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vendredi 27 septembre 2019

LE MINISTÈRE DE LA RÉSURRECTION ET DE LA PRÉSENCE : LA TENDRESSE DES FEMMES ET LE SÉMINAIRE (III).


  ‘’VOUS N'AUREZ PAS DE TENDRESSE AVEC DES FEMMES’’     


¤ Chapitre 3 : 


        À la femme est revenu le sacrement
dont procèdent tous les autres. 
  
Un autre parcours de subversion est ouvert, le plus essentiel, mais infiniment plus obscur. Parce que l’interrogatoire se tourne vers une Toute(s)-Puissance(s),  vers un Elohim qui n’a rien dit d’autre sur Lui-même que son « Je suis celui qui suis »[1] ; et qui, comme si cela ne suffisait pas, a posé au départ le contre-sens paradoxal du monothéisme : « Je forme la lumière, et je crée les ténèbres, je réalise la paix et je crée le malheur ; Moi, l’Éternel, je fais toutes ces choses ».

Et parce que, de surcroît, le contradictoire a lieu avec l’intraduisible de l’hébreu, avec la déperdition théologique qui tronque sa translation linguistique, avec l’encodage qui nantit chaque verset biblique de sept lectures. En sorte que toute épiphanie d’un sens laisse présumer un don préalable par l’Esprit de la parcelle d’intuition appropriée. 

Un labyrinthe donc, mais où, somme toute, venant de la critique historique et méthodologique des textes et des sources[2], ou émanées de la déconstruction-reconstruction qui construit le parcours sans limites de l’exercice midrashique, des lueurs nous éclairent cet infime retranchement de l’impénétrable et de l’inconnaissable qui nous est accessible avant que les temps soient accomplis et que ‘’tout soit arrivé’’.

… le féminin au service de l’œuvre de D.ieu

Des lueurs derrière lesquelles, si l’on y scrute les signifiants qui rapportent le masculin et le féminin au service de l’œuvre de D.ieu, en les cherchant dans les combinaisons du narratif, des analogies et des allégories, ou dans un iota ou un seul trait de lettre, ou dans ce que le rabbi écrit avec le doigt sur le sol, la grâce d’intuition pourrait nous souffler que la thématique qu’on questionne n’est plus celle de l’égalité, mais de la prééminence de la femme.

La prééminence – dans une déclinaison symbolique - de Sarah et des Myriam-Marie qui viennent successivement sur le devant de la scène des Ecritures. Abraham et Moïse ouvrent certes la route des peuples de l’Alliance, mais de ces cheminements, les figures des femmes de la Bible sont le portail et le Portique.

Sarah qui se croit stérile et (ou) qui malgré son grand âge[3] donne naissance à Isaac, inaugure la lignée « de la stérile (qui) accouche sept fois[4] ». Une lignée de métaphores emboitées ou répétées en abyme à travers lesquelles l’humanité entrevoit et partage le libre parcours du Créateur.

 Et où l’Alliance pressent qu’elle est appelée à féconder l’incroyable. A l’autre bout de la chaîne, la promesse de cette fécondation des impensables se reporte sur la silhouette de la jeune femme de Nazareth, dessinée comme enceinte bien qu’elle ne connaisse pas d'homme.

Les Myriam-Marie bibliques, personnifications itératives de la communauté d’Israël[5], et en même temps investies chacune, fût-ce quand elles se fondent au fil des Écritures dans un personnage unique (féminin ou masculin), du rôle singulier qu’elles ont à projeter – ici, la sœur de Moïse et d’Aaron, là encore, entre tant d’autres, la sœur de Marthe et de Lazare -, construisent la lignée suivante qui mène à l’Incarnation.

Ce deuxième mouvement de l’Alliance qui, comme le premier, se finit et se pose sur Marie, fille d’Israël. Par qui cet Israël porte en ses flancs le Messie qui lui a été annoncé. En qui la jeune fille se fait « mère de l'Homme » en accouchant de l’incarnation humaine du Verbe.

Avec Marie de Magdala, la déclinaison franchit son troisième pas, et la hauteur du Portique atteint sa dernière élévation – s’exhausse à l’incommensurable. En ce que par l’amie ou la compagne[6] du Rabbi Jésus, et entre les seules mains de cette femme, la Résurrection se fait corps.

Des mains qui attestent, en une probation unique, de l’Intégralité, c'est-à-dire de la plénitude de la victoire sur la mort : les autres ‘’apparitions’’ ensuite mises en scène ne seront transcrites qu’en forme de prodiges – le Ressuscité y traverse les portes ou les murs, n’y est reconnu qu’après avoir disparu aussi soudainement qu’il est venu, s’y élève dans les nuées[7] ...

