et autres niaiseries proférées
par les gens qui sont nés
quelque part.
Les réfugiés du Proche-Orient et d’autres terres
martyrisées qui arrivent à nos portes, que nous commençons à accueillir, ont
réveillé beaucoup de consciences, les ont poussées à s’exprimer alors que
depuis si longtemps seule la voix d’un égoïsme craintif, soupçonneux et
appelant à toujours davantage d’exclusion et à de plus infranchissables
frontières se faisait entendre dans le débat public.
Mieux encore, parmi les âmes blessées par tant de
souffrance et de malheur infligés aux peuples qui vivent sur l’autre rive de
notre Mare nostrum , celles qui n’ont pas la ressource matérielle de
venir en aide aux réfugiés en conçoivent un sentiment de culpabilité.
L’une de ces âmes inquiètes, à l’occasion d’un
échange amical de messages entre nous, m’a interpellé : « Que
puis-je faire à la place où je suis ? Je cherche! »
J’ai essayé de lui répondre. Cela m’a entraîné vers
des considérations plus générales sur le drame des réfugiés et sur la capacité
de notre société à se conformer au droit des gens et à l’éthique sur laquelle
elle repose.
L’idée m’est venue de faire partager ce qui a fait
de ma réponse à cette amie à la fois un coup de cœur et un coup d’humeur.
Voici cette réponse.
‘’Je
réponds, chère A ***, à votre « Je cherche ! »
‘’Dites-vous
bien que c'est déjà considérable, au sens premier du terme, que de chercher ! Au lieu de se confiner
dans la peur, dans les peurs imaginaires que le débat public n'a cessé
d'enraciner et de rendre plus virulentes depuis 30 ans.
‘’Un débat public qui face
au drame des réfugiés, à de rares exceptions près, ne fait qu'exposer des
postures et des affirmations misérables. Comment, après ça, voudriez-vous que
les gens que vous rencontrez, et qui n'ont peut-être pas comme vous une
armature de valeurs sur laquelle s'appuyer pour penser juste, ne fassent pas
leurs les partis-pris anti islam, les arguments xénophobes, les exhortations à
défendre de prétendues identités et les autres absurdités ou indignités que de
tous côtés ils entendent promouvoir, y compris par des gens qu'ils imaginent
sérieux et responsables ?
‘’Assurément l'un des
summums du non sens qui nous entoure tient dans ce « ils n'ont qu'à se battre chez eux!" » - avec quoi se
battraient-ils (femmes et enfants compris sans doute ... ?) : des
frondes, des bâtons, des pierres en face des canons de l'EI ou contre les
avions d'Assad qui les bombardent ou les gazent ?
‘’Un tel afflux de réfugiés
soulève bien sûr des problèmes très lourds et très complexes, en particulier
pour les pays d'accueil qui en Europe sont les moins riches et/ou qui voient
débarquer sur leurs côtes, ou franchir leurs frontières, le grand nombre
de ceux qui fuient l'enfer de Syrie ou de Libye (ou d’Érythrée). Et
encore n'est-ce numériquement pas grand chose à côté des déplacements de
populations qui impactent les pays du Proche Orient, le Liban notamment.
‘’Chaque tragédie, chaque
cataclysme de l'Histoire a produit des exodes aussi massifs, soudains ou
continus, d’êtres humains ou de peuples entiers qui tentaient de leur échapper
(par exemple, les juifs de Russie et de Pologne fuyant au XIX ème siècle les
pogromes encouragés par le pouvoir tsariste, ou, bien avant, les peuples et
tribus d'Asie méridionale rejetés vers l'ouest par les invasions mongoles [1]
- et pour ne rien dire de notre propre exode de 1940 devant l’avancée de
l’armée allemande).
‘’Rien dans les difficultés
que soulève et que soulèvera l'afflux de réfugiés n'est cependant insoluble
pour l'Union européenne dans sa globalité, compte tenu de son niveau de
développement économique et de ses infrastructures sociales. Ce qui
rend encore plus immonde - et plus stupide - les déclarations par lesquelles on
se refuse à recevoir des réfugiés musulmans au motif qu'on est une
vieille terre chrétienne : "terre chrétienne", la Hongrie -
et la France - le sont-elles par le roman national que leurs écoliers lisent
dans leurs livres d'histoire, ou parce que des chrétiens y ont en mémoire, et
dans le cœur, l'injonction évangélique : « j'étais un
étranger et tu m'as accueilli » ?
‘’Pour le reste, quel sens
y a-t-il à mettre systématiquement en doute la capacité que les réfugiés
auraient à s'intégrer ? Particulièrement en France où des étrangers, migrants
"économiques" et réfugiés de tous horizons, n'ont cessé au fil
du temps de le faire - des Polonais venus travailler dans nos mines jusqu'aux boat people vietnamiens ? Au reste, nombre des
syriens qui arrivent n'appartiennent pas aux catégories les plus pauvres de
leur pays (le prix à payer aux passeurs ...), sont formés, parlent anglais
etc.
