Pages vues le mois dernier

jeudi 15 février 2018

CONCOURS D’ÉLOQUENCE. LE SUJET CHOISI PAR LA LAURÉATE : LES RÈGLES.


La lauréate de ce concours, désignée dans son établissement scolaire, a donc décidé de prendre ce sujet.

Elle a 13 ans et est en classe de 4ème.

Dans ma descendance, elle m’est particulièrement chère.

Mais je publie ci-dessous le texte intégral de son discours parce que choisir à son âge d’exposer ce qu’on pense ‘’des règles’’ devant le public de ses condisciples – filles et garçons – et de ses ‘’profs’’, démontre une rare volonté d’affirmer ses convictions.

Quand vous aurez lu ce discours, et en ayant bien gardé en tête que cette jeune et belle personne a fêté il y a peu son treizième anniversaire, vous vous direz que cette singulière volonté est secondée par maturité surprenante et par une aptitude aussi rare à défendre ses idées – y compris vous le verrez en interpellant les garçons, « les gars ».  

Sans doute resterez-vous comme moi pantois devant sa détermination à s’attaquer aux tabous, aux préjugés, et aux superstitions en tous genres que les obscurantismes les plus puissants, les archaïsmes les plus malsains et les plus malfaisants, et toutes les arriérations, les plus confinées dans la stupidité (ou carrément perverses) et les plus indurées, dirigent depuis la nuit des temps, et de nos jours, sur le sang menstruel - qui n’a rien, pourtant, que de naturel et banal.

Lisez, et dites-vous bien que le combat mené par notre lauréate sur le thème des menstruations est tout sauf secondaire. Mais qu’il figure au premier rang parmi ceux qui sont à livrer pour la dignité du féminin, pour la dignité et la liberté du corps et du sexe des femmes.     

Le bloguemestre 
Didier LEVY - 15 février 2018


       ‘’ Bonjour à tous, aujourd’hui je vais vous parler d’un sujet considéré comme tabou par la quasi-totalité de la population mondiale, un sujet dont personne ne parle, comme s’il n’existait pas : les menstruations, ou règles. Oui, je suis en train de vous parler de ce sang menstruel qui sort de notre corps une fois tous les mois.

       Et maintenant, vous êtes surement en train de vous demander comment j’ai pu choisir ce sujet, mais la vraie question, celle que je me pose, c’est plutôt : pourquoi vous vous posez cette question ?

Les menstruations sont quelque chose de très naturel, qui arrive à toutes les femmes du monde depuis l’apparition de l’être humain et, est-ce nécessaire de vous rappeler que c’est grâce à ce sang menstruel que vous êtes ici, en train de m’écouter ? Que c’est grâce à ce sang que vous êtes nés ?


       Depuis la nuit des temps, les règles ont été considérées par l’homme, mais aussi par la femme, comme quelque chose de sale, une honte qu’il faudrait cacher, qui dégoute.

Ce sang, et la possibilité de pouvoir saigner tous les mois sans qu’il arrive quelque chose de grave à la femme, ont été observés par l’homme avec peur, et c’est ainsi que sont apparues les premières superstitions sur ce phénomène qui se produisait tous les mois.

Dans la tradition romaine, les menstruations avaient des effets merveilleux et dangereux à la fois, et pouvaient soigner tous types de maladies.

Au Moyen-Age, l’Église catholique disait que les menstruations étaient la punition imposée par Dieu à toutes les femmes en raison du comportement d’Ève.

Et, jusqu’à il n’y a pas très longtemps, les femmes avaient l’interdiction de prendre la mer, de chasser, de voter, de parler en public et d’avoir des responsabilités politiques et religieuses parce qu’il était dit qu’elles étaient instables durant leur période de menstruations.


       Bon, vous pourriez vous dire qu’aujourd’hui les règles ne posent plus aucun problème dans notre société. Mais vous vous trompez.

Encore maintenant, les règles sont classées dans le top 10 des thèmes les plus tabou, car il existe ‘’un certain malaise’’ autour de ce sujet.

De plus, des superstitions sur les menstruations persistent encore dans beaucoup de pays et régions du monde, comme par exemple en Inde où l’on dit aux femmes que leur sang peut contaminer des aliments, ou en Afghanistan, où on leur dit qu’elles deviendront stériles si elles prennent des bains au moment de leurs règles.

En plus d’être un sujet tabou, c’est un sujet autour duquel existent de nombreux problèmes qui n’ont toujours pas été résolus, comme par exemple :
      
- l’accès aux protections hygiéniques : dans le monde, énormément de femmes n’ont pas accès aux protections hygiéniques, surtout dans les pays pauvres, à cause des prix trop élevés. Il faut savoir que durant toute sa vie, une femme dépense 7 000€ dans l’achat de tampons et serviettes hygiéniques.
      
- en plus d’être trop cher, une étude récente démontre que dans chaque tampon il y a plus de trente produits toxiques qui peuvent provoquer des maladies graves.



       Et je ne vous parle pas de la communication avec les hommes. Et quand je dis les hommes, je vous parle de l’autre moitié de l’humanité, ces humains qui ont la chance de ne pas avoir des fortes douleurs de ventre tous les mois.

La plupart ne sait rien, ou presque, sur les règles, et quand on leur en parle ils se moquent, rigolent ou changent de conversation. Mais vous devez savoir, les gars, que les règles vous concernent aussi, car vos mères, sœurs, amies, tantes, cousines, et toutes les femmes de votre intimité ont leurs règles.

De plus, il faut savoir que sur terre, un Homme sur deux a ses règles, car un Homme sur deux est une femme.


       Bon, malgré tout ça, il faut reconnaître que nous, les adolescentes, sommes assez contentes quand nous avons ‘’nos’’ règles pour la première fois, car cela signifie que nous ne sommes plus des enfants, ni des jeunes filles, mais des femmes ‘’.


INÈS – janvier 2018


samedi 3 février 2018

JÉRUSALEM, CAPITALE DE QUI ? JÉRUSALEM, CAPITALE DE QUOI …?

 Ou Jérusalem … capitale de rien 
                   
      – ce rien que produit toujours, immanquablement,
        une lecture littéraliste des Écritures.


Une lecture qui n’interroge pas la lettre, qui ne s’attache pas à chaque iota et à chaque trait de la lettre pour interpeller le sens apparent qui s’y forme et pour explorer les failles que recèlent les sens déjà énoncés ; et pour faire ressortir du texte une parcelle de signification qui s’y découvre ou qui y surgit – fût-elle insolite autant qu’incertaine.


Une lecture qui se prend donc au pied-de-la-lettre. Faute de se tenir en alerte devant ce qui lui paraîtrait par trop intelligible, et faute de soupçonner que le iota et le trait de lettre n’ont été déclarés imprescriptibles que pour se prêter sans fin à l’exercice de la construction-déconstruction du signifié et du signifiant.


Et qui se réfute ainsi elle-même tout au long de son parcours, en ce que la lettre mémorisée sur laquelle elle refermera le livre, et dont elle formera sa certitude – « Dieu dit que … », « Dieu commande que … », « Dieu promet que … » -, est la lettre dont il nous a été dit qu’elle tue par opposition à l’esprit qui vivifie. Cet esprit qui hors l’expérience mystique qu’il peut offrir en partage à ses élus, ne se rencontre que dans le questionnement et le doute qui sont les dons ordinaires qu’il dispense.


Que cette lecture au pied-de-la-lettre soit œuvre de mort, quelle preuve plus irréfutablement violente pourrait-il nous en être apportée que par le constat qui acte que tous les fanatismes procèdent d’un littéralisme. Qu’ils en ont procédé de tout temps - au point que ‘’fondamentalisme’’ et ‘’fanatisme’’ sont devenus pour nous des arriérations quasiment synonymes.


Et quelle illustration plus accablante nous en est-il donné que par la confrontation inépuisable des légitimités dont Terre d’Israël et Etat palestinien et, plus exemplairement sans doute encore en ces temps-ci, Jérusalem des Hébreux et Jérusalem de l’Islam, sont le champ de collision.


Ces revendications antagonistes sur Jérusalem n’interpellent-elles pas le monde judéo-chrétien en le renvoyant à une submersion de l’esprit par la lettre prise à son premier degré de lecture. Une interpellation invariablement inaudible qui en appelle pourtant contre les contenus du croire qui se sont forgés dans l’infirmité constitutive du littéralisme : celle qui lui rend inaccessible que l’esquisse de l’esquisse d’une vérité ne pourra jamais s’entrevoir qu’au septième degré de lecture.


Pour qu’il existe une chance qu’elle cesse d’être inaudible, ne faut-il pas d’abord abandonner (et invalider) la référence à une "Jérusalem terrestre" – celle-ci fût-elle conçue en contrepoint d’une "Jérusalem céleste" ? Au bénéfice d’une représentation exclusive de toute confusion du spirituel et du temporel. Et dire ainsi que Jérusalem est une - et une non pas en tant que ville inscrite dans une géographie et positionnée par les cartographes, mais en ce qui l’érige entièrement en composante du projet de la création et en figuration de l’accomplissement ultime des temps de notre monde.


Au regard de ce projet et dans la perspective de cet accomplissement, l’historicité de Jérusalem n’importe pas davantage que celle attribuable à Abraham ou à Moïse, à la servitude en Egypte et à un périple libérateur à travers la Mer Rouge et le Sinaï, à la construction du premier Temple et à la splendeur du règne de Salomon. Ce qui recèle du sens, c’est la somme des signes additionnés sur la longue durée dans une œuvre composite; c’est l’inspiration et la cohérence qui s’y feront jour. Et non l’histoire dans laquelle cette œuvre met une promesse et un enseignement en situation, ni les histoires dont elle a recouvert son corpus spirituel et messianique. 


Ramener Jérusalem au statut d’une capitale, ou assimiler le ‘’peuple d'Israël’’ à l'Etat d'Israël (la légitimité de l’existence de cet Etat n’étant naturellement ici aucunement en débat), est-ce ainsi finalement autre chose - et notamment si l’on considère toutes les dérives auxquelles se prête la notion d'une "Jérusalem terrestre" – qu’instituer une confusion irréparable entre une allégorie spirituelle et sa réduction en un lieu figuré sur la planisphère et dans un temps particulier de l’événementiel attaché à ce lieu ? Et autre chose qu’infirmer une métaphore qui concentre en elle l’espérance consubstantielle à l’Alliance et l’intelligence du cheminement de cette Alliance - voire l’abaisser au niveau des reconstitutions hollywoodiennes de récits bibliques historicisés et de leurs anachronismes ?


Jérusalem métaphore de l’apothéose annoncée à la consommation des siècles et, conjointement, de la longue marche élective des nations concourant à la construction et à l’achèvement de notre monde, ne se pénètre pas plus en s’arrêtant à des songes et à des légendes qu’à coup d’effets spéciaux. A l’instar de l’interprétation que réclament, si l’on vient à les questionner, la fronde de David, la chevelure de Samson ou le ventre de la baleine de Jonas, la Jérusalem-symbole requiert un niveau d’explication plus exigeant - une intellection plus haute - que celle qui prête à la transcendance d’avoir un jour posé le doigt sur une petite ville cananéenne qui n’avait a priori rien de particulier, pas même d’avoir jusque là alterné périodes d’importance et de déclin. Sauf à se servir des mots, pris tels qu’ils viennent, comme les fabricants d’idoles le font du bois, du bronze ou de l’or, et de tout autre matériau brut dont sont fabriquées les idoles.


Et sur ce mot, sur ce nom de Jérusalem, s’interdire la découverte, sous le couvert de "sens uniques", de significations infinies - probablement la vocation à laquelle nous sommes appelés pour progresser dans notre intellection du projet qui aura justifié le long inachèvement de la création - ne participe-t-il pas du péché contre l'esprit ?

Contre l'esprit de questionnement qui, de millénaire en millénaire, vivifie la singularité du monothéisme juif, indissociable de la quête de sens en laquelle réside le ressort intuitif et la respiration même du judaïsme et, qui sait, jusqu'à sa raison d'être pour l'humanité. L'assignation au questionnement s'étendant, eût-elle de longue date cédée chez beaucoup aux disciplines de la foi, aux fils qui se sont crus ‘’séparés d'Israël’’ nonobstant leur communauté d’élection.


Jérusalem partage et décline avec d’autres figurations le même concept spirituel : celui que transcrirait, ou transposerait, dans notre contemporain (en étant dénommé sans doute avec moins de charge poétique) le Point Omega et, inclusivement, la trajectoire qui s’y conclut. Si l’on cesse de s’attacher à cette dimension conceptuelle et aux hachures du temps qu’elle efface, Jérusalem n’est plus qu’un enjeu géostratégique. 


De même le Troisième Temple ne renverra plus qu’à l’objet d’un concours d’architectes. Et le peuple juif s’effacera derrière l’entité génétique dans laquelle une ‘’science’’ racialiste a voulu l’identifier et circonscrire l’exécration qu’elle lui portait – au demeurant une déviance parallèle a entraîné des savants sionistes sur la même piste génétique parce que les identitarismes qui convoquent la biologie se retrouvent, a minima, dans des chimères identiquement construites.


Il va de soi que ni l‘universalité de Jérusalem, ni la réunion-intégration en Israël qui a déjà été engagée par les nations, et qui s’est successivement opérée par des siècles de conversions multipolaires et d’exodes de peuples divers, n’empêchent de concevoir la passion charnelle éprouvée pour la terre d’Israël. Et pas davantage de se représenter la vénération des ‘’lieux de mémoire’’ inscrits dans cette terre.


Mais - et puisque aussi bien le « royaume n’est pas de ce monde » - cette passion et cette vénération n’ont pas le pouvoir d’occulter que seuls les signes contiennent et contiendront le sens du récit que nous sommes appelés à écrire dans l’œuvre créatrice.


Qu’au « Tout est grâce » de Bernanos répond le « Tout est spirituel » qui s’imprime en sous-titre du premier et du second Testament. Et que tout ce qui nous rend impénétrable le langage de ces signes nous amène à assumer une contradiction qui touche au plus central du croire : ce n’est pas la foi qui élève – elle n’est qu’un rapprochement parmi d’autres de la transcendance -, mais l’Esprit et lui seul.


Reste une interpellation envers nous-mêmes : pour répondre à cette contradiction, ne faudra-il pas se ranger à l’idée que l’Esprit est dispensé autant au croyant qu’à l’incroyant - au tenant des dogmes autant qu’au théologien rebelle ou qu’à l’essayiste téméraire ou au philosophe athée - pour que soifs d’entendement et dons parcimonieux de lumière aident, les jours venus, à produire davantage de clairvoyants et de justes.