Cette résurrection du corps, celle qui fait sens en regard de l’Incarnation, est signifiée par l’intimation du « Ne me touche pas », du « Cesse de me toucher » : c’est le corps d’un homme, et le corps de l’homme bien aimé, avec lequel il est enjoint à la femme de  Migdal de ne pas avoir de contact. Par le rappel de l’état d’indisponibilité du Nidah[8] et des distances corporelles qui s’y rattachent.

La scénographie de cette probation s’ordonne sur les signes d’un événement inouï. En commençant par suspendre la séquence de la Rencontre devant le tombeau vide le temps que les personnages se mettent en place : il faut que Marie soit censée ne pas savoir qui est là pour que la résurrection s’annonce de la bouche même de Celui qui l’interpelle.

Une mise en scène qui installe Marie – importe peu que dans l’ultime épiphanie messianique, elle soit l’épouse, la disciple préférée, ou la mère de Jésus, «la Magnifiée»[9], - dans la symétrie des présences et des visibilités et, partant, dans la relation gnostique qui avait été refusée à Moïse quand l’Eternel lui signifia :

« Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu'à ce que j'aie passé. Et lorsque je retournerai ma main, tu me verras par derrière, mais ma face ne pourra pas être vue.[10].

A Marie à présent de conjuguer le verbe retourner. A elle, et à elle seule, il est procuré, au passage de la gloire, le privilège de se retourner – l’évangile-Jean rapporte que par deux fois elle s’est retournée, mais la répétition est posée en sorte que le second mouvement confisque toute la valeur du geste signifié : la répétition emporte une appropriation absolue de ce geste parce que le second ‘’retournement’’[11] ne survient, lui, qu’après que le Ressuscité s’est fait connaître ; que lorsque, devant le creux du tombeau, la scène écrite et dialoguée pour le rebond de l’Alliance est prête à être interprétée.

Rebond et dépassement, car ce n’est plus l’Eternel, en sa ‘’colonne du nuées’’, qui dans la tente d’assignation, parle à Moïse face à face comme on parle à un ami, mais à un ami dont les yeux ne verront pas : en trois répliques, tout est accompli, et Marie de Magdala, la Marie du tombeau vide, et le Verbe incarné revenu du séjour de la mort sont charnellement l'un en face de l'autre. Là où Moïse avait reçu la promesse de voir la bonté et d’entendre le Nom, et entrevu la grâce et la miséricorde, ce l'un en face de l'autre magnifie les corps dans la lumière, exposée et partagée, de la résurrection et de la vie. 

… l’incarnation prend fin.

De même que la Genèse clôt son œuvre sur la création sexuellement dissociative de la femme et de l’homme, tirés de la vie et du sommeil profond de l’ADAM et placés l’un en face de l'autre, de même l’Incarnation prend fin, au sortir du jour d'abstention du Chabbat et du sommeil où D.ieu ‘’passe toujours en sa puissance’’, dès qu’ont été prononcées les quatre phrases qui accomplissent l’apparition du Ressuscité devant Marie, l’un en face de l'autre. Par les mots d’une nouvelle annonciation qui, le temps où ils devaient être dits, retiennent cette réapparition corporelle, diffèrent son évanouissement. 

Tout est écrit de ce qui avait à l’être. Dans les gestes qui étaient prédestinés à révéler, à exalter et à enseigner la victoire de la vie ; dans le toucher de ces traits de doigts sur celui qui en suspend la caresse pour accomplir la Loi et ressourcer l’espérance. Dans les paroles où le Fils de l’homme prévient que le Verbe, remontant à sa place du commencement, retourne en-Dieu, et que va cesser le temps de l’Incarnation, celui du corps effleurable, câlinable et enlaçable.

Dans celles intimant à Marie de s’en retourner à sa mission – pourquoi lui demander de se porter témoin, alors que tel aurait été spontanément son mouvement de l’âme, si ce n’est pour confier aux femmes le ministère de la résurrection et de la présence ?

Pour leur confier suivant le dessein pour lequel, ce matin là, l’élue parmi toutes les Marie, choisie comme première messagère, presse le pas. Avant de recevoir l’investiture de la dissemblance : les deux apôtres – dont le disciple préféré -, sont entrés dans le tombeau, l’ont vu vide du cadavre qui y avait reposé, ont cru sur ce qu’ils avaient vu, compris sur la foi des indices, et ils sont ensuite retournés chez eux ; mais la femme, toute à sa prière des larmes[12], demeure devant ‘’la pierre enlevée de l'entrée du tombeau’’, en attente que l’obscurité se dissipe entièrement – et parce qu’elle est penchée sur le tombeau et qu’elle y guette un signe des anges, sa prière est aussi celle de la confiance aux aguets, déconcertée et indécise, celle du questionnement de l’alliance à venir.

