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lundi 29 août 2016

SOUS LES PAVÉS, LA PLAGE … UNE PLAGE AVEC OU SANS BURKINI ?


MAIS la vraie question est celle de l’appropriation pleine et entière de la citoyenneté par tous les Français musulmans. Et corrélativement celle du défi que soulève toujours la coexistence dans une même société de deux systèmes de pensée ou de valeurs antagonistes.

Pour qui a eu 20 ans en 1968, pour qui a cultivé cet ‘’esprit de mai’’ qu’abhorre rancunieusement un ancien président de la République, et pour qui s’est reconnu avec jubilation dans les plus imaginatifs slogans d’alors - celui qui reste le plus politiquement poétique « sous les pavés, la plage », ou celui-ci (bien pire car il contenait toute l’aspiration libertaire de ce printemps-là) « il est interdit d’interdire » - les arrêtés anti burkinis donnent singulièrement le vertige.

La place que nous faisions à la plage, ainsi redécouverte sous les pavés ou le bitume, était celle de la liberté. Celle d’un lieu de fête et de liberté. Donc le dernier endroit où il devait venir à l’esprit d’interdire quoique ce soit - hors quelques concessions marginales à la pudeur et hors les consignes de sécurité et d’hygiène propres aux lieux de baignade.

Le contre-exemple était donné à la même époque par ces plages de l’Espagne franquiste divisées en trois secteurs rigoureusement séparés : un secteur pour les femmes seules, un autre pour les couples mariés, et un troisième pour les hommes venus se baigner en célibataires. La mer elle-même pouvait être surveillée pour éviter des rencontres entre nageurs et nageuses contraires à ce qu’un maire du littoral de PACA ou du Pas-de-Calais désignerait comme les ‘’bonnes mœurs’’. Concept plus qu’haïssable, on s’en doute,  pour notre génération soixante-huitarde.

Il va sans dire que dans notre idée, la plage constituait un espace où tous les accoutrements étaient a priori naturels dès lors que celles et ceux qui les portaient en décidaient ainsi pour leur propre satisfaction. Ce qui laisserait aujourd’hui les laisses de mer se partager tout tranquillement entre bikinis, monokinis et maillots ‘’une pièce’’, sans compter les multiples formats des tenues de baignade masculines … avec d’aventure, de-ci-de-là, quelques burkinis ou têtes voilées venues s’égailler dans le paysage. Un paysage fait non d’un mélange de tenues de nouveau pacifié, ni de nouveau tolérant, mais tout bonnement de l’indifférence la plus générale au costume de bain de chacun.

Reste cependant que derrière la polémique inepte qui s’est déchaînée, il y a bien une question de fond. Le burkini - évidence qui commence à se faire entendre - est honni par la mouvance la plus intégriste de l’islam (ce qui n’exclut pas que tel de ses courants puisse en faire le marqueur d’une provocation identitaire), mais si le sujet ne crée pas un clivage ‘’religieux’’ là où on a imaginé que celui-ci se tenait, il renvoie à un problème extraordinairement complexe dans une république qui, au-delà de l’invention des principes dont procèdent les règles du jeu de la laïcité et de la neutralité de l’Etat, a corrélé liberté de conscience et paix civile à la définition qu’elle s’est donnée en tant que nation : à la fois une et indivisible.

Une complexité qui déborde très amplement tous les points de droit qui ont nourri la controverse. Certes, les arrêtés municipaux pris contre le port du burkini sont ce que le Conseil d’Etat, rappelant en l’espèce sa jurisprudence protectrice, en a dit : « une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales » (illégale en ce qu’aucune menace pour l’ordre public d’un niveau de gravité suffisant pour justifier l’interdiction n’est avérée). Certes, ils répondent à une intention de discrimination et de stigmatisation de nos compatriotes musulmans, ou au calcul démagogique de complaire aux franges qui rejettent le plus compulsivement l’islam et toute apparence d’une origine maghrébine. Et certes, il y a bien un conflit de droit entre l’égalité républicaine et le respect des différences.