Didier LEVY – 22 janvier 2018   


jeudi 1 février 2018

COMMENT JE N’AI PAS VU MAI 1968 …


       Récit d’un témoin 
                        qui avait 21 ans à l’époque.


Premier contact avec les événements de mai 1968 : en sortant ce soir là de Sciences Po, et comme je traversais à vélo le boulevard Saint-Germain bizarrement désert, une soudaine irritation des yeux et l’apparition d’une gêne respiratoire, me firent penser aux effets du gaz lacrymogène. Une manifestation avait donc dû avoir lieu, dispersée peu avant par la police. Et une manifestation d’étudiants puisque celle-ci avait été annoncée dans le climat universitaire déjà fiévreux des jours précédents.


Le soir même, je partais pour Le Havre où j’avais prévu d’aller réviser dans la maison de famille mes examens de fin de seconde année, programmés pour le mois de juin.


Sans doute avons-nous entendu à la radio, pendant le trajet en voiture, les premières informations sur les affrontements qui venaient de commencer dans les rues de Paris.


Ce dont je me souviens en revanche avec précision, c’est - arrivé au Havre – d’avoir suivi une partie de la nuit les reportages des radios reporteurs d’Europe 1 (qui allaient être les témoins et les descripteurs attitrés des nuits de violence qui devaient suivre)  faisant vivre en direct les batailles de rues qui se déroulaient au Quartier latin, en particulier autour des barricades édifiées par les manifestants.


Et de les avoir suivis avec une espèce d’incrédulité : ou, plus exactement, avec la stupéfaction de se trouver devant des combats de rue dont on s’était imaginé qu’en France, ils appartenaient désormais à l’histoire – les barricades renvoyant à ce qu’on aurait pu tenir pour leur dernière apparition, la libération de Paris en août 1944.


En même temps, avec le soulagement de constater qu’à la différence, entre autres, des charges policières au métro Charonne en 1962, on ne comptait pas de morts en dépit de l’intensité des affrontements (ce qui se confirmera, il me semble, jusqu’au terme des ‘’événements’’, en dehors - pour ce qu’on a su alors - de la mort d’un commissaire de police à Lyon et de celle d’un jeune manifestant à Flins).




Les jours et les semaines suivantes me laissent le souvenir de les avoir vécus en quelque sorte dans deux univers parallèles.


Pour l’un, ce que la télévision et les radios montraient ou apprenaient, au jour le jour, de l’extension du soulèvement étudiant et du mouvement de grèves qui surgissait parallèlement. Une double extension qui produisait un effet de surprise absolument saisissant - de par son ampleur et de par la dimension de contestation, sociétale d’un côté et sociale de l’autre, qui s’y faisait jour et qui s’y exprimait.


Qui, à l’époque, avait ou aurait envisagé que les problèmes pendants à l’Université et dans la jeunesse et les frustrations salariales et sociales pouvaient produire, quasi simultanément, deux explosions concomitantes de cette nature et de cette puissance ? Et de cette forme inédite dans ses grandes lignes, dans l’activation des contestations et dans le vécu de celles-ci par leurs acteurs respectifs.



Pour l’autre, ‘’replié’’ au Havre – municipalité communiste et bassin industriel au sein duquel la CGT était probablement archi majoritaire (Renault-Sandouville, raffineries, dockers du Port autonome …) –, j’avais sous les yeux, pour ce qui était du cœur urbain de la ville, un paysage qui différait du tout au tout des visions d’une France entrée en révolution que les médias encore en activité diffusaient dans le pays, des images et des sons portés d’une ville à l’autre, des villes vers les campagnes.


 En vérité, y avait-il un autre, ou quelques autres endroits où une apparence d’ordre et de tranquillité plus complète pouvaient se rencontrer ? Des luttes, il y en avait évidemment dans tous les sites industriels en grève, mais à leur proximité immédiate, dans une ville qui, au reste, ne comptait pas d’université en ce temps-là, absolument rien ne transparaissait des mobilisations ouvrières qui se déroulaient alentour et de l’agitation extrême que connaissait le pays. Aucune trace d’effervescence contestataire et a fortiori ‘’gauchiste’’.


L’approche de la naissance de mon fils décida de notre retour à Paris. Encore fallût-il, la veille et l’avant-veille, les trains ne circulant plus, faire provision suffisante d’essence pour un trajet en voiture. Un reprise de contact avec le réel de ce mois de mai, tel qu’il était partagé par à peu près tout le monde - hors la nomenklatura publique et les privilégiés des cercles dirigeants privés. Le complément de carburant fut trouvé dans le réservoir du bateau de mon beau-père, ancré au Havre (je suis certain de ma mémoire sur ce point).




De ce retour au jour de basculement que fut la grande manifestation gaulliste de la Concorde à l’Etoile, s’ouvre une période qui m’a laissé une étrange impression d’incohérence personnelle, ou de difficulté à trouver cette cohérence.


D’une part, j’avais une sympathie spontanée pour le corpus contestataire qui s’exprimait dans le gauchisme de type sociétal - en particulier à travers les slogans que l’histoire a archivés et dont la mémoire des témoins a gardé fortement l’empreinte.


Découvrir, dans l’exploration de mes lieux familiers que je fis dès le lendemain de notre retour, les amphithéâtres de Sciences-Po sous les nouveaux noms qui leur avaient été attribués – Rosa Luxemburg ayant pris la place, pour l’amphithéâtres le plus emblématique, d’un économiste libéral consacré de la fin XIX ème (et ardent défenseur du colonialisme) –, puis le nouveau décor des environs de la Sorbonne, me causa plus d’amusement que cela ne me parut représenter une avancée révolutionnaire durable.


Pour le reste, pour les idées qui nourrissaient le discours du gauchisme groupusculaire, je ne voyais vraiment pas quelle particule de solution le trotskysme des uns ou le maoïsme des autres étaient susceptibles de contenir pour la France pas encore dite des ‘’Trente Glorieuses’’ …


En réalité, la contestation sociétale et culturelle m’intéressait en ce que j’y discernais un mouvement générationnel. Celui qui nous avait déjà spontanément animés, sans que nous en eussions eu très clairement conscience, nous les berceaux de l’après Libération, nous la première génération d’ados d’une France reconstruite et modernisée - celle qui, pour les classes moyennes au moins, avait la première eu en mains suffisamment d’argent de poche pour devenir décideuse d’achats.


Et donc pour susciter en retour une offre marchande spécifique, et pour amener la publicité à nous dédier des modèles de consommation et de représentations dont nous deviendrons les prescripteurs envers nous mêmes. Modèles que le référentiel en place en Europe occidentale depuis l’après Seconde Guerre Mondiale sourçait évidemment aux Etats-Unis.


Autant de constituants de la vague du yé-yé qui avait été notre première irruption en tant que génération en rupture avec celles qui l’avait précédée : dans nos têtes, nous avions balayé le rituel associant le gigot aux ‘’habits du dimanche’’, les visites empesées aux vieilles tantes, les cheveux courts, les formes compassées des politesses et des bonnes manières en vigueur depuis des lustres, et pour commencer à peu près tout des goûts de nos parents en matière de chansons.


C’est nous qui allions pousser dehors Mick Micheyl et Gloria Lasso, André Dassary et les Compagnons de la Chanson - encore que la télévision gaulliste privilégiera jusqu’à la fin de l’ORTF des artistes pour nous d’un autre âge, mais bien conformés aux normes de ses émissions familiales, de bonnes mœurs et bien pensantes – sauf à leur inventer des continuateurs type Mireille Mathieu.


Le rock, Elvis Presley et les guitares électriques avaient déjà forcé les portes depuis quelques années, mais c’est nous - certes dirigés par les maisons de disques mais nous sentant en même temps authentiquement ‘’dans notre monde’’ à l’écoute de SLC - qui nous chargerions de tourner une page musicale qui partirait au panier avec toutes les précédentes (quand n’y figuraient pas, pour les mieux nantis en accès à cette culture, le génie d’un Brassens ou des talents comme Guy Béart).


 Etre fan de Claude François, ou (quelques degrés en dessous) se jeter sur les 45 tours de Sheila, ne prédisposait évidemment pas à compter quelques années plus tard dans les rangs de la LCR ou à appartenir au Mouvement du 22 mars. Fausse contradiction du simple fait que les différences de classes ne s’effaçaient pas dans une population étudiante considérablement accrue depuis le début des années soixante, et qu’elles se reflétaient donc dans le recrutement militant du gauchisme étudiant (à quelques notables exceptions près, il est vrai).


Mais c’est bien une coupure phénoménale d’avec une société configurée et normée à la seconde moitié du XIX ème siècle que notre génération portait en elle. Une vocation qui n’avait pas été devinée ni perçue - quoiqu’elle s’accordât comme un calque avec le visage nouveau de la France reconstruite et entrant dans une modernité complètement originale.


Une coupure radicale qui se manifesta sans doute pour la première fois au grand jour avec le concert public de Johnny Halliday à Vincennes dont les dimensions (et les à-côtés) foudroyèrent le vieux pays - des lecteurs du Figaro aux députés UNR, et à l’ensemble des pères de famille et des ‘’gens comme il faut’’ au sein du tissu social et catégoriel le plus immuablement conservateur.


Et une coupure qui reste le legs incomparable de mai 1968 à travers toutes les avancées sociétales qui s’y rattachent ou qui se sont succédé depuis : dans la loi (contraception, IVG, majorité à 18 ans, PACS, mariage homosexuel …), dans les mœurs (avec l’avancement continu de l’égalité des droits pour les femmes) et dans les comportements et les conduites majoritaires – collectives, familiales et individuelles.


De quoi se dire que cette génération qu’on avait d’abord invitée à vénérer des « idoles des jeunes », faisait son chemin, en ce mois de mai 1968, en brisant par ses provocations aussi réitérées qu’imaginatives, une salutaire quantité d’idoles et assimilées : parti-pris, préjugés, fausses certitudes, prescriptions patriarcales et cultuelles, interdits et tabous ... Marquant, ou espérant marquer, le début de la fin pour des archaïsmes et des obscurantismes qui avaient en commun de n’avoir pas cessé de contraindre et d’étouffer la liberté d’être et de penser par soi-même. Rien qui diminuât les inégalités et les injustices sociales, mais un tout qui pouvait contribuer à faire reculer l’emprise des castes et des autorités qui tiraient respectivement profit et pouvoir des unes et des autres.


D’autre part, mise de côté cette sympathie spontanée pour le corpus contestataire, l’effervescence et l’agitation que produisait le gauchisme politique m’ont au fond presque laissé de marbre. Non par désintérêt – au moins le débat d’idées réveillait-il beaucoup d’assoupis -, mais parce que les références et les postures de ce gauchisme là me semblaient sans avenir et, plus encore, sans prise sur les vrais enjeux du moment. Pour tout dire, et le dire un peu schématiquement, je n’imaginais pas que la France sortirait des ‘’événements’’ avec, à sa tête, un triumvirat composé de Cohn-Bendit, Sauvageon et Geismar.


Ce qui comptait, c’était que ces événements débouchent sur la chute du régime, et que le mouvement de grèves déployé sur le pays aboutisse non seulement à la satisfaction des revendications dont l’élan qui le soutenait avait montré combien elles étaient profondes et puissantes, mais à une remise en cause et à une réinvention du modèle social – quelque chose comme la réécriture du contrat social opérée à la Libération dans le prolongement du programme du CNR.


A cette aune, ne m’importait vraiment que la construction d’une action concertée de la gauche la mettant en capacité d’assurer la transition d’avec régime gaulliste et de succéder à celui-ci. Avec le recul, je reste convaincu que cette carte était jouable : qu’elle l’était en considération de la submersion de l’appareil de la Vème république par les vagues qu’avaient produites les mouvements étudiants, et de cette autre submersion qui opérait par la propagation de la contestation sociale.


Et qu’elle avait une chance de succès aussi grande qu’était profonde la perte de légitimité de cet appareil d’Etat et de parti – une disqualification dont la ‘’disparition’’ subite du général de Gaulle constitua, à l’instant où elle fut rendue publique, l’ultime et le plus probant révélateur. A cet instant, pratiquement plus rien ne répondait à rien, en tout cas à une quelconque autorité, et le pays n’avait plus grand chemin à faire pour s’en convaincre et pour basculer dans une résolution de changement.


La gauche voyait devant elle la liquéfaction du système politique qui fédérait le gaullisme politique héritier du RPF et l’ensemble des droites (mouvances ex-pétainistes et post OAS exceptées) … Mais il n’y avait pas de gauche pour se saisir de cette liquéfaction. Pas d’union de la gauche au-delà des alliances électorales unitaires réapparues depuis l’élection présidentielle de 1965 ; et pas d’intention avérée du côté des partenaires de la FGDS d’entrer dans un projet – authentique et résolu - de gouvernement républicain avec le parti communiste.


Son dirigeant, Waldeck Rochet, n’a ainsi pas été approché sérieusement bien que, vu de l’extérieur, il avait semblé donner des signes tangibles de disposition à un aggiornamento, voire des preuves significatives allant en ce sens. Faut-il rappeler que peu de mois plus tard, il désapprouva l’intervention soviétique mettant fin au ‘’Printemps de Prague’’ ?


Tout aussi déterminant fut le fait, qu’en dehors (à certains égards) du PCF resté en cohérence avec lui-même, la gauche n’a eu ni pensée, ni capacité d’analyse devant des événements inouïs qui la prenaient autant que la droite par surprise.


C’est l’ensemble de la gauche qui n’a pas su appréhender les aspirations nouvelles qui se faisaient brusquement jour – faute d’abord qu’une disposition réciproque à se parler existât entre les courants de la contestation politique et les partis constitués (et de ce point de vue, le PC fit très certainement montre d’un excès de prévention à l’égard d’une contestation confondue en son entier avec un gauchisme irresponsable, dangereux et irrécupérable).


Mais si fut ainsi perdue une occasion historique d’en finir avec le régime de la Vème république – son moment s’étant probablement situé dans la dernière ou dans les deux dernières semaines, voire dans les jours, qui précédèrent la ‘’fuite’’ (restée incertaine dans ses mobiles) du fondateur de ce régime à Baden-Baden -, la faute en revient bien au total à ce qu’il n’y eût, dans la confédération de la gauche non communiste, ni lucidité – face au vide du pouvoir – ni sens des responsabilités – celles qui dictaient de tout subordonner au rétablissement de la République et à la refondation d’un ordre démocratique porteur de justice et de progrès social -, ni capacité individuelle à mobiliser et à engager l’ensemble des forces à même d’amener au pouvoir une gauche investie de la confiance populaire pour tirer tous les enseignements, et toutes les conséquences, d’un épisode révolutionnaire qui avait stupéfié et stupéfiait le pays.


Défiances mutuelles et compétitions de personnes et d’appareils, enfermements dans des  grilles de lecture et des modes de fonctionnement obsolètes, vide abyssal de la réflexion politique sur les événements en cours, et carence absolue de l’imagination créatrice d’histoire, ont piégé ceux qui avaient à faire preuve de cette lucidité, de ce sens des responsabilités et de cette capacité à entraîner forces vives et citoyens.


Avec toutefois, sous un certain regard, une exception : Pierre Mendès France. Mais en se rendant seul au rassemblement du stade Charléty, isolé des gens qui pesaient à gauche et sous le coup d’un contentieux politique avec le PC vieux de plus d’une décennie mais resté insurmontable, ce dernier se trouvait (et se savait sûrement) le moins bien équipé pour tenter une amorce de synthèse entre la jeunesse en révolte et les formations politiques ‘’institutionnelles’’ de la gauche.


De sorte que l’ancien signataire des accords de Genève n’a finalement pu faire rien d’autre que de mettre en pleine lumière l’étendue de la carence que la gauche avait exposée. Démonstration apportée à une date où le temps de la gauche était d’ailleurs déjà passé.


Telles sont les réflexions que j’ai me suis formées pendant cette période qui a suivi notre retour du Havre. Que je me sois centré à ce point sur la dimension politique d’une période en laquelle beaucoup voyait – une illusion récurrente … - une sorte de fin de la politique (du moins telle qu’elle se concevait jusque là), tient, il me semble, d’une disposition personnelle qui touche à ma représentation de l’évènement et au type d’intellection et de raisonnement qui en découle – disposition que mes deux années à Sciences Pô et ma formation spécifique d’historien n’avaient pu que mieux enraciner.


J’entends par là que l’enjeu politique, l’issue de la confrontation d’idées, la sortie de crise, la conclusion ou l’épuisement d’événements ou de soubresauts fussent-ils des plus violents, m’ont toujours été principalement appréhendables par la destination que leur donnerait le schéma institutionnel où la dispute des projets et le désordre des faits viendraient s’ordonner et tirer leur conclusion.


Ayant regagné Paris une (ou deux) semaine(s) avant l’épisode de Baden-Baden, je me souviens d’avoir ainsi passé beaucoup de temps sur le texte de la Constitution pour rafraîchir mes connaissance des dispositions que celle-ci offrait à une transition républicaine commode et rapide. Et en premier lieu, pour me projeter les modalités et le calendrier minimal qui combineraient intérim du président du Sénat (je ne doutais pas, en ces jours là, que le général de Gaulle finirait par démissionner), nomination d’un gouvernement d’union de la gauche, possibilité de modifier le système électoral en faveur de la représentation proportionnelle, amorce de révision constitutionnelle …


Etre enclin à ne voir dans le gauchisme politique qu’une reconstitution historique, certes habillée d’une rhétorique remarquablement restaurée par une talentueuse dramaturgie (un regard qui ne m’empêchait pas d’être reconnaissant à ce gauchisme d’avoir enclenché la déstabilisation qui percutait le régime gaulliste, ni de compter avec notre appartenance à la même bibliothèque des idées), m’orientait d’autant plus sur le terrain des considérations institutionnelles et des rapports de forces partisans.


Aussi bien n’ai-je pris part, au cours de ces semaines, à aucune manifestation, ni à aucune AG ou autre type de réunion : soit leur initiative et leur organisation appartenaient à telle composante de la mouvance gauchiste (et leur thématique me paraissait dès lors passablement stérile, sinon folklorique), soit je rageais qu’en restât désespérément absent le moindre signe d’une amorce de mouvement fédérateur à gauche.


Si je ne m’étais pas trouvé alors au Havre, probablement aurais-je participé à la manifestation du 13 mai (ma mémoire de cette date doit être exacte) – celle des « Dix ans, ça suffit ! » - … pour déplorer, en en sortant, que les plus en vue des meneurs gauchistes, et plus spécialement le plus doué d’entre eux, n’aient rien trouvé de moins inapproprié que de se servir de ce mouvement considérable de foule citoyenne pour étancher une soif de revanche envers ce que représentait pour eux le parti communiste ; et pour diriger contre celui-ci des déclarations agressives allant jusqu’à l’insulte (les ‘’crapules staliniennes’’). Ou comment une mobilisation chargée d’une signification démocratique indéniable, et porteuse, par son succès d’affluence, de prolongements politiques à même de s’avérer décisifs, n’eut d’autre suite que de creuser davantage, et probablement irrémédiablement, le lit de la méfiance, de la rancune et de la désunion au milieu d’un combat qui aurait dû être commun. 


Pour suivre pratiquement d’heure en heure le fil d’une actualité qui n’exposait d’autre cohérence qu’un délitement continu du régime et, presque au même degré, de l’Etat et des forces économiques dominantes, et pour être aussi le simple témoin du visage de la rue parisienne – et, pour ce qui m’en reste de plus marquant, de cette circulation automobile qui se raréfiait de jour en jour, en même temps que la résignation devant les citernes vides tarissait les queux aux stations-services -, je ne me risquais pas à privilégier un scénario pour le dénouement d’une séquence aussi imprévue que sans antécédent comparable.


Je voyais bien cependant qu’aucune force à gauche – de la gauche non communiste au parti communiste - n’avait été capable ‘d’’embrayer’’ sur un mouvement de contestation dont les ressorts idéologiques, sociaux et générationnels inédits semblaient ou bien superficiellement analysés, ou bien, le plus souvent, demeurer opaques à ceux qui auraient dû les appréhender suffisamment pour que l’engagement d’un dialogue politique entre nouveaux acteurs et figures établies du débat public eût une chance d’avoir lieu.


Et je commençais à pressentir, avec de plus en plus de désabusement, que les gauches étaient en train de rater un rendez-vous avec l’histoire dont elles n’avaient pas su se saisir pour prendre en mains un pouvoir qui avait glissé de celles de l’appareil gaulliste. Il y avait eu une courte ‘’fenêtre météo’’ politique pendant laquelle ces gauches disposaient d’une légitimité de nécessité suffisante pour revendiquer, au minimum, l’exercice d’un intérim.


Incapables de se réclamer d’un programme d’action unitaire à la mesure des événements, et apte à faire naître, parmi les Français qui étaient bien disposés envers ceux-ci, un espoir politique (espoir sans lequel, dans un contexte de ce type, aucune légitimité ne saurait prétendre à être reconnue), et de surcroît demeurées étrangère à la sensibilité générationnelle qui tenait depuis des semaines le devant de la scène, les gauches avaient simplement fait leur deuil de leur retour aux affaires. A peu près consciente, au reste, de ce que l’histoire « ne repasse pas les plats ».


