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mardi 16 février 2021

‘’ CONTRE FROMANTIN ‘’ / un réquisitoire, et une interpellation à l’endroit de Marianne qui additionne les publications offertes à ce personnage.


AVOIR TOUT CE QU’IL FAUT (et pire encore) POUR PLAIRE À « VALEURS ACTUELLLES » :

UN CRITERE POUR DEVENIR CHRONIQUEUR ATTITRÉ DE « MARIANNE » ?

Qu'on donne la parole dans Marianne[1] à celui qui fut à l'Assemblée l'indéfectible porte-voix de la droite la plus réactionnaire sur toutes les questions de bioéthique et de société, cela s'appelle servir la cause de la liberté d'opinion, donc de la démocratie. Il en irait exactement à l’identique, et le rapprochement s'impose de lui-même par la proximité extrême des idées, d'une interview ou d'une libre tribune offertes à Philippe de Villiers ou à Marion Maréchal Le Pen. Encore que ni l’une ni l’autre n’eussent à leur palmarès d’avoir figuré, place du Trocadéro – et en s’employait de surcroît à s’y rendre le plus visible possible -, aux premiers rangs des soutiens d’un candidat à l’élection présidentielle dont chacun pouvait être convaincu qu’il avait volé la République pendant une décennie où il était député, ministre et Premier ministre.

On peut juste s'interroger sur la fréquence de publication qui est réservée à M. Fromantin. Ou (et bien davantage) sur la position d'analyste sociétal et politique qui lui est prêtée par la présentation dont bénéficient ses textes et qui voile leur parti-pris. En occultant le positionnement idéologique qu'ils défendent : un engagement radicalement conservateur qui est gommé dans la parution des textes qu'accueille Marianne, au risque de faire croire qu'on lit le propos d'un observateur et d'un commentateur objectivant la situation et les problèmes présents de notre pays.

A cet égard, peut-il échapper qu'il n'est pas une idée, voire pas un mot, dans cet article daté du 6 février (le hasard tombant sur cette date hautement symbolique des assauts contre la République ...) qui ne comporte, en sous-texte, une prédication masquée de l’ultra libéralisme : avec l'initiative individuelle (la trop entendue "libération des talents’’ ou ‘’des énergies"), et partant la libre concurrence, évidemment promues comme autant de bienfaisances naturelles dispensées par la main invisible du marché ; et, symétriquement la dénonciation d'un "fiscalisme" qui entraverait l'éclosion d'une société d'entrepreneurs censée avoir seule la capacité résoudre  les problèmes et de surmonter les défis - des dérèglements climatiques et écologiques aux tensions sociales.

Une prédication pour une révolution néoconservatrice qui ne manque naturellement pas d'inclure la promotion « des richesses (...) culturelles et patrimoniales du pays », en se gardant de dire en clair que, pour l'auteur, "culturel" et "patrimonial" s'entendent comme des synonymes de l'héritage chrétien, en une intellection identitaire de ces racines fantasmées et, en premier lieu, dans la visée de la restauration de l'ordre moral enraciné dans le cléricalisme catholique.  Autant de « valeur(s) socle(s) » qui, heureusement, n'ont rien à ce jour d'une « ambition collective » ...

 

Ce qui précède, bien pesé, ne serait peut-être que d‘une importance relative (le personnage et ses idées sont assez bien connus), si M. Fromantin n’arguait pas de la nécessité impérative « d’une gouvernance de proximité et de confiance ». 

Détonante effronterie de la part d’un édile dont la gouvernance urbanistique tient dans l’idée fixe d’accueillir le maximum de sièges sociaux de groupes ou multinationales jugées prestigieuses. Et dont on peut faire confiance à la politique municipale de ce qu’elle se confondra invariablement avec les ressorts de la rentabilité de l’immobilier d’entreprise.