Qui les déborde ou, plutôt, qui les attache au seul enjeu pertinent : au regard des deux piliers de la République que sont d’une part, son unité et son indivisibilité et d’autre part, la souveraineté nationale dont nulle section du peuple ne saurait s’attribuer l’exercice, aucune place ne peut être consentie à quelque communautarisme que ce soit, ni à aucune prétention identitaire ou identitariste qui émanerait d’une revendication de type communautaire. Qu’il s’agisse d’imposer à la Nation une législation dictée par une prétendue communauté ou identité, ou d’édicter au sein des mêmes prétendues entités une loi - ou une coutume tenant lieu de loi - propre à celles et ceux qui s’en reconnaîtraient membres ou auxquels il serait assignés de se considérer comme tels. Il ne sera jamais suffisamment rappelé que la France républicaine ne reconnaît qu’une seule communauté : la nation. Et qu’elle ne connaît que des citoyen(ne)s libres vivant sous une loi commune démocratiquement établie.

Là sont bien les termes du problème qu’il va falloir résoudre avant que les rejets et les séparatismes que produisent conjointement l’ignorance civique, la désespérance économique et les fractures sociales, et qui se nourrissent de toutes les formes de xénophobie et de racisme, ne mènent à des replis fortifiés par la haine et le fanatisme, à des ghettoïsation irréductibles - subies ou revendiquées - et au total à des déchirements irréparables : on vise ici bien sûr, non pas uniquement les attaques terroristes, mais bien plus largement le risque d’une progression inexorable des phénomènes de ségrégations susceptibles d’aboutir à l’émergence d’un contexte de guerre civile. Avec sans doute en premier lieu la perspective d’émeutes urbaines de plus en plus violentes, à l’instar de celles que l’Amérique a connues et connaît de façon récurrente.

Un problème qui nous confronte à l’intégration/assimilation de ce fameux ‘’islam de France’’ - ou plutôt, pour en donner la spécification adéquate, à l’appropriation pleine et entière de la citoyenneté par tous les Français musulmans. Une question qui ne se pose pas sous l’angle de la liberté et de la pluralité confessionnelles - les droits proclamés par la République garantissent celles-ci, et tout autant ce principe capital, valant pour tous les cultes, qui veut qu’aucun droit ne soit jamais absolu, sauf à ce qu’il devienne tyrannique à l’encontre des autres droits. Un principe que complète la notion de civilité qui commande la juste mesure de tact et de discrétion à mettre dans l’identification de ses croyances que l’on projette dans l’espace public, afin notamment de ne pas faire apparaître sa co-citoyenneté comme une adhésion secondaire ou subalterne.

Mais une question qui s’impose dans les termes du défi que soulève toujours la coexistence dans une même société de deux systèmes de pensée ou de valeurs antagonistes : un défi qui se dessine en l’espèce face à un système qui, dans ses références, se caractérise par son origine et sa nature patriarcales, avec les conséquences atteignant l’abominable qui découlent pour les femmes de cette origine et de cette nature - conséquences dont il va de soi qu’elles sont totalement et définitivement intolérables par la République -, et qui se trouve comme ‘’transporté’’ dans une société configurée sur les normes des démocraties européennes.

Un défi que les pessimistes regarderont en rappelant le peu de raison que fournit l’Histoire d’espérer une issue heureuse à vue humaine (qu’on songe, pour deux systèmes de foi et de valeurs dont l’antagonisme aurait pu paraître relativement circonscrit, i.e. Catholiques versus Protestants, aux décennies de guerre civiles et aux siècles de persécutions et d’affrontements croisés qui les ont opposés …).

Les optimistes n’auront, eux, pas grand-chose d’autre à avancer que l’espoir toujours un peu présent dans la formule « Laisser du temps au temps ». Formule qui vaut si, et seulement si, on fait du temps l’allié de ces trois forces inséparablement requises pour faire prévaloir une citoyenneté de raison, que sont l’intelligence, la générosité et la volonté politiques.