Si je n’étais pas loin de regarder les gauchismes alors agissants selon la formule qui les avaient naguère réduits à un état de ‘’maladie infantile’’, je demeurais convaincu que ce qu’il pouvait rester d’atouts à la gauche était assujetti à la réalisation de  deux conditions dont, au minimum pour la seconde, le gauchisme ‘’en général’’ était partie prenante : d’une part, se réunir sur un projet gouvernemental commun qui soit crédible en termes de réponse à l’urgence qu’un effondrement du régime et une paralysie de l’Etat imposaient aux esprits ; et d’autre part, pouvoir attester que ce plan d’action prenait la pleine mesure des attentes que la jeunesse et les travailleurs en grève avaient fait exploser devant un pays qui en restait ébahi – seconde condition qui impliquait notamment d’en passer par un dialogue et un rapprochement suffisants avec la composante possiblement raisonnable de la contestation plurielle des gauchistes.  




Ce qu’il advint ensuite, du retour de chez Massu du général de Gaulle et de la manifestation de masse de « l’armée de (ses) partisans » jusqu’aux élections législatives consécutives à la dissolution de l’assemblée, m’a laissé le souvenir d’une sorte de constat que je renouvelais pratiquement au quotidien : celui de vivre et d’accompagner un impardonnable gâchis.


       Je distingue trois séquences.


       D’abord, la journée passée à extrapoler les raisons, la durée et l’issue de la retraite du général de Gaulle auprès du commandant des forces françaises dans notre ex-zone d’occupation – je précise que pour une raison qui m’échappe à présent, il ne s’écoula pour moi qu’un temps assez limité entre l’annonce de ce que le 'Chef de l’Etat avait ‘’disparu’’ et l’information indiquant qu’on avait ‘’retrouvé’’ celui-ci.


Ce fut une journée d’avalanche, ou de débauche, de rumeurs, de celles que l’histoire rend inséparable des périodes de complet désordre dans les têtes (les temps forts de l’Occupation, par exemple, ceux où tous les repères s’effondraient et ceux où l’espoir de la libération était aussi puissant que devenait de plus en plus insoutenable l’attente de sa venue)


Au fil des heures, l’avantage revint à l’imagination de l’arrivée prochaine à Paris, pour rétablir l’ordre, d’une ou de colonnes de chars, en train de se rassembler à Melun (je présume que d’autres témoins ont, eux, entendu situer ailleurs autour de Paris cette supposée concentration de blindés …).


Pour ma propre réaction, je me suis découvert, dans cette moderne Journée des Dupes, une disposition, ou une faculté, naturelle à neutraliser la rumeur politique et surtout si celle-ci comporte une prétention prédictive, fût-ce à court terme. Au profit d’une expectative devant l’inconnu et l’incertain faite principalement de fatalisme contraint.


Ce serait (si ce travail n’existe déjà) un beau sujet de thèse que de recenser et d’analyser les réactions des Français devant une situation comme celle de ce jour-là, faite de vide soudain du pouvoir et de mystère quant à son dénouement – une situation totalement impensable, au surplus, avec un personnage tel que de Gaulle dans le premier rôle.


       Ensuite la journée que j’ai appelée celle du ‘’basculement’’. J’étais convié, dans l’après-midi, à une réunion de réflexion sur l’état de l’université présidée par Alain Touraine. Réunion d’un petit groupe de gens issus principalement des ‘’clubs’’ – ceux qui avaient vu le jour, à gauche, depuis le début des années soixante sur des projets de refondation et une ambition de modernisation programmatique.


Je m’y rendais, disons, par courtoisie vis-à-vis de « Socialisme et Démocratie » - le club animé par Alain Savary et Robert Verdier auquel je participais depuis trois ans – qui m’avait missionné à cette rencontre.


Mais bien pénétré de ce que comportait, dans le moment, de surréaliste une rencontre de ce type, déconnectée des mouvements contestataires et comme indifférente à l’incapacité des gauches à prendre prise sur le réel. 


En m’y rendant, je traversais à vélo la place de la Concorde (seconde occurrence en laquelle la bicyclette fut, en ce printemps 1968, le vecteur de mon constat d’une nouvelle donne). Pour me trouver confronté avec le rassemblement des manifestants, juste descendus de leurs cars, qui attendaient de marcher sur l’Arc-de-Triomphe (lequel, pour la revanche gaulliste, porterait bien son nom quelques heures plus tard).


Ce fut un choc dont l’impression ne s’est pas effacée depuis : rien à voir, d’emblée, dans ces cohortes qui se formaient dans le prolongement bien organisé du discours radiodiffusé de de Gaulle, avec les manifestations que j’avais pu voir auparavant. Les visages aperçus, leurs expressions, les conversations entendues au passage, les drapeaux tricolores non encore déployés autour desquels les groupes se réunissaient (un tricolore qui me figura, et qui me figurera durablement, celui des Versaillais entrant dans le Paris de la Commune, en lieu et place de toutes les illustrations libératrices qui avaient pu y être attachées), les meneurs qui les tenaient en mains comme des armes d’assaut, et, par-dessus tout, la charge de haine qui ressortait et qui en même temps pesait sur cette foule encore immobile : c’était bien – immémorial - le parti de l’Ordre en son entier qui concentrait à cet instant ses forces.


Il y avait sûrement là des gaullistes historiques mélangés à d’authentiques fascistes, tout l’éventail de la réaction fédérant le parti de la peur et de la rage, le contrecoup des paniques des gens de biens associé aux croisés de toujours de l’ordre moral - et une bonne proportion de crétins indurés qui n’avaient simplement rien compris dans ce torrent de prises de parole et de revendications qui pendant des semaines avaient submergé les digues de la conservation sociale et de la normalité. Rien entrevu d’autre qu’un désordre qui n’en finissait pas, et qui étaient venus se porter volontaires pour le faire cesser.


Me revenait une scène vécue peu de jours avant, qui aurait dû valoir avertissement de ce que je découvrais sur la place de la Concorde : invité à dîner au restaurant quasi désert du ‘’Racing’’ (dîner à coup sûr étrange dans son contexte), m’étaient venues les conversations, à la table d’à côté, de deux couples de convives qui cernaient admirablement le type de population fréquentant ce lieu. Elles exprimaient une peur de la révolution qui dépassait largement les bornes du ridicule, modèle bourgeois courant ; mais il aurait fallu y saisir la somme d’énergie disponible pour la sauvegarde des privilèges et toute l’impatience de la revanche qui mettrait tout le monde au pas, et chacun à sa place (dont les juifs allemands en Allemagne), qui se concentraient chez ces gens-là. Peut-être les conversations entre émigrés de Coblentz ou de Londres avaient-elles eu des accents tout à fait comparables ?


Et également une mise en garde entendue encore quelques jours auparavant de la part d’un ami de mes beaux-parents, professeur de médecine à Rennes et membre du Club Jean Moulin. A notre satisfaction, ou jubilation, devant la déstabilisation et la remise en cause qui frappaient de plein fouet le régime gaulliste, il opposa les réactions très critiques que suscitaient en province, classes moyennes incluses, les images parisiennes de violences de rue, de voitures brûlées, et l’énonciation incessante de slogans insurrectionnels. Sans compter les impacts des grèves – trains, carburants, courrier, banques …. Autant de réactions qui amenaient une forte attente de retour à l’ordre, et qui se traduiraient dans les urnes le moment venu.


Je me rendis à ma réunion. Mais sans exagération, ce fut dans une espèce d’état second que j’y assistais : un mélange de l’ébahissement produit par ma rencontre non attendue avec la revanche gaulliste qui se mettait si puissamment en mouvement, et des premiers symptômes de quelque chose de bien plus intimement agressif qui se développerait au cours des heures suivantes - et que j’appellerai un ‘’dégoût traumatique’’ de la droite que j’avais vue déployée à ce point en surnombre. 


