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jeudi 17 décembre 2015

MA VILLE À L’HEURE ISLAMISTE


Les musulmans français,
                                   … des Français comme les autres

Ce qui est ici proposé est un point de vue suscité par un article récemment publié dans l’hebdomadaire Marianne « SAINT DENIS : MA VILLE À L’HEURE ISLAMISTE », et dont on prévoit qu’il s’attirera beaucoup de critiques : contribution à l’islamophobie, vision ‘’laïcarde’’ (les tenants d’une re-cléricalisation de la société ont été fort habiles de recycler ce qualificatif pour faire passer la laïcité de sa valeur positive à une réduction péjorante), remise en cause de pans entiers de la liberté des cultes et des consciences, méconnaissance de l’incorporation nationale où se range le plus grand nombre - qui reste toutefois non dénombré - des citoyens français de religion musulmane, négation de la multi culturalité des sociétés modernes et des ‘’identités’’ plurielles dont celle-ci requerrait la prise en compte et la sanctuarisation …

Mais un point de vue qui s’attache à répondre par avance à ces objections en les discutant pratiquement unes à unes au regard des choix qu’il défend et des deux priorités en faveur desquelles il a entrepris de plaider : d’une part la reconsolidation d’un consensus civique sur l’incompatibilité radicale qui sépare la conception républicaine de la nation de toute forme de communautarisme, et d’autre part l’urgente obligation où nous sommes, pour mettre hors d’état de nuire toutes les formes d’identitarisme, de créer les conditions d’une naturalisation de la religion musulmane désormais inscrite dans notre paysage cultuel. Deux impératifs qui partagent en arrière-plan une même résolution et une même exigence : l’effacement de toutes les représentations archaïques incluses dans les intégrismes religieux qui concourent à soumettre le sexe féminin à un statut d’infériorité. Un effacement qui passe par l’addition d’une pédagogie émancipatrice et d’un dispositif réglementaire qui rende impraticables des normes sociales, morales et familiales, et des prescriptions de conduites de vie et de relations à autrui qui emprisonnent les femmes qui y sont soumises, ou qui sont incitées à l’être, dans des discriminations absolument incompatibles avec le corpus de valeurs et de références d’une démocratie moderne - des normes et des prescriptions dont l’abolition va de pair avec celle de l’hyper exposition des marqueurs confessionnels fondamentalistes qui les impriment dans l’espace public.

Il est clair que les intentions et les résolutions ainsi mises en avant valent à égalité, dans leur principe, pour tous les cultes. Ce qui laisse attendre que les oppositions qu’elles susciteront viendront de tous côtés … C’est bien ce qui fait l’importance des soutiens qui s’exprimeront dans chaque croyance, émanant de celles et ceux qui vivent leur foi comme une quête spirituelle et à travers un engagement personnel au service du bien commun - qui ne saurait se définir contre la raison et encore moins dans le déni de la liberté et de l’égalité. Et dont le rapport avec leur ‘’croire’’ est conçu comme un libre parcours de l’intelligence de la foi qui a ceci d’inappréciable qu’il est, dans chaque religion, le rempart le plus invinciblement élevé contre le littéralisme fondamentaliste, et contre le fanatisme auquel ce dernier conduit.

Le texte qui suit peut se lire comme l’énonciation de propositions tendant à actualiser l’économie des règles qui organisent la ‘’laïcité à la française’’, et plus précisément à répondre aux défis que rencontre celle-ci par un remodelage du consensus qui accorde la neutralité de la République à la liberté des croyances et des cultes. Un consensus dont l’enseignement que nous pouvons tirer de notre Histoire démontre amplement qu’il conditionne la paix civile et le minimum de concorde indispensable à la préservation du lien national. Et qui se constate le jour où l’Etat et les citoyens, partageant le même regard sur les croyances et les options métaphysiques qui coexistent au sein de la société, s’accordent non seulement sur le devoir qui leur est fait de protéger les unes et les autres en tant que de besoin, mais aussi sur celui qu’ils ont de ne pas s’en préoccuper davantage que des vocations particulières qu’expriment, chacun pour leur part, les passionnés de philatélie, de pêche à la mouche ou de chant choral - pour autant évidemment que les tenants de ces croyances et de ces convictions participent identiquement de cette ligne de conduite qui porte un très beau nom : la tolérance.