À cette femme, ce n’est pas une réponse qui échoit en retour, mais sa consécration au nouveau temple[13]. Une consécration qui la transporte dans le lieu le plus saint : car c’est en ce que Marie reconnaît le Corps vivant, non par une perception mais par une réappropriation de ce corps, que l’Esprit est présent à la rencontre qui scelle la résurrection. Et c’est en ce que cette réappropriation est charnelle comme la victoire sur la mort, qu’elle surplombe à jamais tout ce qui avait été voué à s’ordonner au plus sacré des sanctuaires ; qu’elle efface toutes les prérogatives des pontifes dans les sacerdoces d'Israël.

La glorification du Ressuscité se devait d’être éblouissante : elle le devient quand l’identification se fait illumination, à cet instant où les attachements humains qui œuvrent au dévoilement jaillissent du «Marie ! » et de sa réponse en hébreu : «Rabbouni !».

En trois versets, le sacrement de la résurrection et de la vie est célébré par les deux officiants, homme et femme, et il l’est dans le partage d’amour qui baigne cette célébration.  Un amour en communion qui ne se dissocie pas en acceptions multiples, mais qui est d’essence unique comme l’est la transcendance. Tout en sollicitant l’emploi de son équivalent, le renvoi à la notion qui est son double : celle qui convoque ce dont, précisément, aucune créature ne devrait jamais être séparée, ne saurait en aucun cas être privée, et qui porte un très beau nom : la tendresse.

Didier Lévy – 25 septembre 2019



[1] « Je serai Qui Je serai » : bible André Chouraqui (1990).
[2] Dont les modes sont tracés, à partir du versant juif de l’interprétation de l’Écriture, dès le Traité théologico-politique de Spinoza. L’hébreu-grec de Jean échappe-t-il à la déperdition ci-avant visée?
[3] Qui la fait au surplus ‘’rire’’ à la supposition d’avoir ‘’encore des désirs’’ : où Genèse 18 se montre exempte de pudibonderie …
[4] La Genèse se fait répétitive : à son tour, Isaac implora l'Éternel pour sa femme, car elle était stérile, et (…) Rebecca devint enceinte … de jumeaux (l'Éternel lui explique : « Deux nations sont dans ton ventre. Deux peuples différents sortiront de tes entrailles »).
[5] Cf. le très brillant essai midrashique de Sandrick Le Maguer « PORTRAIT D’ISRAEL EN JEUNE FILLE – GENÈSE DE MARIE » – Gallimard, collection L’INFINI (2008).
[6] Sans, ici, d’autre forme de départage que de se demander si en Terre promise, et aux temps que nous regardons comme messianiques, de hommes juifs ordinaires auraient pu ne pas être mariés ? Le rabbi Jésus, trentenaire, les apôtres, et tous autres disciples des deux sexes, auraient-ils pu participer d’une agrégation au peuple juif, et au corpus hébraïque, sans avoir contracté mariage et fondé une famille ?
[7] La part étant faite des signes surajoutés de corporéité qui seront appelées ‘’pour les besoins de la cause’’ dans les controverses théologiques les plus immédiates ou des tout premiers siècles.
[8] L’interprétation de l’état de Nidah la plus signifiante - parce qu’elle ne renvoie en rien à une notion physique d’impureté, de salissure ou de souillure - est issue de la philosophie hassidique. Qui lit notamment (et sur le même mode d’ailleurs que pour le cycle du Chabbat) dans le cycle menstruel une ascension - vers le plus haut niveau de sainteté, i.e. le processus de création que la femme a le pouvoir de mettre en œuvre ; puis une descente, lorsque, à son point culminant, ce potentiel de sainteté ne s’est pas concrétisé dans son corps et que la sainteté se retire. Mais cette descente dans le statut de Nidah a pour finalité une ascension à un degré plus élevé, à travers le départ d’un nouveau cycle.
[9] Thierry Murcia, ‘’Marie appelée la Magdaléenne. Entre Traditions et Histoire. Ier - VIIIe siècle’’, Presses universitaires de Provence, Collection Héritage méditerranéen, Aix-en-Provence, 2017.
[10] Exode 33 : 20 – 23.
[11] Le texte n’éprouve pas le besoin de mentionner cet autre retournement, intermédiaire, qui était nécessaire pour réorienter Marie ‘’dans le mauvais sens’’ : le premier « elle se retourna » souligne ainsi encore davantage qu’il ne s’y attache aucun sens – qu’il ne pèse en rien en regard du « S’étant retournée » qui le suit. 
[12] Larmes dont, en quelques lignes, il est fait quatre occurrences dans Jean, chapitre 20 - quatre comme les phrases qui accompagnent la reconnaissance du Ressuscité. Il n’en est plus d’autre une fois engagé le dialogue de la résurrection.
[13] Une consécration dont la confirmation, ou la redondance, conclut l’épisode de la Rencontre au tombeau. Quand Marie, effectuant le premier pas dans son ministère de la résurrection, s’en va (…) annoncer aux disciples : « J’ai vu le Seigneur ! », et leur raconte ce qu’il lui avait (été) dit par le Ressuscité.