Didier LEVY
‘’ D’HUMEUR ET DE RAISON ‘’ - 29 08 2016


lundi 1 août 2016

ENCORE ET TOUJOURS LES SIGNES RELIGIEUX DANS L’ESPACE PUBLIC ? UN SUJET POURTANT OÙ LA PAROLE EST D'OR ET LE SILENCE DE PLOMB.

  
Un commentaire sur une salutaire prise de position
de Tahar BEN JELLOUN

«  Nous devons renoncer à tous les signes provocants d’appartenance à la religion de Mahomet. Nous n’avons pas besoin de couvrir nos femmes comme des fantômes noirs qui font peur aux enfants dans la rue. Nous n’avons pas le droit d’empêcher un médecin homme d’ausculter une musulmane. Nous n’avons pas le droit de réclamer des piscines rien que pour des femmes. Nous n’avons pas le droit de laisser faire des criminels qui ont décidé que leur vie n’a plus d’importance et qu’ils l’offrent à Daech ».
Tahar Ben Jelloun

Tahar Ben Jelloun prouve qu'en la matière, dans le temps où nous sommes, la parole est d'or et le silence de plomb.

UNE REMARQUE COMPLÉMENTAIRE VIENT A L'ESPRIT …

‘’… Renoncer à tous les signes provocants d’appartenance à la religion" : ceci ne vaut-il pas pour toutes les confessions ?

Si l'on remplace "provocants" par "ostentatoires", qui est en l'espèce synonyme, on est renvoyé à une règle de vie sociale. Une règle qui, contrairement à ce que l'on imagine sans doute d'abord, ne concerne pas la laïcité (hors l'espace scolaire, et hormis la situation spécifique des agents de l'Etat républicain et ceux qui occasionnellement - les membres d'un bureau de vote notamment - partagent ce statut).

Le libre exercice des cultes, que garantit précisément la laïcité et qu'elle concilie, comme elle le fait de la liberté de conscience, avec la paix civile, peut en effet à bon droit être invoqué à l'appui du port dans l'espace public de signes religieux ostensibles.

"Ostensible", "ostentatoire" : la nuance tient, comme on dit, dans l'épaisseur d'un papier de cigarette. Son appréciation varie de surcroît selon les lieux et les moments (jours ordinaires et jours de célébrations cultuelles par exemple), et en fonction des circonstances - apaisées ou conflictuelles.

ET SE FIXE SUR L’IMPÉRATIF DE SE METTRE EN CONFORMITÉ
     AVEC LE ‘’VIVRE ENSEMBLE’’ RÉPUBLICAIN.

L'abstention de l’exposition publique de son appartenance religieuse constitue pour chacun une règle qu'il se fixe à lui-même sur une considération de tact, de mesure et de respect pour les sentiments et la sensibilité particulière de ses concitoyens.

Autrement dit, elle relève d'un comportement civique - volontaire et raisonné - qui se fonde sur un principe de civilité : ne pas projeter dans le regard d'autrui, qui ne l'attend pas, la visibilité d'une croyance personnelle. Croyance qui appartient au domaine de l'intime et qui se "gère" et se ménage comme telle.

La projection d’une appartenance cultuelle est au surplus susceptible d'être interprétée comme signifiant (on grossit ici délibérément le trait pour être plus clairement compris) : "je crois en le seul vrai Dieu, et tu n'es qu'un mécréant". Ou comme voulant signifier de la part de son auteur qu'il / qu'elle n’appartient à la communauté nationale que secondairement, voire très secondairement, par rapport à son adhésion confessionnelle et au référentiel culturel que cette adhésion comporte à ses yeux.

Il est clair que les tensions présentes ajoutent une précaution de prudence - sans doute faut-il préférer le terme de sagesse - aux raisons de pratiquer cette abstention citoyenne et civile.

Didier LEVY - 1er août 2016
"D'HUMEUR ET DE RAISON'’
Publié sur Facebook le 31 07 2016