Cet énoncé - « les musulmans français, des Français comme les autres » -, dont dans un récent éditorial de Marianne (n° 971) Jacques Julliard affirmait qu’il était devenu irréfutable depuis les attentats du 13 novembre (les Français y ayant été indistinctement visés, et donc les intéressés inclus), appelle-t-il ou non un point d’interrogation ? La réponse risquerait de pencher pour affirmative si l’on tirait une conclusion hâtive de l’article précédemment publié à la même source (Marianne n° 970) « SAINT DENIS : MA VILLE À L’HEURE ISLAMISTE » par Fewzi BENHABIB et Daniel BERNARD[1].

La description qui est donnée aux lecteurs de Marianne d’un Saint-Denis ‘’Tawhidisée’’, ou ‘’FISisée’’, est en effet plus que ‘’glaçante’’. Elle est d’autant plus démonstrative qu’elle émane d’un universitaire algérien ayant fui l’islamisme politique qui le menaçait de mort.

Elle réunit tout ce contre quoi est invoquée cette « identité française » dont on nous tympanise et qui est censée être mise en péril par un islam inassimilable. Et elle est d’autant plus propre à convoquer cette ‘’identité’’ que la sous-préfecture du ‘’93’’ porte dans notre Histoire une charge symbolique pour avoir abrité les tombeaux de nos rois (si on passe outre au fait que la Révolution a mis quelque désordre dans ces sépultures). Encore qu’il y aurait aujourd’hui plus de sens à l’associer à l’abjuration de la foi réformée prononcée dans l’abbatiale par Henri IV - qui ne constitue pas un mauvais référent en matière de pacification religieuse.

L’article de Marianne pointe l’omniprésence du voile dans tous ses déclinaisons, les lieux de culte dédiés au prosélytisme des Frères musulmans, la propagation du système d’endoctrinement islamiste à travers les librairies musulmanes intégristes, et plus généralement l’imprégnation de l’espace public et privé par ‘’une vulgate islamique’’ obscurantiste qui œuvre à multiplier les marqueurs communautaristes - tels les salons de coiffure qui réservent un espace séparatif aux femmes voilées.

Mais pour que la visibilité des signes extérieurs du wahhabisme dionysien s’interprète comme une démonstration exemplaire de la menace pesant sur notre identité nationale, encore faudrait-il … que celle-ci existât, ou autrement qu’en tant que chimère inventée avec les matériaux que fournissent ces idées de la France, parfois concurrentes mais toutes de filiation maurrassienne, dont la vénération enflamme si bien les populismes.

On réaffirme ici que cette notion d’identité collective est vide de sens. Métaphore qu'invalide la signification des mots - une identité ne saurait se rapporter qu'à un individu, et non a un groupe qui, quels que soient les liens qui tissent sa cohésion, n'est jamais qu'une addition d'individualités distinctes par essence les unes des autres. Et dont il ressort une représentation aussi dangereuse qu'imaginaire en ce qu'elle débouche sur cette conceptualisation du tribalisme qu’est l'identitatisme, et donc sur l'exclusion ou les discriminations, quand ce n'est pas sur les pires formes que peut prendre l’épuration ethnique.

Face à un modèle de contre-société élaboré par un intégrisme religieux, ce que nous avons à défendre ne se trouve nulle part ailleurs que dans ce qui nous réunit : notre citoyenneté. Qui est notre seul identifiant reconnu dans la République et qui nous fédère dans la nation, au sens de 1789, avec ce que cela comporte d’assimilation consentie à celle-ci. Un consentement qui s’adresse à un socle de références communes, héritées ou choisies, à une mémoire historique (ou à un roman national) et à des pans ou des éléments de culture partagés, et qui induit une participation minimale aux mentalités collectives discernables sur notre sol.

