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vendredi 27 septembre 2019

L’IMPURETÉ DU FÉMININ : LA TENDRESSE DES FEMMES ET LE SÉMINAIRE (II).


‘’VOUS N'AUREZ PAS DE TENDRESSE AVEC DES FEMMES’’         

  
¤ Chapitre 2 : 

L’IMPURETÉ DU FÉMININ.

… ce qu’elle tire des  structures mentales les plus primitives …

Le féminin est ceinturé par des reproductions tournant en boucle sur les notions de pureté et d’impureté – celles-là mêmes qui, immémorialement, ont dans le genre humain activé plus qu’aucunes autres tous les types de persécutions et toutes les combinaisons du génocide ; et qui, à l’encontre des femmes et se sont sans doute calées le plus compulsivement sur la place assignée au sang : un référentiel bivalent qui, du plus lointain, a emmuré le féminin entre sang hyménal - la figuration de la proie blessée qui promet au prédateur une possession dont il va se nourrir et se délecter -, et sang menstruel – quelque chose comme la vision par le même chasseur de son propre sang, dont l’écoulement le renvoie aussitôt à la peur ou au pressentiment de sa mort.

Un ordre masculin et célibataire pouvait-il ne pas trouver en lui-même, âge après âge, toutes les ressources de foncier névrotique pour y puiser de quoi fabriquer et surcharger son imagerie de l’impureté du féminin ?

Une imagerie qui ne s’arrête pas à dépeindre cet impur, mais qui n’a cessé d’être augmentée de lourdes touches empruntées au registre du dégoût. Dans la répulsion attachée au sexe, dont les autres obédiences chrétiennes se sont soit nettement, soit plus ou moins détachées, ce qui s’entend dans l’Eglise romaine au sujet de celui des femmes suggère les caractères d’une espèce de nausée.

Et n’en finit pas de s’accorder – en attache avec l’anathème jeté pendant des siècles contre le plaisir, fût-ce entre époux – avec la célébration obsessionnelle de ‘’l’intégrité préservée’’ de Marie, appendice d’un culte patriarcal et quasi pathologique de la virginité. 

… Tant que durera la répudiation du féminin

La puissance de la stigmatisation du féminin qui est produite par des figurations mentales aussi primitivement coercitives, exclut-elle que puisse survenir au sein des cléricatures un processus de -possession – comme un mélange d’exorcisme et de psychanalyse - des pesanteurs et de l’emprise de l’ancestral ?

Là où la réponse est infiniment plus certaine, c’est sur le fait que cette -possession, en ce qu’elle libérerait la voie des reconnaissances et des élévations attendues par toutes les vocations et dignités des femmes, porterait un coup décisif à la base du cléricalisme : à terme, et à l’instar de toute caste dont les démarcations sont démantelées, aucun clergé, ou aucun ‘’en tenant lieu’’, ne résisterait, dans son architecture ni dans son discours, à l’ébranlement qui est contenu dans l’affirmation d’une indifférenciation égalitaire entre les filles et les fils de la création.

Et, plus spécialement pour la cléricature catholique, dans celle, conjointement subversive, de la splendeur de la chair – une chair glorifiée par la promesse de sa résurrection, mais invariablement flétrie dans sa réduction à un sujet de souillure ; et une chair dont, a minima, la grandeur se trouvait si mal rendue et servie lorsque Benoît XVI, empruntant autant à la pudibonderie qu’il s’ajustait sur une suspicion immuable envers elle, n’y scrutait que « les actes réservés aux époux » …

Mais considérer que le cléricalisme, quels que soient par ailleurs la multiplicité de ses piliers et de ses formes, ne déclinera pas tant que dureront la répudiation du féminin et, en tout cas pour son versant catholique, le déni de l’éminence de la chair, revient à interroger le temps long que requiert la récusation de phobies collectivement indurées.

Pour l’Eglise romaine, l’éloignement de cette récusation se mesurerait à la seule lecture d’un reportage sur un séminaire du diocèse de Toulouse publié dans une encore récente livraison de Marianne (n° 1160 du 7 au 13 juin 2019). On y apprend que la formation des futurs clercs intègre une préparation à l'abstinence, confiée dans ce séminaire à une sexologue. La pédagogie dispensée à ce titre aux "apprentis curés"[1] se préface du constat : « Vous n'aurez pas de tendresse avec des femmes ». Suivent aperçus et recettes sur la gestion des pulsions sexuelles, des rêves érotiques et des fantasmes - considérations à l'appui sur les érections matutinales et sur la masturbation occasionnelle.

Le lecteur s’arrête, lui, à l’énoncé de cette préface et l’interpelle : au nom de quoi cette privation de la tendresse ? Incluse celle infligée aux compagnes ou aux compagnons qui auraient reçu cette tendresse-là des hommes à qui il est ainsi interdit de la prodiguer. Y aurait-il un sens à ce que l’amputation imposée de la sorte à toutes celles et à tous ceux à qui la tendresse, dans son singulier et ses pluriels, était promise, fût la condition mise -  et mise par une clause perpétuelle - pour que des clercs consacrés puissent administrer les signes ou les symboles de l'amour du Créateur pour ses créatures ?

Une interpellation qui, pour le même lecteur, se conclut en même temps qu’elle se formule : qu'on puisse en ce siècle continuer à fabriquer une caste sacerdotale masculine et abstinente, n'a sans doute, de la part de l'institution romaine, pas de quoi surprendre, mais laisse en soi tétanisé.