Le contrecoup en étant qu’une partie de la ville est livrée aux dévastations de continuelles déconstructions/reconstructions d’immeubles de bureaux : autant de chantiers dits de ‘’réhabilitation’’ – mot subterfuge mis à la place de ‘’valorisation’’ -, successifs ou simultanés, mais tous considérables, dont le maire en cause n’accorde aucune once d’attention à l’impact écologique pourtant plus qu’évident et sévère, ni aux nuisances les plus pénibles, ou carrément accablantes, qui en résultent pour les riverains pendant des mois ou des années, ni même aux manquements inouïs à la sécurité de leurs alentours commis par les entreprises intervenantes. Sans compter, en parallèle, son délaissement de bâtiments déclarés en péril depuis des années et, par conséquent, exposés à des sinistres meurtriers à l’instar, dans un passé récent, de leurs équivalents marseillais.  En bref, avant de disserter sur « La faillite de l’État », il y aurait assurément pour M. Fromantin de quoi balayer devant sa porte, si ce qui fait en toutes choses sa religion, et son rapport à l’habileté qu’il met à la servir, pouvaient lui laisser entrevoir où se situent les véritables « zone(s) rouge(s) ».

 

Et ceci encore ne ferait que compléter un portrait, si Marianne ne se dissimulait pas à elle-même que le maire Fromantin est dans sa ville le propagateur d’un communautarisme confessionnel, et qu’il dépasse de loin, en la matière, tous les exemples fournis par ce département-cible qui est réduit à son appellation numérotée de ‘’9.3’’. Un communautarisme dont les faits saillants s’inscriraient dans tous les médias si, lui aussi, pouvait donner lieu à la dénonciation indignée d’un clientélisme favorable aux musulmans – qu’il est ‘’vendeur’’ de nourrir le procès en ‘’séparatisme’’ de ces croyants-là (seraient-ils au reste plus enclins au fondamentalisme que les croyants des autres cultes ?), et quelle jubilation de pouvoir étoffer encore davantage – en sus de l’amalgame islam/terrorisme - le réquisitoire qui s’appuie sur un racisme immémorial à l’encontre de ‘’l’Arabe’’ et du ‘’Noir’’ !

Quoiqu’il commette, par clientélisme électoraliste, dans son soutien ou sa complaisance à ce communautarisme confessionnel, M. Fromantin peut transgresser les principes républicains et s’affranchir des lois de la République : le silence et l’impunité lui sont garantis parce que l’identitarisme cultuel auquel il ouvre grand les vannes est le fait de courants de juifs ‘’religieux’’, sans doute historiquement et culturellement étrangers à la ‘’laïcité à la française’’, mais dont l’inclination au différencialisme est suffisamment minoritaire ou  généralement cloisonnée pour passer sous les radars médiatiques.

De plus, cette laïcité à la française est si mal, ou si peu, appréhendée, que les transgressions qui lui sont infligées en la ville de Neuilly sur Seine ne sont ni mesurées à leur niveau de gravité ni qualifiées dans leur nature exacte.

Pourtant, en le cas d’espèce, le communautarisme identitaire servi par M. Fromantin se distingue par une visibilité qui s’imprime durablement dans l’espace public : depuis puiseurs années, un périmètre de rues a d’abord vu se regrouper les afflux quotidiens d’un nombre croissant de fidèles autour de deux lieux de prière voisins correspondant à deux obédiences différentes du judaïsme, mais également dissociées de la synagogue ‘’officielle’’, pôle séculaire et symbolique d’un judaïsme ardemment républicain où l’on est attaché à un assimilationnisme civique dès sa date d’entrée dans la citoyenneté.  Et affluer pareillement élèves et parents d’élèves aux abords d’un vaste établissement scolaire, contigu à l’un des deux lieux de culte, à la conformité règlementaire incertaine et strictement mono-confessionnel – c’est à dire voué à dispenser aux enfants une instruction ségrégationniste.

L’importance de cette fréquentation croisée a fait essaimer, dans ce quartier, de multiples commerces assortis à la religion : commerces alimentaires, restaurants, traiteurs, librairies, super marché ... Plus visiblement encore, ce périmètre de rues est maintenant fréquenté, jusqu’à l’être à peu de choses près majoritairement les jours de célébrations religieuses, par des croyants qui affichent, outre leur résolution à l’entre-soi, un habillement, des couvre-chefs et autres accessoires distinctifs qui sont autant de signes ostensibles, quand ils ne sont pas compris comme ostentatoires, de leur appartenance confessionnelle. Des signes et des conduites qui, par leur concentration et par la fréquence de leur exposition dans l’espace commun, par le nombre de leurs pratiquants, et par la singularité qui y est perçue, sont bien entendu ressentis comme une expression communautaire on ne peut plus assumée. A laquelle est spontanément associée l’imputation de séparatisme, quand celle-ci n’est pas explicitée en des termes équivalents – ou finalement pires.

