La spiritualité est-elle un sujet politique ? *
… une question qui amène une explication
que nous devons à nos lecteurs.
Les lecteurs de penserlasubversion
peuvent légitimement s’étonner de ce que notre blogue, qui jusque là publiait
essentiellement des articles sur des sujets politiques, se soit ouvert ces
derniers temps à des textes qui traitent de questions touchant directement au
religieux.
Et se demander ce
que la subversion dont nous nous sommes réclamés depuis la naissance du blogue a
à voir avec les spiritualités. Ou, plus abruptement, ce que pousse penserlasubversion
à s’intéresser à celles-ci ?
Nous avons la
certitude que ce faisant nous ne sommes pas ‘’hors sujet’’. Et que dans les temps d’aujourd’hui, nous sommes
même au cœur de notre sujet.
La marée montante de l’obscurantisme.
Parce que la marée
montante sur les dernières décennies d’un obscurantisme de plus en plus
conquérant impose de répondre sur leur terrain aux fanatiques de toutes
croyances et autres fous de dieu.
Héritiers du
khomeynisme et leurs auxiliaires des diverses milices chiites, salafistes à
leurs différents niveaux d’extrémisme et de violence, colons juifs orthodoxes s’appropriant
une ‘‘terre d’Israël’’ toujours plus expansive dont une lecture historicisée de
leurs Ecritures leur fait croire qu’elle est un don inaliénable de leur D.ieu, fondamentalistes
protestants qui se représentent les Etats-Unis sous un Bible power puritain,
‘’évangélistes’’ d’Amérique latine et d’Afrique grands contempteurs des
homosexuels… - les catholiques intégristes ou ‘’tradis-réacs’’, avec leur relais
respectifs de commandos anti-IVG ou de ‘’manifestants pour tous’’,
quoiqu’encore bienheureusement marginalisés, s’ajoutant à ce décompte en forme
de survol. Intellectuellement (il ne s’agit évidemment pas de mettre sur le
même plan la pire cruauté, celle qui propage la terreur, et la crasse sottise
qui nourrit les discours de la réaction), les uns ne se distinguent des autres que
par la source d’où sourdent chez eux l’anathème, la stigmatisation et l'excitation
à la persécution.
Leurs malfaisances
s’additionnant, presque aucune partie du monde - l’Union européenne étant,
elle, protégée grâce à l’enracinement de ses démocraties - n’est épargnée par la
régression de la liberté de conscience ; une régression dont la dévotion
aveugle à une vérité immuablement proclamée et le zèle ou la fureur épuratrice qui
vont de pair avec elle entendent faire une abolition pure et simple.
Un affrontement idéologique.
La bataille à leur
livrer est d’abord idéologique : à ceux qui détournent le fait religieux pour
le mettre au service d’un projet totalitaire ou archaïquement clérical, en se
prévalant de la détention de la vraie foi et des seules normes morales
qui s’accordent à celle-ci, il s’agit d’opposer la dimension que
renferme la spiritualité et ce que cette dimension a d’infiniment supérieur
aux lectures littéralistes dans lesquels ils sont emmurés. Et même d’étranger à
ces lectures tant la réduction dont celles-ci procèdent est destructrice de
sens.
L’étendue de cette
destruction tient à ce que la spiritualité se nourrit des questionnements qui
cernent l’inconnaissable de chaque croyance. Et plus encore sa part
d’indéchiffrable dont la perception invalide toute forme de certitude plénière.
Au profit d’une autre intellection de l’univers religieux qui se ré interroge
sans cesse et qui suit un cheminement de la pensée ouvert au doute.
Un doute qui
participe de l’aspiration de l’esprit humain à avancer vers un libre
entendement et qui accepte en même temps d’être soutenu par l’idée que tout ce
qui monte converge, ou est susceptible de converger.
Religion-institution versus
spiritualité ?
Les considérations
qui vont suivre, et qui se concentrent d’abord sur le monothéisme chrétien (ce
dernier étant largement entendu, par une contrainte intellectuelle
d’inséparabilité, comme un monothéisme judéo-chrétien), mettent en avant
une différenciation entre religion et spiritualité. Différenciation rendue sans
doute trop schématique par les besoins de la démonstration, par la nécessité de
grossir le trait pour gagner en clarté, ou par l’insuffisance du nuancier. Au
risque de donner à qui ne la partage pas le sentiment d’avoir affaire à une énième
répétition des mises en cause et attaques visant le fait religieux. Qu’il soit
bien entendu que ce n’est aucunement là le sens du propos, et que rien n’y est
avancé dans l’intention de dénigrer la religion en tant que telle.
Ce qui est opposé
à la spiritualité, à sa dimension et à sa vocation spécifiques, se limite à la
religion-institution, à la fonction d’encadrement du
croire que celle-ci a exercé dans l’histoire des sociétés humaines, et
plus directement au rôle qu’elle s’y est jalousement réservé de fixer et de
formuler ce qui est donné à croire.
Rôle qui a fait
d’elle, dès l’origine, le législateur de la foi et qui s’est étendu - de
la façon probablement la plus exemplaire pour le catholicisme romain à travers
ses clercs - à l’exercice d’une coercition des âmes qui conditionnait l’adhésion
unanime à ses dogmes et à ses normes en quoi résidait son dessein. La religion-institution
a ainsi inclut une fonction de police de la croyance intime et des conduites
qui doivent s’y attacher que son bras séculier - en France, celui de la
monarchie d’Ancien régime puis son substitut formé par les sédiments
confessionnels qui sont restés longtemps présents dans les lois de la
république - n’est venu ensuite que seconder au nom d’un ordre public dont elle
était, ou avait été, à la fois la composante majeure et la garante proclamée.
Ces traits propres
à la religion en tant que système institué autour de la foi nous sont plus
visibles dans le monothéisme chrétien et dans sa composante ‘’papiste’’. Ils
valent néanmoins globalement pour les autres monothéismes, du moins pour ce qui
est de l’angle que retient notre questionnement sur la dimension politique que
renferme le sujet de la spiritualité.
La religion-instituée est une religion-autorité.
La religion en ce
qu’elle se veut et se fait lien se fixe de réunir ses fidèles dans une définition
unique de la vérité qu’elle détient. Vérité, s’agissant encore du monothéisme
chrétien, qu’elle configure par des dogmes - concepts originellement retenus
comme explicatifs de mystères de la foi et dessinés en concordance avec
l’intelligence du monde qui était celle de leurs inventeurs. Mais aussitôt déclarés
intangibles et qui sont demeurés tels quel que soit l’éloignement dans le temps
de leur formation, arrêtant à eux-mêmes, sous l’autorité religieuse qui les garde,
l’appréhension et la discussion de chaque inconnue que comporte la croyance que
cette autorité incarne. Une vérité qui s’entoure d’un appareil doctrinal
également inaccessible au débat, à la critique et le plus généralement à la révision.