‘’Ceux qui aujourd'hui
représentent l'échec de l'intégration à la française ne viennent pas d'ailleurs
: ils sont la deuxième, voire la troisième génération d'une immigration, et
c'est la fracture sociale, le chômage, la précarité, l'exil culturel
intérieur et son corollaire le communautarisme et d’identitarisme qui ont fait
et font obstacle à leur intégration.
‘’Enfin, ne vous frappez
pas trop du peu que vous pouvez apporter pour soulager cette misère du monde,
la misère des peuples devant la guerre et la terreur. L'empathie est
peut-être le tout premier bien que les réfugiés attendent de nous.
‘’Au regard ce devoir
d’empathie, de cette exigence intérieure, le discours des hommes publics est
dans son ensemble accablant : là encore à de rares exceptions près, il traduit
une inhibition de l'intelligence et du courage devant la propagande du FN :
faux-semblants, faux-fuyants, double langage, contre-vérités et course
électoraliste à la déclaration qui réunira le plus démonstrativement une
conjonction de non sens et d'ignominie. Les mots ici ne sont hélas pas trop forts.
‘’La palme en la matière
revenant sans doute à la mise en garde adressée à ces réfugiés de guerre - dont
on souligne avec insistance, en y mettant tout ce qu’il faut du registre
‘’faux-cul’’, qu'on est bien forcés de les recevoir - pour leur signifier que
la guerre finie, ils devront repartir chez eux.
‘’Dans les 48 h ou dans
la semaine ?
‘’Qui peut imaginer que,
pour le plus grand nombre, rentrer chez eux le plus tôt possible, pour y
retrouver les leurs - famille, parents, enfants éventuellement, amis - pour
autant que ceux-ci auront survécu, et pour y reconstruire leur vie avec ce
qu’ils retrouveront de ce qu’ils ont dû abandonner, c'est-à-dire ce qui leur
restait à leur départ après des mois de guerre civile, n'est pas la prière la
plus ardente qu'ils adressent à leur Dieu ?
‘’Celui qu'ils ont tant
prié, la peur au ventre, sur les embarcations qu'ils ont dû utiliser pour
traverser la Méditerranée et à chacune des frontières qu'ils ont réussi à
franchir.
‘’L’espoir trouve au total
peu de place, chère A ***, dans
la réponse que je vous fais. Prions pour que ce soit de ma part un manquement à
l’espérance et non une preuve de lucidité’’.
Didier LEUWEN
- 20 SEPTEMBRE 2015
Cet article a été également publié le 21 septembre 2015 sur le blogue « aubonheurdedieu-soeurmichele »
[ aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/
]
Il a en outre suscité, pendant son élaboration, le commentaire suivant qui tant par son
intérêt que par son caractère ‘’percutant’’, avait tout naturellement sa place
à la suite de l’article auquel il répond.
Du fonds du Canada …
‘’Du fonds du Canada, où je réside actuellement (…),
j'ai lu votre "coup d'humeur", et vraiment, je vous en remercie.
(…)
‘’Si vous saviez comme ici on voit ce problème
des migrants en Europe!
‘’Avec pitié : c'est comme si en Europe se
poursuivait une deuxième guerre mondiale qui n'en finirait pas, avec exodes,
fermeture de frontières, afflux de réfugiés bloqués.
‘’Mais surtout, la différence d'approche tient en
une phrase : ce sont en ce moment les élections fédérales, et plus de la
moitié des candidats, presque les 3/4 sont issus de l'immigration.
‘’Et il ne viendrait à l'idée de PERSONNE de le
mettre en question. Ce sont des citoyens canadiens, point.
‘’Et ils connaissent leur pays et leur sujet. Ils s'appellent
William Moughrabi, Rachel Bendayan, Ryad Zamir, Maria
Agnostopoulos, Mo LI….et j'en passe. Bien sur il y a aussi Yves
Vadenais, Hélène LeBlanc, David Green, Agnès Dowson….
‘’La discrimination sournoise qui existe me parait
être davantage du côté des Amérindiens et des Inuits.
‘’Beaucoup d'immigrés sont venus parce que la
situation dans leur pays était critique. Les parents de ces jeunes candidats,
en général. S'il existe une immigration "choisie" assez stricte à
présent, qui fonctionne par province, (et qui favorise les diplômés de
certaines professions), il ne viendrait pas à l'idée de refouler des
réfugiés. Voici quelques années, sont arrivés plusieurs centaines de Sri
Lankais persécutés (…) qui ont été admis sur le champ.
‘’J'ai des nouvelles de la situation des réfugiés
de la frontière italienne. Elles ne sont pas bonnes.
‘’Il semble que le problème principal des
associations italiennes soit d'empêcher la mafia locale de recruter dans leurs
rangs, comme à Naples. Les réfugiés ne comprennent pas à qui ils ont affaire,
et pensent qu'on leur propose du travail. Il semble aussi que beaucoup de
passeurs soient entre les mains mafieuses (compte-rendu d'Amnesty).
‘’Voilà les situations que l'on provoque à force
de "fermeté".
‘’Bien tristement vôtre, ‘’.
Michelle
COLMARD-DROUAULT - 19 SEPTEMBRE 2015
[1] entraînant la fin de l'empire Khazar, disparition qui est pour la
plus large part à l'origine du judaïsme ashkénaze.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire