AVOIR TOUT CE QU’IL FAUT (et pire encore) POUR PLAIRE À « VALEURS ACTUELLLES » :
UN CRITERE POUR DEVENIR CHRONIQUEUR ATTITRÉ DE « MARIANNE » ?
Qu'on donne la parole dans Marianne[1]
à celui qui fut à l'Assemblée l'indéfectible porte-voix de la droite la plus
réactionnaire sur toutes les questions de bioéthique et de société, cela
s'appelle servir la cause de la liberté d'opinion, donc de la démocratie. Il en
irait exactement à l’identique, et le rapprochement s'impose de lui-même par la
proximité extrême des idées, d'une interview ou d'une libre tribune offertes à
Philippe de Villiers ou à Marion Maréchal Le Pen. Encore que ni l’une ni
l’autre n’eussent à leur palmarès d’avoir figuré, place du Trocadéro – et en
s’employait de surcroît à s’y rendre le plus visible possible -, aux premiers
rangs des soutiens d’un candidat à l’élection présidentielle dont chacun
pouvait être convaincu qu’il avait volé la République pendant une décennie où
il était député, ministre et Premier ministre.
On peut juste s'interroger sur la fréquence de publication qui
est réservée à M. Fromantin. Ou (et bien davantage) sur la position d'analyste
sociétal et politique qui lui est prêtée par la présentation dont bénéficient
ses textes et qui voile leur parti-pris. En occultant le positionnement
idéologique qu'ils défendent : un engagement radicalement conservateur qui
est gommé dans la parution des textes qu'accueille Marianne, au risque de faire
croire qu'on lit le propos d'un observateur et d'un commentateur objectivant la
situation et les problèmes présents de notre pays.
A cet égard, peut-il échapper qu'il n'est pas une idée, voire
pas un mot, dans cet article daté du 6 février (le hasard tombant sur cette date
hautement symbolique des assauts contre la République ...) qui ne comporte, en
sous-texte, une prédication masquée de l’ultra libéralisme : avec l'initiative
individuelle (la trop entendue "libération des talents’’ ou ‘’des
énergies"), et partant la libre concurrence, évidemment promues comme
autant de bienfaisances naturelles dispensées par la main invisible du marché ;
et, symétriquement la dénonciation d'un "fiscalisme" qui entraverait
l'éclosion d'une société d'entrepreneurs censée avoir seule la capacité
résoudre les problèmes et de surmonter
les défis - des dérèglements climatiques et écologiques aux tensions sociales.
Une prédication pour une révolution néoconservatrice qui ne
manque naturellement pas d'inclure la promotion « des richesses (...) culturelles et patrimoniales du pays », en
se gardant de dire en clair que, pour l'auteur, "culturel" et
"patrimonial" s'entendent comme des synonymes de l'héritage chrétien,
en une intellection identitaire de ces racines fantasmées et, en premier lieu, dans
la visée de la restauration de l'ordre moral enraciné dans le cléricalisme
catholique. Autant de « valeur(s) socle(s) » qui,
heureusement, n'ont rien à ce jour d'une « ambition collective » ...
Ce qui précède, bien pesé, ne serait
peut-être que d‘une importance relative (le personnage et ses idées sont assez
bien connus), si M. Fromantin n’arguait pas de la nécessité impérative « d’une gouvernance de proximité et de
confiance ».
Détonante effronterie de la part d’un édile dont la gouvernance urbanistique tient dans l’idée
fixe d’accueillir le maximum de sièges sociaux de groupes ou multinationales
jugées prestigieuses. Et dont on peut faire confiance
à la politique municipale de ce qu’elle se confondra invariablement avec les
ressorts de la rentabilité de l’immobilier d’entreprise.
Le contrecoup en étant qu’une partie de la ville est livrée
aux dévastations de continuelles déconstructions/reconstructions d’immeubles de
bureaux : autant de chantiers dits de ‘’réhabilitation’’ – mot subterfuge
mis à la place de ‘’valorisation’’ -, successifs ou simultanés, mais tous
considérables, dont le maire en cause n’accorde aucune once d’attention à l’impact
écologique pourtant plus qu’évident et sévère, ni aux nuisances les plus pénibles,
ou carrément accablantes, qui en résultent pour les riverains pendant des mois ou
des années, ni même aux manquements inouïs à la sécurité de leurs alentours
commis par les entreprises intervenantes. Sans compter, en parallèle, son
délaissement de bâtiments déclarés en péril depuis des années et, par
conséquent, exposés à des sinistres meurtriers à l’instar, dans un passé
récent, de leurs équivalents marseillais.
En bref, avant de disserter sur « La faillite de l’État », il y aurait assurément pour M.
Fromantin de quoi balayer devant sa porte, si ce qui fait en toutes choses sa
religion, et son rapport à l’habileté qu’il met à la servir, pouvaient lui
laisser entrevoir où se situent les véritables « zone(s) rouge(s) ».
Et ceci encore ne ferait que
compléter un portrait, si Marianne ne se dissimulait pas à elle-même que le
maire Fromantin est dans sa ville le propagateur d’un communautarisme
confessionnel, et qu’il dépasse de loin, en la matière, tous les exemples
fournis par ce département-cible qui est réduit à son appellation numérotée de
‘’9.3’’. Un communautarisme dont les faits saillants s’inscriraient dans tous
les médias si, lui aussi, pouvait donner lieu à la dénonciation indignée d’un
clientélisme favorable aux musulmans – qu’il est ‘’vendeur’’ de nourrir le
procès en ‘’séparatisme’’ de ces croyants-là (seraient-ils au reste plus enclins
au fondamentalisme que les croyants des autres cultes ?), et quelle jubilation
de pouvoir étoffer encore davantage – en sus de l’amalgame islam/terrorisme -
le réquisitoire qui s’appuie sur un racisme immémorial à l’encontre de
‘’l’Arabe’’ et du ‘’Noir’’ !
Quoiqu’il commette, par clientélisme électoraliste, dans son
soutien ou sa complaisance à ce communautarisme confessionnel, M. Fromantin
peut transgresser les principes républicains et s’affranchir des lois de la
République : le silence et l’impunité lui sont garantis parce que l’identitarisme
cultuel auquel il ouvre grand les vannes est le fait de courants de juifs
‘’religieux’’, sans doute historiquement et culturellement étrangers à la
‘’laïcité à la française’’, mais dont l’inclination au différencialisme est
suffisamment minoritaire ou généralement
cloisonnée pour passer sous les radars médiatiques.
De plus, cette laïcité à la française est si mal, ou si peu,
appréhendée, que les transgressions qui lui sont infligées en la ville de
Neuilly sur Seine ne sont ni mesurées à leur niveau de gravité ni qualifiées dans
leur nature exacte.
Pourtant, en le cas d’espèce, le communautarisme identitaire
servi par M. Fromantin se distingue par une visibilité qui s’imprime
durablement dans l’espace public : depuis puiseurs années, un périmètre de
rues a d’abord vu se regrouper les afflux quotidiens d’un nombre croissant de
fidèles autour de deux lieux de prière voisins correspondant à deux obédiences
différentes du judaïsme, mais également dissociées de la synagogue
‘’officielle’’, pôle séculaire et symbolique d’un judaïsme ardemment
républicain où l’on est attaché à un assimilationnisme civique dès sa date
d’entrée dans la citoyenneté. Et affluer
pareillement élèves et parents d’élèves aux abords d’un vaste établissement
scolaire, contigu à l’un des deux lieux de culte, à la conformité règlementaire
incertaine et strictement mono-confessionnel – c’est à dire voué à dispenser
aux enfants une instruction ségrégationniste.
L’importance de cette fréquentation croisée a fait essaimer, dans
ce quartier, de multiples commerces assortis à la religion : commerces
alimentaires, restaurants, traiteurs, librairies, super marché ... Plus
visiblement encore, ce périmètre de rues est maintenant fréquenté, jusqu’à
l’être à peu de choses près majoritairement les jours de célébrations
religieuses, par des croyants qui affichent, outre leur résolution à
l’entre-soi, un habillement, des couvre-chefs et autres accessoires distinctifs
qui sont autant de signes ostensibles, quand ils ne sont pas compris comme
ostentatoires, de leur appartenance confessionnelle. Des signes et des
conduites qui, par leur concentration et par la fréquence de leur exposition
dans l’espace commun, par le nombre de leurs pratiquants, et par la singularité
qui y est perçue, sont bien entendu ressentis comme une expression
communautaire on ne peut plus assumée. A laquelle est spontanément associée
l’imputation de séparatisme, quand
celle-ci n’est pas explicitée en des termes équivalents – ou finalement pires.
