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vendredi 30 décembre 2016

LE FRONT POPULAIRE : UNE MÉMOIRE VIVANTE ET ACTIVE.

Rendre de nouveau intelligible la signification du Front Populaire pour lui donner toute la place qui lui revient dans les enjeux politiques de 2017.

> Oui, il importe, au regard des choix électoraux qui nous attendent, de replacer le Front Populaire au première rang dans nos centres d’intérêt, et de le repositionner dans nos débats comme une référence majeure.

¤ Une haine de classe au sens le plus pur.

Le quasi silence qui a entouré les 80 ans du ‘’Front Popu’’ est révélateur de l’état du pays et de celui de la gauche - gauche ‘’canal philosophique’’ exceptée, disons plus simplement celle qui se rend encore au Mur des Fédérés, et/ou celle qui relit le « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel.

Ce n’est pas de rancune dont il faut parler, mais de haine, à propos de la mémoire que la haute, la grande et la moyenne bourgeoisie ont gardé de cette première irruption de la gauche dans la charge des responsabilités publiques - quand bien même n’était-il question que d’exercice du pouvoir et non de prise du pouvoir pour suivre la distinction théorisée par Léon Blum.

Il convient à cet égard de se rappeler que le gouvernement du Front Populaire comptait des prolos d’origine et des fils de prolo, (et des femmes de surcroît !). Pour la droite dans son ensemble, non seulement la gauche n’a pas vocation à gouverner, mais les gens issus des basses classes sont tout juste bons à figurer décorativement sur les bancs de l’opposition - de préférence sur des strapontins.

Mais cette haine, haine de classe au sens le plus pur, s’est principalement nourrie, parmi toutes les avancées sociales que Front Populaire a réalisées et tous les bouleversements qu’il a accompagnés, de deux motifs qui renvoient à ce que le parti de l’ordre a tenu pour les plus inexpiables attentats dirigés contre lui et contre ses intérêts. D’une part, les occupations d’usines (engagées avant la formation du cabinet Blum), véritables insurrections de la dignité ouvrière que les patrons ont vécue comme une subversion du sacro-saint droit de propriété et, partant, de la légitimité de leur pouvoir absolu.

Et d’autre part, la combinaison des ‘’Quarante heures’’ et des congés payés, dénoncés comme la concrétisation du droit à la paresse : les riches, depuis le temps de l’esclavage, ont toujours détesté que les pauvres se reposent, et d’abord parce qu’à leurs yeux, ce temps de repos leur est tout simplement volé. Et non seulement volé à l’enrichissement des plus nantis auquel le temps de travail des pauvres doit servir, mais distrait de cette grande économie du temps de travail dont le capitalisme à l’impérieuse nécessité qu’elle soit assise sur une durée de travail et d’emploi précaire : pour que cette durée soit disponible sans limite si l’actionnaire en tire profit, ou pour qu’elle soit convertie en temps de chômage, partiel ou total, également à la convenance du même actionnaire.

L’exécration des 40 heures et des congés payés n’a cessé d’habiter la droite la plus indurée. C’est elle qui inspire le discours pénitentiel de Philippe Pétain sur « l’esprit de jouissance (qui) l’a emporté sur l’esprit de sacrifice », et il suffit d’écouter le programme décliné aux primaires de la droite par François Fillon pour réentendre ce discours inchangé sur le fond, et pour retrouver intactes les représentations mentales sur lesquelles il se fonde et se formate.

Une haine que le procès de Riom a voulu assouvir en imputant aux 40 heures l’impréparation et la défaite de la France en mai-juin 1940. Imputation dont Léon Blum fit si puissamment justice, mettant notamment en jeu la responsabilité du maréchal Pétain dans les choix qui en matière de défense avaient conduit à notre écroulement militaire, que le régime de Vichy fut contraint de suspendre sine die un procès qui se retournait contre lui. Et que finalement, Philippe Pétain - comme aurait pu le faire avant lui Louis XIV - décida de juger lui-même les accusés.

La légende calomnieuse d’un Front Populaire qui aurait ‘’désarmé’’ la France a montré qu’elle avait la vie dure : une preuve éloquente en a été donnée quand François Fillon l’a reprise à son compte, démontrant à quel point elle est ancrée chez les possédants et dans toutes les allégeances mémorielles des schémas de pensée typés à droite.


¤ L’homme politique le plus haï.

Riom souligne aussi l’élévation intellectuelle et morale du président du conseil du gouvernement du Front Populaire. Mais rappelle en regard de cette élévation, et du legs que représente l’œuvre accomplie en 1936, que dans notre histoire moderne, Léon Blum fut certainement l’homme politique le plus haï. Comme socialiste, comme juif, comme auteur de « Du Mariage ». Liste non limitative …

Réchappant au lynchage mené par les militants de l’Action Française le jour des obsèques de Jacques Bainville, cible de l’apostrophe hideuse de Xavier Vallat lors de la présentation à la Chambre de son ministère (« Pour la première fois, ce vieux pas gallo-romain va être gouverné …  par un Juif »), exposé à un déchaînement de la vindicte dans l’atmosphère de Vichy aux jours où se réunit l’Assemblée nationale qui abandonne le pouvoir à Philippe Pétain, mis en accusation, condamné à être emprisonné à vie puis livré aux Allemands - liste là encore non limitative -, Blum ne trouve cependant pas dans cette continuité de l’exécration et de la persécution dirigées contre la grande figure de la République qu’il a été, et pas davantage dans l’ampleur historique des réformes attachées à son gouvernement qui aurait dû y suffire, la reconnaissance publique que les républicains en général et la/les gauche(s) en particulier devraient lui manifester.

Peu de traces d’ailleurs d’une reconnaissance dans l’espace public - hors les villes de tradition ou de passé socialiste. Pour Paris, une place et une station de métro (partagée avec Voltaire … partage plutôt incongru si le défenseur du capitaine Dreyfus ne se trouvait pas ainsi associé au défenseur de Calas). Et un modeste lieu de mémoire dans la maison de sa fin de vie à Jouy-en-Josas.

Et bien moins de présence encore dans le référentiel politique d’une gauche qui ne cite pratiquement plus son nom ni son action, comme si son silence s’alignait sur la relégation historique infligée à la personne de Léon Blum - une relégation dont la droite fait sa première vengeance de sa grande peur de 1936. Ou comme si ce silence était concédé par lâcheté à la dégradation de l’image de Léon Blum que les entreprises conjuguées des castes fortunées et des phalanges composites de l’extrême-droite n’ont jamais cessé de répandre, et aussi largement que le camp républicain leur a laissé l’espace de le faire.