A mon retour de cette réunion, les cars mobilisés par l’organisation gaulliste semblaient être presque tous repartis, reconduisant dans ses foyers leur cargaison militante ; et une bonne part, sans doute, vers cette France profonde où il est entendu que « la terre, elle, ne ment pas ».


La soirée et la nuit suivantes le susdit ‘’dégoût traumatique’’ s’exprima à travers un mal de tête d’une telle violence que n’aurais-je eu que lui pour rendre indélébile mon souvenir de la ‘’grande’’ manifestation gaulliste, il y aurait très amplement suffi.



La dernière séquence fut celle qui s’étendit jusqu’aux élections législatives. On revenait à du classique : une campagne électorale. Dans laquelle je m’investirai comme je n’irai le faire pour aucun autre scrutin ultérieur.


Après le discours du retour de Baden-Baden de de Gaulle, et après la scénarisation médiatique qui avait élevé le succès de la manifestation gaulliste des Champs-Elysées au niveau d’un plébiscite patriotique soldant la période des contestations, tout indiquait que les élections seraient favorables au parti gaulliste. Cela ne découragea à aucun moment mon investissement dans la campagne ; je persistais à croire à une possibilité de victoire numérique des gauches, pour désunies qu’elles fussent, et ce mi par un reste de confiance - par ce qui dans mon tempérament incline à ne rien tenir par avance pour perdu -, mi par incrédulité devant un scénario inconcevable – qu’était-il de plus invraisemblable et de plus déraisonnable que la victoire dans les urnes d’un régime qui avait subi pendant des semaines autant de preuves de sa disqualification générationnelle et sociale ?


Je fis campagne à Paris pour soutenir la candidature d’Alain Savary qui se présentait dans le 15 ème arrondissement en position de candidat investi par la gauche non communiste.


Outre mon accord avec son positionnement politique dans cette circonscription, outre la connaissance personnelle que j’avais de lui de par ma participation à son club « Socialisme et Démocratie », je portais une grande estime à Alain Savary. Sa probité morale et sa lucidité intellectuelle, son courage et sa carrière toute entière sous le signe de la vertu républicaine fondaient cette estime.



Combattant dans les Forces Navales Françaises Libres - il prit notamment possession de Saint-Pierre et Miquelon au nom de la France Libre (avant d’en devenir le député en 1951) - et Compagnon de la Libération, il avait marqué plus spécialement en deux occasions l’histoire de la IVème république : la première, en démissionnant avec éclat de son poste de ministre des affaires tunisiennes et marocaines du ministère Guy Mollet pour ne pas avaliser l’arraisonnement, au large de l’Algérie, de l’avion du roi du Maroc transportant les cinq dirigeants historiques du FNL – un acte de piraterie aérienne décidé et réalisé par l’Armée et couvert à distance par le ministre résident, Lacoste, et de surcroît un coup d’arrêt fatal infligé alors aux derniers espoirs ou essais, de négociation avec les nationalistes algériens. La seconde, en tant que rapporteur du traité de Rome, l’une des circonstances où il se trouva en complet désaccord avec Pierre Mendès France.


Par la suite, il appartint à la minorité du groupe socialiste qui refusa de voter les pleins pouvoirs exigés par le général de Gaulle à son retour au pouvoir en 1958, et fut, aux côtés notamment d’Edouard Depreux, l’un des fondateurs du Parti Socialiste Autonome issu de la gauche de la SFIO. Ce PSA se caractérisa, dans le temps de son existence, par une dénonciation irréductible du pronunciamiento militaire qui avait contribué à l’établissement du régime de la Vème république, et par une opposition, non moins irréductible, au système politique que ce régime instituait. 


Après le cheminement dans l’inattendu le plus extrême, dans le déroutant et l’inédit, ou dans la réactivation imaginative ou sectaire de positions politiques et philosophiques majoritairement tombées dans l’oubli, après l’invention incessante d’idées et de provocations en tous genres, après tout ce qui avait formé, de discours en manifs, de proclamations révolutionnaires en occupations confiscatoires, le quotidien des événements de mai 1968, la séquence des élections législatives fut un retour presque immédiatement accompli en terrain connu.


Tractages répétés, distributions méthodiques de nos professions de foi électorales aux différents étages des immeubles de la circonscription (ce temps là ne connaissait pas les digicodes), discussions à leur domicile avec amis et connaissances du quartier, réunions publiques dans les préaux d’école (un classique de la vie politique républicaine qui se pratiquait encore), heures nocturnes d’affichages de rue en rue et sur les piliers du métro aérien …


Expéditions d’affichage qui méritent une anecdote. Le temps troublé où nous étions augmentait sensiblement le risque inhérent à ce type de propagande électorale. Aussi mon beau-père fit appel à un ancien des maquis de l’Aveyron – puis, je crois, d’un groupe franc de saboteurs – qu’il avait eu à l’époque sous ses ordres, pour servir de garde du corps au très jeune futur père que j’étais.


Je n’ai pas trop bien su le détail de la protection qui m’était assignée, mais si l’expression ‘’suivre quelqu’un comme son ombre’’ a jamais eu totalement son sens et sa vérité, ce fut en la personne de cet ‘’ange gardien’’ (dans le civil, il était chauffeur-assistant technicien à l’ORTF). Qui outre de ne s’être pas un moment départi d’un mutisme absolu, réussit, soir après soir, ce tour de force de me paraître toujours rigoureusement immobile sans cesser un instant de suivre derrière moi la parallèle de tous mes déplacements de colleur d’affiche !


Sa mission accomplie, sans anicroche, il en rendit compte en ces termes: « Tout s’est bien passé. Mais, de toute façon, j’avais pris le calibre » … Dommage que je ne puisse restituer l’accent qui rehaussait cette singulière assurance délivrée a posteriori.


Nos distributions ne rencontraient pas un accueil hostile – rien que neutre le plus souvent. Les réunions publiques attiraient un public en nombre plus important que je ne l’aurais pensé, voire une forte et participative affluence en fonction des personnalités qui avaient été invitées à marquer leur soutien à notre candidat.


Je me souviens des présences, au fil des soirs, de l’actrice Françoise Brion, puis de producteurs et journalistes de l’ORTF légitimés par leur implication dans la grève de la radiotélévision publique (François-Régis Bastide et, il me semble, F. de Closets) – les réunions avec eux faisaient mieux que remplir la salle, et donnaient lieu à des débats où se retrouvait quelque chose de la spontanéité originelle des prises de parole du mois précédent.


Si l’équipe de campagne à laquelle je participais avait conçu un excès d’optimisme de ces contacts avec les électeurs du 15 ème arrondissement, les discussions à domicile que pour certains d’entre nous, nous menions (je m’y donnais beaucoup) l’auraient certainement ramenée à une plus juste appréciation de la réalité.


Les échanges s’arrêtaient peu aux propositions de notre candidat : ils tournaient presque entièrement autour de l’événementiel du mois de mai, et montraient que la durée et l’extension des troubles en tous genres avaient, au minimum, lassé une sympathie initiale et, chez beaucoup, fini par inquiéter dès lors que les contestations ne faisaient pas apparaître un dénouement constructif.