L’IMPURETÉ DU FÉMININ : LA TENDRESSE DES FEMMES ET LE SÉMINAIRE (II).


‘’VOUS N'AUREZ PAS DE TENDRESSE AVEC DES FEMMES’’         

  
¤ Chapitre 2 : 

L’IMPURETÉ DU FÉMININ.

… ce qu’elle tire des  structures mentales les plus primitives …

Le féminin est ceinturé par des reproductions tournant en boucle sur les notions de pureté et d’impureté – celles-là mêmes qui, immémorialement, ont dans le genre humain activé plus qu’aucunes autres tous les types de persécutions et toutes les combinaisons du génocide ; et qui, à l’encontre des femmes et se sont sans doute calées le plus compulsivement sur la place assignée au sang : un référentiel bivalent qui, du plus lointain, a emmuré le féminin entre sang hyménal - la figuration de la proie blessée qui promet au prédateur une possession dont il va se nourrir et se délecter -, et sang menstruel – quelque chose comme la vision par le même chasseur de son propre sang, dont l’écoulement le renvoie aussitôt à la peur ou au pressentiment de sa mort.

Un ordre masculin et célibataire pouvait-il ne pas trouver en lui-même, âge après âge, toutes les ressources de foncier névrotique pour y puiser de quoi fabriquer et surcharger son imagerie de l’impureté du féminin ?

Une imagerie qui ne s’arrête pas à dépeindre cet impur, mais qui n’a cessé d’être augmentée de lourdes touches empruntées au registre du dégoût. Dans la répulsion attachée au sexe, dont les autres obédiences chrétiennes se sont soit nettement, soit plus ou moins détachées, ce qui s’entend dans l’Eglise romaine au sujet de celui des femmes suggère les caractères d’une espèce de nausée.

Et n’en finit pas de s’accorder – en attache avec l’anathème jeté pendant des siècles contre le plaisir, fût-ce entre époux – avec la célébration obsessionnelle de ‘’l’intégrité préservée’’ de Marie, appendice d’un culte patriarcal et quasi pathologique de la virginité. 

… Tant que durera la répudiation du féminin

La puissance de la stigmatisation du féminin qui est produite par des figurations mentales aussi primitivement coercitives, exclut-elle que puisse survenir au sein des cléricatures un processus de -possession – comme un mélange d’exorcisme et de psychanalyse - des pesanteurs et de l’emprise de l’ancestral ?

Là où la réponse est infiniment plus certaine, c’est sur le fait que cette -possession, en ce qu’elle libérerait la voie des reconnaissances et des élévations attendues par toutes les vocations et dignités des femmes, porterait un coup décisif à la base du cléricalisme : à terme, et à l’instar de toute caste dont les démarcations sont démantelées, aucun clergé, ou aucun ‘’en tenant lieu’’, ne résisterait, dans son architecture ni dans son discours, à l’ébranlement qui est contenu dans l’affirmation d’une indifférenciation égalitaire entre les filles et les fils de la création.

Et, plus spécialement pour la cléricature catholique, dans celle, conjointement subversive, de la splendeur de la chair – une chair glorifiée par la promesse de sa résurrection, mais invariablement flétrie dans sa réduction à un sujet de souillure ; et une chair dont, a minima, la grandeur se trouvait si mal rendue et servie lorsque Benoît XVI, empruntant autant à la pudibonderie qu’il s’ajustait sur une suspicion immuable envers elle, n’y scrutait que « les actes réservés aux époux » …

Mais considérer que le cléricalisme, quels que soient par ailleurs la multiplicité de ses piliers et de ses formes, ne déclinera pas tant que dureront la répudiation du féminin et, en tout cas pour son versant catholique, le déni de l’éminence de la chair, revient à interroger le temps long que requiert la récusation de phobies collectivement indurées.