¤ ‘’Défaire le programme du CNR’’.

La haine a souvent été mise en avant dans les lignes qui précédent. Pour la raison que celle-ci est bien le moteur de l’hyper droitisation qu’a mise en évidence la victoire écrasante de François Fillon à la primaire de la droite.

Une hyper droitisation qui porte, outre la renaissance du cléricalisme politique, la somme de rancune et de rage dont est possédée cette France qui rêverait d’effacer tout ce qui a été écrit entre les 40 et les 35 heures. Qui a de longue date brisé le pacte républicain qui protégeait le modèle social adopté à la Libération, en déchirant du même coup le contrat social refondé à partir du programme du Conseil National de la Résistance.

Rien n’est plus éclairant à cet égard que de citer l’ex-idéologue en chef du patronat. Lequel a su résumer la restauration du capitalisme dans toute la latitude de sa profitabilité, celle de l’avant-années trente, en un mot d’ordre qui valait plan de campagne : « Il s’agit de défaire méthodiquement le programme du CNR ».

C’est encore d’un silence, ou d’une coupable inattention, dont la majorité de la gauche endosse la responsabilité en n’ayant pas retourné, et en ne retournant pas, aux ultras libéraux et aux néo-thatchériens de la droite le modus operandi ainsi énoncé, qui ramène la prétendue modernité de leurs programmes à ce qu’elle est : l’obsession d’assouvir une revanche et de récupérer en totalité des pouvoirs et des capacités d’enrichissement trop longtemps restreints.

L’objectif et la démarche tracés par Denis Kessler laissaient pourtant bien entendre que le démantèlement du corpus économique et social sur lequel le CNR avait voulu asseoir la reconstruction de la France et de la République impliquait - outre d’anéantir les avancées de justice sociale incluses dans ce corpus, et donc celles qui y prenaient place à titre de conquêtes du Front Populaire - de revenir simultanément, suivant la même logique, sur les acquis sociaux qui étaient venus par la suite développer le contrat social de la Libération, avec en la matière les dates-phares de 1968 et de 1981.

La consigne de ‘’défaire le programme du CNR’’ traçait et trace en réalité à elle seule, et contre elle, la ligne de résistance à tenir. Pour que République justifie la qualification de sociale qu’elle revendique. Une position de combat qu’il incombe à la gauche de défendre, mais pas uniquement à elle puisque l’histoire y appelle également les gaullistes ‘’de sensibilité sociale’’ et les chrétiens-sociaux, et pour personnaliser et simplifier, les héritiers d’Edmond Michelet et de Jacques Chaban-Delmas, de Robert Buron et de Paul Bacon.

Si l’on ne veut pas s’illusionner sur l’attachement à l’égalité et à la solidarité de la majorité de ceux qui devraient être les défenseurs naturels de l’une et de l’autre, le programme du CNR et les valeurs refondatrices que la République en a tirées - des valeurs auxquelles elle s’est tenue jusqu’aux ‘’privatisations Balladur’’ de 1986 - dessinent au moins une ligne partage au sein des gauches. Et de ce point de vue, il est à craindre que les plus nombreux soient ces temps-ci du mauvais côté de cette démarcation.

Du côté où l’on est disposé à consentir d’autres abandons à ‘’la main bienfaisante du marché’’, d’autres concessions à ‘’la concurrence libre et non faussée’’.

Où l’on s’est résigné à croire, selon le diagnostic à l’emporte-pièce de Michel Rocard, que « le capitalisme a gagné », et rallié à l’idée que la compétitivité est la seule grandeur et le seul devoir susceptible d’être offerts aux destinées des sociétés et des hommes.

Sans voir que de renoncements en renoncements à l’espoir qu’une autre société est possible, on se fait complice d’une régression pratiquement sans limite de l’ordre public social.

Et qu’on contribue, si on n’en accélère pas la marche, à un processus dont la fin ne consiste en rien d’autre qu’à replacer le monde du travail dans la dépossession de droits et de protections qui faisait au XIX ème la condition des ouvriers face aux patrons. En privant en premier lieu l’Etat de sa fonction de gardien du Bien commun et de garant de l’intérêt général, et des moyens de remplir sa mission de protection des citoyens. C'est-à-dire des bases mêmes sur lesquelles a reposé la construction de sa légitimité. Pour substituer à la régulation publique le libre jeu de la violence sociale exercée par les plus riches.


¤ Une nouvelle Déclaration des droits.

Face à ce processus et à l’acharnement qui l’active, l’une des digues à construire doit assurément s’édifier au cœur même de la Loi fondamentale. Par l’ajout d’une nouvelle Déclaration des droits à la constitution qui finira bien par réhabiliter le régime républicain - en réformant ou en remplaçant celle de 1958 qui conjugue les deux vices d’avoir fondé une monarchie élective à caractère plébiscitaire et de s’être prêtée, depuis son premier jour, à l’usurpation par le président de la République des attributions qu’elle réservait au gouvernement et à son chef. Une Déclaration des droits qui sanctuarisera en totalité ceux qui ont été rétablis ou proclamés à la Libération, et ceux qui ont été postérieurement acquis.

Déclarer intangibles (et opposables) les principes, droits et libertés constitutifs du contrat social qui s’est imposé « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine » réparerait l’échec qu’a constitué la non adoption de la déclaration attachée au projet de constitution du 19 avril 1946 rejeté par référendum. Un échec imparfaitement compensé par les préambules respectifs des constitutions de la IV ème et de V ème république.

Et inclure dans cette nouvelle Déclaration les droits et garanties reconnus sur le demi-siècle écoulé, ce se serait poser un obstacle de taille devant toutes les entreprises réactionnaires. Celles qui sont à l’œuvre pour détruire le cadre économique et le modèle social dessinés au temps de la Résistance, et également, bien sûr, celles qui se mobilisent pour subvertir la laïcité.


¤ Un droit conquis, une liberté proclamée : pas de retour en arrière !

