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jeudi 23 avril 2020

EN 2022 : LE VOTE D’UNE DÉMOCRATIE OU L’ÉLECTION D’UN MONARQUE ?



 OU :

Quand le peuple de la République ne se rend pas aux urnes pour élire un roi,
mais pour désigner ses représentants.

Pour qui envisage ce que pourra être son vote en 2022, la bonne question à se poser est de se demander s’il veut en finir avec le système de monarchie élective en quoi consiste la Vème république. Et avec le régime plébiscitaire qui va de pair.

Une question en trois volets qui se déclinent ainsi : suis-je assez républicain pour que ce système et ce régime me révulsent ? Suis-je suffisamment de gauche pour que six décennies de pouvoir personnel aient fini par me forger la certitude qu'une démocratie sociale authentique ne procède pas de l’action d’un homme providentiel – quand au reste il s’en trouve un –, ni n’est à attendre de la confiance faite à un candidat affichant ses fortes intentions ou son image de bonne volonté. Suis-je enfin suffisamment démocrate pour attendre d’une élection qu’elle soit autre chose que la perpétuation d’un mode de choix politique dont les démocraties avancées n’ont, tout au plus, qu’une vague mémoire historique ? 

Il y a certes un phénomène de personnalisation du pouvoir, abondamment décrit depuis les années soixante - on ne vote pas pour Boris Johnson comme les électeurs conservateurs censitaires  apportaient jadis leur suffrage à Robert Peel.  Mais réduire le débat public à la rencontre entre un homme et le peuple, et surtout prétendre que la confiance qui est censée s’y sceller légitimera tout ensuite, c’est immanquablement en arriver, et à grande échelle, à abolir ou à stériliser la réflexion du corps citoyen.

La démocratie parlementaire, au terme de son processus populaire, consacre un ‘’leader’’, mais non le détenteur (fût-ce à durée déterminée) d’un blanc-seing politique : l’électorat habilite ses représentants à démettre le chef de l’exécutif qu’il a choisi si celui-ci en vient à échouer ou se fourvoyer, et à le faire au point de perdre par trop la confiance du pays – la liste de ceux et de celles qui furent ainsi démis, et de fait révoqués par leur propre parti, est assez fournie pour être démonstrative à cet égard, avec rien moins, notamment, que les exemples contrastés de Willy Brandt et de Margaret Thatcher.

Là est bien le premier enjeu de l’élection de 2022 : ou, d’une part, continuer à reproduire des choix tranchés par un appel au peuple - forme de recours au suffrage universel dont l’allégation du caractère républicain et de la modernité résiste mal au rappel de son invention par Louis-Napoléon Bonaparte -, et par un départage binaire au second tour qui d’élection en élection, s’est dégradé en un sauve-qui-peut à l’encontre du prétendant le plus répulsif ; ou, d’autre part, examiner d’un peu près comment se forme et s’exprime la démocratie en Finlande, aux Pays-Bas ou en Nouvelle-Zélande.

Et, plus largement, partout où le régime démocratique, non seulement tient en juste méfiance les constructions de mandats, telle celles de la Vème république, qui privilégient la manifestation de la majorité absolue – laquelle donne toujours son meilleur élan à une gouvernance autoritaire -, mais consacre la vertu pacificatrice de la majorité relative. Considérer que dans une démocratie, on ne gouverne pas parce qu’on a une majorité derrière soi, mais parce qu’on n’a pas la majorité contre soi, constitue le tout premier pas pour la démocratie en cause dans l’intellection de ce que le compromis est son essence et partant, participe nécessairement à son fonctionnement.

La seconde option conduit à un refus pur et simple de l'élection présidentielle instituée en 1962.  Et par conséquent, à un retrait raisonné d'un vote dont le sens est dévoyé de démocratique en plébiscitaire - et, par là, aussi fallacieux qu’un lancer de dés pipés. Un retrait argumenté par l’affirmation qu’il appartient au le peuple de faire des élections législatives qui vont suivre l’enjeu et le terrain de son expression démocratique : l'Assemblée ainsi élue - et déjà les candidats résolus à porter cette expression démocratique - se déclarant appelée à la possession de la seule légitimité électorale qui, en République, garantit le gouvernement par le peuple, au non du peuple et pour le peuple.

Défendre ce parti, œuvrer à ce qu’il soit largement, et même majoritairement  partagé, n’est plus se ranger sur un projet voué à être tenu pour irréaliste.