L’autre façon de mal poser la question du prosélytisme et du séparatisme islamiste est d’épuiser les distinctions entre les musulmans afin de désigner ceux qui pour nous seraient ‘’les pires’’, comme si on balisait la piste d’envol de la foi musulmane vers l’extrémisme. Parce qu’il serait certainement vain de vouloir tracer la frontière qui en terre d’islam et en-dehors, déterminerait, entre piétisme, rigorisme, fondamentalisme, salafisme et autres constructions idéologiques issues du littéralisme religieux, où se produit immanquablement la bascule dans le fanatisme et, de là, dans le djihadisme.

D’abord (et ne nous l’a-t-on pas assez seriné ces derniers temps ?) pour la raison que les gros bataillons des fantassins de la guerre sainte contre les impies font aussi appel à des volontaires ignorant à peu près tout de la théologie de l’islam, parmi lesquels doivent abonder les parfaits abrutis, les arriérés, les incultes et les analphabètes - sans compter les pervers et les sadiques qui ont toutes satisfactions à attendre de leur enrôlement. Ces volontaires viennent pour partie de chez nous, et les gros bras qui s’employaient jadis comme égorgeurs à notre Saint-Barthélemy bien française devaient à beaucoup d’égards leur ressembler …

Et pour la raison bien plus puissante que ce serait ne pas distinguer la véritable nature du mal auquel nous confronte le fanatisme qui se déploie dans toute l’étendue de l’islam ; un mal dont le monothéisme musulman n’est pas seul porteur, mais que toutes les religions, pour la part qui fait d’elles des institutions humaines, est à même de générer. Si la spiritualité, en tant qu’expérience et que recherche, élève l’esprit humain, si la parole et l’écrit qui lui sont dédiés, la philosophie, la poésie, les musiques et tous les arts illustrent magnifiquement cette élévation, la religion qui se veut lien et seule détentrice de la vérité qu’elle conceptualise dans ses dogmes et qu’elle fixe dans la doctrine qu’elle professe et dans les normes dont elle exige le respect, tend à façonner un système de pouvoir de type totalitaire. Or, le totalitarisme, quel qu’il soit, comble toujours les attentes des fanatiques dont la dévotion lui confirme en retour l’intangibilité de ses fondements les plus archaïques et les plus oppresseurs. Une dévotion qui s’emploie à le perpétuer et qui compte y réussir en proportion de la multitude et de la cruauté des sacrifices humains qu’elle lui dédie.

Comme leur notifient nombre d’intellectuels musulmans, l’islam et sa théologie, et jusqu’au texte du Coran lui-même, sont mis en demeure d’entrer dans la modernité, comprise en l’espèce comme l’insertion de la foi dans les cheminements de la raison et dans les valeurs qui y ont fait souche. Défi qui nous importe en ce qu’il s’adresse au culte le plus voisin de nous et devenu partie prenante à notre économie interne des confessions. Mais qui concerne toutes les autres croyances, ce dont suffit à convaincre la somme des massacres inter religieux réciproquement perpétrés dans le sous-continent indien (hindouistes versus musulmans ou versus sikhs) depuis les indépendances, et à quelle échelle ! Un défi qui englobe jusqu’au bouddhisme, pourtant associé à une image de paix, avec les persécutions dont les populations musulmanes de Birmanie sont actuellement l’objet.

Pour les religions chrétiennes, le temps des Croisades exterminatrices d’infidèles, celui des inquisitions et des bûchers, semblent s’être à jamais éloignés, mais demeure leur enracinement dans un référentiel dogmatique, doctrinal et normatif étranger aux sociétés des démocraties les plus avancées. La religion catholique est ici la plus immédiatement ciblée, notamment pour les positions dans lesquelles l’Eglise romaine s’est enfermée sur le droit à l’avortement, la contraception, le célibat des prêtres, le divorce ou la bioéthique, mais surtout en ce qu’elle ne cède rien sur la discrimination qu’elle fait peser sur la moitié de l’humanité en assignant aux femmes, au motif de leur altérité, un statut inférieur en son sein. N’en reste pas moins qu’il y aurait beaucoup d’l’injustice à ne pas aligner sur le tableau des arriérations intégristes les plus remarquables le clergé orthodoxe de Russie ou de Grèce, les fondamentalistes protestants et autres créationnistes d’Amérique du nord, ou les nombreuses églises ‘’évangéliques’’ d’Amérique du sud, d’Afrique ou importées en Europe dont le littéralisme terrifie par sa niaiserie et par sa capacité à inspirer toutes sortes d’anathématisations purificatrices.