Et pour finir sur une tonalité volontairement radicale, cette question : peut-on préserver les trois attributs que la République s’est donnée en se qualifiant de laïque, démocratique et sociale, et l’ensemble des sauvegardes individuelles et collectives qui valident cette triple nature, sans attacher une qualification pénale à toute entreprise concertée visant à abolir, ou à restreindre, les droits, libertés et protections soutenues par la Constitution et par la déclaration des droits incorporée à celle -ci ?

Pour quiconque se range dans une gauche authentique, la réponse ne peut être qu’affirmative - résolument et définitivement affirmative.

Didier LEVY - 29 12 2016
« D’HUMEUR ET DE RAISON »

Publié sur Facebook ce jour.

mardi 20 décembre 2016

PRÉSIDENT, JE FERAI TOUT CE QUE LA CONSTITUTION EXCLUT DE MA COMPÉTENCE ...

ET SI C’ÉTAIT LÀ LE PREMIER SUJET DE L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DE 2017 ET DES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES DU PRINTEMPS PROCHAIN ?

A en croire les études d’opinion, la majorité des Français rejettent les mesures choc du programme de M. Fillon. Un rejet qui réconforte dans la mesure où il indique que nos concitoyens ne s’alignent toujours pas sur le message qui est martelé aux Européens depuis pas loin de quatre décennies : « There is no alternative ». Mais qu'en sera-t-il si notre système plébiscitaire fait que le second tour de la présidentielle de 2017 oppose M. Fillon à Mme Le Pen ? Rejet ou pas, le choix contraint sera entre ces "mesures choc" et le risque de l'instauration d'un Etat lepéniste.

¤ Un choix faussé par la violation permanente dont notre Constitution est l’objet …

Un choix contraint, mais d'abord un choix faussé par la violation permanente dont notre Constitution est l’objet, une violation qui configure notre vie politique pratiquement depuis le jour de la promulgation de la dite constitution.

Ainsi M. Fillon qui se présente avec le projet de mettre en oeuvre une régression sans précédent de la protection sociale et de l’égalité, et une vision sociétale qui se revendique de l’ultra conservatisme, appuie-t-il ce projet sur un ensemble de mesures (1) qui sont porteuses d’un vice originel qui devrait d’emblée les invalider. Elles se heurtent en effet à l’objection, insurmontable en droit, de l’absence de compétence constitutionnelle qui invaliderait les initiatives de M. Fillon si celui-ci était élu et entreprenait de les faire appliquer.

Avant même que ces mesures soient condamnées pour le dessein qu’elles traduisent de démanteler le contrat social réécrit à la Libération et de déchirer le pacte républicain qui l’avait jusqu’ici garanti, et avant qu’y soit dénoncé le revirement réactionnaire et clérical dont elles menacent les droits les plus récemment conquis, c’est cette question préalable de l’incompétence présidentielle que la Constitution et la distribution des pouvoirs qui y est fixée exigeraient de soulever à leur encontre.

Encore faudrait-il pour que cette question préalable devînt une question citoyenne qu'on attachât au respect de la Loi fondamentale un tant soit peu de l'importance qui lui est tout naturellement portée dans un état de droit, et qui l’est dans tous les pays démocratiques autour de nous. Ce serait alors quasiment l’intégralité du projet du candidat de la droite qui se trouverait infirmé dans son énonciation.

Qu’on considère chacun des sujets sur lesquelles portent les mesures du programme de M Fillon et un constat identique saute aux yeux : pour attentivement et soigneusement qu’on cherche, il n’est pas un article, pas un sous-article, pas un alinéa de la Constitution approuvée en 1958 par 80 % des Français, qui vienne attribuer l’ombre, ni l’esquisse de l’esquisse, d’une compétence au président de la République dans les domaines auxquels s’attaque le projet du vainqueur des primaires de la droite.

Rien, absolument rien, dans la Constitution n’autorise le président de la République à décider ou à impulser des décisions politiques dans les matières où ce projet cible le modèle social qui fait corps avec la République, ou dans celles où l’auteur de ce projet affiche une lecture restrictive de la laïcité et de la séparation entre le culte catholique et l’Etat.

Durée du travail, sécurité sociale, codification du droit du travail, droit syndical et droit des institutions représentatives du personnel, protection des salariés contre les licenciements, ressources des fonctions publiques, nombre et statut des fonctionnaires, ou encore état et capacité des personnes, questions de bioéthique, et contenu des enseignements dispensés par l’école publique … dans tous ces matières l’initiative appartient concurremment au gouvernement, en la personne du Premier ministre, et au Parlement, et à eux seuls.

Dans celles qui sont de nature législative, la décision relève du vote du Parlement. Pour celles qui sont d’ordre réglementaire, et hors ce qui peut être réservé à des délibérations en Conseil des ministres, elle entre dans l’exercice des attributions du Premier ministre.

C’est bien d’une usurpation par le président de la République des compétences dévolues d’une part au gouvernement - faut-il une fois encore rappeler qu’aux termes de l’article 20 de la Constitution, ce dernier « détermine et conduit la politique de la nation » ? - et à son chef, et d’autre part au Parlement, que procède le scénario écrit par M Fillon pour sa campagne électorale : « Votez pour moi, et j’appliquerai le programme que je vous propose et sur lequel vous m’aurez investi de la fonction présidentielle ». Usurpation anticipée et par avance avalisée par sa pratique constante sous la Vème république


¤ L’usurpation présidentielle inaugurée par le fondateur de Vème république a eu tout le temps de se banaliser …

N’accablons pas plus qu’il ne le faut candidat de la droite. Tous les autres candidats ont présenté ou présenteront un programme entaché pour la même raison d’inconstitutionnalité. M. Mélenchon faisant exception dans la mesure où son projet repose sur un retour aux sources de l’esprit républicain via la conception d’une nouvelle constitution, et où sa candidature se distingue par ce qui en fait d’abord une invitation adressée au peuple français de lui donner mandat de conduire un changement de régime politique.

Si tous les autres candidats sont conduits à afficher la même méconnaissance de la délimitation constitutionnelle des attributions du président de la République, comme l’ont fait tous leurs devanciers et par conséquent tous les présidents élus, c’est que l’usurpation présidentielle inaugurée par le fondateur de Vème république a eu tout le temps de se banaliser - un temps qui a été seulement suspendu par le retour au respect des textes et des règles auquel ont obligé les périodes de cohabitation.