Pour l’Eglise romaine, l’éloignement de cette récusation se mesurerait à la seule lecture d’un reportage sur un séminaire du diocèse de Toulouse publié dans une encore récente livraison de Marianne (n° 1160 du 7 au 13 juin 2019). On y apprend que la formation des futurs clercs intègre une préparation à l'abstinence, confiée dans ce séminaire à une sexologue. La pédagogie dispensée à ce titre aux "apprentis curés"[1] se préface du constat : « Vous n'aurez pas de tendresse avec des femmes ». Suivent aperçus et recettes sur la gestion des pulsions sexuelles, des rêves érotiques et des fantasmes - considérations à l'appui sur les érections matutinales et sur la masturbation occasionnelle.

Le lecteur s’arrête, lui, à l’énoncé de cette préface et l’interpelle : au nom de quoi cette privation de la tendresse ? Incluse celle infligée aux compagnes ou aux compagnons qui auraient reçu cette tendresse-là des hommes à qui il est ainsi interdit de la prodiguer. Y aurait-il un sens à ce que l’amputation imposée de la sorte à toutes celles et à tous ceux à qui la tendresse, dans son singulier et ses pluriels, était promise, fût la condition mise -  et mise par une clause perpétuelle - pour que des clercs consacrés puissent administrer les signes ou les symboles de l'amour du Créateur pour ses créatures ?

Une interpellation qui, pour le même lecteur, se conclut en même temps qu’elle se formule : qu'on puisse en ce siècle continuer à fabriquer une caste sacerdotale masculine et abstinente, n'a sans doute, de la part de l'institution romaine, pas de quoi surprendre, mais laisse en soi tétanisé.

… et de ce qui a été pétrifié
versus les réverbérations de la lettre.

Si, à l’échelle du temps humain, le corps clérical romain se fixe sur des figurations mentales qui apparaissent inentamables, si, comme il en va pour tout clergé, il est vain de compter sur l’usure naturelle de son référentiel normatif, la critique qui argumente contre lui, sans rien distancer dans ce qui la rend réfractaire à une combinaison de vues et de dits régressifs, ne doit-elle pas placer sa priorité dans l’objection exégétique et la contre-interprétation du signifié ? Visant à accélérer l’érosion du Magistère sous un flux d’intellections antithétiques aux irrecevables des doctrines à tenir sur la foi ou les mœurs. 

… une création sexuée et en cela bénie …

Le champ de cette contradiction s’ouvre sur ce qui a fait la disjonction chrétienne d’avec une intelligence hébraïque de l’aboutissement du créé : l’insertion humaine dans une création sexuée et bénie en tant que telle. Une disjonction, ou une désappropriation, qui s’est voulue sourde au reproche que le Créateur s’est fait à lui-même face à son ADAM, à ce prototype qu’il vient de tirer de la glaise ; i.e. sourde à l’arrêt que D.ieu a prononcé contre la solitude bisexuée (ou androgyne) du premier humain : Il n'est pas bon que l'homme [l’humain] soit seul. 

Certes « D.ieu créa Adam à Son image, à l'image de D.ieu Il le créa, mâle et femelle Il les créa » [2], mais la retouche est presque immédiate : Genèse 2, faisant retour au sixième jour, se centre sur la création dissociative de la femme, sexuellement différenciée et ‘’tirée’’ de la vie d’Adam[3]. Il ne s’agit plus seulement de l’apparition de l’humain mais de la création de l’humanité.

… l'homme et la femme l'un en face de l'autre.

Cette différenciation suit le défilé des animaux devant Adam. Or, il est une exégèse rabbinique qui donne à lire que D.ieu a alors montré à Adam les animaux en train de s’accoupler. Une exposition de la sexualité du monde animal qu’on se représente d’abord comme composée à la gloire du créateur du nouvel univers et en gratitude envers lui. Mais l’intelligence de cette fresque renvoie aussitôt au scrupule que ce créateur s’est formé, et jusqu’à une anticipation de sa part à l’endroit de la touche finale de son œuvre : ne s’agit-il pas de faire en sorte que l’Adam participe à celle-ci, et que le détour par ce cortège amoureux du monde animal vienne à cette fin lui découvrir son absence de compagne.

C’est de ‘’l’autocritique’’ du Créateur que prend fin la solitude d'ADAM, celle qui procède de son double visage de mâle et femelle : D.ieu va mettre l'homme et la femme l'un en face de l'autre. Répondant à la déception d’Adam devant la manière de faire d’une sexualité animale où l’on ne se regarde pas.

Ce l'un en face de l'autre n’a pas cessé de cheminer entre des interprétations surabondantes. Sans que peut-être se fasse jour un sens plus investi d’une jubilation de beauté que celui qu’Armand Abécassis a ainsi restitué[4] :

« pour savoir réellement ce que signifie l’exaltation du face à face avec Dieu, il faut avoir vécu auparavant la plénitude offerte par la relation d’amour entre l’homme et la femme… »[5].