Après le face à face Chirac-Le Pen de 2002, les élections successives d'un Sarkozy en 2007 et de Hollande en 2012, après le bis repetita du face à face droite versus Front national en 2017, et plus encore après les bilans calamiteux, à des titres communs ou divers mais dans tous les cas multiples, qu'affichent tous les quinquennats (et sans oublier le dernier des septennats en ce que son attributaire, sur ses deux années ‘’utiles’’, a  délaissé la dénonciation de la "fracture sociale" sur laquelle il s’était fait élire), l'improbable serait de trouver la contradiction d'un argumentaire un tant soit peu convaincant en faveur d'un nouvel appel au peuple quinquennal. Dont ressortirait une confrontation du type Macron-MLP, Macron-Mélenchon ou MLP-Mélenchon – l’énumération des pièges et des méprises, en termes de démocratie électorale, n'étant, ici, malheureusement pas limitative ...

Une mobilisation sur le double thème de "cette élection dénature la République" et de "le choix que nous voulons est celui qui se pratique dans les démocraties modernes" est à présent audible. Etant entendu qu'une démocratie d'aujourd'hui se conçoit naturellement comme représentative (il n’est pas d’autre alternative que celle qui se pose entre les qualificatifs de représentatif et de démagogique), mais doit également inclure tous les éléments de démocratie participative, voire de démocratie directe, dont les citoyens aspirent à disposer.


v  Un retrait raisonné de l'élection présidentielle, clé de voûte de la Vème république.

A vrai dire, les raisons se bousculent, et se sont bousculées depuis l’origine, pour faire défense à un républicain de participer par son vote – et a fortiori en étant candidat … (seul parmi les figures qui ont compté à gauche, Pierre Mendès France s’est  appliqué cette interdiction-là) - à une élection présidentielle où l’appel au suffrage universel direct se disqualifie dans la signification et dans l’expression d’un plébiscite. Plébiscite : une notion et un terme qui sont odieux aux républicains depuis le Second Empire.

 Nous avons tous sacrifié à la nécessité, qui nous paraissait impérative, du "vote utile". Quand cette élection mettait face à face, au second tour, deux programmes, deux projets de société, auxquels s’identifiaient respectivement les deux candidats en présence. Et même ensuite, quand le second tour (et quelque fois le premier, comme ce fut le cas en 2017) se réduisait à l’obligation d’éliminer un candidat qui, par ses idées et/ou son inconduite, menaçait ou outrageait la République.

Beaucoup, en outre, ont cessé de combattre ce plébiscite et de le faire pour la première raison qu’ils avaient de le récuser : celle qui tient au fait que d’un vote plébiscitaire procède toujours l’exercice d’un pouvoir personnel, autocratique ou monarchique. Et, peut-être pire, la légitimation qui sera alléguée à l’appui de ce pouvoir. Or, il ne fallait pas cesser d’affirmer que celui-là n’est pas républicain qui ne porte pas dans toutes les fibres de son être une exécration invincible et perpétuelle à l’endroit du  pouvoir personnel, à quel que niveau que ce mode de pouvoir se place.

Le plus improbable a été que passé la décennie des années soixante,  il ne s’est quasiment plus trouvé de républicains (par lassitude, résignation ou alignement ?) pour continuer à dénoncer le moyen par lequel le pouvoir monarchique propre à la Vème république s’est établi et s’est enraciné, et qui n’est rien d’autre que la confiscation par le président de la République des attributions constitutionnelles du Gouvernement et du Premier ministre. Mais, ceci étant, existe-t-il même encore des professeurs de droit public pour identifier cette confiscation et pour la condamner ?

Ceux qui sont invités dans les colonnes ou sur les plateaux médiatiques ne dissonent pas du discours courant où commentateurs, politologues, experts en communication ou en études d’opinion, et politiques d’à peu près tous les bords n’ont de cesse d’invoquer « l’esprit des institutions de la Vème république » : comme si l’instauration et la pratique d’une configuration du pouvoir exécutif foncièrement contraire aux dispositions de la Loi fondamentale, pouvaient prétendre émaner d’un ‘’esprit de la Constitution’’ qui aurait transcendé le texte – la lettre - de celle-ci. Qui, par magie, aurait donné à lire le contraire de ce que la lettre mettait sous les yeux.

Ce à quoi on a eu affaire, sur plus d’un demi-siècle, avec l’établissement du pouvoir personnel qui a transformé un président ‘’arbitre’’ et ‘’garant’’ en chef du pouvoir exécutif, tout en conservant à ce dernier l’irresponsabilité politique et l’impunité judiciaire qui étaient l’apanage du premier magistrat de la République placé au-dessus des partis, ne saurait se définir autrement qu’en une violation de la Constitution.