Quant au judaïsme, on est amené à se demander s’il ne tourne pas à l’heure actuelle le dos au défi de la modernité. Le judaïsme réformé (libéral) a tenté, depuis l’époque des Lumières et de l’émancipation des ghettos, de relever ce défi en se recommandant d’une révélation en marche et non pas figée. Mais pour exemplaire qu’aient été son acceptation de l’esprit critique et sa prise en compte de la raison et de l’éthique modernes, son essor, dans la durée, l’a laissé minoritaire (hors les Etats-Unis). Et ii n’a pu empêcher le sionisme de devenir un courant hégémonique - un courant qui a imposé corrélativement sa conception ethnicisée du ‘’peuple’’ juif (jusqu’à chercher un fondement génétique à cette ethnicisation), et l’accréditation d’une lecture historicisée de la bible hébraïque qui a nourri le mythe d’un Eretz Israël et qui est devenue le point d’appui de son dessein d’expansion territoriale. Deux dévoiements, deux dénaturations et deux obscurcissements de la spiritualité juive qu’aucune lueur ne semble présentement susceptible, respectivement, d’invalider et de dissiper.

A première vue, ce survol, succinct et schématique, de l’état des religions apporte peu de réponses à la description rapportée par Marianne de l’implantation d’un islamisme radical à Saint-Denis - description qui vaudrait pour les villes avoisinantes et pour d’autres territoires délaissés par la République.

Mais il contribue, dans la façon d’appréhender cette implantation, à dégager en matière de cultes la ligne de démarcation républicaine entre le droit et l’abus du droit - ou la dérive de celui-ci. La matière étant complexe, on s’efforcera de se montrer un peu cartésien, et de la décomposer en autant d’éléments simples qu’il est possible pour poser les bornes de cette frontière :

- tout, dans la République, dans notre modèle républicain, procède de la liberté, et d’abord des droits proclamés dans la Déclaration de 1789 ; liberté de conscience, liberté des cultes, liberté d’opinion, liberté de communication et de publication, liberté de manifestation et de pétition …

- aucun droit cependant n’est jamais absolu sauf à être exposé à devenir tyrannique en portant atteinte à l’exercice de droits concurrents ; ainsi la liberté de croyance ou d’opinion n’autorise-t-elle aucune conviction à inciter à une restriction de ces mêmes libertés visant des convictions qui lui seraient contraires.

- pour les sujets les plus concrètement inscrits dans notre débat public, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes permettent à chacun de porter dans l’espace public les marques extérieures de son appartenance confessionnelle dès lors qu’il juge celles-ci inséparables du culte auquel il est attaché. Tout aussi légitimement, la loi peut prévenir en la matière les abus constitutifs d’actes attaquant les droits d’autrui (telles l’incitation contraignante au port des dits signes ou l’intention provocatrice valant atteinte à la tranquillité voire à la sûreté publiques).

- c’est avec la même légitimité que la loi républicaine a édicté les principes et les règles qui régissent le dispositif que recouvre la « laïcité à la française », la Loi de Séparation étant venu sceller à la fois, sous le couvert de la neutralité confessionnelle de l’Etat, la liberté des croyances, la liberté des cultes et la paix religieuse - et mettant fin en droit, s’agissant de cette dernière, à une guerre civile, déclarée et sanglante ou, selon les temps, faite d’une violence plus banalisée, qui était ouverte entre la France catholique et la France du libre examen (puis de la Raison) depuis le règne de François 1 er.