Ce qui est devenu, dans l’esprit de nos concitoyens, la lecture naturelle de la Constitution de 1958 et la configuration normale de la fonction présidentielle se confond avec l’idée que le général de Gaulle se faisait de l’une et de l’autre : ayant dû, dans les institutions en préparation, concéder une empreinte parlementaire très accusée, et a priori dominante, aux chefs des partis de la IV ème république qu’il avait appelé à ses côtés dans le dernier ministère de cette république, celui-ci imposa dès la mise en place du nouveau régime sa conception personnelle du rôle du chef de l’Etat, et d’abord sa représentation de ce chef. Une conception et une représentation qui allaient gouverner sans partage à partir de la nomination de Georges Pompidou comme Premier ministre.

La vision monarcho-présidentialiste portée par Charles de Gaulle eut en la personne de ce dernier un pédagogue hors pair : à titre d’exemples, son affirmation de ce qu’il ne saurait y avoir de dyarchie à la tête de l’Etat (ce qui n’était au demeurant aucunement le problème posé s’agissant du respect de la Constitution), ou sa gouailleuse interpellation à l’adresse de ceux qui auraient pu s’imaginer qu’il était revenu au pouvoir pour inaugurer les chrysanthèmes ou le Salon de l’Auto, ont contribué à asseoir au fil de son règne une conviction majoritaire en faveur de la normalité du fonctionnement des institutions.

Et à qui soutenait que ce fonctionnement penchait tout au contraire du côté du ‘’coup d’état permanent’’ pour ce qui était des attributions accaparées par le président de la République, la doctrine gaulliste opposait l’étrange argument qu’un ‘’esprit de la Constitution’’ engendré par la forme plébiscitaire de légitimation qui s’attachait au chef de l’Etat avait prévalu sur la lettre de la Loi fondamentale, et jusqu’au point d’abolir la répartition des compétences délimitée par celle-ci.

Après le départ du général de Gaulle, cet ‘’esprit de la Constitution’’ - fortifié par le souvenir conservé et magnifié de l’exercice gaullien du pouvoir - a continué à régir la vie de nos institutions et à régler notre vie publique par rapport à celles-ci. Et pour la Vème république, les premières élections présidentielles tenues hors de l’ombre portée de son fondateur ont été, par consensus ou tacite acceptation/résignation, la confirmation de sa dénaturation en césaro-présidentialisme - constat valant ensuite de 1981 à 2012.


¤ Concourir pour un mandat ramené aux compétences constitutionnelles du président : une intention partagée par toutes les gauches ?

La dégradation morale et l’affaiblissement de la gouvernance qui ont respectivement marqué les deux derniers mandats présidentiels, donnent à nos concitoyens - pour la première fois depuis le référendum de 1962, ou depuis la confrontation du second tour de l’élection présidentielle de 1969 - la matière d’un ré examen de l’acceptabilité qu’ils ont accordée aux captations de compétences qui ont transféré l’exercice du pouvoir exécutif au président de la République.

Un réexamen dont la conclusion est déjà tirée dans le programme de M. Mélenchon auquel l’élaboration d’une nouvelle constitution authentiquement républicaine sert de socle. Lucide et méritoire intention, mais dont aucun démocrate cohérent avec lui-même ne peut concevoir qu’elle ne soit pas commune à tous les candidats se réclamant de près ou de loin de la gauche.

Cependant, cette intention serait-elle partagée et affichée comme telle par ces candidats, le nombre de ceux-ci, et la dispersion de voix qui en résultera, excluent presque à coup sûr qu’aucun d’entre eux accède au second tour de l’élection présidentielle de 2017. Ce qui destine tout projet de révision constitutionnelle, collectif ou distinct, proposé de leur part au corps électoral à être rangé dans les rayons des ouvrages de théorie politique. Aux fins de conservation en attendant d’hypothétiques circonstances plus favorables à sa réalisation.

La défaite ainsi annoncée, ou l’échec trop prévisible, sont la conséquence simplement arithmétique de l’existence de trois gauches concurrentes. Entre celle qui se réclame du socialisme ‘’canal philosophique’’, celle qui perpétue l’orientation sociale-démocrate et celle qui assimile le social libéralisme à la modernité, les antagonismes idéologiques ne sont présentement pas susceptibles d’être dépassés dans la conception d’un programme commun de gouvernement et ferment la porte à une candidature présidentielle unique.

Sauf toutefois si toutes les gauches s’accordaient sur la désignation d’un candidat qui serait appelé à se présenter devant les Français en portant exclusivement le projet d’obtenir leur confiance pour exercer la fonction de président de la République - telle que celle-ci est définie et encadrée par les disposition de la Constitution de 1958.

La cohérence ainsi mise en avant devant les électeurs, jamais rencontrée jusqu’ici sous la Vème république, entre la raison d’être d’une candidature présidentielle, i.e. l’intention politique qui dirige celle-ci, et la nature du mandat pour lequel cette candidature s’est déclarée - mandat circonscrit par le champ des compétences assignées au premier magistrat de la République -, peut sembler sortir d’un rêve républicain inaccessible. Ou paraître avoir été imaginée pour la satisfaction d’un juridisme étranger aux réalités.

Cette cohérence est pourtant ce sur quoi s’alignent, et apparemment sans même avoir besoin d’y prêter attention, toutes les républiques de l’Europe démocratiquement avancée (Islande incluse) où l’élection du président de la République procède du suffrage universel direct. Ce qui souligne une exception française qui, en l’espèce, se confond avec une arriération politique. Une arriération stupéfiante dans le pays de l’espace européen dont l’Histoire moderne est la plus symboliquement liée à une Révolution républicaine, elle-même porteuse de la proclamation d’une sacralité constitutionnelle indépassable et, partant, absolue.

Quant au débat politique entre les trois gauches, il serait renvoyé à ce qui en est institutionnellement le lieu : les élections législatives appelées à suivre l’élection présidentielle. Car les dispositions de la Constitution qui attribuent au gouvernement la détermination et la conduite de la politique de la nation font qu’il appartient aux citoyens convoqués pour décider de la majorité parlementaire qui légifèrera durant la prochaine législature, et dont seront issus le Premier ministre et son équipe ministérielle, d’arbitrer à gauche entre les plates-formes électorales de MM. Vals ou Montebourg ou Hamon, et celles présentées respectivement par M. Macron et par M. Mélenchon.

