‘’VOUS
N'AUREZ PAS DE TENDRESSE AVEC DES FEMMES’’
¤ Chapitre 2 :
L’IMPURETÉ
DU FÉMININ.
… ce
qu’elle tire des structures mentales les plus primitives …
Le
féminin est ceinturé par des reproductions tournant en boucle sur les notions
de pureté et d’impureté – celles-là mêmes qui, immémorialement, ont dans le genre
humain activé plus qu’aucunes autres tous les types de persécutions et toutes
les combinaisons du génocide ; et qui, à l’encontre des femmes et se sont
sans doute calées le plus compulsivement sur la place assignée au sang : un référentiel bivalent qui,
du plus lointain, a emmuré le féminin entre sang
hyménal - la figuration de la proie blessée qui promet au prédateur une
possession dont il va se nourrir et se délecter -, et sang menstruel – quelque chose comme la vision par le même chasseur
de son propre sang, dont l’écoulement le renvoie aussitôt à la peur ou au
pressentiment de sa mort.
Un
ordre masculin et célibataire pouvait-il ne pas trouver en lui-même, âge après
âge, toutes les ressources de foncier névrotique pour y puiser de quoi
fabriquer et surcharger son imagerie de l’impureté du féminin ?
Une
imagerie qui ne s’arrête pas à dépeindre cet impur, mais qui n’a cessé d’être augmentée de lourdes touches
empruntées au registre du dégoût. Dans la répulsion attachée au sexe, dont les
autres obédiences chrétiennes se sont soit nettement, soit plus ou moins
détachées, ce qui s’entend dans l’Eglise romaine au sujet de celui des femmes
suggère les caractères d’une espèce de nausée.
Et n’en
finit pas de s’accorder – en attache avec l’anathème jeté pendant des siècles
contre le plaisir, fût-ce entre époux – avec la célébration obsessionnelle de
‘’l’intégrité préservée’’ de Marie,
appendice d’un culte patriarcal et quasi pathologique de la virginité.
… Tant que durera la répudiation du
féminin …
La
puissance de la stigmatisation du féminin qui est produite par des figurations
mentales aussi primitivement coercitives, exclut-elle que puisse survenir au
sein des cléricatures un processus de dé-possession – comme un mélange
d’exorcisme et de psychanalyse - des pesanteurs et de l’emprise de
l’ancestral ?
Là où
la réponse est infiniment plus certaine, c’est sur le fait que cette dé-possession, en ce qu’elle libérerait
la voie des reconnaissances et des élévations attendues par toutes les
vocations et dignités des femmes, porterait un coup décisif à la base du
cléricalisme : à terme, et à l’instar de toute caste dont les démarcations
sont démantelées, aucun clergé, ou aucun ‘’en tenant lieu’’, ne résisterait,
dans son architecture ni dans son discours, à l’ébranlement qui est contenu
dans l’affirmation d’une indifférenciation égalitaire entre les filles et les fils de la création.
Et,
plus spécialement pour la cléricature catholique, dans celle, conjointement
subversive, de la splendeur de la chair
– une chair glorifiée par la promesse de sa résurrection, mais invariablement
flétrie dans sa réduction à un sujet de souillure ; et une chair dont, a
minima, la grandeur se trouvait si mal rendue et servie lorsque Benoît XVI,
empruntant autant à la pudibonderie qu’il s’ajustait sur une suspicion immuable envers elle, n’y scrutait que « les actes réservés aux époux » …
Mais
considérer que le cléricalisme, quels que soient par ailleurs la multiplicité
de ses piliers et de ses formes, ne déclinera pas tant que dureront la
répudiation du féminin et, en tout cas pour son versant catholique, le déni de
l’éminence de la chair, revient à interroger le temps long que requiert la récusation de phobies collectivement
indurées.
Pour
l’Eglise romaine, l’éloignement de cette récusation se mesurerait à la seule
lecture d’un reportage sur un séminaire du diocèse de Toulouse publié dans une
encore récente livraison de Marianne (n° 1160 du 7 au 13 juin 2019). On y
apprend que la formation des futurs clercs intègre une préparation à
l'abstinence, confiée dans ce séminaire à une sexologue. La pédagogie dispensée
à ce titre aux "apprentis curés"[1]
se préface du constat : « Vous n'aurez pas de tendresse avec des
femmes ». Suivent aperçus et recettes sur la gestion des pulsions
sexuelles, des rêves érotiques et des fantasmes - considérations à l'appui sur
les érections matutinales et sur la masturbation occasionnelle.
Le
lecteur s’arrête, lui, à l’énoncé de cette préface et l’interpelle : au
nom de quoi cette privation de la tendresse ? Incluse celle
infligée aux compagnes ou aux compagnons qui auraient reçu cette tendresse-là
des hommes à qui il est ainsi interdit de la prodiguer. Y aurait-il un sens à
ce que l’amputation imposée de la sorte à toutes celles et à tous ceux à qui la
tendresse, dans son singulier et ses pluriels, était promise, fût la condition
mise - et mise par une clause
perpétuelle - pour que des clercs consacrés puissent administrer les signes ou
les symboles de l'amour du Créateur pour ses créatures ?
Une
interpellation qui, pour le même lecteur, se conclut en même temps qu’elle se
formule : qu'on puisse en ce siècle continuer à fabriquer une caste
sacerdotale masculine et abstinente, n'a sans doute, de la part de
l'institution romaine, pas de quoi surprendre, mais laisse en soi tétanisé.