- c’est de cette légitimité que participent les interdictions qui en vertu de la neutralité de l’Etat et pour les raisons qui fondent celle-ci, privent les fonctionnaires publics du droit d’afficher des signes religieux ostensibles, ou qui proscrivent ceux-ci dans l’espace scolaire public censé ignorer toute exposition confessionnelle.

- la mise en œuvre de notre législation laïque, eu égard à la qualité juridique de son dispositif normatif, a tout a priori pour s’accompagner de solutions pratiques relevant de la seule intelligence civique - ce fut globalement, au reste, longtemps le cas. Un exemple : il coule de source que tout électeur(trice) peut entrer dans un bureau de vote coiffé(e) d’une kippa[2] ou d’un voile; en revanche, le président et les assesseurs du bureau de vote, en leur qualité circonstancielle de magistrats de la République, sont évidemment tenus de se l’interdire au regard du devoir de neutralité auquel ils sont soumis.

- dans la situation de passion identitariste et de fracture sociale qui nous afflige, tout appel à se référer à cette intelligence civique paraît inaudible. Or c’est bien d’elle, et d’elle seulement, que peut venir le scrupule de mesure ou de tact qui suggère au croyant intéressé qu’il n’est pas de bonne civilité vis à vis de ses concitoyens, dans tel contexte ou tel environnement, d’exercer sans réserve son droit à porter un couvre-chef ou un habillement indicateur ostentatoire de sa religion.

Et c’est en elle que se trouve la ressource de bon sens citoyen qui dissuade de se positionner selon un mode communautariste au sein d’une nation de conception unitaire et égalitaire, et de le faire de surcroît par des revendications outrancières et surabondantes. On pensera ici à la guerre - à la fois d’usure et de conquête  - que les divers intégrismes ont engagé sur les terrains des concours universitaires organisés le samedi, des cours de biologie dans les lycées, du sport ou des menus scolaires[3], ou par leurs consignes de repli sur des écoles mono confessionnelles où les élèves sont voués à une scolarité cadrée par un apartheid cultuel et culturel. Actions rampantes, scandées de conflits ponctuels et de mises en demeures symboliques, qui ont provoqué en retour une mobilisation contraire dont l’argumentaire nauséabond prouve ce qu’elle doit et rapporte à l’extrême-droite. Une mobilisation qui est porteuse du risque d’affrontements présentant les caractères d’une véritable guerre civile.

Ce balisage des droits qui sont protégés par la ‘’laïcité à la française’’ et cette esquisse du modus vivendi qui les accompagne, mettent en évidence que l’enjeu auquel confronte l’article de Marianne décrivant l’installation à Saint-Denis du modèle sociétal lié à l’islamisme intégriste, dépasse l’exercice des premiers et le respect dû au second. Le sujet n’est pas en effet de gérer la liberté reconnue à chaque culte par les lois de la République, mais de faire prévaloir un état de droit garant de la liberté, de l’égalité et des dignités face à la consolidation d’enclaves où s’affirment, dans l’hyper exposition de marqueurs religieux fondamentalistes et au sein d’une sorte d’extraterritorialité saoudienne ou qatarie, des normes sociales, morales et familiales, des prescriptions de conduites de vie, de comportement et de relations à autrui, et par-dessus tout une somme de représentations archaïques soumettant le sexe féminin à un statut d’infériorité, qui enseignées au surplus à travers les préjugés et les obsessions puritaines de leurs propagandistes, sont radicalement incompatibles avec le corpus de valeurs et de références d’une démocratie moderne.

Bien au-delà du cas de Saint-Denis, la République, qui se réclame de la Raison, ne peut laisser perdurer des enclaves, géographiques et/ou sociologiques, acquises à des arriérations contre lesquelles elle s’est construite depuis son origine. L’idée de Progrès qu’elle a mise au premier plan de son projet émancipateur, lui interdit de consentir à ce que des droits conquis et proclamés soient remis en cause.