M. Fromantin pouvait-il ignorer ce à quoi amèneraient
inéluctablement les facilitations en tous genres et les reconnaissances, ou les
apparences de légitimations, qu’il distribuait en faveur du communautarisme
confessionnel [2]?
Tout simplement, et par un constat factuel irréfutable, à une affligeante ‘’libération
de la parole’’ - certes contenue dans le registre de ce qu’on délivre à mi-voix
et précautionneuse dans le choix des interlocuteurs - qui consiste en rien
moins qu’en une remontée conséquente et rapide du préconçu, du préjugé et des
partis pris qu’un antisémitisme multiséculaire a sédimenté dans les mentalités.
Parmi ses habitants, la concession d’un quartier à des courants religieux
fermés chacun sur eux-mêmes, et spécifiquement à ceux-ci, pouvait-elle
instrumenter autre chose que cette résurgence d’un flux venimeux
superficiellement recouvert, et manquer de produire, au fil des arrangements
électoralistes qui se faisaient jour au bénéfice des deux obédiences en cause, le
regain d’une antipathie ou d’une aversion parmi les plus indurées ?
Un questionnement qui rebondit sur le
pire de ces arrangements électoralistes. Ceux-ci expliquent-ils tout quand la
dévolution de l’espace public à des obédiences cultuelles identitaristes se
manifeste, ainsi que c’est le cas à
Neuilly sur Seine, sous sa forme la plus outrée, et la plus inouïe, qu’une
autorité municipale puisse lui donner : l’affectation, survenue en 2019, à l’occasion d’une fête religieuse
particulière et pendant plus de dix jours, d’une place de la ville à l’une des
deux obédiences visées pour que celle-ci y construise un édifice cultuel
provisoire. Sachant, au surplus, que l’agencement et la dimension
de cette construction – la Soukka attachée à la célébration de la fête juive
des Tentes[3]
-, dont l’effet est d’entraver toute circulation des passants, viennent aggraver
cette attribution qui devient tout simplement une affectation exclusive à un
culte.
Ou ne doit-on pas exclure que le maire Fromantin règle aussi par
là ses comptes, en tant que porte-étendard d’une droite ultra conservatrice et
que tenant des positionnements réactionnaires les plus endurcis, avec les
principes d’une République qui se réclame des valeurs progressistes de la
raison et, plus particulièrement, avec le corpus politique et légal d’une
laïcité de l’Etat qu’il a tout pour exécrer en ce qu’elle fait barrage au
cléricalisme.
Le plus sidérant est que cette concession d’une place de Neuilly
sur Seine à un courant cultuel – un centre Loubavitch situé dans une rue
voisine – à fin d’édification d’une Soukkot sur un site public, a été perpétrée
à deux cents mètres d’un hôtel de police. Que les autorités judiciaires et
administratives compétentes, procureur de la République et préfet du
département en tête, n’ont donc pas pu manquer d’en être parfaitement avisées -
l’auteur de ces lignes en a lui-même fait le signalement immédiat au Parquet de
Nanterre, en sus des multiples affichages de protestations républicaines qu’il
a effectués in situ, de sa mise en ligne d’une pétition – photographie à
l’appui - appelant au respect de la loi
... et des alertes réitérées qu’il a adressées à Marianne sans parvenir
à intéresser une rédaction pourtant connue pour sa disposition à défendre la
laïcité.
Pour autant, rien ne saurait donner à penser que les pouvoirs
respectivement en charge dans l’Etat de l’exécution des lois et de la
répression des violations qui leur sont causées, aient donné une suite un tant
soit peu conséquente à la connaissance qu’elles avaient de la commission par le
maire Fromantin d’une dévolution de l’espace commun à une entité confessionnelle,
dévolution complétée de l’autorisation de bâtir temporairement sur celui-ci un
lieu communautaire de célébration religieuse.
L’illégalité de la double faveur ainsi dispensée ne souffre pourtant
pas de discussion. De quels artifices qu’ait été entourée la décision (M. Fromantin optant prudemment pour l’affichage
d’un simple ‘’avis au public’’ en se gardant de la publication, plus risquée,
d’un arrêté municipal en bonne et due forme), de quels faux-semblants qu’on
ait pu, ou qu’on puisse, habiller les tentatives pour la justifier, la
législation qui a établi et qui encadre dans la République française la
séparation des pouvoirs publics et des cultes ne se prête à cet égard à aucune
interprétation[4].