Cette inclination
naturelle du religieux à se constituer en autorité de la foi tend à faire des
commandements authentiquement attachés à son message fondateur - ceux ‘’qui
font sens’’ et qui devraient en conséquence requérir que ce sens soit
interrogé sans relâche - une déclinaison de règles enseignées et reçues pour ce
qui s’y lit et non plus pour ce qu’elles ont à signifier. Par là, quelle
religion ne tombe-t-elle pas sous le coup de l’avertissement - prophétique - de
l’apôtre Paul : « La lettre tue et l’esprit vivifie » ?
Et pour que le
lien enserrant les croyants soit encore plus étroit, la religion-autorité,
sa hiérarchie cléricale, édicte des injonctions qui sont d’autant plus
pointilleuses que leur fin, au fil du temps, devient moins de mettre une foi en
pratique que de régir l’existence des fidèles, y compris dans les compartiments
les plus intimes de celle-ci.
Naturellement
portée à présenter la Révélation qu’elle a pour mission de faire partager comme
exclusive de toute autre, la religion enferme dans son principe d’inculquer à ses
fidèles l’idée que les autres croyances sont entachées d’une erreur absolue et irrémissible,
de même au reste que toute déviation apportée aux dogmes et aux commandements
qu’elle leur a enseignés - ce qui a produit dans le catholicisme le ‘’hors
de l’Eglise point de salut’’ si longtemps affirmé. Idée qui ouvre le
passage à la conviction en forme de certitude - que cette certitude soit professée
ou qu’on la laisse prospérer - que l’erreur ainsi soutenue l’est à
l’encontre de la Parole du divin et que, partant, elle outrage celui-ci.
De là procède que
dans le cours de l’histoire, la religion établie - clercs et fidèles du même
pas -, contredisant son message éthique dans à peu près toutes les confessions
et dans l’aveuglement le plus répétitif, ait si continûment rencontré et
éveillé la propension à haïr, à proscrire et à tuer que renferme l’humanité. Et
qu’elle ait été l’une des motivations les plus accessibles et les plus
violentes pour anathémiser les différences, et d’abord bien sûr de pensée, pour
les faire juger intolérables et pour
commander leur éradication. Motivation que notre temps voit se réactiver en
considérant, effaré, le cortège d’abominations que la réapparition du fanatisme,
à l’échelle à laquelle il se manifeste, apporte avec elle.
La France, une laïcité bénie des dieux ?
En France, la
république ne combat plus frontalement aucune religion - c’est non de la part
l’Etat mais de la société et de courants partisans que l’islam y est en en
butte à une stigmatisation permanente, effet de la xénophobie la plus
anciennement présente et d’un racisme anti-arabe induré - puisqu’aucune
religion ne la combat plus frontalement. Liberté d’opinion, liberté de croyance
et liberté des cultes se confondent dans la même affirmation du droit
fondamental à la liberté de conscience né des Lumières et édicté par la
Déclaration du 26 août 17 89.
Mais en même
temps, la république se garde d’oublier que l’incompatibilité foncière entre la
religion culturellement dominante et l’esprit de libre examen d’où est née
l’idéologie républicaine conserve à la dénonciation du cléricalisme qui fit
scandale en son temps, « le cléricalisme voilà l’ennemi »,
la vertu d’une arme de dissuasion. Dissuasion contre toute éventuelle immixtion
cléricale dans la législation civile allant à l’encontre de l’expression
souveraine de la volonté nationale, et dans la conduite de la gouvernance démocratique.
Et donc de perdre
de vue que la laïcité à la française a été inventée non seulement comme la
seule voie de pacification praticable pour sortir de luttes religieuses
pratiquement ininterrompues depuis le règne de François 1er, avec leur enchaînement
de proscriptions et de sécessions cultuelles et leur sinistre passif de férocité
et de sang répandu, mais tout autant comme le moyen de prévenir les ingérences
religieuses dont la menace - ainsi que la mobilisation contre le droit au
mariage pour les homosexuels l’a rappelé - ne fait jamais que s’estomper :
la religion-autorité ne peut en effet se concevoir comme une voix égale aux
autres dans le débat éthique, ni se tenir à revendiquer un droit - dont il
va de soi qu’il est le plus parfaitement légitime - à l’objection de conscience
pour ses fidèles, le monopole de la détention de la vérité dont elle se juge détentrice
l’exposant à céder à la tentation récurrente de se faire législatrice à la
place de citoyens qui ne partagent plus les normes apparemment indéracinables
qui l’identifient à son pouvoir de réglementation.
Que plus d’un
siècle se soit écoulé sous la loi de Séparation fait cependant que sans
l’ampleur prise ces derniers mois par le péril terroriste, et nonobstant
l’essoufflement des processus d’intégration qui touche la religion la plus
récemment agrégée à l’économie des cultes, les tensions sur la place dans la
république de la religion en tant que culte institué apparaîtraient comme des escarmouches,
des accrochages entre arrière-gardes. Y compris les tensions qui pour la
religion dominante, sont en lien avec son incorporation à notre histoire.
Une situation
identique de dé-passionalisation prévaut dans l’ensemble des sociétés
démocratiques d’Europe au terme de cheminements politiques et événementiels divers et propres à chacune.
L’intelligence du spirituel
contre l’empire du fanatisme.
En revanche, si le
panorama se mondialise, c’est bien le tableau très noir dont on est parti qui
pose les termes de l’affrontement engagé entre la liberté de conscience et
l’expansion généralisée des fanatismes.
Dans cet
affrontement« Nul homme n’est une île ». Il en va naturellement de
même pour chaque société humaine dont les digues tiennent à ce jour face à la
montée de l’obscurantisme. Et qui doit se dire qu’elle est « partie
du continent, (et que) si une parcelle de terre est emportée par les flots, (…)
c’est une perte égale à celle d’un promontoire ».
L’avertissement de
John Donne, dont Ernest Hemingway a repris la formulation la plus forte « Aussi
n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi.», entraîne
que dans la bataille idéologique contre les fondamentalismes, la mobilisation
ne rencontre ni limites ni conditions.
Du moins si l’on
admet, ainsi que nous l’avons posé au départ, que dans cette bataille où se
joue une part conséquente de ce que l’humanité se réserve à elle-même pour
demain, la stratégie pertinente consiste à élever sans relâche le démenti
souverain qu’opposent l’étendue, la richesse et la profondeur du champ de la
spiritualité aux lectures littéralistes des Ecritures ou pseudo-Ecritures
de la foi, à en appeler à l’intellection du religieux contre le rapetissement
de la croyance et sa suffocation dans un huis-clos de certitudes primaires, de
haine et de fureur.
Les enjeux du déchiffrement du spirituel.
Stratégie qui implique
d’entrer dans ce champ du spirituel et d’y percevoir les enjeux que celui-ci
recèle ; et, la mesure prise de ces enjeux - métaphysiques,
anthropologiques, éthiques … -, de s’engager dans le déchiffrement de ce qui,
pour le lecteur partie prenante a la foi en cause, peut être regardé comme
ayant pour essence d’être inconnaissable et comme l’objet en même temps d’une
injonction à être inlassablement interrogé - mais pour ne se dévoiler que par d’infimes lueurs dans la
très longue durée d’une révélation dont le cheminement est commandé par le
dessein de la transcendance.