Concrètement, cela signifierait que l’engagement et la force de conviction que mobilisent aujourd’hui les candidats à l’élection présidentielle, ou les candidats à la candidature à cette élection, qui incarnent ou aspirent à incarner les idées propres à chacun des trois courants entre lesquels l’électorat de la gauche se répartit, s’investiraient dans la bataille des élections législatives.

Dans la campagne pour ces élections, les trois chefs de file des composantes de la gauche concourraient ainsi, non pour la fonction de président de la République, parce que ce n’est pas celle dans laquelle la Loi fondamentale leur confèrerait les pouvoirs les habilitant à mettre en oeuvre leur programme, mais pour celle de chef du gouvernement disposant des attributions fixées par les articles 20 et 21 de cette même Loi fondamentale … ou, en cas de défaite devant le corps électoral, pour celle de chef de l’opposition.

Une défaite dont au demeurant cette compétition interne au camp de la gauche, entre les visions politiques sur lesquelles les gauches se différencient, n’aggraverait pas le risque dès lors qu’au second tour du scrutin législatif, prévaudrait la règle du désistement en faveur du candidat le mieux placé. Règle à laquelle reviendrait donc le rôle de juge de paix entre les familles de la gauche pour l’établissement, sur la base du nombre de sièges obtenus, du rapport de leurs forces dans la séquence postélectorale.


¤ Prévenir toute nouvelle usurpation du pouvoir exécutif par le président de la République.

Resterait au candidat investi par les gauches pour l’élection à la présidence de la République à s’engager face au suffrage universel sur les actes dont, s’il était élu, il prendrait l’initiative pour prévenir - au titre de la mission qui lui incombe de veiller au respect de la Constitution - toute nouvelle usurpation du pouvoir exécutif par le président de la République, toute récidive de la captation de compétences à laquelle son élection aurait mis fin.

Cet engagement passerait le plus naturellement par l’annonce d’un référendum dans le cadre de l’article 11 de la Constitution qui permet au président de la République de soumettre aux Français « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». La consultation directe du peuple aurait pour objet d’interroger celui-ci sur l’étendue des protections additionnelles que requiert le régime républicain pour se prémunir contre des violations de la Constitution visant dans l’avenir à une restauration du présidentialisme plébiscitaire.

Le passage par cet article 11 pour réviser la Loi fondamentale a rencontré les plus vives critiques, notamment de la part de la très grande majorité des juristes, lors du recours qui y a été fait dans ce but par le général de Gaulle en 1962. La question a été tranchée dans le sens de l’interprétation de ce dernier à partir du moment où le corps électoral s’est prononcé en faveur de l’élection au suffrage universel direct du président de la République sur laquelle il était consulté selon cette procédure - finalement plus habile qu’hasardeuse …

La sécurisation maximale du mode républicain de gouvernement et la sanctuarisation corrélative du régime parlementaire, dont, dans sa forme initiale, la Constitution de 1958 - confrontée, il est vrai, à la personnalité écrasante de l’ancien chef de la France Libre - a montré qu’elle ne possédait pas les sauvegardes nécessaires pour les garantir, impliqueraient très probablement que l’interrogation des Français soit plurielle.

C’est bien parce que sa candidature aurait nécessairement engagé, au delà du rétablissement de la légalité constitutionnelle, la réhabilitation du modèle parlementaire républicain, qu’un président issu de toutes les gauches n’irait vraiment au bout de sa mission qu’en soumettant plusieurs options au suffrage universel : plus précisément trois options qui se distinguent par le degré ascendant de protection qu’elles offrent contre le retour à un pouvoir personnel à caractère monarchique.

La première solution consisterait à conserver la Constitution de 1958 en y apportant les amendements indispensables pour empêcher toute espèce de résurgence de la théorie qui a soutenu l’existence d’un ‘’domaine réservé’’ au président de la République. Par exemple, en substituant à l’énoncé « Le président de la République négocie et ratifie les traités », celui de « Le président de la République signe et ratifie les traités. Ceux-ci sont négociés en son nom ».

Et d’une façon plus générale, pour y inclure les modifications de nature à verrouiller la fonction présidentielle dans les missions d’arbitre et de garant que le texte de 1958 lui a attachées. Dans la plupart des cas, à peine plus que des nuances de rédaction suffiraient pour concentrer le rôle du président sur ces missions - ce qui ne diminuerait pas l’importance de ce rôle puisque toutes deux sont d’une portée capitale pour la nation et pour la République. Encore faudrait-il asseoir les dites fonctions d’arbitre et de garant sur la consécration institutionnelle de la neutralité du président de la République - dont il devrait être expressément spécifié qu’il est placé au-dessus des partis politiques et indépendant de ceux-ci - et sur la responsabilité qui lui revient de veiller à l’impartialité de l’Etat.

La fortification, en parallèle, des attributions du gouvernement appellerait, elle, le renfort d’amendements qui affirmeraient de la façon la plus catégorique que les articles 20 et 21 de la Constitution sont insusceptibles d’interprétations restrictives. Il conviendrait ainsi, fût-ce au prix de deux redondances successives, de compléter le texte de ces deux articles en écrivant, pour le premier, que ‘’le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation et exerce à ce titre le pouvoir exécutif de la République dans toute l’étendue de celui-ci’’, et pour le second, que ‘’le Premier ministre dirige l’action du gouvernement et est à ce titre le chef du pouvoir exécutif de la République française’’.

Sans préjudice, bien entendu, de la chasse plus extensive qu’il y aurait lieu de faire, au fil des articles, à toute disposition capable de seconder une dérive du pouvoir présidentiel hors des limites que la constitution assigne à celui-ci, ou offrant une quelconque matière pour arguer d’une équivoque ou d’une obscurité au préjudice de l’intégrité de la fonction primo ministérielle.

La deuxième option découlerait de ce constat que même appliquée en conformité avec le mode de gouvernance parlementariste qu’elle prévoyait au départ, la Constitution de 1958 resterait porteuse d’un caractère orléaniste foncièrement incompatible avec le référentiel républicain. Incompatibilité aggravée par l’autre attraction qu’elle subit, celle du bonapartisme qui émane de l’usage plébiscitaire que le premier président de la Vème république a fait du référendum et de l’hyper personnalisation du pouvoir qu’il a provoquée en faisant adopter l’élection au suffrage universel direct du premier magistrat de la République. Un bonapartisme louis-napoléonien dont la République, légataire de Victor Hugo, s’est toujours voulue l’irréductible adversaire.