Raison et Progrès qui ne contredisent aucune spiritualité et qui ne sauraient par conséquent faire obstacle à la citoyenneté d’aucun croyant. Et qui ne sont pas davantage de vieilles lunes : instruments de mesure d’un état de civilisation, leur préservation appelle une politique de défense républicaine - celle-ci compte des précédents, qui furent salutaires, et si la République ne s’y consacre pas, on sait trop bien par qui ses thèmes seront repris et détournés.

Cette défense républicaine comporte plusieurs niveaux. Le seul qui touche aux racines de la ségrégation cultuelle et culturelle, se concentre sur la disparition des ghettos, terres de rejet et donc d’élection pour l’extrémisme religieux. Disparition qui ne se conçoit qu’intégrée à un engagement massif de la nation en faveur des intégrations dans la citoyenneté, un engagement qui implique évidemment l’abandon de l’action continue en destruction de tous les types de protection qui est universellement poursuivie pour sacrifier à la ‘’compétitivité’’.

L’échelle de temps pour une réalisation significative de ce programme -  au mieux, le moyen terme - souligne l’importance des dispositions que dicte l’urgence sur le court terme. Celles-ci (précisément pour la raison que c’est l’urgence qui les détermine) ne promettent pas d’être facilement consensuelles.

Essentiellement parce que la réduction de l’emprise que s’est assuré et que donne à voir le fondamentalisme islamiste, en passe de devenir l’obstacle prédominant à l’aboutissement de la naturalisation de l’islam, oblige à aborder la question de la visibilité de la religion musulmane dans l’espace public. Une réflexion qui ne peut être contournée compte tenu du sens qui, dans nos sociétés démocratiques, s’attache aux marques de cette visibilité - un sens qui se résume aux discriminations et aux obscurantismes auxquels, sans compter en arrière-plan la vision du djihadisme, ces marques renvoient. Partant, c’est la visibilité de toutes les adhésions cultuelles et de ses conséquences qui viendra en débat, et il est clair qu’un nouveau ‘’compromis historique’’ devra se dégager sur ce sujet : il exigera de tous les cultes intéressés un parti-pris de modération - peu courant en matière de coexistence confessionnelle - et l'acquiescement à une ostentation minimale, ou au moins réduite, de l’appartenance religieuse.

On suggèrera ici plusieurs pistes - et rien d’autre que des pistes - pour la construction de ce débat. On les réunira selon cinq types d’approches :

-        la première tient dans la pédagogie préalable qui s’impose pour convaincre que le rehaussement de la neutralité de l’espace partagé ne vise en rien le droit reconnu à chacun, en vertu de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes, de porter dans la sphère publique une marque extérieure de son appartenance confessionnelle ; mais que son objet est de mettre progressivement un terme à l’exposition, et par là à l’influence, d’un intégrisme islamiste déterminé à soumettre aux normes véhiculées par ses interprétations et par ses représentations celles et ceux qui sont les moins en mesure d’échapper aux discriminations que ces normes établissent ;

-        la deuxième consiste - à l’instar de ce qui a été fait, sur une longue durée, par l’industrie du cinéma et dans les fictions télévisées aux Etats-Unis en faveur de la perception des afro-américains - à soutenir et à promouvoir de façon systématique dans nos médias l’image d’un croyant ‘’moderne’’, dont l’intégration et la volonté de participation à une citoyenneté laïque se manifestent par sa discrétion et son tact vis à vis du port des signes distinctifs de sa religion, et par les limites ou par l’abstention auxquelles il se range de son propre chef les concernant ;

-        la troisième correspond au franchissement d’un palier, et il n’est pas douteux que de ce fait, elle prête à polémiques - probablement au moins autant du côté des juifs orthodoxes que de celui des musulmans rigoristes ou traditionnalistes ; elle envisage en effet de tarir le fond d’images référentielles de l’islamisme intégriste par une incitation massive et permanente à limiter le signalement vestimentaire des appartenances confessionnelles - i.e. pour l’essentiel aux chapeaux et coiffures[4]. Il va de soi que cette incitation s’adresserait à l’ensemble des croyances pour écarter toute idée d’un ciblage contraire à l’égalité des cultes.