Le défaussement des autorités, qui ont préféré ‘’regarder ailleurs’’, devant
une violation aussi extraordinairement grave et spectaculaire du caractère
laïque de la République, est venue garantir (ou confirmer) au maire Fromantin
qu’il pouvait impunément passer outre au respect de la loi de séparation et à sa transcription à l’ARTICLE
PREMIER de la Constitution. Et manquer ainsi, au regard de l’Etat de droit, à l’une
des obligations parmi les plus impératives dont était assorti son mandat – une
trahison de ses devoirs qui, pour tout agent public, se qualifie du mot de
forfaiture. Une assurance si bien comprise que M. Fromantin, en récidive, a
affecté l’année suivante la même place et dans les mêmes conditions, au même centre Loubavitch de Neuilly sur Seine
pour que celui-ci y construise et y installe de nouveau ‘’sa’’ Soukka pour
toute la durée de la célébration de la
fête des Tentes.
Il est vrai qu’en 2019, et a fortiori
en 2020, le maire Fromantin n’en était pas, en la matière, à des coups d’essai.
Ainsi se félicitait-il, dans un communiqué de presse du 7 mai 2018, d’avoir
pris l’initiative de l’attribution du nom de ‘‘Joseph
Sitruk, Grand Rabbin de France’’ à un espace public de sa ville – qui n’était autre, déjà,
que cette place dont on n’imaginait pas qu’elle serait concédée les deux années
suivantes à un confessionnalisme communautariste et privatisée au bénéfice de
l’érection d’un lieu de culte temporaire.
Une attribution évidemment contraire aux dispositions de la
Loi de séparation[5] en ce qu’elle visait à honorer,
ès qualités, un dignitaire cultuel, et que dès lors l’apposition d’une plaque
au nom de celui-ci constituait bien un « signe religieux » affiché
dans un « emplacement public » : être républicain, c’est être à même
de comprendre le distinguo qui décide qu’on peut très légitimement donner à une
avenue le nom de feu l’Abbé Pierre, en
hommage à l’action sociale exemplaire à laquelle ce dernier a consacré sa vie, ou
celui de l’Abbé Grégoire – promoteur de la citoyenneté des juifs à l’Assemblée
Constituante et de la première abolition de l'esclavage -, mais qu’on ne la rebaptise
pas ‘’Avenue
Jean-Marie cardinal Lustiger’’ – quels qu’aient pu être les mérites
sacerdotaux de l’intéressé.
Il ne suffisait pas que cette distinction fût bafouée (et de
plus au profit du Grand Rabbin qui avait
incarné le virage du judaïsme français et de ses institutions vers un
différencialisme fortement identitaire) : le plus ahurissant réside dans
le fait qu’aux côtés du sieur Fromantin, participèrent en personne à
l’inauguration de la place dans sa nouvelle dénomination rien moins qu’une
ministre du gouvernement en exercice et le préfet du département.
Il
n’est pas anecdotique de mentionner que l’auteur de ces lignes, en la
circonstance, avait engagé sa première initiative d’interpellations publiques. Outre
ses affichages répétés de protestations républicaines, y compris bien sûr numériques,
il avait poussé ses engagements jusqu’à saisir, dès le mois de juin 2018, le
préfet des Hauts-de Seine en vue, argumentaire juridique à l’appui, de faire réformer
la décision du maire Fromantin (d’ailleurs actée sans vote de son conseil
municipal). En soumettant l’idée que l’annulation de l’appellation que venait
d’attribuer, illégalement, M. Fromantin à la place en cause s’accompagne de la
substitution d’une nouvelle dénomination qui marque notamment le respect dû à
la sensibilité tout particulièrement légitime des citoyens juifs, et donc aux
pratiquants du culte intéressé - à savoir : « PLACE DE L'HOMMAGE DE LA NATION AUX JUSTES de France[6]
». Plus rien donc d’une faveur clientéliste appuyant un processus de communautarisation
cultuelle et identitaire, mais la seule prise en considération de la mémoire
qui est tragiquement enracinée dans l’histoire du judaïsme et dans celle de la
nation.