Pour s’en tenir à son essence orléaniste, et quels que soient en fin de compte les amendements de précaution qu’on y introduirait, la Constitution de 1958 renvoie à la Monarchie de Juillet. Et cette filiation en appelle à l’histoire pour remettre en mémoire qu’en France, la monarchie constitutionnelle n’évolue pas naturellement vers la monarchie parlementaire, la représentation « (d)’un roi qui règne mais ne gouverne pas » n’ayant ainsi pas pu prévaloir quant elle est venue en débat sous le régime de la Charte de 1830 (le Second Empire finissant aurait peut-être apporté la preuve contraire si le désastre de Sedan n’avait pas balayé un régime qui évoluait vers un bonapartisme parlementarisé).

Un constat qui inclinerait à opter en faveur d’une nouvelle constitution strictement alignée sur le modèle-type des républiques parlementaires. Modèle dont la meilleure illustration autour de nous est probablement offerte par la constitution allemande - réserve faite de la non transposabilité de sa construction fédérale.

Et très exemplairement offerte si l’on considère plus particulièrement son mode de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale par la procédure de la motion de censure dite ‘’constructive’’ - aussi irréprochable du point de vue démocratique que pertinente en tant que facteur de stabilité de l’exécutif.

La troisième option procéderait d’un autre constat : celui de l’essence monarchique dont la fonction de président de la République a été investie par le vote, en 1873, de la loi du Septennat qui a établi l’irresponsabilité politique de son titulaire.

Certes les républicains ont par la suite retiré l’essentiel du pouvoir exécutif des mains du président de la République au profit de celles des ministres responsables devant les Chambres (la politique étrangère demeurant toutefois dans l’apanage des présidents successifs jusqu’à la fin de la Première guerre mondiale - c’est Georges Clemenceau qui marqua la césure en la matière en négociant à peu près seul les clauses du Traité de Versailles). Mais il est resté à la présidence de la République d’avoir été initialement conformée, et largement au delà des attributs symboliques dont on avait voulu qu’elle fût revêtue tel le droit de grâce, comme la préfiguration d’un trône qui attendait la mort du comte de Chambord pour être relevé.

Empreinte qui ne s’est jamais complètement effacée sous les III ème et IV ème républiques, ne serai-ce que dans le cérémonial, les représentations civiles et militaires ou les dotations diverses - toutes pompes et prévenances pourtant considérablement plus modestes que ce qu’elles devinrent sous la république suivante - appelés à souligner l’éminence de la fonction présidentielle.

Si l’on regarde cette conformation monarchique de la magistrature présidentielle non plus seulement dans sa continuité historique mais en privilégiant son origine et son dernier avatar, la similitude des effets est frappante entre la stratégie des partis royalistes durant la préfiguration de la III ème république et le dessein institutionnel du fondateur de la Vème république  : au point que la comparaison entre les pouvoirs attribués en 1875 au maréchal de Mac-Mahon en anticipant les contours d’une fonction royale restaurée, et ceux que Charles de Gaulle a confisqués entre 1959 et 1962 au bénéfice du chef de l’Etat qu’il entendait être, ne fait finalement apparaître que des différences assez infimes et globalement insignifiantes.

Tout esprit républicain peut tirer des éléments de cette analyse la conséquence que la disparition de la fonction de président de la République conforterait et ressourcerait la République.

Le ralliement à cette suppression de la magistrature présidentielle amènerait à proposer au suffrage universel une architecture constitutionnelle dans laquelle le Premier ministre ajouterait à ses attributions de chef du pouvoir exécutif la charge d’occuper la tête de l’Etat. Ce cumul fonctionnel justifierait qu’il porte dorénavant le titre de ‘’Président du gouvernement de la République’’.

Cette organisation réunissant sur une même personne la direction du gouvernement et la représentation de l’Etat - son incarnation symbolique dans une acception républicaine - trouverait un précédent dans les institutions transitoires mises en place après la Libération. Institutions qui, sur ce schéma, ont régi la France en 1945-1946 pendant les mandats des deux Assemblées constituantes, les fonctions de ‘’Président du Gouvernement Provisoire de la République’’ étant successivement exercées par le général de Gaulle, Félix Gouin, Georges Bidault et Léon Blum.

L’inscription de cette présidence du gouvernement de la République dans une constitution scrupuleusement conforme aux principes et aux normes dans lesquelles se reconnaissent les républiques parlementaires, marquerait que la République française se dote de la forme institutionnelle la plus épurée que ces républiques puissent revêtir.


¤ Des projets dont le tronc commun satisferait aux impératifs auxquels toute réhabilitation républicaine a l’obligation de répondre.

Le départage entre les trois options constitutionnelles dessinées ci-dessus qu’il reviendrait au corps électoral d’effectuer, ne saurait intervenir qu’entre des projets dont le tronc commun satisferait aux impératifs auxquels toute réhabilitation républicaine a l’obligation de répondre.

Pour s’en tenir concernant ces impératifs aux priorités qui semblent s’imposer, une table des matières en sept points  peut être dressée :

- rédiger et placer en tête de la Constitution une nouvelle déclaration des droits, reprenant et développant celle, inspirée du programme du CNR, qui accompagnait le projet constitutionnel du 19 avril 1946 (projet rejeté par référendum). Une déclaration sanctuarisant d’une part le modèle social inséré à la Libération dans le contrat républicain, et d’autre part tous les droits nouveaux acquis par les femmes depuis les années 1960, ou ayant consacré des avancées sociétales (l’abolition de la peine de mort en premier lieu) et/ou fortifié l’égalité des personnes (au bénéfice notamment des homosexuel(le)s).

- instaurer un pouvoir judiciaire en lieu et place de l’autorité judiciaire, et garantir la pleine indépendance de tous ses membres.

- consacrer le rôle du Conseil constitutionnel par sa transformation en une véritable ‘’Cour constitutionnelle’’.

- adopter la représentation proportionnelle pour toutes les élections, en y incluant une prime majoritaire, calibrée et ajustée au plus juste, quand l’élection en cause détermine la désignation d’une autorité exécutive. Et pour les scrutins qui par vocation sont de nature uninominale, s’affranchir de la religion de la majorité absolue, qui est portée à réduire et à dénaturer le choix démocratique, en reconnaissant l’entière légitimité de la volonté citoyenne exprimée à la majorité simple. Laquelle est un bon antidote au poison plébiscitaire.