… et de ce qui a été pétrifié
versus les réverbérations de la lettre.

Si, à l’échelle du temps humain, le corps clérical romain se fixe sur des figurations mentales qui apparaissent inentamables, si, comme il en va pour tout clergé, il est vain de compter sur l’usure naturelle de son référentiel normatif, la critique qui argumente contre lui, sans rien distancer dans ce qui la rend réfractaire à une combinaison de vues et de dits régressifs, ne doit-elle pas placer sa priorité dans l’objection exégétique et la contre-interprétation du signifié ? Visant à accélérer l’érosion du Magistère sous un flux d’intellections antithétiques aux irrecevables des doctrines à tenir sur la foi ou les mœurs. 

… une création sexuée et en cela bénie …

Le champ de cette contradiction s’ouvre sur ce qui a fait la disjonction chrétienne d’avec une intelligence hébraïque de l’aboutissement du créé : l’insertion humaine dans une création sexuée et bénie en tant que telle. Une disjonction, ou une désappropriation, qui s’est voulue sourde au reproche que le Créateur s’est fait à lui-même face à son ADAM, à ce prototype qu’il vient de tirer de la glaise ; i.e. sourde à l’arrêt que D.ieu a prononcé contre la solitude bisexuée (ou androgyne) du premier humain : Il n'est pas bon que l'homme [l’humain] soit seul. 

Certes « D.ieu créa Adam à Son image, à l'image de D.ieu Il le créa, mâle et femelle Il les créa » [2], mais la retouche est presque immédiate : Genèse 2, faisant retour au sixième jour, se centre sur la création dissociative de la femme, sexuellement différenciée et ‘’tirée’’ de la vie d’Adam[3]. Il ne s’agit plus seulement de l’apparition de l’humain mais de la création de l’humanité.

… l'homme et la femme l'un en face de l'autre.

Cette différenciation suit le défilé des animaux devant Adam. Or, il est une exégèse rabbinique qui donne à lire que D.ieu a alors montré à Adam les animaux en train de s’accoupler. Une exposition de la sexualité du monde animal qu’on se représente d’abord comme composée à la gloire du créateur du nouvel univers et en gratitude envers lui. Mais l’intelligence de cette fresque renvoie aussitôt au scrupule que ce créateur s’est formé, et jusqu’à une anticipation de sa part à l’endroit de la touche finale de son œuvre : ne s’agit-il pas de faire en sorte que l’Adam participe à celle-ci, et que le détour par ce cortège amoureux du monde animal vienne à cette fin lui découvrir son absence de compagne.

C’est de ‘’l’autocritique’’ du Créateur que prend fin la solitude d'ADAM, celle qui procède de son double visage de mâle et femelle : D.ieu va mettre l'homme et la femme l'un en face de l'autre. Répondant à la déception d’Adam devant la manière de faire d’une sexualité animale où l’on ne se regarde pas.

Ce l'un en face de l'autre n’a pas cessé de cheminer entre des interprétations surabondantes. Sans que peut-être se fasse jour un sens plus investi d’une jubilation de beauté que celui qu’Armand Abécassis a ainsi restitué[4] :

« pour savoir réellement ce que signifie l’exaltation du face à face avec Dieu, il faut avoir vécu auparavant la plénitude offerte par la relation d’amour entre l’homme et la femme… »[5].

Formidable démenti qui infirme le célibat imposé, la disgrâce de la chair en souillure et la dégradation du féminin dans l’impur. Et qui requérant en nullité des déchéances et des flétrissures qui ont ignoré cette corrélation de la plénitude et de l’exultation, s’immobilise et se pétrifie parmi toutes celles-ci sur un “Inter faeces et urinam nascimur” qui, projeté par dessus ses interprétations plurielles, recouvre le pire blasphème, ou le seul véritable, qui a jamais été proféré à l’adresse du Créateur.

Didier Lévy – septembre 2019


>  Dernier chapitre :
LE MINISTÈRE DE LA RÉSURRECTION ET DE LA PRÉSENCE -
À la femme est revenu le sacrement dont procèdent tous les autres.



[1] Titre de l'article de Marianne, dont le ton est néanmoins fait d’une neutralité plutôt bienveillante.
[2] La Torah au reste en avertira : ADAM ne se traduit pas par "homme", mais par "l'homme et la femme".
[3] ‘’Cote’’ ou ‘’côté’’ suggérant des jeux de sens inter linguistiques, ou convoquant des polysémies. ‘’Vie’’ renvoie, elle, à celle qui a été insufflée par D.ieu dans les narines d’Adam. Autres significations, inépuisables, les ‘’traductions’’ par ‘’sang’’, pénis, sacrum … S’y additionnent des interprétations multiplement fondées : gématrie, kabbale, ou encore mises en rapport avec notre connaissance de l’ADN.
[4] In « ET DIEU CREA EVE » de Josy Eisenberg et Armand Abécassis, Col. A Bible Ouverte II, chez Albin Michel (1979).
[5] L’auteur ajoutant « Dieu ne veut pas seulement que j’aie besoin de la femme comme d’une nourriture, mais que je la désire, c’est à dire que je me prépare à la rencontrer non pas comme un complément mais comme autre, et l’autre par excellence (…) ».

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