Une
démarche demeurée sans retour[7],
comme s’il était devenu futile, ou comme s’il s’avérait inopportun, de rappeler
que « La République ne reconnaît, (…) aucun culte », et en vertu de ce rappel,
de faire application de la loi.
Et un engagement citoyen resté sans réaction de la part de
Marianne, dont il va de soi qu’elle avait parallèlement reçu le signalement,
très détaillé, de l’initiative attentatoire à la laïcité de la République prise
par le maire Fromantin, de ses circonstances
et de son contexte :
un signalement adressé à plusieurs signatures de la rédaction, dont celle la
directrice de la rédaction, et répété entre fin juin et fin novembre 2018.
Comme s’il n’y avait pas lieu de
signifier, en opposition à
tous les communautarismes confessionnels, la première des notions constitutives
de l’Etat républicain et inséparable de son caractère laïque – celle dont le
sens s’est fixé dans l’acception incomparable énoncée naguère par un Grand
rabbin : ‘’En France, il n’y a
qu’une communauté, la nation’’.
Le réquisitoire qu’on vent de dresser
laisse sans réponse l’énigme qui en a été la source. Parce qu’il est impensable
qu’au regard des deux séries d’alertes dont elle été destinatrice – en 2018 (affaire de la ‘’’Place Joseph Sitruk, Grand Rabbin de France’’)
et en 2019 (affaire de la première Soukka
érigée sur la même place) - Marianne ait ignore les gravissimes manquements
du maire Fromantin dont il lui était
fait état. Sauf à imaginer que les courriers de ses lecteurs sont voués à une
lecture superficielle et bâclée.
Et bien davantage encore, parce qu’il est tout simplement
inconcevable que lui aient échappé les positions prises par M. Fromantin sur la
scène publique nationale – invariablement (quoique les degrés de franchise dans
l’énonciation soient variables), l’expression d’un système de pensée où
communient un néolibéralisme étranger à tout scrupule social et un ordre moral
cléricaliste. Le premier est trop avéré pour qu’il soit utile d’y revenir. Pour
le second, il se mesure à la seule lecture de trois extraits tirés de l’entretien que M. Fromantin avait donné à « Familles Chrétiennes » entre les deux tours de l’élection
présidentielle de 2017. Référence préalable faite, bien entendu, à nos ‘’racines chrétiennes’’, on y trouve les
marqueurs cléricalo-réacs les mieux signifiants :
‘‘… le sujet fondamental qui se
pose aujourd’hui aux chrétiens (…) se
pose à l’aune de trois grands thèmes qui interpellent autant nos convictions
que nos égoïsmes : Notre regard sur le monde ; l’avenir des générations futures
; et les sujets de bioéthiques.
‘’Le 3ème sujet concerne nos valeurs de société. J’ai observé les
positions du FN au cours de ces années quand les Gouvernements de François
Hollande ont remis en cause des principes fondateurs de notre humanité. Et je
me rappelle d’une grande distance de Marine Le Pen et de Florian Philippot pour
lesquels il était urgent de ne pas s’en mêler, allant jusqu’à dire que l’abrogation
du mariage pour tous était aussi importante que « la culture du bonsaï ».
‘’Le risque existe déjà quand on voit le peu d’énergie que beaucoup de
parlementaires de la droite et du centre ont mis à défendre nos valeurs au
cours des cinq années écoulées. (…). Je suis un des seuls à n’avoir rien laissé
passer sur aucun des textes de loi : la recherche sur les cellules souches
embryonnaires, le mariage pour tous, le délit d’entrave numérique [visant les harcèlements de la
propagande anti IVG], la loi sur la fin
de vie et l’avortement comme droit fondamental’’.
Que Marianne ouvre ses colonnes à un personnage qui, s’il est bien libre de placer
les « principes fondateurs de notre
humanité » là où il croit bon de les mettre, invite à rien moins qu’à conformer les lois de
la République à la doctrine morale professée par la cléricature catholique et
ce, sur les questions de société où les injonctions du magistère romain sont
les plus largement rejetées et pour tout dire les plus empreintes d’aveuglement
des réalités humaines et les plus arriérées, démontre qu’un journal républicain
est capable d’ignorer la mise en garde fondatrice de Léon Gambette :
« Le cléricalisme, voilà
l’ennemi ! ».