M. Fromantin pouvait-il ignorer ce à quoi amèneraient inéluctablement les facilitations en tous genres et les reconnaissances, ou les apparences de légitimations, qu’il distribuait en faveur du communautarisme confessionnel [2]? Tout simplement, et par un constat factuel irréfutable, à une affligeante ‘’libération de la parole’’ - certes contenue dans le registre de ce qu’on délivre à mi-voix et précautionneuse dans le choix des interlocuteurs - qui consiste en rien moins qu’en une remontée conséquente et rapide du préconçu, du préjugé et des partis pris qu’un antisémitisme multiséculaire a sédimenté dans les mentalités. Parmi ses habitants, la concession d’un quartier à des courants religieux fermés chacun sur eux-mêmes, et spécifiquement à ceux-ci, pouvait-elle instrumenter autre chose que cette résurgence d’un flux venimeux superficiellement recouvert, et manquer de produire, au fil des arrangements électoralistes qui se faisaient jour au bénéfice des deux obédiences en cause, le regain d’une antipathie ou d’une aversion parmi les plus indurées ?

Un questionnement qui rebondit sur le pire de ces arrangements électoralistes. Ceux-ci expliquent-ils tout quand la dévolution de l’espace public à des obédiences cultuelles identitaristes se manifeste, ainsi que c’est le cas à Neuilly sur Seine, sous sa forme la plus outrée, et la plus inouïe, qu’une autorité municipale puisse lui donner : l’affectation, survenue en 2019, à l’occasion d’une fête religieuse particulière et pendant plus de dix jours, d’une place de la ville à l’une des deux obédiences visées pour que celle-ci y construise un édifice cultuel provisoire. Sachant, au surplus, que l’agencement et la dimension de cette construction – la Soukka attachée à la célébration de la fête juive des Tentes[3] -, dont l’effet est d’entraver toute circulation des passants, viennent aggraver cette attribution qui devient tout simplement une affectation exclusive à un culte.

Ou ne doit-on pas exclure que le maire Fromantin règle aussi par là ses comptes, en tant que porte-étendard d’une droite ultra conservatrice et que tenant des positionnements réactionnaires les plus endurcis, avec les principes d’une République qui se réclame des valeurs progressistes de la raison et, plus particulièrement, avec le corpus politique et légal d’une laïcité de l’Etat qu’il a tout pour exécrer en ce qu’elle fait barrage au cléricalisme. 

Le plus sidérant est que cette concession d’une place de Neuilly sur Seine à un courant cultuel – un centre Loubavitch situé dans une rue voisine – à fin d’édification d’une Soukkot sur un site public, a été perpétrée à deux cents mètres d’un hôtel de police. Que les autorités judiciaires et administratives compétentes, procureur de la République et préfet du département en tête, n’ont donc pas pu manquer d’en être parfaitement avisées - l’auteur de ces lignes en a lui-même fait le signalement immédiat au Parquet de Nanterre, en sus des multiples affichages de protestations républicaines qu’il a effectués in situ, de sa mise en ligne d’une pétition – photographie à l’appui - appelant au respect de la loi  ... et des alertes réitérées qu’il a adressées à Marianne sans parvenir à intéresser une rédaction pourtant connue pour sa disposition à défendre la laïcité.  

Pour autant, rien ne saurait donner à penser que les pouvoirs respectivement en charge dans l’Etat de l’exécution des lois et de la répression des violations qui leur sont causées, aient donné une suite un tant soit peu conséquente à la connaissance qu’elles avaient de la commission par le maire Fromantin d’une dévolution de l’espace commun à une entité confessionnelle, dévolution complétée de l’autorisation de bâtir temporairement sur celui-ci un lieu communautaire de célébration religieuse.