Et tout aussi nettement s’exprimait un défaut de confiance envers la gauche que nous représentions : une position soutenue par le sentiment que cette gauche, et la gauche dans son ensemble, avaient été ‘’absentes’’, qu’elles n’avaient ni compris ce qui se produisait ni su y réagir (le rejet des accords-constats de Grenelle par la ‘’base CGT’’ se trouvant cité à cet égard). Le sentiment, plus ou moins précisément formulé, qu’on nous opposait était que la gauche n’avait pas prouvé sa capacité à se saisir des rênes, qu’elle avait failli vis-à-vis du rôle qui lui incombait : se placer à la hauteur de la crise que connaissait le pays, assumer la confrontation avec des circonstances exceptionnelles, et profiler ce sur quoi celles-ci déboucheraient.


Chez nos interlocuteurs dont la sensibilité était pourtant de gauche, la conférence de presse ratée de François Mitterrand ne réunissait que des critiques : décalée par rapport au temps historique qui venait de se dérouler, elle apparaissait (même si c’était avec une part d’injustice) comme une réponse classiquement politique, sinon politicienne, à une situation du pays qui exigeait qu’on se départît des ambitions personnelles – ou qu’on ne prêtât pas le flanc au soupçon d’en avoir et de se laisser diriger par elles. Et bien plus encore qu’on aille chercher les conduites et les actes dont on se réclamerait devant les Français en dehors des vieux référentiels et des modes de fonctionnement, étatiques ou partisans , en vigueur dans à l’ordre qui s’effritait aux yeux de tous : en posant le constat d’une faillite, en traçant un cap, et en prenant date pour un changement cohérent, planifié et démocratiquement ordonné.


Une situation dans laquelle - pour traduire en termes historiques l’expression que nous recevions des attentes déçues – le discours en appelant à la légitimité de la gauche à gouverner aurait du s’élever, dans le registre de la conviction et de la symbolique à venir, au niveau des grandes interpellations adressées à la Nation, ou formulées devant elle, et consignées par l’histoire : quelque part entre la réplique de Mirabeau au Jeu de Paume et l’Appel du 18 juin.


La campagne des législatives ne s’acheva pas sur la défaite annoncée, mais sur un désastre qui laissait peut-être stupéfait jusqu’à ses bénéficiaires. Le groupe UDR détiendrait à lui seul – situation sans précédent - la majorité absolue à l’Assemblée nationale.


De Gaulle restait de Gaulle – un grand personnage qui était déjà à sa place dans l’histoire. Mais à qui recommandait à son camp (ce devait être Georges Pompidou encore Premier ministre pour quelques jours ou quelques heures) de ‘’surmonter sa victoire’’, il répliqua qu’une victoire était faite pour être exploitée.


Néanmoins, on perçu assez vite qu’il s’accommodait peu d’une majorité aussi massivement positionnée à droite – non parce que la droite autoritaire y figurait en position de force, mais parce que le conservatisme en constituait le dénominateur commun et dominait sous toutes ses formes.


Sous cet angle, on peut se demander s’il ne s’est pas employé, sur tous les sujets où il lui tenait à cœur de faire jouer le dynamisme du mouvement contre le parti-pris de l’ordre, à se défaire de l’emprise de ce conservatisme par un regain d’initiatives solitaires ou personnellement assumées : une politique étrangère plus gaulliste que jamais sous la responsabilité directe de Michel Debré, la réforme moderniste de l’Université conduite par Edgar Faure, l’adoption de la loi de décembre 1968 instaurant la protection de l’exercice du droit syndical dans les entreprises (avec la création des sections syndicales et l’institution des délégués syndicaux) – une réforme au demeurant soutenue par l’aile la plus ‘’avancée’’ du patronat et ses experts -, la majoration des droits de succession (si ma mémoire est bonne), et, pour son échec final, la réforme des régions et du Sénat – certes entachée, s’agissant du Sénat, d’une composante corporatiste, mais significative d’un dessein d’affaiblir l’emprise de notables jugés comme la première entrave, voire comme le premier parti d’obstruction, à la volonté de modernisation consubstantielle à la philosophie politique du fondateur du gaullisme.



       Le soir du résultat, l’équipe de campagne se réunit autour d’Alain Savary, sèchement battu dans le 15 ème arrondissement.


La candidate UDR, Nicole de Hauteclocque, conservait la circonscription où elle était élue depuis 1962 : petite cousine du général Leclerc, membre du réseau du colonel Rémy, et de longue date pilier du groupe gaulliste au Conseil municipal de Paris, elle possédait un nom et une position qui avaient tout pour rassurer un électorat soucieux avant tout d’ordre, de saines idées et de défense des ‘’vraies valeurs’’ (sans préjudice des bonnes mœurs, mais cet électorat devait ignorer – le bruit courut à vrai dire très peu - qu’on la disait du dernier bien avec le plus qu’infâme préfet Papon).


Le dynamisme et la conviction que chacun avait mis dans la campagne se sentaient encore pendant cette soirée qui, en elle-même, avait tout pour être lugubre. L’ambiance fut évidemment triste, mais un courant de sympathie et de complicité, qui repoussait un peu cette tristesse, circula entre nous pendant ces heures là.


Au pire moment de l’accumulation des résultats donnés par la télévision – les revers les plus improbables succédaient à gauche aux défaites les plus imméritées – je me tournai vers Alain Savary qui avaient les traits tirés par la fatigue et qui, pourtant d’une figure imperturbable, sinon indéchiffrable, d’ordinaire, laissait un peu apercevoir qu’il était marqué par l’échec ; mi à la recherche d’un semblant de soulagement dans l’humour (teinté de noir), mi faute de trouver un meilleur exutoire à ma colère devant un succès si démesuré de la droite, je lui demandai s’il ne nous restait plus qu’à prendre le maquis ou le chemin de l’exil. Il eut la gentillesse de sourire mollement.


Mais j’aurais dû conclure ce mémoire personnel des événements de mai 1968 en m’arrêtant sur un moment bien antérieur de cette même soirée. Pour l’allégorie que le hasard, l’inattendu d’une rencontre, y avaient obscurément introduit.


Comme j’arrivais dans le hall de l’immeuble où était situé l’appartement d’Alain Savary, je me retrouvai à faire groupe devant l’ascenseur avec Pierre Bérégovoy (que j’avais dû apercevoir et identifier auparavant dans un meeting, et qui possédait déjà une notoriété dans la gauche que je fréquentais) et deux personnes qui l’accompagnaient. Je leur cédai la place dans l’ascenseur. Comme je gravissais l’escalier, celui-ci me dépassa, et je le regardai monter dans les étages au-dessus de nous.


Je ne m’imaginais pas à cet instant qu’en la personne de Pierre Bérégovoy, je voyais s’élever l’espoir, tellement hors de saison ce soir là, qu’un jour la gauche arriverait aux affaires, à peu près unie et enfin victorieuse. Et qu’elle y arriverait pour un bail conséquent et plusieurs fois renouvelé. Avec des interruptions et, certes, bien des déconvenues au fil des ans.


Resterait que l’histoire qui viendrait ainsi s’écrire, avec la gauche pour acteur, ne pourrait pas être résumée, sauf injustice, aux inachèvements dont elle garderait la mémoire.


Didier LEVY – 1er février 2018

UN TÉMOIGNAGE : ‘’MAI 1968 POUR YVON ‘’.

> Article révisé (à la marge) le 03 02 2018, et re-publié sur le blogue et sur Facebook le 04 02 2018.