Et
qu’elle fasse le choix de publier les vues de M. Fromantin – eu égard au maximalisme réactionnaire où
ce dernier se situe – dans une rubrique titrée ‘’ILS NE PENSENT PAS (FORCEMENT) COMME NOUS’’ manifeste que
l’art de la litote y atteint incontestablement son apogée.
Au
moins, sur le terrain de ces thématiques nationales, et à ce stade des accueils
dont elle a gratifié le sieur Fromantin, Marianne
aurait-elle pu prévenir des ripostes comme celle que je me suis fait
l’obligation de proposer à ses lecteurs, en faisant figurer une mise au point
de sa rédaction en regard de la nouvelle contribution de l’intéressé. Non tant
pour se dédouaner de sa bienveillance incongrue (s’il fallait en élucider les
raisons, on ne trancherait pas ici entre complaisances et accointances – en
l’état, inexplicables pour les premières et des plus invraisemblables pour les
secondes), mais juste pour répliquer à ce collaborateur occasionnel et démentir
avec éclat toute espèce de connivence avec lui. Une réplique ciblant de façon
exemplaire son appel à « RENVERSER LA TABLE ».
Et remettant en mémoire que c’est de notre filiation
révolutionnaire, dans ses grands moments d’affirmation et ses élans
d’authenticité, que sont issus les ‘’renversements
de tables’’ porteurs de sens pour le bien commun - et non du parti des
privilèges, de la naissance et de l’argent, et de l’obscurantisme religieux, celui
qui par essence ne se sépare jamais de l’intolérance quand il ne dérive pas de
lui-même vers le fanatisme. Une filiation à l’esprit de la Révolution qui revendique
du reste bien plus que des renversements de tables : toutes ces ‘’tables
rases’’ où ont pris place les avancées de la liberté et de l’égalité, de
l’abolition des privilèges à la loi de la séparation des Eglises et de l'Etat,
de l’instauration du divorce à la légalisation de la propagande anti
conceptionnelle et du recours à l’IVG, des conventions collectives et des
congés payés du Front Populaire à la création de la Sécurité sociale et aux
nationalisations de la Libération, et des libertés publiques instituées par la
IIIème république à la tardive consécration légale de l’égalité citoyenne des
femmes.
La récapitulation de ces avancées progressives aurait eu pour
effet salutaire de replacer on ne peut plus clairement M. Fromantin dans le
camp où l’Histoire le range : celui des adversaires de la République. Et
des pires lorsqu’en tant que maire, il viole ouvertement les lois auxquelles
nous devons de vivre dans une République laïque qui garantit le libre exercice
des cultes et la libre affirmation des non croyances et qui, déterminée à
rompre avec les guerres de religion de jadis et leurs Saint-Barthélemy, s’est
fixée de les faire prospérer dans la paix civile. Et lorsque, par un
électoralisme éhonté, il promeut dans sa ville
un communautarisme cultuel dont il affecte d’ignorer que l’identitarisme
surexposé concoure à
dénaturer la nation dans son acception républicaine et à la fracturer. Un adversaire
de la République des plus radicaux, aussi, comme acteur du débat public, lorsqu’à
longueur de discours et de prises de positions, il ravive les thèses les plus
rétrogrades et excite
les arguments les plus bornés à destination des ennemis de la liberté de
conscience qui ont sévi au cours des siècles sans à peu près rien apprendre, ni
oublier, dans la très longue durée de leur croisade. Dans l’accumulation non
moins étendue de leurs malfaisances.
Pour cette somme de raisons, M. Fromantin, nonobstant son
étroite notoriété, est bien l’une des figures du camp des ennemis irréductibles,
sinon irrécupérables, de la République - un camp que rejoignent celles et ceux
qui manifestent que les valeurs républicaines, les principes et les droits et
libertés que la République a affirmés, leur
restent et leur resteront inintelligibles, et par conséquent étrangers. Pour se
convaincre de la place qu’il occupe dans ce parti ou cette ligue, il suffirait au
demeurant d’identifier ce en quoi résident présentement leur première
thématique fédératrice et la première dénonciation publique de leurs orateurs :
ce ‘’mariage pour tous’’, objet d’une détestation inentamable parce que ses
contre-marcheurs, et les prédicateurs qui, tel le sieur Fromantin, les mettent en
mouvement, sont trop possédés par un esprit
d’injustice et d’erreur pour distinguer l’essentiel : à savoir que le
droit au mariage des couples homosexuels ouvre l’accès à un mariage civil dont
la loi républicaine exclut toute similitude ou ressemblance, et plus généralement
encore toute espèce de lien avec les célébrations maritales ordonnées par les
cultes - et a fortiori tout assujettissement aux prescriptions et invalidations
qui régissent les mariages confessionnels. En en faisant un contrat comme un
autre - une convention légalement formée (et donc librement conclue) qui fait la
loi des parties -, un contrat que la République authentifie pour assurer les
droits qui en découlent, à commencer par le droit à un état-civil.