Un déchiffrement
qui réunit les démarches de l’exégèse savante qui remonte aux sources des
textes pour déconstruire et reconstruire leur sens, avec tout l’éventail des
outils conceptuels et scientifiques qui sont à sa disposition, et le
questionnement ou l'interpellation philosophiques qui, dans une approche
inverse mais complémentaire, ‘’tirent’’ les textes jusqu'au lecteur
d'aujourd'hui et qui recherchent les significations qui s’y font jour sous
l'intelligence du monde qui est à la nôtre. C’est là un exercice de mise en
lumière où l’entendement humain se confronte à une somme d’écrits que le temps
a recouvert, au long des siècles, de couches de sédiments devenues à peine
entamables sous leur épaisseur et leur durcissement, et a affecté - à coup de traductions
et de translations fautives - de déformations, de méprises et de fourvoiements,
ou a tout simplement rendu non transcriptibles parce que les langues d’origine
ne se lisent plus dans la culture qui les a portées et au travers de laquelle le
texte renvoyait à ses références et à son sens.
Toutes les
ressources de cet entendement sont ainsi requises pour que du récit ou du
commandement rapprochés d’une autre récit ou d’un autre commandement, du mot
rapproché d’un autre mot, et du trait rapprochée d’un autre trait,
une signification se déploie ou se propose qui ne soit pas - pour reprendre la mise
en garde de l’apôtre chrétien - de l’ordre de la lettre qui tue mais de celui
de l’esprit qui rend vivante, dans toute système de croyance, l’intelligence de
la foi. Et sous la première condition de déshistoriciser les textes.
Intelligence de la
foi qui est l’exact contraire de ce à quoi le fondamentalisme s’arrête. De ce qui en fait, de millénaire en millénaire, le support rivé à
toutes les formes d’intolérance, de la discrimination de l’infidèle à la mise à
mort de l’hérétique ou de l’apostat - sans limitation d’échelle.
Que ce
fondamentalisme connaisse un regain qui du Proche-Orient à une partie de
l’Asie, pousse aux pires démonstrations de cruauté alliées à une puissance maléficielle
qui frappe de stupeur, que dans nos sociétés il réunisse des auditoires qui se
ferment à toute poursuite du rapprochement entre les monothéismes et l’esprit premier
des Lumières, n’est-ce pas le double constat qui prouve à quel point il est
capital et urgent de porter haut et de propager une représentation du religieux
qui fasse la pédagogie de sa dimension spirituelle ?
Cette affirmation
de la grandeur du spirituel renvoyant tous les littéralismes intégristes à
l’insoutenable déperdition de valeur que subit leur croyance dans
l’appréhension de celle-ci sur laquelle ils se règlent, et dans l’apologie de
la persécution qu’ils construisent sur l’extrême pauvreté de cette appréhension.
C’est aussi en ce qu’il est patrimoine
que le spirituel constitue une ligne de résistance.
Une grandeur du
spirituel qui tient pour les non croyants à ce que les textes référentiels
de la spiritualité appartiennent d’abord aux plus grandes œuvres produites par
l’esprit humain - évidence qui désigne pour nous plus spécialement, en ce
qu’ils nous sont intellectuellement les mieux accessibles, ceux attachés au
monothéisme judéo-chrétien. On a évoqué la somme de concepts métaphysiques, de visions
anthropologiques et de préceptes éthiques qui s’y est formée : le parcours
de la pensée qui est le fil conducteur de notre culture ne s’imagine pas sans
cette source essentielle et on ne parvient pas à entrevoir ce qu’aurait été
cette culture si ces textes n’avaient pas existé ou, pour les plus anciens, s’ils
s’étaient perdus.
Au reste, s’il
fallait un exemple de la richesse conceptuelle et littéraire des écrits de la
spiritualité, celui-ci ne serait-il pas donné, par excellence, par le Prologue de l’évangile de Jean
dont tout donne à penser qu’il peut être tenu pour l’un des plus beaux textes
de l’histoire de l’humanité ? Prologue qui en même temps atteste
idéalement de la grandeur des questionnements ontologiques que soulèvent les
œuvres qui approchant l’éminence où il se tient, participent du partage le plus
accompli de l’intellection de la foi.
Vis à vis des non
croyants - et des indifférents - promouvoir le patrimoine intellectuel qui s’est
constitué autour des trois monothéismes revient à défendre l’intégration des œuvres
de l’esprit que ceux-ci ont suscitées dans la diversité des créations du génie
humain. L’expression du spirituel, les différents parcours de la pensée et de
l’écriture dans le champ de la spiritualité, appartiennent au même
accomplissement de ce génie humain que le théâtre grec, le droit romain, la
construction des cathédrales, la musique baroque, le roman russe ou la
philosophie allemande, et il y a tout lieu d’ajouter à cette énumération (improvisée
sous la plume) la théorie de la relativité ou la physique quantique, ou encore les
avancées les moins communément pénétrables de l’astrophysique ou de l’étude de
l'infiniment petit dans le monde du vivant. Créations où, au reste, l’intervention
ou l'interpellation du spirituel ont évidemment leur place.
Une ligne de résistance qui se fortifie
à mesure qu’on approfondit l’interrogation du spirituel dans ce qui
le sépare du religieux-institué.
Amener le plus
grand nombre à approcher et à approfondir les textes référentiels de la
spiritualité, faire valoir l’inclusion de ces textes dans les œuvres de
l’esprit que l’humanité a conçue, c’est donner plus largement à entendre un
plaidoyer pour l’intelligence du croire contre l’obscurantisme qui
procède du dévoiement littéraliste de ce qui est cru.
Plaidoyer qui est
bien l’objet du présent article, et qui repose sur la confrontation annoncée à
son point de départ : une confrontation qui sépare la mesure de
l’inconnaissable qui se dégage de l’investigation menée dans le champ de la
spiritualité, des certitudes qu’entend apporter la religion-institution.
D’un côté, les
questionnements, l’herméneutique, l’examen critique des connaissances en vue « de
faire parler les signes et de découvrir leur sens » - pour emprunter
ici une belle formule à Michel Foucault -, et la tension interrogative tournée
vers ce qui pour le croyant est voué à rester du ressort de l'indéterminé :
un indéterminé qui résulte de ce que la
spiritualité n’a pas affaire à ce qui peut se représenter, à ce dont il peut
être rendu compte comme on le fait d’une réalité matérielle, et qui participe
de la plénitude de toute foi.
Les
interprétations vers lesquelles avance le croyant se délibèrent dans son libre
examen. Un libre examen où il est en droit de présumer qu’il est guidé par la
lumière que lui dispense l'Esprit : lueur qui n’est pas insusceptible de
contredire d’autres lueurs apportées à d’autres cheminements - pourquoi l’Esprit
prodiguerait-il une lumière identique à chaque âme sans se fixer sur le besoin
spirituel de celle qu’il a à éclairer ?