… et de ce qui a été pétrifié
versus les réverbérations de la lettre.
Si, à
l’échelle du temps humain, le corps clérical romain se fixe sur des figurations
mentales qui apparaissent inentamables, si, comme il en va pour tout clergé, il
est vain de compter sur l’usure naturelle de son référentiel normatif, la
critique qui argumente contre lui, sans rien distancer dans ce qui la rend
réfractaire à une combinaison de vues et de dits régressifs, ne doit-elle pas
placer sa priorité dans l’objection exégétique et la contre-interprétation du
signifié ? Visant à accélérer l’érosion du Magistère
sous un flux d’intellections antithétiques aux irrecevables des doctrines à tenir sur la foi ou les
mœurs.
… une création sexuée et en cela
bénie …
Le
champ de cette contradiction s’ouvre sur ce qui a fait la disjonction
chrétienne d’avec une intelligence hébraïque de l’aboutissement du créé : l’insertion humaine dans une création sexuée et bénie en tant que
telle. Une disjonction, ou une désappropriation, qui s’est voulue sourde au
reproche que le Créateur s’est fait à lui-même face à son ADAM, à ce prototype
qu’il vient de tirer de la glaise ; i.e.
sourde à l’arrêt que D.ieu a prononcé contre la solitude bisexuée (ou
androgyne) du premier humain : Il
n'est pas bon que l'homme [l’humain]
soit seul.
Certes « D.ieu créa Adam à Son image, à l'image de D.ieu Il le créa, mâle et femelle Il les
créa » [2], mais la retouche
est presque immédiate : Genèse 2, faisant retour au sixième jour, se
centre sur la création dissociative de la femme, sexuellement différenciée et
‘’tirée’’ de la vie d’Adam[3]. Il ne s’agit plus
seulement de
l’apparition de
l’humain mais de la création de l’humanité.
… l'homme et la femme l'un en face
de l'autre.
Cette
différenciation suit le défilé des animaux devant Adam. Or, il est une exégèse rabbinique
qui donne à lire que D.ieu a alors montré à Adam les animaux en train de
s’accoupler. Une exposition de la sexualité du monde animal qu’on se représente
d’abord comme composée à la gloire du créateur du nouvel univers et en
gratitude envers lui. Mais l’intelligence de cette fresque renvoie aussitôt au
scrupule que ce créateur s’est formé, et jusqu’à une anticipation de sa part à
l’endroit de la touche finale de son œuvre : ne s’agit-il pas de
faire en sorte que l’Adam participe à celle-ci, et que le détour par ce cortège
amoureux du monde animal vienne à cette fin lui découvrir son absence de
compagne.
C’est
de ‘’l’autocritique’’ du Créateur que prend fin la solitude d'ADAM, celle qui
procède de son double visage de mâle et femelle : D.ieu va mettre
l'homme et la femme l'un en face de
l'autre. Répondant à la déception d’Adam devant la manière de faire
d’une sexualité animale où l’on ne se
regarde pas.
Ce l'un en face de l'autre n’a pas cessé de
cheminer entre des interprétations surabondantes. Sans que peut-être se fasse
jour un sens plus investi d’une jubilation de beauté que celui qu’Armand
Abécassis a ainsi restitué[4]
:
« pour savoir réellement
ce que signifie l’exaltation du face à face avec Dieu, il faut avoir vécu
auparavant la plénitude offerte par la relation d’amour entre l’homme et la
femme… »[5].
Formidable
démenti qui infirme le célibat imposé, la disgrâce de la chair en souillure et
la dégradation du féminin dans l’impur. Et qui requérant en nullité des
déchéances et des flétrissures qui ont ignoré cette corrélation de la plénitude
et de l’exultation, s’immobilise et se pétrifie parmi toutes celles-ci sur un “Inter faeces et urinam nascimur” qui,
projeté par dessus ses interprétations plurielles, recouvre le pire blasphème,
ou le seul véritable, qui a jamais été proféré à l’adresse du Créateur.
Didier Lévy – septembre
2019
> Dernier chapitre :
LE MINISTÈRE DE LA
RÉSURRECTION ET DE LA PRÉSENCE -
À la femme est revenu le sacrement
dont procèdent tous les autres.
[1] Titre de
l'article de Marianne, dont le ton
est néanmoins fait d’une neutralité plutôt bienveillante.
[2] La Torah au reste en avertira : ADAM ne se traduit pas par "homme", mais par "l'homme et la femme".
[3] ‘’Cote’’ ou ‘’côté’’ suggérant des jeux de sens inter linguistiques, ou
convoquant des polysémies.
‘’Vie’’ renvoie, elle, à celle qui a été insufflée par D.ieu dans les narines
d’Adam. Autres significations, inépuisables, les ‘’traductions’’ par ‘’sang’’, pénis, sacrum … S’y
additionnent des interprétations multiplement fondées : gématrie, kabbale,
ou encore mises en rapport avec notre connaissance de l’ADN.
[4]
In « ET DIEU CREA EVE » de Josy Eisenberg et Armand Abécassis, Col. A
Bible Ouverte II, chez Albin Michel (1979).
[5] L’auteur ajoutant « Dieu ne veut pas seulement que j’aie besoin
de la femme comme d’une nourriture, mais que je la désire, c’est à dire que je
me prépare à la rencontrer non pas comme un complément mais comme autre, et
l’autre par excellence (…) ».
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