Ce manifeste n’a pas caché qu’il se
voulait être un réquisitoire. Et il se lit sans doute comme une catilinaire ‘’Contre Fromantin‘’. Mais l’accusation peut
conclure ses réquisitions en y apportant comme une nuance d’indulgence – il s’entend
bien évidemment que cette indulgence ne saurait concerner, en l’occurrence, que
les reproches adressés à Marianne pour avoir ouvert ses pages à un personnage qu’elle
aurait dû tenir pour infréquentable. Par elle-même et par ses lecteurs.
Au titre donc de cette part de mansuétude qui lui est
dévolue, on concèdera qu’il y a peut-être encore assez loin, tout bien mesuré,
entre l’ébahissement et la consternation qu’on éprouve en rencontrant la
signature de M. Fromantin dans Marianne et, pour rester dans un ordre d’idées
voisin, l’effarement outré que provoquerait la mention de celle d’Alain Soral au
sommaire d’un hebdomadaire de la presse israélienne.
Didier
Lévy
13 février 2021
[1] Nota. MARIANNE N° 1247 – du 5 au 11 février 2021 : « COMMENT RENVERSER LA TABLE » par JC Fromantin.
[2] On ne s’arrêtera pas ici aux indices qui convergent sur la prise en compte au sein de ce périmètre du même critère communautaro-cultuel dans les attributions de logements sociaux.
[3] Pour la même fête de Soukkot, les deux autres obédiences du judaïsme local, plus significativement présentes, et qu’on s’est efforcé de cerner dans leur rapport différencié à la République, ont en revanche installé la Soukka à l’intérieur des emprises de leurs lieux de culte respectifs.
[4] La loi prescrit qu’« il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture privés, ainsi que des musées ou expositions ». Le commentaire ajoute que l’esprit qui inspire cette disposition est celui de la neutralité des autorités publiques, et en particulier des municipalités. En décidant l’érection d’un monument religieux, une municipalité marquerait sa préférence pour un culte au détriment du reste de la population.
[5] Idem.
[6] Avec la suggestion que la plaque correspondante reproduise le texte de l’inscription consacrant cet hommage que le 18 janvier 2007, Jacques Chirac, Président de la République, et Simone Veil, présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et ancienne déportée, ont inauguré dans la crypte du Panthéon de Paris : « Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d’occupation, des lumières, par milliers, refusèrent de s’éteindre. Nommés « Justes parmi les nations » ou restés anonymes, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé des Juifs des persécutions antisémites et des camps d’extermination. Bravant les risques encourus, ils ont incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité. ».
[7] Sinon que la plaque "Place Joseph H. Sitruk ..." ayant été l’objet d’un enlèvement peu après son inauguration, les affichages protestataires de l’auteur de cette démarche lui valurent d’être dénoncé comme le coupable de ce vol. Dénonciation prise au sérieux par le Parquet (qui écarta toutefois une possible motivation antisémite – sur une considération patronymique, le plus vraisemblablement ...), ce qui entraîna pour l’intéressé d’être entendu 3 h durant au commissariat de police de Neuilly sur Seine. Une audition irréprochable, par sa civilité légaliste, de la part des fonctionnaires de police et facilement convaincante, mais suivie – comme couverture vis-à-vis de la hiérarchie - d’une perquisition (rapide) de son domicile. La plaque fut diigentement remplacée par la mairie, et même dédoublée pour une meilleure visibilité de la part des passants... Il est à noter que seules dans leur cas, les plaques successives ne comportent pas l’indication du nom de la ville, probablement un déguisement artificieusement conçu pour prévenir des réactions à l’éventuelle diffusion de leur captation photographique.