- réduire à 4 ans la durée de tous les mandats électifs (hors le Sénat où un renouvellement par moitié tous les 3 ans semble convenir pour une chambre de réflexion), et limiter à 3 le nombre des mandats exécutifs locaux consécutifs.

- démocratiser le Sénat, et élargir parallèlement sa représentation des territoires à celle des forces économiques, sociales et associatives (écologiques en particulier) - élargissement entraînant sa fusion avec le CESE, mais distinguant entre les voix délibératives des sénateurs territoriaux et celles, consultatives, des représentants économiques, sociaux et associatifs.

- aligner les règles qui encadrent le fonctionnement des deux assemblées sur celles appliquées dans les autres parlements européens, et ce dans la mesure - i.e. exclusivement dans la mesure - où la comparaison avec ceux-ci manifesterait des distorsions nuisibles à l’exercice dans notre pays du pouvoir législatif et du pouvoir de contrôle des représentants de la nation.


Alignement qui ne saurait cependant en aucune manière porter atteinte au noyau le plus substantiel du parlementarisme rationnalisé qui a été l’œuvre de Michel Debré et son apport majeur dans la conception de la Constitution de 1958. Ce n’est là rien moins que le pilier sur lequel reposent, au moins pour leur part principale, la capacité d’agir des gouvernements, quelle que soit la marge majoritaire qui leur est acquise, et l’assurance dont ils disposent quant à la durée sur laquelle leur politique peut se déployer.

Fasse avant tout à cet égard que les génies protecteurs de la République dissipent enfin les ténèbres qui entourent le fameux alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution. Et qu’ils libèrent de leur a priori les censeurs de ce ‘’49-3’’ qui, à gauche principalement, exposent son dispositif au pilori des lois scélérates et ne sont pas loin d’assimiler sa mise en oeuvre à un coup d’Etat.

La réhabilitation républicaine, qui serait l’ambition attachée aux trois projets constitutionnels concurremment présentés aux Français, ne pourrait en effet se priver de l’assise que l’article 49-3, dans sa rédaction originelle, apporte à la stabilité et à la continuité de l’action de l’exécutif. Sauf pour les matières touchant aux libertés publiques, aux droits de la personne et aux questions qui relèvent des choix de conscience des élus - ce qu’on désigne couramment par les ‘’questions de société’’, il est nécessaire, et légitime, qu’en démocratie parlementaire, et pour autant que les droits et prérogatives des assemblées se tiennent au niveau où ils doivent être, un gouvernement soit toujours à même de mettre la représentation nationale devant ses responsabilités : c’est à dire devant l’alternative de le laisser agir ou d’ouvrir une crise que le suffrage universel aura à trancher.

La logique qui préside à l’application du ‘’49-3’’ s’accorde au demeurant avec la nature même du régime parlementaire. A la différence du régime présidentiel, décalqué de la monarchie constitutionnelle d’antan, où le sacre électoral confère le pouvoir pour une durée de mandat en principe garantie, le système parlementaire expose les gouvernants à se voir retirer à tout moment la confiance qui les a investis. L’alinéa si conteste, et si incompris, constitue le contrepoids naturel à la remise en cause qu’une majorité est en capacité de diriger contre l’exécutif sur tel aspect de sa politique : un contrepoids que valide ce principe constitutif du parlementarisme, et de la légitimité qui y prime, suivant lequel en démocratie on gouverne, non parce qu’on a une majorité derrière soi, mais parce qu’on n’a pas une majorité contre soi.

L’intelligence politique commande en outre de se remettre en tête que le dispositif de l’article 49-3 est fait pour soutenir des majorités parlementaires simplement relatives, ou incertaines, et que comme tel, ce sont essentiellement des gouvernements de gauche qu’il a confortés - notamment, et avant celui de Manuel Vals, le gouvernement de Michel Rocard entre 1988 et 1991.

► ► n ◄ ◄

                          Le plaidoyer qu’on a développé pour que l’élection présidentielle de 2017 soit abordée à gauche en posant devant le corps électoral la question de la Constitution - sous les deux angles de la transgression continue qui a été infligée à ses principales dispositions et de la rénovation républicaine que commande la dégradation de notre démocratie et les fractures grandissantes de la société - constitue aussi l’expression d’un remords qui devrait habiter toutes les familles composant ‘’les gauches’’.

Le remords pour tous ceux qui avaient rejeté la réforme constitutionnelle de 1962 modifiant le mode d’élection du président de la République - en prévoyant la dérive césariste et, à terme, la stimulation des poujadismes qui en seraient la conséquence -, d’avoir progressivement délaissé le combat sur le terrain institutionnel. Délaissement déjà sensible à la présidentielle de 1965, et qui, à partir de 1974, a de plus en plus exclusivement centrée l’engagement électoral sur la promotion du programme du ou des candidats de gauche.

Certes, notre génération garde imprimée en elle l’émotion intense qui l’a saisie quand sur un écran où se traçait le visage (qui fut pendant de longues secondes difficilement identifiable) du vainqueur du second tour de 1981, la voix de Jean-Pierre Elkabbach a annoncé que « François Mitterrand (était) élu président de la République ». Séquence télévisée maintes fois revue parce qu’elle appartient à l’Histoire.

Demeure que Pierre Mendès France disparu, quasiment plus aucune voix de gauche n’a fait clairement entendre la dénonciation du Commandeur visant des institutions d’esprit monarchique et la confusion des fonctions auxquelles celles-ci donnaient lieu au profit d’un président issu d’un vote plébiscitaire.

Responsables politiques, médias, juristes et citoyens se sont accommodés pendant un demi-siècle de ces deux vices attachés à la V ème république qui du point de vue républicain, auraient dû discréditer le système politique que celle-ci avait installé.

Cet accommodement s’est composé de l’habitude acquise d’un mode de vie publique dominé par la personnalisation du pouvoir, et de l’adhésion ou de la résignation des acteurs et des observateurs de cette vie publique à un état de fait regardé comme non révisable.

Ce sont les circonstances de l’élection présidentielle de 2002 qui sont venues ébranler les bases de ce consentement ou de ce renoncement, et probablement bien davantage que cela n’a été perçu à l’époque ni depuis. Pour la première fois, le second tour n’opposait plus des candidats défendant des programmes de gouvernement alternatifs, mais mettait tous les républicains en demeure de mêler leurs suffrages pour rejeter un candidat dont la personne n’était faite que d’une négation absolue de la République, de ses valeurs et de ses principes. La suite de ce rassemblement victorieux des républicains de droite et de gauche aurait dû être de placer le président élu au dessus des partis des deux bords, c’est-à-dire de renouer avec la fonction présidentielle définie par la Constitution de 1958.

