendance
conservatrice et recteur de l'Université - et en présence du général Millan
Astray, fondateur de la Légion Etrangère espagnole, ‘’gueule cassé’’ et grand
mutilé de guerre (il avait perdu un bras et un œil dans des opérations
militaires coloniales au Maroc) et proche collaborateur et futur ministre de
Franco. Au moment des discours fut lancée du fond de la salle le cri de guerre
de la Légion Etrangère « Viva la Muerte ! » dont le général
Millan Astray était l’inventeur. Celui-ci approuva bruyamment et échangea avec
la salle les mots d'ordres franquistes et phalangistes : "Espagne !-Une
!", "Espagne !-Grande !", "Espagne !-"Libre !". (…).
Puis Miguel de Unamuno, se leva pour son discours de clôture qui devait être
son ultime allocution publique (l'Université "réclama" et obtint
sa révocation, et Unamuno mourut le dernier jour de 1936).
Il déclara :
‘’Je viens d’entendre le cri nécrophile « Vive la mort » qui
sonne à mes oreilles comme «A mort la vie ! » Et moi qui ai passé ma vie à
forger des paradoxes qui mécontentaient tous ceux qui ne les comprenaient pas,
je dois vous dire avec toute l’autorité dont je jouis en la matière que je
trouve répugnant ce paradoxe ridicule.
‘’Et puisqu’il s’adressait au dernier orateur [le
général Millan Astray] avec la volonté de lui rendre hommage, je veux croire que ce
paradoxe lui était destiné, certes de façon tortueuse et indirecte, témoignant
ainsi qu’il est lui-même un symbole de la Mort.
‘’Une chose encore. Le général Millan Astray est un invalide. Inutile
de baisser la voix pour le dire. Un invalide de guerre. Cervantès l’était
aussi. Mais les extrêmes ne sauraient constituer la norme. Il y a aujourd’hui
de plus en plus d’infirmes, hélas, et il y en aura de plus en plus si Dieu ne
nous vient en aide. Je souffre à l’idée que le général Millan Astray puisse
dicter les normes d’une psychologie des masses. Un invalide sans la grandeur
spirituelle de Cervantès qui était un homme, non un surhomme, viril et complet
malgré ses mutilations, un invalide dis-je, sans sa supériorité d’esprit,
éprouve du soulagement en voyant augmenter autour de lui le nombre des mutilés.
‘’Le général Millan Astray ne fait pas partie des esprits éclairés,
malgré son impopularité, ou peut-être, à cause justement de son impopularité.
Le général Millan Astray voudrait créer une nouvelle Espagne – une création
négative sans doute- qui serait à son image. C’est pourquoi il la veut mutilée,
ainsi qu’il le donne inconsciemment à entendre.
Des interruptions se firent entendre (dont
« A bas l’intelligence ! », autre cri de ralliement cher au
général Millan Astray).
‘’Cette université est le temple de l’intelligence et je suis son
grand prêtre. Vous profanez son enceinte sacrée. Malgré ce qu’affirme le
proverbe, j’ai toujours été prophète dans mon pays. Vous vaincrez mais vous ne
convaincrez pas. Vous vaincrez parce que vous possédez une surabondance de
force brutale, vous ne convaincrez pas parce que convaincre signifie persuader.
Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le
droit dans votre combat.
‘’Il me semble inutile de vous exhorter à penser à l’Espagne. J’ai
dit’’.
Cet article a été également publié le 14
septembre 2015 sur
le blogue « aubonheurdedieu-soeurmichele » - dans Invité-es
[ aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/
]
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