Hors périodes dites de ‘’cohabitation’’ - dites ainsi à tort car la circonstance visée est des plus normales pour un président-arbitre –, et encore que la position de chef de l’opposition qu’y occupe le président de la République soit aussi peu constitutionnelle que son accaparement, en temps ordinaire, de la détermination et de la conduite de la politique de la nation au détriment du Gouvernement, cette violation renvoie à ce ‘’Coup d’Etat permanent’’ qui fut naguère dénoncé avec autant de force que de talent.

Pour ne pas s’arrêter davantage à la circonstance très aggravante de sa longue durée, il s’impose à l’esprit que le fait qu’elle a pu être commise ne s’apprécie pleinement qu’en regard de ce qu’elle comportait de totalement inconcevable dans toutes les autres démocraties - où la Loi fondamentale est entourée d’un respect religieux ou relevant d’une sorte de dévotion ou de communion laïque.

Dans le même ordre de comparaison, le déséquilibre des pouvoirs qui s’est substitué au balancement rationnalisé dont se réclamaient les rédacteurs de la Constitution de 1958, rapproche la République française infiniment plus des royaumes du Maroc ou de Jordanie que de la République fédérale d’Allemagne ou de la démocratie parlementaire finlandaise ou néerlandaise.

Le retrait citoyen de l’élection présidentielle à venir acte donc aussi que l’usurpation du pouvoir exécutif par le président de la République dépouille la fonction de son assise républicaine en la recouvrant, sans hélas gêner les pas de grand monde, du « bleu manteau des Rois ». Et que ce travestissement n’a été rendu ordinaire et familier que par la fallacieuse légitimation plébiscitaire que cette élection lui a procurée de scrutin en scrutin - en utilisant, sous couvert d’un appel au peuple, le ressort intime du second avatar du bonapartisme.


v Un retrait de l'élection présidentielle par lequel  le peuple exerce son pouvoir constituant.

Oui, les raisons se bousculent pour vouloir en finir avec le système de monarchie élective de la Vème république. Pour affirmer qu’il est temps, et plus que temps, de sortir d’un régime de pouvoir personnel, sans frein autre que la rue, sans contrepoids autre que la spéculation politique sur l’élection présidentielle suivante, et procédant d’une captation d’attributions employées de surcroît sans contrôle dès lors que, comme il en a été le plus souvent le cas jusqu’ici et comme il en est le cas présentement,  la majorité de l’Assemblée est en position de vassale du monarque et s’interdit en conséquence de rien censurer, ni seulement critiquer, dans leur exercice.

Décider que le gouvernement de la République et le choix démocratique qui le détermine se tiendront en 2022 à l’écart de l’élection présidentielle, parce que les citoyens auront pris la même distance par rapport à cette élection, revient de fait à abroger les dispositions de la Constitution qui accordent la place la plus éminente au scrutin qui masque l’usurpation de fonctions et de compétences par laquelle se configure l’étendue des pouvoirs du président de la République.

A travers tous ses motifs, le retrait citoyen qui est ici défendu, et qui consiste à sortir de la procédure la plus solennelle de la Vème république, signifie la résolution qui l’anime : celle de revenir sur la réforme constitutionnelle de 1962 pour en annuler tous les effets, sans exception détestables. Et sans donc passer par les cheminements, à peu de chose près impraticables quand l’important y est engagé, qui sont assignés à une révision de la Constitution : mais après tout, y aurait-il beaucoup à s’en soucier quand le sujet est précisément de révoquer tout ce en quoi, et d’abord au moyen de quoi, la même constitution a été violée, et pour son essentiel – qui est celui toute Loi fondamentale, c’est à dire l’équilibre des pouvoirs - pratiquement dès son premier jour ?

Une seconde signification s’y ajoute où se lit  ce qui confère une dimension capitale au parti auquel est appelé le suffrage universel en 2022 : demander au peuple de réserver alors à l’élection législative l’expression démocratique de la volonté politique de la nation, c’est l’inviter à mettre en action son pouvoir constituant – ce pouvoir dont, en République, il est seul détenteur.

Un peuple qui enclenche ainsi de lui-même la modification de la constitution s’autosaisît d’un referendum dont le résultat se mesurera  au nombre d’abstentions et de votes blancs ou nuls qui affectent le scrutin présidentiel qu’il aura délaissé.

La pluralité des choix à cet égard ménage la préférence individuelle du citoyen qui se sent mal à l’aise avec l’abstention et qui, pour cette raison, sera porté à retenir le vote blanc, ou le vote rendu nul par une suscription telle que « Lélection présidentielle dénature la République ! ». Du point de vue de l’engagement civique, l’option de ce vote délibéré pour être nul est celle qui, dans son principe, se veut la plus chargée de sens – et telle elle s’affirmera dans les consciences personnelles qui l’auront privilégiée, même si elle ne fait pas l’objet d’un décompte distinctif ou si les deux types de vote – blanc et nul - sont indifférenciés.