Pour le non
croyant, la lecture des écrits de la spiritualité ne diffère pas de celle des
textes profanes : le travail de déchiffrement, de recherche de ce qui est
signifié, n’a pas de raison d’y requérir des méthodes, des outils
intellectuels, une exigence et une probité autres que ceux appliqués à une
œuvre philosophique, historique ou littéraire. Ce qui n’exclut pas que l’Esprit,
quoique le chercheur attende de lui, y ait également sa part …
De l’autre côté, se
tient la religion, sûre d’elle-même dans l’exercice de la fonction à laquelle
on s’est référé pour la définir : un ministère institué pour enclore le croire
et dont la vocation était (et demeure) de s’attribuer et d’exercer le pouvoir
de formuler ce qui est donné à croire.
Autrement dit, une
autorité qui forge chacun des anneaux de la chaîne qui va des adeptes de la foi
qu’elle régit à la vérité de cette foi qu’elle détient et qu’elle est seule à
détenir.
On est bien ainsi
devant deux modes et deux mondes de la pensée : d’une part, ceux qui
découvrent l’étendue ouverte à la libre progression de l’intelligence de la
foi, et d’autre part ceux que gouverne l’empire du dogme et où la loi qui
édicte chaque article de foi confère à celui-ci une intangibilité irréfragable.
En pratique …
illustrations de la distinction entre spirituel et
religieux.
Découlant de la séparation
entre ces deux mondes, la différenciation entre ce qui procède de
l’investigation menée dans le champ de la spiritualité et ce qui est commandé
par l’obéissance à une religion-autorité, se fait jour, et de la façon la plus
manifeste au quotidien, dans l’approche du corpus prescriptif attaché à chaque
croyance.
Dans un cas, et
quelle que soit la religion en cause, la lecture littérale des prescriptions
conduit à ériger celles-ci en ‘’fondamentaux’’ inséparables de l’allégeance à la
foi.
La déviance de
cette allégeance vers le fanatisme est numériquement des plus minoritaires, ce
qui ne limite en rien - nous ne cessons hélas de le découvrir - la capacité du
fanatisme à faire couler le sang et à semer la terreur et la désolation. Et ce
qui n’ôte rien non plus, par contrecoup, à la nécessité d’identifier le terrain
où cette déviance trouve le plus naturellement à s’alimenter.
Or, c’est bien de la
soumission la plus aveuglément intégriste aux commandements et injonctions qui
conforment les actes de la vie qu’elle tire au premier chef sa motivation et
son élan. Une motivation et un élan qui se confondent avec l’obsession
d’étendre universellement cet assujettissement obscurantiste qui s’agissant des
prescriptions les plus archaïques et les plus brutalement maléfiques et iniques,
ne sépare pas les représentations et les préjugés empruntés aux cultures,
primitives ou premières, où celles-ci sont nées.
L’autre approche
considère les prescriptions non comme une réglementation dont chaque
énonciation vaudrait autant que le tout, mais seulement comme des signes.
Signes donnés en un temps daté et à un peuple ou à une humanité en état de
les recevoir, et ne possédant par conséquent d’immuable que la valeur que
comportait la signification qui leur était originellement attachée - que cette
signification eût alors ou non été pénétrée.
Comment au reste
imaginer que la, ou qu’une, transcendance se soucie de nos pratiques
alimentaires et de nos soins de propreté - la part étant faite à une avantageuse
bienveillance qui la pousserait à se préoccuper de notre diététique et de notre
hygiène -, de nos habitudes vestimentaires ou capillaires, de la présence ou de
l’absence de telle pilosité caractéristique de l’apparence corporelle de notre
espèce - sans parler des exercices divers qui accompagnent et accommodent les
relations amoureuses ? Et qu’elle s’en soit souciée au point d’édicter des
obligations d’une précision souvent prodigieuse et des interdits d’une rigueur presque
toujours extrême.
Deux confrontations entre ces approches
rendent compte de ce qui les oppose.
La première
renvoie à l’un des actes fondateurs du christianisme, fondateur en ce qu’il a
constitué une rupture, prononcée en vertu de la prééminence du spirituel, par
rapport à ce qui dans la Loi était tenu pour la prescription la plus symboliquement
signifiante de l’identité juive.
On peut concevoir
qu’en abolissant l’obligation de la circoncision, l’apôtre Paul
favorisait la pénétration du judéo-christianisme dans l’espace romain. Exempter
les convertis du passage par un rite a priori aussi dissuasif, ne revenait-il
pas à conférer à la nouvelle religion un atout majeur dans la concurrence qui
l’opposait au prosélytisme juif - concurrence ‘’du faible au fort’’ tant le
judaïsme avait déjà connu une expansion considérable dans le monde hellénisé
depuis sa mise en contact avec ce dernier.
Mais ce qui a fait
sens dans la position prise par l’apôtre des Gentils, non sans résistance de la
part du courant le plus attaché à la continuité judéo-chrétienne, possède une
toute autre dimension et réside dans la proclamation d’une novation spirituelle
capitale : une prescription inscrite dans la Loi, et au surplus l’une
des principales, pouvait être abrogée en se fondant sur une lecture nouvelle
de l’Alliance.
Et sur une lecture
qui de surcroît occultait l’affirmation messianique selon laquelle que « tant que
le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul
iota ou un seul trait de lettre jusqu'à ce que tout soit arrivé » -
affirmation insérée dans le péricope de la Femme adultère et qui
participe des multiples questionnements que provoque successivement ce texte
(probablement l’un des plus opaques et déroutants des évangiles), pour ne pas
dire des mystères auxquels il confronte.
Une occultation
qui laisserait devant une contradiction insurmontable (mais telle qu’elle se fait
jour, cette contradiction apparaît-elle autrement qu’en tant que provocation au
libre examen et qu’encouragement à l’esprit de libre recherche ?) si
l’opposition entre les deux destins réservés à la Loi - abrogation ou pérennité
- ne se résolvait par un dépassement de la notion même de ‘’Loi’’.
Dépassement que
réalise la position paulienne en donnant à comprendre que ‘’Loi’’ s’entend dans
plusieurs acceptions, quelle que soit la difficulté que rencontre
l’intelligence humaine pour dessiner le contour de chacune …
Et dépassement,
surtout, qui pour les prescriptions qui établissent de règles de vie (il en
va naturellement tout autrement pour les règles éthiques), en appelle des
obligations qu’elles édictent devant la source spirituelle, ou les sources
spirituelles, qui, présente(s) ou passée(s), leur confère(nt) leur
signification. Ce qui est au demeurant la démarche prêtée à Pierre et à Jacques
et la substance du compromis avec la Loi de Moïse entériné au concile de
Jérusalem.
Que cette
signification soit incertaine, qu’elle soit plurielle et que de cette pluralité
se dégagent des dés-accordements, ou que la cartographie des sources se soit en
partie effacée, le dépassement de la lettre au profit de l’esprit - on
en revient invariablement à cette alternative - légitime toujours la
primauté du questionnement sur la stricte observance. Et invalide la faculté
de coercition que le normatif posséderait par lui-même sans que ses raisons et
ses fins, ou sa symbolique, à défaut d’être comprises, fussent au moins entr'aperçues
ou supposées, ou seulement interrogées.