Formidable démenti qui infirme le célibat imposé, la disgrâce de la chair en souillure et la dégradation du féminin dans l’impur. Et qui requérant en nullité des déchéances et des flétrissures qui ont ignoré cette corrélation de la plénitude et de l’exultation, s’immobilise et se pétrifie parmi toutes celles-ci sur un “Inter faeces et urinam nascimur” qui, projeté par dessus ses interprétations plurielles, recouvre le pire blasphème, ou le seul véritable, qui a jamais été proféré à l’adresse du Créateur.

Didier Lévy – septembre 2019


>  Dernier chapitre :
LE MINISTÈRE DE LA RÉSURRECTION ET DE LA PRÉSENCE -
À la femme est revenu le sacrement dont procèdent tous les autres.



[1] Titre de l'article de Marianne, dont le ton est néanmoins fait d’une neutralité plutôt bienveillante.
[2] La Torah au reste en avertira : ADAM ne se traduit pas par "homme", mais par "l'homme et la femme".
[3] ‘’Cote’’ ou ‘’côté’’ suggérant des jeux de sens inter linguistiques, ou convoquant des polysémies. ‘’Vie’’ renvoie, elle, à celle qui a été insufflée par D.ieu dans les narines d’Adam. Autres significations, inépuisables, les ‘’traductions’’ par ‘’sang’’, pénis, sacrum … S’y additionnent des interprétations multiplement fondées : gématrie, kabbale, ou encore mises en rapport avec notre connaissance de l’ADN.
[4] In « ET DIEU CREA EVE » de Josy Eisenberg et Armand Abécassis, Col. A Bible Ouverte II, chez Albin Michel (1979).
[5] L’auteur ajoutant « Dieu ne veut pas seulement que j’aie besoin de la femme comme d’une nourriture, mais que je la désire, c’est à dire que je me prépare à la rencontrer non pas comme un complément mais comme autre, et l’autre par excellence (…) ».

LA TENDRESSE DES FEMMES ET LE SÉMINAIRE , ou ‘’VOUS N'AUREZ PAS DE TENDRESSE AVEC DES FEMMES’’


¤ Chapitre 1 :


   LE CLÉRICALISME, LES CASTES ET LA SÉGRÉGATION.

Surprenant d’entendre un Pape dénoncer le cléricalisme. Une dénonciation qu’on associait plus volontiers au nom de Léon Gambetta. Quand, la III ème république étant encore incertaine et fragile, celui-ci lançait les républicains à l’assaut de la triple emprise adverse de l’Ordre moral, du royalisme et du Syllabus. Sur ce mot d’ordre: « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! ».

… du cléricalisme politique ….

Mot d‘ordre qui allait faire que, pour longtemps, un républicain serait d’abord un anticlérical – au sens originel du combat à mener contre ce qui fait la nature même de tout pouvoir temporel émané de l’espace du religieux, quelle que soit la forme que prend le clergé dans le culte considéré. Détenteur exclusif du lien commun avec Dieu, seul traducteur de Sa pensée et gardien de l’unique et intangible vérité qu’il lit dans cette pensée, ce pouvoir signifie à la cité séculière qu’il est de ce monde, où il lui appartient de parler et d’édicter au nom du Très-Haut.

Ce qui, pour la France, a coalisé contre lui en retour les tenants du libre-examen, en engageant francs-maçons et ceux de la RPR à se placer au premier rang parmi les bâtisseurs de la République.

Le républicanisme est anticlérical parce que la première liberté proclamée par la République, dans le droit fil de la Déclaration des droits du 26 août 1789 consacrant la liberté des opinions « mêmes religieuses », est la liberté de conscience. Dont découle l’affirmation que la République est laïque. Une laïcité dont le libre exercice des cultes tire sa garantie et où, conjointement, la paix civile - ajustée sur la cohabitation et le respect des croyances et des non-croyances – trouve sa sauvegarde.

Anticlérical, parce que la liberté de conscience se réduit toujours, pour une institution cléricale, à une liberté de professer l’erreur ; et parce que cette institution ne saurait par nature se résoudre à ce que la loi, au motif qu’elle exprime la volonté générale, échappe à son contrôle et, en fin de compte, à sa censure.

En soi, posséder la certitude qu’on a reçu à legs le monopole de la perception, de la transcription et de la formulation du juste, du bien et du vrai, exclut qu’on renonce à agir, par un mode ou un autre, sur le législateur s’il prend à celui-ci de se détourner ou de s’affranchir de ces trois corpus dont on a reçu la garde. Jusqu’à partir en campagne si, sous l’invocation de la liberté  personnelle, celle du jugement et du choix de conscience, le normatif sociétal se déporte de la droite doctrine dans une licence jugée coupable ou scandaleuse.