L’illégalité de la double faveur ainsi dispensée ne souffre pourtant pas de discussion. De quels artifices qu’ait été entourée la décision (M. Fromantin optant prudemment pour l’affichage d’un simple ‘’avis au public’’ en se gardant de la publication, plus risquée, d’un arrêté municipal en bonne et due forme), de quels faux-semblants qu’on ait pu, ou qu’on puisse, habiller les tentatives pour la justifier, la législation qui a établi et qui encadre dans la République française la séparation des pouvoirs publics et des cultes ne se prête à cet égard à aucune interprétation[4]. Le défaussement des autorités, qui ont préféré ‘’regarder ailleurs’’, devant une violation aussi extraordinairement grave et spectaculaire du caractère laïque de la République, est venue garantir (ou confirmer) au maire Fromantin qu’il pouvait impunément passer outre au respect de la loi  de séparation et à sa transcription à l’ARTICLE PREMIER de la Constitution. Et manquer ainsi, au regard de l’Etat de droit, à l’une des obligations parmi les plus impératives dont était assorti son mandat – une trahison de ses devoirs qui, pour tout agent public, se qualifie du mot de forfaiture. Une assurance si bien comprise que M. Fromantin, en récidive, a affecté l’année suivante la même place et dans les mêmes conditions,  au même centre Loubavitch de Neuilly sur Seine pour que celui-ci y construise et y installe de nouveau ‘’sa’’ Soukka pour toute  la durée de la célébration de la fête des Tentes.

Il est vrai qu’en 2019, et a fortiori en 2020, le maire Fromantin n’en était pas, en la matière, à des coups d’essai. Ainsi se félicitait-il, dans un communiqué de presse du 7 mai 2018, d’avoir pris l’initiative de l’attribution du nom de ‘‘Joseph Sitruk, Grand Rabbin de France’’ à un espace public de sa ville – qui n’était autre, déjà, que cette place dont on n’imaginait pas qu’elle serait concédée les deux années suivantes à un confessionnalisme communautariste et privatisée au bénéfice de l’érection d’un lieu de culte temporaire.

Une attribution évidemment contraire aux dispositions de la Loi de séparation[5] en ce qu’elle visait à honorer, ès qualités, un dignitaire cultuel, et que dès lors l’apposition d’une plaque au nom de celui-ci constituait bien un « signe religieux » affiché dans un « emplacement public » : être républicain, c’est être à même de comprendre le distinguo qui décide qu’on peut très légitimement donner à une avenue  le nom de feu l’Abbé Pierre, en hommage à l’action sociale exemplaire à laquelle ce dernier a consacré sa vie, ou celui de l’Abbé Grégoire – promoteur de la citoyenneté des juifs à l’Assemblée Constituante et de la première abolition de l'esclavage -, mais qu’on ne la rebaptise pas  ’Avenue Jean-Marie cardinal Lustiger’’ – quels qu’aient pu être les mérites sacerdotaux de l’intéressé.

Il ne suffisait pas que cette distinction fût bafouée (et de plus au profit du Grand Rabbin  qui avait incarné le virage du judaïsme français et de ses institutions vers un différencialisme fortement identitaire) : le plus ahurissant réside dans le fait qu’aux côtés du sieur Fromantin, participèrent en personne à l’inauguration de la place dans sa nouvelle dénomination rien moins qu’une ministre du gouvernement en exercice et le préfet du département.

Il n’est pas anecdotique de mentionner que l’auteur de ces lignes, en la circonstance, avait engagé sa première initiative d’interpellations publiques. Outre ses affichages répétés de protestations républicaines, y compris bien sûr numériques, il avait poussé ses engagements jusqu’à saisir, dès le mois de juin 2018, le préfet des Hauts-de Seine en vue, argumentaire juridique à l’appui, de faire réformer la décision du maire Fromantin (d’ailleurs actée sans vote de son conseil municipal). En soumettant l’idée que l’annulation de l’appellation que venait d’attribuer, illégalement, M. Fromantin à la place en cause s’accompagne de la substitution d’une nouvelle dénomination qui marque notamment le respect dû à la sensibilité tout particulièrement légitime des citoyens juifs, et donc aux pratiquants du culte intéressé - à savoir : « PLACE DE L'HOMMAGE DE LA NATION AUX JUSTES de France[6] ». Plus rien donc d’une faveur clientéliste appuyant un processus de communautarisation cultuelle et identitaire, mais la seule prise en considération de la mémoire qui est tragiquement enracinée dans l’histoire du judaïsme et dans celle de la nation.