Le second exemple
de l’antinomie entre lecture littérale des prescriptions et déchiffrement
des signes par lesquels celles-ci prennent sens, ramène a une polémique si
régulièrement réactivée qu’elle est en entrée au nombre de celles qui sont
devenues emblématique des déchirures confessionnelles, culturelles et
politiques de nos sociétés.
La question de
l’abattage est en effet l’une de celles où ce
divorce sociétal se concentre, en ouvrant de surcroît la porte à toutes formes
d’instrumentalisation. L’imputation de cruauté qui est adressée à l’abatage
‘’coranique’’ - qui se montre généralement plus discrète s’agissant de l’abattage
rituel juif qui consiste pareillement à vider la bête de son sang (par la shehita,
occision par jugulation) - et, en regard, le refus intégraliste de consentir à
un étourdissement préalable à la saignée, composent les termes d’un non
dialogue, d’une sorte d’autisme inter culturel, qui laissent aussi stupéfait
qu’atterré.
Pour la simple
raison que remonter, là encore, à la référence spirituelle - hébraïque, il va
de soi - apporterait un tout autre éclairage à un débat à juste titre passionné
mais qui est brouillé et obscurci à la mesure du fondamentalisme et de l’ignorance
qui trouvent à s’y déployer
Une référence spirituelle
qui est inscrite dans la septième des ‘’Lois de Noé’’ [1]
qui interdit de consommer le membre d’un animal vivant (« Tu ne démembreras pas un animal vivant »).
Un commandement qui impose de ne se
nourrir que de la viande d’un animal exsangue en vertu de l’assimilation du
sang à la vie : « Vous ne mangerez point de chair avec son âme, avec
son sang ».
Cette obligation,
comme toutes les règles alimentaires instituées dans le judaïsme qui la
prolongent [2],
a donné matière à un foisonnement d’exégèses, d’interprétations et de
commentaires, mais elle répond bien d’abord à une compassion envers les
animaux, au souci d'entraîner le moins de souffrance possible. Compassion qui
inspire les autres prescriptions religieuses relatives à l’abattage, et plus
globalement l’ensemble de celles qui déterminent les traitements auxquels il
est licite de soumettre les créatures animales.
On citera ici quelques
unes des normes qui se conjuguent ainsi, prises parmi les plus
démonstratives : la condition impérative que l’égorgement soit effectué d'un seul geste
continu et au moyen d'un couteau effilé ne présentant aucune encoche, l’interdiction
de « (faire) cuire un chevreau dans le lait de sa mère » qui a été imagée comme empêchant de mêler un vol (auquel le
lait est rapporté) à un assassinat (représenté par la viande qui en
serait le produit), l’interdiction encore faite à un Juif de castrer un animal,
celle de consommer la viande d’une bête blessée par un chasseur - le Talmud
décourageant d’ailleurs la chasse, particulièrement à titre de loisir, pour sa
cruauté envers les animaux.
Se rapporter à leur source spirituelle pour mettre en perspective des
règles d’abattage qui se sont affirmées comme un identifiant fondamental de l’anthropologie
hébraïque et, complétées des prescriptions alimentaires, de la spécificité du
judaïsme, ne règle bien évidemment en rien la question de la souffrance causée
par l’homme à l’animal.
Une souffrance qui
dépassant largement dans nos sociétés le sujet des modes d’abattage, est avant
tout présente à travers les pratiques de l’élevage où elle est imputable en
premier lieu à une industrialisation des exploitations qui dictée par une
finalité productiviste, dénature jusqu’à l’abominable la
vie animale. A ce qui parvient à être dénoncé dans les médias des conditions
d’existence atroces ainsi infligées aux animaux d’élevage, s’ajoutent les conditions
de transport de ceux-ci et le non respect - non évalué - des dispositions
régulatrices censées améliorer les conditions de leur mise à mort. La course
folle de l’agroalimentaire à la profitabilité faisant l’arrière-plan économique
d’un désastre éthique qui s’accompagne d’une mise en danger de la santé
humaine.
Mais
l’identification de ce qui enracine dans la spiritualité une exigence de
mansuétude envers les créatures animales déporte la controverse sur l’abattage du
champ clos de la déperdition du sens - celui où les croyants se fixent sur une
nomenclature d’interdits et d’obligations obéies à la fois en vertu de leur
validité scripturale tenue pour immuable et en tant que marqueurs de leur
fidélité identitaire - à l’espace du libre examen des commandements et de
l’intellection de leurs origines, de l’inspiration et de la raison qui ont
présidé à leur instauration.
Introduire de
l’intelligence dans une controverse ne garantit jamais que la résolution du
conflit qui y est posé s’en trouve facilitée. Au moins y a-t-il tout à gagner à
ce que l’enjeu soit situé à son véritable niveau et exactement délimité dans sa
nature et son objet. En l’espèce, ce sur quoi s’opposent les tenants de
l’abattage rituel et les défenseurs de la cause animale ne se réduit pas au
libre exercice d’un culte et au droit dont disposent ses adeptes de se
conformer aux prescriptions attachées à ce dernier, pour choquantes qu’elles
soient.
Ce qui rend
l’enjeu signifiant est entièrement inscrit dans la
double ligne séparative que trace celui-ci : d’une part celle qui pour
la pensée juive, distingue les justes sur le critère de l’observance de
règles d’équité et d’adéquation aux normes du bien, et qui inclut dans cette
différenciation morale le devoir de respecter les animaux [3]
- ces règles et normes se réclamant d’une idée de convenance qui se
retrouve dans l’un des sens du terme kascher ; d’autre part, une
ligne de séparation à valeur anthropologique qui se déduit de ce que le commandement « Tu ne démembreras pas
un animal vivant » vaut pour la seule espèce humaine.
Qu’aucune autre
espèce ne soit assujettie à l’interdiction de se nourrir d’un animal encore
vivant ne constitue-t-il pas le seul critère sur lequel le genre humain se spécifie,
sachant que les autres certifications de sa séparation d’avec le monde animal -
une séparation entendue comme radicale - sont soit issues de raisonnements
tautologiques ou d’arguments ontologiques, soit démenties ou fragilisées par
une observation plus fine des facultés et des comportements des espèces
animales (comme la complexité du langage de certains oiseaux, les manifestations
d’empathie et de solidarité chez les grands singes, l’ébauche de rituels
funéraires chez les corneilles …) ?
Si une place aussi
large a ainsi été accordée à la question de l’abattage, c’est pour la raison
que la problématique découlant des prescriptions religieuses édictées en la
matière offre une illustration exemplaire de l’abime qui pour tout
commandement, sépare sa lecture littérale, et l’emprisonnement intellectuel qui
en résulte, du questionnement de sa dimension spirituelle - questionnement par
lequel son sens et sa finalité sont appelés à se découvrir [4].