Ainsi en a-t-il été avec les défilés contre l’accès au mariage civil des couples homosexuels. Il était après tout libre à chacun de voir dans l’extension de ce mariage une déviance détestable – une double déviance des mœurs (vis-à-vis d’une normalité sexuelle) et de la loi (vis-à-vis de la figure consacrée de la famille).

Ce n’était point là, cependant, que résidaient la question ni l’enjeu premiers en débat : mais bien en une confrontation avec l’empreinte historique d’un cléricalisme politique qui exposait que nonobstant la Séparation actée depuis plus d’un siècle, il n’avait rien perdu de ses traits constitutifs.

En ce que les défilés de l’époque, leur inspiration ou leur orchestration, induisaient à penser que le concept même de mariage civil demeurait mentalement étranger à l’Institution romaine. A tout le moins, ils suggéraient que pour celle-ci, il restait intellectuellement non concevable – l’union civile eût-elle une ancienneté remontant à 1792 (après avoir été d’abord établie à l’usage des protestants en 1787) - que le mariage, sous la forme de ce mariage civil, fût régi par le droit commun d’un Etat laïque ; et partant que la législation de cet Etat fixât seule les conditions auxquelles il pouvait être contracté - sa validité n’étant ainsi subordonnée à d’autre critère que celui de la conformité à la loi.

… à la critique pontificale du cléricalisme.

Ce cléricalisme là ne se confond pas avec celui contre lequel s’insurgent nombre de catholiques. Quoique leurs deux tournures renferment les revendications voisines de l’investiture d’une légitimité supérieure et de la détention d’une autorité sans appel, appliquées respectivement à la tutelle de la cité et au gouvernement des pensées et des âmes.

Au regard du second, le pape François se fait l’interprète – tant attendu ! – des catholiques qui n’en peuvent plus, et de longue date (Vatican II …), d’une hiérarchie ordonnée qui, à tous ses niveaux, peine à sortir d’une fonction d’autorité et de surveillance dans laquelle une histoire institutionnelle pluri millénaire l’a configurée sinon emmurée.

Qui apparaît hors d’état d’entendre que le temps n’est plus où les fidèles trouvaient juste et bon qu’elle s’investît de les régenter et, par le jeu de son emprise déclinée de diocèses en paroisses, d’exercer la direction de leur conscience et la tutelle du plus intime de leur existence. Et qui se montre aussi éloignée d’admettre que l’accablant bilan des impunités dont ont bénéficié les sinistres affaires de pédophilie ne pouvait, par ricochets multiples, qu’achever de délégitimer une gouvernance autocratique et pyramidale - dont l’absolutisme revendiqué masque de surcroît les concurrences qui interagissent dans le cercle où, à sa tête, se concentrent les jeux du pouvoir.

On entend au surplus le (lointain) successeur de Pie IX inviter à l’exercice d’une liberté théologique. Mais on voit plus que difficilement comment cette liberté – octroyée sans doute dans le bornage de prudentissimes hypothèses concédées à des théologiens ou à des exégètes autorisés – peut se frayer un chemin dans une Eglise corsetée de dogmes.

… Les castes sacerdotales :
des castes indéracinables ?

S’il faut se poser une question face à la critique pontificale du cléricalisme, c’est bien de se demander si une caste sacerdotale pourrait ne pas posséder les traits et déployer les pratiques qui la spécifient comme telle. Si elle saurait produire autre chose que ce que sa nature lui assigne d’instituer et de pérenniser selon les principes de conduite et de gouvernance qu’elle incarne ?

Façon plus directe d’interpeller toutes les castes sacerdotales et plus directement celle qui est propre à l’Eglise romaine : comment la célébration exclusive du sacré et des actes sacramentaires conférée au sacerdoce ministériel - une exclusive qui emprunte son privilège à la prêtrise sacrificielle des cultes anciens - serait à même de se soutenir sans l’affirmation première du monopole interprétatif et de la l’Infaillibilité normative dévolus au pouvoir clérical – deux prétentions qui, dans l’ordre du croire, identifient celui-ci ?