Sans aller jusqu’à se réclamer de la maxime de Saint-Just - « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » -, la défense du corpus de valeurs et de principes de la République autorise celle-ci, si les composantes trinitaires de sa devise sont mises en échec sur son propre sol, et tout particulièrement l’égalité due aux femmes dans tous les domaines, à en venir à édicter dans les emprises des administrations et des services publics une interdiction pure et simple (mais éventuellement transitoire) des autres marqueurs visuels de l’adhésion à une religion - mesure destinée à prévenir la légitimation ou la banalisation que l’exposition expansive de ces marqueurs au cœur même de l’Etat républicain et de ses rouages est susceptible de fournir à des codes de vie irrecevables par une démocratie. La religion musulmane n’étant premièrement visée à ce titre que pour l’association qui s’est nouée si étroitement entre ses signalements vestimentaires et l’obscurantisme liberticide et le fanatisme à l’œuvre au sein de l’islam ;

-        la quatrième piste s’attache à une certitude : qu’elle passe par l’incitation ou par l’interdiction, la résistance à la propagation de l’intégrisme islamiste - résistance qui répondrait aux mêmes raisons et prendrait des formes identiques à l’encontre de tout autre extrémisme religieux - ne sépare pas cet intégrisme du communautarisme qui s’en nourrit et où il prospère. Un communautarisme qui est par essence doublement incompatible avec notre contrat républicain en ce que celui-ci se réfère à une république indivisible et en ce qu’il consacre une citoyenneté individuelle participant à l’indivision de la nation.

Ce qui rend indissociables les récusations de l’extrémisme musulman et du communautarisme par lequel ce dernier se traduit - si l’on se reporte à la description de ‘’Saint Denis, ville à l’heure islamiste’’ - réside en ce qui fait le trait le plus distinctif de toute entité d’essence communautaire : la création et la délimitation d’un cadre produisant ses propres lois, sous forme de normes, de codes et d’obligations dérivées de prescriptions religieuses, ethniques ou sectaires, et imposant à ses membres de se soumettre à cette législation séparative tenue pour la seule légitimement fondée. Ce qui donne la mesure de la force de pénétration et de contrainte que l’islam intégriste trouve dans la micro société parallèle que le communautarisme lui offre à régir.

Les moyens de briser ce carcan communautaire, et en premier lieu de le fragiliser en diminuant son emprise et sa visibilité, ne se dégagent que d’une approche calculée au plus juste par rapport à la liberté des consciences et des cultes. A cet égard, autant les boucheries hallal ou casher[5], ou les librairies et commerces d’articles cultuels, sont naturellement protégées par les lois de la République, autant celle-ci est en droit de limiter leur nombre dans un espace donné pour prévenir une mutation communautariste de cet espace. De même, l’acceptabilité des replis mono confessionnels (des écoles aux super marchés calés sur une offre uni-cultuelle) s’apprécie à l’aune du danger des identitarismes et de leurs référents, par nature rétrogrades et discriminants.

-   la dernière piste proposée élargit la question de l’hyper visibilité confessionnelle et communautariste et s’applique à endiguer les régressions dont celle-ci est l’agent propagateur par l’exemplarité qu’elle leur confère. Elle repose sur la conviction que la liberté se protège en premier ressort par la vigilance qui prévient qu’un droit parmi ceux déjà acquis - ici la protection de la liberté religieuse - soit détourné et s’exerce au préjudice des autres droits, ou fasse obstacle à l’instauration démocratique d’un droit nouveau. Conviction validée par notre Histoire qui légitime, outre l’aggravation de la pénalisation des discours et des ouvrages qui répandent un fanatisme - et présentement celui lié à l’islamisme ‘’radical’’ -, la création d’un ‘’délit d’incitation à la révocation des droits consacrés par la République’’.

Le champ qui serait protégé par l’existence de cette incrimination, et par la répression parallèle de toute entrave à l’exercice des mêmes droits, est d’abord formé de l’ensemble des droits obtenus par les femmes depuis les années mil neuf cent soixante. Serait ainsi rendue impossible toute remise en cause des lois les concernant qui sont devenues parties intégrantes du contrat social - et donc aussi bien l’accès à la contraception que le droit à l’IVG.