Dévoilement d’où
viendra - d’où pourra seulement venir- le dépassement de l’intangibilité prêtée
aux rites d’abattage. Et dévoilement qui dans sa globalité, n’a pas vocation à
être jamais achevé : il incombe à chaque temps d’en poursuivre le
cheminement par les interrogations qui lui appartiennent, et avec les lumières
dont il dispose pour se re saisir des interprétations déjà construites afin de
les approfondir ou de les réviser.
Ce qui laisse
aussi entendre que rien ne peut détourner le dire religieux de sa
propension à s’ériger en puissance normative assise sur
un système de pouvoir de type césarien, voire totalitaire, sinon ce qui
procède de l’intelligence du croire - une intelligence qui
a au reste en propre de ne pas être subordonnée à une adhésion à ce croire.
La dépréciation infligée au sacré.
Le parcours qu’on
a exposé à coups d’aller-retour entre les certitudes que la
religion-institution dispense - certitudes trop ordinairement affirmées dans la
réduction que leur a fait subir la soumission aux conformismes ou la pesanteur d’obscurantismes
- et le territoire imparti au déchiffrement des signes qui entrouvrent le
domaine de l’inconnaissable, positionne les armes dont dispose chaque camp -
celui de la lettre et celui de l’esprit.
Le fanatisme est
par essence inaccessible à toute objection de la raison. Pulsion de mort comme
l’a été le fascisme - le « viva la Muerte », cri de guerre franquiste
que le philosophe Miguel de Unamuno qualifia de ‘’paradoxe répugnant’’,
est un mot d’ordre commun, énoncé ou implicite, à tous les types de fanatismes
-, il est aussi impénétrable par la critique rationnelle que sa prédisposition
à l’extermination des hérétiques et des déviants - celles et ceux qu’il juge
tels - est indéracinable.
En revanche, le
combat des idées demeure opérant contre le fondamentalisme et contre l’intégrisme - le premier refermant à tout jamais le livre du sacré sur la
lecture littérale qu’il en a faite et qui en a été faite autour de lui depuis
des millénaires, et le second s’emprisonnant, dans un dessein tout aussi irrévocable,
derrière les hauts murs qu’a élevés l’enseignement de la doctrine de sa foi le
plus lointainement dispensé, et derrière les prescription et les rituels dans
lesquels les premiers pas de croyants de ses adeptes ont été guidés, les uns et
les autres généralement sur-légitimés par des traditions qui se confondent avec
un déterminisme familial, social ou identitariste.
Opérant, il l’est
au moins là où ces deux arriérations de la croyance religieuse qui sont la voie
naturelle menant au fanatisme, n’ont pas installé un corpus d’enténèbrement
intellectuel dans une situation d’hégémonie politiquement et juridiquement
sanctuarisée (cas notamment de la péninsule arabique). Ou là où un corpus de
même nature n’est pas si anciennement associé à la fondation du lien social qu’il
est devenu partie intégrante de l’assise de la culture commune et élément
constitutif de mentalités parmi les plus influentes (position occupée par le
fondamentalisme bibliste et puritain aux Etats-Unis ou par le sionisme en tant
qu’appropriation historicisée et ethniciste de la bible hébraïque). Une double
restriction qui, en pratique, délimite l’espace où cette confrontation peut
aujourd'hui se déployer le plus efficacement en ciblant au premier
chef l’Europe et, au second plan, suivant des données contextuelles
sensiblement différentes, l’Amérique latine et les autres terres où le
catholicisme, fût-il rigide, est entré en compétition avec des confessions ou
des sectes très significativement plus littéralistes.
Face au fondamentalisme
et à l’intégrisme, l’exercice
du libre examen dans l’investigation du champ de la spiritualité fait valoir un
contre-modèle dans l’approche et dans la considération du sacré. Un
contre-modèle configuré sur la reconnaissance de la primauté de la liberté de
l’esprit sur l’ordre dogmatique.
Et ce qui
appartient à cette liberté de l’esprit de produire, et de produite sans
relâche, c’est la réfutation de la totalité de la production idéologique du
fondamentalisme et de l’intégrisme. Réfutation renvoyant chacun d’eux à la
dépréciation qu’ils infligent au sacré et faisant pénétrer dans le peuple des
fidèles de chaque confession la conscience, ou l’intuition, de ce que leur foi vaut
essentiellement par le gisement de sens qu’elle renferme et qu’il leur revient
d’explorer, signe après signe et génération après génération.
Mettre en avant ce
que ce gisement recèle pour le croyant d’inestimable et d’inépuisable, et discréditer
corrélativement toute lecture littéraliste qui en interdit l’accès, passe
nécessairement par la disqualification des légistes du premier sens. Disqualification
qui engage à renvoyer à ceux-ci l’image de pauvreté d’entendement et d’intellection
archaïsante qui les identifie et qui doit leur ‘’coller à la peau’’ pour que
leur capacité de nuisance soit entamée. Et à gagner des cercles de plus en plus
larges à la pleine et exacte mesure de cette pauvreté et de cet archaïsme pour parvenir à ce que l’une et l’autre
soient imputés à ces légistes comme une invalidation à formuler quelque dire
religieux pertinent que ce soit.
La résistance aux extrémismes religieux.
La pénétration de cette invalidation qui conditionne toute ouverture du croire
religieux à l’esprit critique, intéresse les trois monothéismes [5]
même si c’est à des titres différents. Malgré les obstacles spécifiquement
prévisibles dans chacun d’eux tenant aux marqueurs culturels et historiques dont
ils sont respectivement porteurs et aux courants qui les traversent, cette
pénétration et cette ouverture peuvent s’envisager sous la forme qu’a prise en
France la progression des libertés et des valeurs issues de la philosophie des
Lumières : une agrégation de d’adhésions et de ralliements traçant un parcours
qui est allé de l’abolition de la question sous le règne de Louis XVI à la
toute neuve ouverture du droit au mariage pour les couples homosexuels, de la
proclamation des droits fondamentaux par la Déclaration de 1789 à la loi de
Séparation de 1905, de l’abolition de l’esclavage de 1848 à celle de la peine
de mort en 1981, du droit au divorce voté par la III ème république à la
légalisation de l’IVG en 1975, et de l’instauration de l’obligation scolaire
sous le régime de la gratuité et de la laïcité aux réductions successives de la durée du
travail.
A la réserve près que
le temps dont nous disposons pour affermir le libre examen nous est infiniment
plus compté qu’il ne l’a été pour l’extension
des conquêtes nées de l’esprit des Lumières. Il s’agit en effet de rendre invulnérable la liberté de conscience qui, parmi ces conquêtes, est la
seule à être demeurée fragile parce que l’intolérance s’est avérée indéracinable
de l’esprit humain. Et de répondre à un enjeu immédiat que dramatisent la marée
montante des obscurantismes, et bien entendu plus encore le déferlement de
crimes monstrueux que la rage meurtrière du fanatisme y adjoint.