Une démarche demeurée sans retour[7], comme s’il était devenu futile, ou comme s’il s’avérait inopportun, de rappeler que « La République ne reconnaît, (…) aucun culte », et en vertu de ce rappel, de faire application de la loi.

Et un engagement citoyen resté sans réaction de la part de Marianne, dont il va de soi qu’elle avait parallèlement reçu le signalement, très détaillé, de l’initiative attentatoire à la laïcité de la République prise par le maire Fromantin, de ses circonstances et de son contexte : un signalement adressé à plusieurs signatures de la rédaction, dont celle la directrice de la rédaction, et répété entre fin juin et fin novembre 2018. Comme s’il n’y avait pas lieu de signifier, en opposition à tous les communautarismes confessionnels, la première des notions constitutives de l’Etat républicain et inséparable de son caractère laïque – celle dont le sens s’est fixé dans l’acception incomparable énoncée naguère par un Grand rabbin : ‘’En France, il n’y a qu’une communauté, la nation’’.

 

Le réquisitoire qu’on vent de dresser laisse sans réponse l’énigme qui en a été la source. Parce qu’il est impensable qu’au regard des deux séries d’alertes dont elle  été destinatrice – en 2018 (affaire de la ‘’’Place Joseph Sitruk, Grand Rabbin de France’’) et en 2019 (affaire de la première Soukka érigée sur la même place) - Marianne ait ignore les gravissimes manquements du maire Fromantin dont il lui était fait état. Sauf à imaginer que les courriers de ses lecteurs sont voués à une lecture superficielle et bâclée.  

Et bien davantage encore, parce qu’il est tout simplement inconcevable que lui aient échappé les positions prises par M. Fromantin sur la scène publique nationale – invariablement (quoique les degrés de franchise dans l’énonciation soient variables), l’expression d’un système de pensée où communient un néolibéralisme étranger à tout scrupule social et un ordre moral cléricaliste. Le premier est trop avéré pour qu’il soit utile d’y revenir. Pour le second, il se mesure à la seule lecture de trois extraits tirés de  l’entretien que M. Fromantin avait donné à « Familles Chrétiennes » entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2017. Référence préalable faite, bien entendu, à nos ‘’racines chrétiennes’’, on y trouve les marqueurs cléricalo-réacs les mieux signifiants :

‘‘…  le sujet fondamental qui se pose aujourd’hui aux chrétiens  (…) se pose à l’aune de trois grands thèmes qui interpellent autant nos convictions que nos égoïsmes : Notre regard sur le monde ; l’avenir des générations futures ; et les sujets de bioéthiques.

‘’Le 3ème sujet concerne nos valeurs de société. J’ai observé les positions du FN au cours de ces années quand les Gouvernements de François Hollande ont remis en cause des principes fondateurs de notre humanité. Et je me rappelle d’une grande distance de Marine Le Pen et de Florian Philippot pour lesquels il était urgent de ne pas s’en mêler, allant jusqu’à dire que l’abrogation du mariage pour tous était aussi importante que « la culture du bonsaï ».

‘’Le risque existe déjà quand on voit le peu d’énergie que beaucoup de parlementaires de la droite et du centre ont mis à défendre nos valeurs au cours des cinq années écoulées. (…). Je suis un des seuls à n’avoir rien laissé passer sur aucun des textes de loi : la recherche sur les cellules souches embryonnaires, le mariage pour tous, le délit d’entrave numérique [visant les harcèlements de la propagande anti IVG], la loi sur la fin de vie et l’avortement comme droit fondamental’’.

Que Marianne ouvre ses colonnes à un  personnage qui, s’il est bien libre de placer les « principes fondateurs de notre humanité » là où il croit bon de les mettre,  invite à rien moins qu’à conformer les lois de la République à la doctrine morale professée par la cléricature catholique et ce, sur les questions de société où les injonctions du magistère romain sont les plus largement rejetées et pour tout dire les plus empreintes d’aveuglement des réalités humaines et les plus arriérées, démontre qu’un journal républicain est capable d’ignorer la mise en garde fondatrice de Léon Gambette : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! ».