Une caste sacerdotale ne se réforme pas plus qu’un parti unique. Ceux-ci lui ayant souvent emprunté, elle a en partage avec eux nombre de traits. Qui sont pour chacun des deux systèmes, leurs lignes de force les mieux fortifiées : adhésion exigée à une ligne officielle et à une grille de lecture unique, dogmatisme et centralisme conjugués, réquisition de l’unanimité, suprématie de l’appareil, prépotence du Numéro Un (hors contre-pouvoir du collège des prétendants présélectionnés pour sa succession) … 

Si une institution cléricale – et plus spécifiquement l’Institution romaine - esquissait cependant de s’engager dans un contretype de perestroïka, le modèle original devrait la prévenir de ce qu’une réformation partie de l’intérieur de la structure de pouvoir en cause, a tout pour se conclure au plus mal pour celle-ci quand ses initiateurs s’y risquent en succédant à des hiérarques qui l’ont obstinément et interminablement retardée.

L’Histoire tendra même à lui confirmer que le changement auquel on se résout trop tardivement est le plus souvent fatal à ses acteurs : Louis XVI fut ainsi l’un de nos rois les plus réformateurs, de bon puis de mauvais gré, mais il ne lui était plus temps, en 1787 et 1788, d’introduire un système représentatif dans une organisation décentralisée de l’administration intérieure du royaume, ou de concevoir une réforme judiciaire alliant humanisation, rationalisation et simplification ; et encore moins de réfléchir à une ‘’constitution (du) siècle’’ introduisant une démocratisation des institutions initiée sous son égide et appelée à être approuvée par le peuple. 

Un grand nombre d’espérances catholiques se fédèrent cependant sur l’attente d’une réformation interne. Mais pour quelle déception ? Autant qu’à l’induration du cléricalisme, ces espérances devront se mesurer aux traits qui font la force et la durée des castes indéracinables. Si universels qu’ils leur sont comptés comme consubstantiels.

… La caste est faite de ce qui n’y entre pas :
la ségrégation du féminin.

Le plus saillant de ces traits communs se reconnait en ce que toute caste entreprend de se soutenir, de se consolider et de se perpétuer par les exclusions qu’elle prononce. Elle n’existe d’abord que par l’entre-soi qu’elle édicte, et elle ne dure, dans l’identité et le statut qu’elle se confère, qu’en vertu de l’énonciation des catégories auxquelles elle assigne de demeurer en son dehors.

La caste sacerdotale n’agir pas différemment. Le corps clérical de l’Institution romaine – s’il a prononcé et consacré sa surélévation en tant que seul détenteur du magistère de la vérité et que célébrant unique du sacramentel - a emprunté la délimitation de cette surélévation aux même types de discriminations séparatives que celles édifiées par les hautes castes en tous genres pour asseoir leur prééminence et leur domination.

Comme toutes les autres castes sacerdotales, il a stipulé des exclusions formées à sa discrétion et déclarées perpétuelles, dont la plus radicale a été infligée au féminin.

Une double ségrégation du féminin, double en ce qu’elle fonde le clerc en ‘’homme d’église’’ et qu’elle lui ordonne le célibat, sur laquelle, en notre temps, se concentre la critique des dérives cléricales de l’Eglise romaine. Parce qu’elle figure toutes les démarcations que celle-ci a tracées autour du statut d’un ministère ordonné contrefait en détenteur de pouvoirs magiques. Parce que sans la répudiation du féminin, ce statut, privé de son critère d’entrée le plus clivant, aurait été moins irrépressiblement distinctif.

L’accession des femmes, à la seconde moitié du XXème siècle, aux ministères pastoraux dans les églises luthériennes et réformées, le rabbinat des femmes dans le judaïsme réformiste (entre autres branches), ou encore, pour la France et au sein de l’esquisse d’un islam ‘’libéral’’, la postulation comme iman(e) d’une doctorante en islamologie ainsi que la prière musulmane, mixte et progressiste, dirigée début septembre 2019 par deux femmes converties, apportent autant de pierres, et respectivement pour les trois religions du Livre, à l’infirmation d’un interdit mis à l’ordination des femmes.

Une infirmation qui, s’agissant du christianisme des premiers siècles, est soutenue par une vraisemblance historique[1]. Et qui n’a d’ailleurs jamais trouvé, dans le corps clérical de l’Institution romaine, que la contradiction d’un argumentaire doctrinal ou exégétique d’une rare indigence. Au point de renvoyer le bannissement du féminin au seul questionnement de l’ancestral : celui des reproductions mentales dont l’archaïsme suggère leur connexion aux structures les plus primitives du cerveau de notre espèce.

Didier Lévy – septembre 2019


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[1] Des travaux universitaires, anglo-saxons et italiens en particulier, tiennent qu’il y eut des femmes prêtres et évêques dans le christianisme primitif. Notamment à partir de représentations figurant sur les premières œuvres d'art chrétiennes (dont des femmes à l'autel dans certaines des églises les plus importantes de la chrétienté).