Cette urgence conforte
l’insistance qui a été mise dans notre analyse à soutenir que la recherche
éclairée sur les thématiques de la spiritualité doit prendre une place majeure
dans la résistance aux extrémismes religieux. Recherche alliant tous les
modes d’investigation du sacré et des écritures qui le consacrent - de
l’exégèse savante et de la révision historique appliquées à l’ensemble du legs
transmis jusqu’à la mise en valeur des restitutions authentiques des grandes
expériences mystiques, du questionnement philosophique des croyances, de leurs
concepts explicatifs et de leurs représentations à la mise en parallèle du matériel
théologique avec l’état des sciences de l’univers et de l’infiniment petit (la
démarche teilhardienne ayant certainement valeur de paradigme à cet égard),
de l’écoute des résonances du patrimoine littéraire, artistique et musical du
religieux à l’approfondissement de la compréhension des civilisations, des
sociétés et des mentalités conformées par le croire juif, chrétien ou
musulman.
Toutes démarches
de la pensée qui convergent et se retrouvent sur le dessein d’une conversion intellectuelle
d’une immense ampleur, comparable au lointain délaissement des idoles au profit
du monothéisme : une conversion au prix de laquelle les croyants en
viennent à se représenter que leur foi est certes faite de certitudes - admises
et respectées en tant que telles -, mais qu’à côté de celles-ci, au demeurant
en petit nombre, s’ouvre l’étendue infinie de l’inconnaissable qui est la
substance de toute spiritualité.
Un inconnaissable qu’en
tant que croyants, ils sont appelés à interroger librement, l’exhortation étant
à la mesure de la richesse et de la profondeur de ce que leur interrogation pénètre.
Et de ce qu’elle leur fait percevoir - fût-ce par des lueurs fugitives,
incertaines et étroitement ciblées - pour autant qu’elle se libère de toute
lecture littéraliste et de la claustration dans la dogmatique et dans le
prescriptif dont ce type de lecture conforte la glaciation.
L’implication des non croyants.
Et cela
apparaîtrait-il comme un paradoxe, en regard de cette perception offerte au
croyant, une richesse et une profondeur d’une dimension identique entourent les
significations qui pour le non croyant sont à même de se faire jour dans
l’étude du champ des spiritualités - même s’il est clair que pour ce non
croyant ces significations seront nécessairement différentes dans leur nature, dans
leur réception et évidemment dans leur interprétation.
Ce partage du
sens, ou dans la quête du sens, a ceci de capital qu’il justifie que ceux
qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas investissent conjointement la
pensée du sacré. Pour produire une synergie qui, vis à vis du fait
religieux dans son ensemble, fasse de la recherche dans le domaine de la
spiritualité l’émettrice des démentis les plus catégoriques face aux
obscurantismes, qu’ils soient les plus imbéciles ou les plus violents, et pour
que cette recherche procure ainsi une ressource décisive au service de la
liberté de conscience.
L’éligibilité des
incroyants à la réflexion dans le domaine de la théologie est de nature à
surprendre ou, des deux côtés, à choquer : elle ne vise cependant qu’à fédérer
contre ces obscurantismes ce qu’on pourrait appeler,
en référence à un autre combat historique (et non par présomption !), et
en jouant sur l’inversion symbolique des éclairages, ‘’l’armée des lumières’’.
Ou pour proposer une désignation concurrente plus référencée au religieux, une
‘’congrégation pour la propagande de l’intelligence de la foi’’.
Au reste, l’athée
apparaît-il plus éloigné du corpus des écrits monothéistes que le médiéviste ou
le spécialiste de l’Amérique précolombienne le sont de leur sujet ?
Distance intellectuelle et distance chronologique ne se surmontent-elles pas
par le même recours aux facultés d’imagination et d’entendement ?
Et, ce qui semble
encore plus décisif, l’univers de la spiritualité ne s’incorpore-t-il pas à la
somme des accomplissements du génie humain (une incorporation dont nous avons
fait ci-avant notre thèse) ? Par là, n’appartient-il pas, au premier chef,
au patrimoine immatériel de l’humanité - un patrimoine indivis par
définition ?
… « quod erat demonstrandum » …
Si c’est bien de
cette part majeure du patrimoine immatériel de l’humanité dont le fanatisme est
la négation, si cette négation s’étend à toute l’intelligence du croire,
si elle a pour conséquence d’interdire l’accès et la libre jouissance de cette
intelligence, et partant toute possibilité d’émancipation d’une foi aveugle et
d’un religieux de nature totalitaire, alors, oui, la spiritualité
constitue indéniablement un sujet politique, et l’un des tout premiers d’entre
eux.
Corrélativement,
réfuter et discréditer le fondamentalisme et l’intégrisme dans chacune des
religions où ils dominent ou relèvent la tête, en les dénonçant pour ce qu’ils sont
- le socle du fanatisme -, s’impose comme un impératif également de nature politique.
Un impératif qui se résume à ceci : faire reculer l’emprise de tous les
obscurantismes générateurs d’un extrémisme religieux.
Et un impératif au
regard duquel les sociétés démocratiques sont fondées à mettre ‘’dans le même
sac’’ l’extrémisme qui reproduit nos Saint-Barthélemy (et nos vandalismes
intercultuels) à travers le Proche et le Moyen Orient, et ceux qui entendent plus
spécifiquement perpétuer des représentations sexuées primitives,
discriminatoires et outrageantes pour la moitié de l’humanité, ou des
spoliations auto légitimées par un dessein divin, quand ce ne sont pas des
prohibitions d’un autre âge dont le sens est autant perdu que leur charge de
souffrance est méconnue. Plus la globalité de ceux qui proscrivent la liberté
de choix par rapport à la croyance en Dieu et la liberté de disjonction par
rapport à la figuration du divin qu’ils consacrent. Et tout autant fondées par
conséquent à infirmer, ou à aider à infirmer, les littéralismes qui déterminent
ces aveuglements et ces enlisements du croire - comme elles le sont par
ailleurs à se prémunir contre n’importe quelle forme ou tentative de
cléricalisation de leur législation.
Pour autant,
quel bon sens y aurait-il à poursuivre cet impératif politique en se
concentrant exclusivement, par parti-pris, sur l’un des trois monothéismes ? Quand bien même celui-ci est-il probablement
le plus encombré des représentations héritées du temps et des lieux de ses
origines et manifestement le plus surchargé du poids des arriérations qui façonnent
les sociétés où il est dominant. Ne considérer
que les aliénations de l’entendement du religieux que s’emploie à perpétuer le
seul discours vraiment audible dans l’islam, et s’arrêter à l’incompatibilité avec
la liberté de l’esprit des référentiels de pensée et de vie qui sont ancrées
dans les pays musulmans et à l’obstacle que ces référentiels dressent sur le
chemin de l’évolution des mœurs, expose à tenir pour irrémédiable la rétraction
que connait la foi musulmane en terre d’islam comme en terre d’immigration - voire
à faire de cette rétraction un retour à ce qui est le plus consubstantiellement
inscrit dans l’intellection et dans la culture du croire attachée à ce
monothéisme. Comme si de l’islam ne pouvait jamais sortir un mouvement équivalent
à ce qu’a représenté le judaïsme libéral pour la foi juive. C'est-à-dire,
la résolution d’embrasser la modernité, essentiellement en s’ouvrant à une
réforme de la théologie et des pratiques à travers l’analyse critique des
textes, et également en reconnaissant l’égalité entre les sexes. Une ouverture
sous-tendue par l’adoption d’une nouvelle vision de la foi qui allie celle-ci à une révélation en marche et non plus à une
révélation déjà accomplie.