Et qu’elle fasse le choix de publier les vues de M. Fromantin – eu égard au maximalisme réactionnaire où ce dernier se situe – dans une rubrique titrée ‘’ILS NE PENSENT PAS (FORCEMENT) COMME NOUS’’ manifeste que l’art de la litote y atteint incontestablement son apogée.

Au moins, sur le terrain de ces thématiques nationales, et à ce stade des accueils dont elle a gratifié le sieur Fromantin, Marianne aurait-elle pu prévenir des ripostes comme celle que je me suis fait l’obligation de proposer à ses lecteurs, en faisant figurer une mise au point de sa rédaction en regard de la nouvelle contribution de l’intéressé. Non tant pour se dédouaner de sa bienveillance incongrue (s’il fallait en élucider les raisons, on ne trancherait pas ici entre complaisances et accointances – en l’état, inexplicables pour les premières et des plus invraisemblables pour les secondes), mais juste pour répliquer à ce collaborateur occasionnel et démentir avec éclat toute espèce de connivence avec lui. Une réplique ciblant de façon exemplaire son appel à « RENVERSER LA TABLE ».

Et remettant en mémoire que c’est de notre filiation révolutionnaire, dans ses grands moments d’affirmation et ses élans d’authenticité, que sont issus les ‘’renversements de tables’’ porteurs de sens pour le bien commun - et non du parti des privilèges, de la naissance et de l’argent, et de l’obscurantisme religieux, celui qui par essence ne se sépare jamais de l’intolérance quand il ne dérive pas de lui-même vers le fanatisme. Une filiation à l’esprit de la Révolution qui revendique du reste bien plus que des renversements de tables : toutes ces ‘’tables rases’’ où ont pris place les avancées de la liberté et de l’égalité, de l’abolition des privilèges à la loi de la séparation des Eglises et de l'Etat, de l’instauration du divorce à la légalisation de la propagande anti conceptionnelle et du recours à l’IVG, des conventions collectives et des congés payés du Front Populaire à la création de la Sécurité sociale et aux nationalisations de la Libération, et des libertés publiques instituées par la IIIème république à la tardive consécration légale de l’égalité citoyenne des femmes.

La récapitulation de ces avancées progressives aurait eu pour effet salutaire de replacer on ne peut plus clairement M. Fromantin dans le camp où l’Histoire le range : celui des adversaires de la République. Et des pires lorsqu’en tant que maire, il viole ouvertement les lois auxquelles nous devons de vivre dans une République laïque qui garantit le libre exercice des cultes et la libre affirmation des non croyances et qui, déterminée à rompre avec les guerres de religion de jadis et leurs Saint-Barthélemy, s’est fixée de les faire prospérer dans la paix civile. Et lorsque, par un électoralisme éhonté, il promeut dans sa ville un communautarisme cultuel dont il affecte d’ignorer que l’identitarisme surexposé concoure à dénaturer la nation dans son acception républicaine et à la fracturer. Un adversaire de la République des plus radicaux, aussi, comme acteur du débat public, lorsqu’à longueur de discours et de prises de positions, il ravive les thèses les plus rétrogrades et excite les arguments les plus bornés à destination des ennemis de la liberté de conscience qui ont sévi au cours des siècles sans à peu près rien apprendre, ni oublier, dans la très longue durée de leur croisade. Dans l’accumulation non moins étendue de leurs malfaisances.

Pour cette somme de raisons, M. Fromantin, nonobstant son étroite notoriété, est bien l’une des figures du camp des ennemis irréductibles, sinon irrécupérables, de la République - un camp que rejoignent celles et ceux qui manifestent que les valeurs républicaines, les principes et les droits et libertés que  la République a affirmés, leur restent et leur resteront inintelligibles, et par conséquent étrangers. Pour se convaincre de la place qu’il occupe dans ce parti ou cette ligue, il suffirait au demeurant d’identifier ce en quoi résident présentement leur première thématique fédératrice et la première dénonciation publique de leurs orateurs : ce ‘’mariage pour tous’’, objet d’une détestation inentamable parce que ses contre-marcheurs, et les prédicateurs qui,  tel le sieur Fromantin, les mettent en mouvement, sont trop possédés par un esprit d’injustice et d’erreur pour distinguer l’essentiel : à savoir que le droit au mariage des couples homosexuels ouvre l’accès à un mariage civil dont la loi républicaine exclut toute similitude ou ressemblance, et plus généralement encore toute espèce de lien avec les célébrations maritales ordonnées par les cultes - et a fortiori tout assujettissement aux prescriptions et invalidations qui régissent les mariages confessionnels. En en faisant un contrat comme un autre - une convention légalement formée (et donc librement conclue) qui fait la loi des parties -, un contrat que la République authentifie pour assurer les droits qui en découlent, à commencer par le droit à un état-civil.  