Une protection légale qui pour les femmes les plus directement menacées par la pénétration et l’emprise du fondamentalisme musulman, est celle de l’égalité de statut que la République a instauré en faveur du féminin. Pénaliser toute entreprise visant à abolir ou à restreindre les libertés et les droits entrés dans notre législation n’est rien d’autre pour les femmes susceptibles d’être privées de ceux-ci par l’inféodation coercitive à laquelle leur appartenance cultuelle et culturelle risque de les soumettre - et d’autant plus si cette appartenance doit s’exposer publiquement comme une ‘’identité’’ ségrégative - que le rehaussement indispensable de la garantie que requiert le respect de leur dignité[6].

On reprochera sans doute aux pistes qui viennent d’être avancées de trop reprendre sur ce qui est entendu comme la liberté des religions. Elles répondent pourtant de façon mesurée à deux enjeux que notre Histoire a liés : la sauvegarde de la conception républicaine de la nation, qui doit compter également pour les croyants et les non croyants face aux identitarismes, et le dépassement des clivages confessionnels. Le premier nous rappelle que l’intégration dans la nation a toujours procédé de la renonciation à un ancrage communautaire. Le second nous confronte au défi de la naturalisation de la religion musulmane à présent inscrite dans notre paysage cultuel. Un défi considérable[7] en termes d’ajustement inter culturel et eu égard à notre représentation séculaire de l’islam en ennemi naturel - confondu avec des ‘’arabes’’ redoutés comme conquérants puis méprisés au temps colonial. Et dont dépend, suivant qu’il sera ou non relevé, et face à l’extrême-droite qui le veut insurmontable, la paix civile et le fonctionnement démocratique de nos sociétés.

Didier LEUWEN - 15 décembre 2015



[1] le choix de ce titre renvoyant évidemment au roman de Jean-Louis Bory « Mon village à l'heure allemande », prix Goncourt 1945, et partant au contexte d’une invasion et d’une occupation.
[2] Encore qu’il y eût naguère des rabbins pour se l’interdire ‘’par respect pour la République’’.
[3] On reste confondu devant le concours d’autisme sociétal qui se livre sur le sujet des cantines. Autant il va de soi qu’y servir des repas conformés à toutes les prescriptions alimentaires de telle ou telle religion contreviendrait à la neutralité scolaire, en identifiant certains élèves par la visibilité de leurs appartenances confessionnelles, autant proposer le cas échéant un plat sans porc de substitution, et ce de façon à la fois non ostentatoire (et rendue commodément non ostensible) et, matériellement, aussi dénuée de complication que la prise en compte de l’allergie d’un élève à l’arachide, représente clairement en l’espèce la conciliation la mieux opérante, sinon la seule envisageable, du libre exercice des cultes et de la laïcité.
[4] Exception faite bien sûr des ministres des cultes. Au-delà, les couvre-chefs ne suffisent-ils pas ?
[5] La seule question posée à leur propos est celle, globale, de la souffrance animale et plus spécialement de l’impact comparatif des méthodes d’abattage auxquelles elles se rattachent. Le refus de l'engourdissement préalable à l’abatage compte toutefois comme un argument supplémentaire pour les partisans de l’interdiction de l’abattage rituel - étant entendu que la réglementation à laquelle sont soumis les abattoirs ordinaires semble très insuffisamment respectée.
[6] Pour toutes les minorités reconnues qui demeurent sous la menace d’un regain de la discrimination à leur encontre - que ce dernier soit instrumenté par une militance réactionnaire ou par une immixtion de type clérical dans l’état de la législation -, cette protection interdirait tout révisionnisme législatif à visée régressive du type des persistantes ‘’Manifs pour tous’’.
[7] Et en tout cas encore bien moins ‘’gagné d’avance’’ que ne l’a été celui de l’insertion citoyenne des juifs français au XIX ème siècle.
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