Et surtout instruire
préférentiellement et à charge contre l’islam - ce qui laisse ordinairement transparaître
des peurs, des haines et un mépris du monde musulman qui appartiennent à la
plus longue durée historique - c’est conforter une dynamique de rejet et de
stigmatisation à son endroit dont la puissance n’a assurément nul besoin
d’’être amplifiée ; et parce que la dénonciation du fondamentalisme propre
à l’islam se fait exclusive, c’est donner argument à qui veut faire passer la réfutation
de l’obscurantisme qu’il professe pour la résurgence d’un esprit de croisade
contre la religion musulmane.. En fin de compte, le ciblage sur l’islam en
viendrait simplement à ajouter une guerre de religion à la guerre sur
la religion que nous vivons déjà.
Il en irait
évidemment de même si le procès était instruit contre le fait religieux en
lui-même et dans son ensemble, si les enfermements
dans l’intégrisme lui étaient imputés et non aux institutions qui le régissent depuis
son origine et aux doctrinaires de la foi et aux docteurs de la loi qui ont
configuré chaque croyance. Et si les détournements vers le fanatisme étaient
attribués au fait de croire et non à la seule logique qui les commande - celle
du cheminement naturel du fondamentalisme … et si on méconnaissait que ce
cheminement a le plus vraisemblablement pour cause première la malignité
humaine et la propension à persécuter qui est l’une des métastases de cette
malignité.
Dans les deux cas
- ciblage de l’islam ou, globalement, du fait religieux -, on méconnaîtrait que
le levier offert par l’investigation du spirituel est le seul susceptible
d’être opérant à moyen et au long terme pour démonétiser au sein de chacun
des monothéismes les référentiels tirés de lectures littéralistes, simplistes
et réductrices et pour élever le niveau d’intellection du corpus de signifié que
le croire met au service de la conscience du vrai, du juste et du bien. Un
levier qui ne saurait être mû que par la contestation et la subversion introduites
au sein des systèmes dogmatiques et des appareils de pensée archaïsants qui
réunissent des concepts, des interprétations et des représentations généralement
figés depuis des siècles, ainsi que les normes et les prescriptions
correspondantes. Ces systèmes et ces appareils ayant reçu les onctions
nécessaires afin d’être rendus aussi intouchables que les figurations d’idoles
sanctuarisées qui les ont précédées.
Cette contestation
et cette subversion tirent d’elles-mêmes leur légitimité en vertu de la liberté
de conscience. Mais aussi de l’objet qu’on leur assigne ici : c’est en
effet également en tant que sujet politique que la spiritualité, en ce qu’elle
est comprise comme champ de recherche et d’approfondissement continu, interpelle
les croyances en les renvoyant à la promesse biblique : « Je répandrai
de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes » [6].
Interpellation qui met leurs fidèles devant l’alternative d’avancer par
eux-mêmes dans la lumière et l’intelligence de leur foi en faisant ressource de
l’entendement propre à leur temps, ou de consentir à une confiscation
perpétuelle du spirituel par des castes sacerdotales accaparant le croire
et le dire religieux, ou par pire encore en termes de tyrannie de la pensée.
Ce pire appelant
aujourd’hui à l’esprit l’image de l’intolérance sanguinaire qui se déploie sur
une large étendue de la terre natale des monothéismes et qui ne laisse pas
de place, au dernier palier de la réflexion que nous avons proposée, à son
ultime confrontation avec l’aveuglement du fanatisme, à un autre choix que
celui de penser-Dieu ou de tuer au nom de Dieu.
Didier LEUWEN - Denis KAPLAN - 24 septembre 2015
* Un résumé de cet article a été publié le 29 septembre 2015 sur le blogue « aubonheurdedieu-soeurmichele »
- dans Invité-es [ aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/ ].
Publié par "penserlasubversion" dans "collection LUMENA".
[1] Lois dites noachiques édictant sept impératifs moraux qui pour la
tradition juive, ont été donnés par Dieu à Noé comme une alliance éternelle
avec toute l'humanité et qui s’imposent par conséquent également aux non-Juifs
- observés par ceux-ci, elles leur valent d’être reconnus en tant que justes.
[2] Un légalisme alimentaire dont l’Evangile-Marc
(Marc 7/1-23) prononcera l’abolition, le Messie déclarant purs tous les
aliments par une transgression dont la portée est celle d’une révolution
religieuse, et qui repose sur le primat de la parole et du cœur, sur une autre
victoire de l’esprit sur la lettre, (l’important n’est pas ce qui entre par la
bouche - les aliments - mais ce qui sort
de la bouche - les paroles - car cela vient du cœur - commentaire de sœur
Michèle Jeunet ‘’Vrai sacré et vraie pureté en Marc’’, publié 12 août 2015 sur le blogue « aubonheurdedieu-soeurmichele
» [aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/].
[3] Respect inscrit dans la culture de
nombre de sociétés ‘’premières’’ de chasseurs/pécheurs (ou d’éleveurs) où il s’exprime
généralement, sur une assise panthéiste, à la fois par une reconnaissance
ritualisée envers l’animal qui assurera la subsistance du groupe et par le
souci de limiter les prélèvements sur les différentes espèces au strict
nécessaire - i.e. à ce qui est compatible avec le renouvellement de chacune.
Un respect souvent étendu aux prélèvements sur le monde végétal. Et qui va de
pair avec une absence de hiérarchisation entre l’espèce humaine et le monde
animal.
[4] Ceci valant notamment pour les lois
alimentaires et leurs interdits : ainsi considérer la cacherout dans sa
portée symbolique (ce qui a déjà été le fait de l'école judéo-alexandrine aux
premiers siècles de notre ère) ne conduit-il pas à y lire un enseignement
délivré à l’humanité d’avoir à considérer la Terre et ses ressources non comme
une propriété livrée à son usage discrétionnaire, mais comme un simple prêt
assorti de l’obligation de faire un usage mesuré et responsable des biens que
celui-ci dispense ?
[5] pour le judaïsme, l’infirmation du littéralisme va
intellectuellement de soi. Demeure que vis à vis de l’historicisation ethno
centrée de la bible hébraïque que le sionisme a imposée et surexploitée, cette
infirmation aurait quelque chose d’un retour aux sources.
[6] Citation du prophète Joël dans le
discours de Pierre au chapitre 2 des Actes des apôtres (qu’on rapporte ci-après
dans son entier pour sa beauté poétique - n’évoque-t-elle pas le Victor Hugo de
la Légende des siècles, et notamment celui de Booz endormi ?) :
« Il arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai de
mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos
jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes ».
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