Cette auto-saisine référendaire s’éclaire d’un rapprochement historique : en ce qu’elle ne se présente pas, en fin de compte, comme une démarche sensiblement différente de celle que suivit en 1962 le général de Gaulle, quand il recourut à l’article 11 de la Constitution pour faire adopter par referendum la révision constitutionnelle qui introduisait l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Dans les deux cas, on trouve une intention identique : que la parole revienne au peuple, sans que puissent l’en priver les corps qui possèdent la capacité constitutionnelle de le faire ; et par dessus-tout, que le dernier mot appartienne au peuple : en se fixant sur cette règle, la Vème république s’était pour une fois montrée … républicaine.


Le succès de ce référendum de l’objection démocratique au pouvoir personnel, et de la restauration du mode républicain de gouvernement, peut être acquis, les circonstances aidant, par l’effet d’un sursaut citoyen survenant et s’amplifiant pendant la campagne présidentielle de 2022.

Il va de soi que ce succès serait mieux assuré si les partis de gauche, se rappelant qu’ils s’identifient par une triple référence – républicaine, démocratique et, au minimum pour leur source, révolutionnaire – appelaient eux aussi le corps électoral, et plus directement leur électorat, à substituer au rituel monarchique et plébiscitaire de l’élection présidentielle, le scrutin suivant des élections législatives en tant  que lieu où le suffrage de tous décide de la politiqué de la nation et désigne la majorité, monocolore ou de coalition, qui recevra mandat de conduire cette politique.

A ces partis, le nombre, l’étendue, la complexité et la gravité souvent inouïe des sujets à ce jour posés - et qui tous renvoient à un choix de société et de modèle de civilisation - peuvent donner à penser que la question des institutions ‘’viendra en son temps’’. Autant de partis dont on peut également craindre qu’ils se concentrent par trop sur leurs divisions pour remonter plus haut dans la genèse de la crise de la démocratie.

Pour ce qui est des calendriers en matière d’urgences à régler, on ne saurait mieux faire que de leur remettre en mémoire la priorité qui avait guidé le général de Gaulle à son retour aux affaires en 1958.

Un retour ayant eu pour toile de  fond l’addition de la guerre d’Algérie - et du risque immédiat de pronunciamiento militaire et de guerre civile auquel celle-ci venait de donner le jour, d’une crise des institutions à son dernier stade et d’une crise des finances publiques encore plus aiguë. S’y ajoutant une entrée qui avait tout, à son moment, pour être à hauts risques économiques dans le nouveau Marché commun. 

L’énoncé, de la plume même du général de Gaulle, de ce qui, entre les dossiers qui étaient ouverts devant lui, avait été son idée de l’ordre des échéances, paraît bien valoir enseignement pour nous et pour aujourd’hui, en ce qu’il consigne qu’ « (il avait) commencé par l’essentiel, c'est-à-dire par la Constitution ».

Une citation qui vient ici, non pour grossir ou surfaire l’importance des constitutions, et pas davantage dans une vision tendant à ‘’diviniser’’ les Lois fondamentales en tant que telles.

Mais dans la pensée qu’un Etat, qu’une nation, qu’un peuple qui ont subi un choc percutant et terrible, tel que l’histoire peut leur en asséner une ou deux fois par siècle, et qui ont dû en passer, et en général pour une durée conséquente, par la somme d’événements dévastateurs qu’a produits cette collision, se retrouvent toujours ensuite face à la nécessité d’une réécriture du contrat social.

La même nécessité se faisant évidemment jour lorsqu’une crise profonde et durable – faite de remises en cause activées de façon insidieusement progressive ou de plus en plus accélérée - a achevé d’avoir raison du système de valeurs sur lequel reposait ce contrat social.

L’obligation de ce travail de réécriture – du contrat social et, partant, du pacte républicain – est à présent largement ressentie autour de nous. Encore assez confusément, mais de façon globalement convergente, les causes en sont attribuées à la propagation du COVID 19 – ceci pour les effets d’impact sur la société de la pandémie -, et à l’hégémonie mondialisée d’un néocapitalisme qui a fait loi de la toute-puissance du marché – cela pour le démantèlement et le dépérissement du contrat social édifié à la Libération.

Ce constat admis, comment pourrait-on séparer la conscience d’une obligation à refonder le contrat social et le pacte républicain, et l’évidence que la réforme républicaine des institutions et de leur fonctionnement, et l’instauration d’un régime démocratique agencé sur une exigence d’authenticité et de modernité, s’intègrent absolument dans cette double refondation ?

Didier LEVY – 23 avril 2020