 

Ce manifeste n’a pas caché qu’il se voulait être un réquisitoire. Et il se lit sans doute comme une catilinaire ‘’Contre Fromantin‘’. Mais l’accusation peut conclure ses réquisitions en y apportant comme une nuance d’indulgence – il s’entend bien évidemment que cette indulgence ne saurait concerner, en l’occurrence, que les reproches adressés à Marianne pour avoir ouvert ses pages à un personnage qu’elle aurait dû tenir pour infréquentable. Par elle-même et par ses lecteurs.

Au titre donc de cette part de mansuétude qui lui est dévolue, on concèdera qu’il y a peut-être encore assez loin, tout bien mesuré, entre l’ébahissement et la consternation qu’on éprouve en rencontrant la signature de M. Fromantin dans Marianne et, pour rester dans un ordre d’idées voisin, l’effarement outré que provoquerait la mention de celle d’Alain Soral au sommaire d’un hebdomadaire de la presse israélienne.

 

Didier Lévy

13 février 2021


[1] Nota. MARIANNE N° 1247 – du  5 au 11 février 2021 : « COMMENT RENVERSER LA TABLE » par JC Fromantin.

[2] On ne s’arrêtera pas ici aux indices qui convergent sur la prise en compte au sein de ce périmètre du même critère communautaro-cultuel dans les attributions de logements sociaux.

[3] Pour la même fête de Soukkot, les deux autres obédiences du judaïsme local, plus significativement présentes, et qu’on s’est efforcé de cerner dans leur rapport différencié à la République, ont en revanche installé la Soukka à l’intérieur des emprises de leurs lieux de culte respectifs.

[4] La loi prescrit qu’« il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture privés, ainsi que des musées ou expositions ». Le commentaire ajoute que l’esprit qui inspire cette disposition est celui de la neutralité des autorités publiques, et en particulier des municipalités. En décidant l’érection d’un monument religieux, une municipalité marquerait sa préférence pour un culte au détriment du reste de la population.

[5] Idem.

[6] Avec la suggestion  que la plaque correspondante reproduise le texte de l’inscription consacrant cet hommage que le 18 janvier 2007, Jacques Chirac, Président de la République, et Simone Veil, présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et ancienne déportée, ont inauguré dans la crypte du Panthéon de Paris : « Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d’occupation, des lumières, par milliers, refusèrent de s’éteindre. Nommés « Justes parmi les nations » ou restés anonymes, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé des Juifs des persécutions antisémites et des camps d’extermination. Bravant les risques encourus, ils ont incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité. ».

[7] Sinon que la plaque "Place Joseph H. Sitruk ..." ayant été l’objet d’un enlèvement peu après son inauguration, les affichages protestataires de l’auteur de cette démarche lui valurent d’être dénoncé comme le coupable de ce vol. Dénonciation prise au sérieux par le Parquet (qui écarta toutefois une possible motivation antisémite – sur une considération patronymique, le plus vraisemblablement ...), ce qui entraîna pour l’intéressé d’être entendu 3 h durant au commissariat de police de Neuilly sur Seine. Une audition irréprochable, par sa civilité légaliste, de la part des fonctionnaires de police et facilement convaincante, mais suivie – comme couverture vis-à-vis de la hiérarchie - d’une perquisition (rapide) de son domicile. La plaque fut diigentement remplacée par la mairie, et même dédoublée pour une meilleure visibilité de la part des passants... Il est à noter que seules dans leur cas, les plaques successives ne comportent pas l’indication du nom de la ville, probablement un déguisement artificieusement conçu pour prévenir des réactions à l’éventuelle diffusion de leur captation photographique.