On sait qu’il n’en a rien été. Et il ne pouvait pas rester sans dommages sur le processus plébiscitaire pour lequel le second tour de l’élection présidentielle a été imaginé, que celui-ci se fût conclu en 2002 sans mettre en concurrence deux projets politiques personnalisés, et que son dénouement eût été tranché par l’élection du candidat commun de la droite et de la gauche. Le tour de passe-passe par lequel ce candidat commun est redevenu ensuite, le résultat obtenu, le chef d’une majorité présidentielle réduite à la droite seule, n’ayant réussi qu’à renouer artificiellement avec la logique et l’esprit du plébiscite post gaullien.

Si le scrutin de 2002 a porté atteinte à la cohérence interne du rituel de l’élection du président de la République, le scrutin suivant a paru prendre en compte tous les paramètres définis dans la révision constitutionnelle de 1962 et mis en valeur par les exégèses favorables qui n’ont cessé de la prolonger. En 2007, le scénario proposé au suffrage universel alliait bien l’affichage d’un projet politique aux deux candidatures en compétition au second tour, et faisait incarner ces candidatures par deux personnalités exemplairement conformées au choix plébiscitaire auquel les citoyens étaient conviés. L’économie monarchique de l’élection - hors la vocation arbitrale originelle de la fonction à pourvoir - et la prétention démocratique de l’appel au peuple voulu par Charles de Gaulle étaient de plus également satisfaites.

Ce fut là une relégitimation césariste sans lendemain. Le mandat inauguré en 2007 et le mandat suivant ont été, après l’élection présidentielle de 2002, d’autres étapes d’une décrédibilisation du présidentialisme de la V ème république. Le premier pour l’indignité de son titulaire, le second pour la disqualification permanente dont en termes de compétence, de gouvernance et de résultats, son exercice a été l’objet.

L’improbité qui a sévi entre 2007 et 2012 n‘appelle pas de développement autre que la formulation du vœu citoyen de voir la justice, aidée si nécessaire par le journalisme d’enquêtes, voire par d’autres concours du type de ceux qui émanent de ‘’lanceurs d’alerte’’, éclaircir sans autres délais la somme des affaires en cause et réprimer les crimes - plus spécialement de forfaiture - et les délits qu’elle aura établis.

Pour le mandat qui a commencé à courir en 2012, l’important n’est pas tant dans la disqualification dont il a été frappé dès ses commencements - une disqualification du président dans laquelle se sont conjugués ses décisions prises contre son camp, ses louvoiements et revirements qui ont fait plus que désorienter les citoyens, et les réquisitoires outrés incessamment nourris à son encontre par les partis de droite et par les médias. Il réside dans l’aperçu global qui s’en dégage : celui de fonctions honorablement tenues dans tous les domaines où la Constitution de 1958 a donné au président de la République compétence pour agir, et dans tous les autres, ceux où les présidents de la V ème république ont perpétué la captation de pouvoirs opérée par le général de Gaulle, un bilan qui n’est fait en majorité que d’échecs plus ou moins retentissants.

Ce départage, dans le mandat qui se termine, entre mérites et faiblesses laissant entendre que l’irresponsabilité politique du président de la République peut comporter des inconvénients ou des risques limités, et même trouver une certaine raison d’être, quand elle recouvre les attributions présidentielles afférentes à la charge de garant des intérêts fondamentaux de la nation. Mais qu’elle entrave le jeu normal de la démocratie si elle s’étend à des actes touchant à la gestion ordinaire des affaires publiques, laquelle ne s’envisage pas, dans une forme moderne de gouvernement, sans que l’exécutif soit susceptible à tout instant d’être sanctionné pour ses défaillances ou ses insuccès. Pour la gravité de ses défaillances ou la poids accumulé de ses insuccès.


                          Ce survol des quinze dernières années du présidentialisme à la française, et l’analyse qui en ressort du déclin dans lequel s’enfonce le système politique de la V ème république, ne confirment-t-ils pas que les temps sont mûrs pour mettre le sujet de la constitution au cœur de la campagne présidentielle ?

Un sujet qui y a par nature sa place. Pour la raison (et là-dessus on se réclamera pour une fois du général de Gaulle) que dans un état de droit, quels que soient les problèmes du moment, leur nombre et leur gravité, la constitution est toujours l’essentiel.

Mais aujourd’hui les circonstances imposent : parce qu’après cinq décennies de contradictions et d’errance institutionnelles, l’évidence des unes et de l’autre peut convaincre les Français qu’ils ont à se déterminer en matière constitutionnelle à partir d’une interrogation qui est de l’ordre des questions-sources de la démocratie :

« Voulez-vous que le président de la République que vous aller élire respecte le champ de compétence imparti par la Constitution à l’exercice de son mandat et, dans l’affirmative, voulez-vous que la constitution qui borne ses attributions soit celle de 1958 qui s’est montrée désarmée devant l’usurpation de pouvoirs que tous ses prédécesseurs ont commise, ou une nouvelle constitution qui garantisse pour l’avenir le caractère républicain et parlementaire de nos institutions et de leur fonctionnement ? ».

Question qu’il importe d’éclairer en la confrontant au sens fondateur de l’adjectif ‘’républicain ‘’ - sens qui aurait pleinement justifié qu’on écrive ci-avant ‘’républicain et donc parlementaire’’. Et sens qu’on formulera ainsi :

’Etre républicain, c’est porter dans toutes les fibres de son être une exécration absolue et irréductible à l’égard de toute forme de pouvoir personnel’’.

Retenir cette définition, c’est également interroger les citoyens sur le mode de désignation qu’elle entraîne s’agissant du premier magistrat de la République. Et, dans l’hypothèse où ils opteraient pour une architecture constitutionnelle qui réunirait sur une même personne la direction du gouvernement et la représentation symbolique de l’Etat, pour l’élection du ‘’Président du gouvernement de la République’’.

Faire ainsi de l’élection présidentielle de 2017 le moment de décisions démocratiques engageant la restauration de la république et la réhabilitation de l’esprit et du projet républicains, n’est-ce pas conférer à ce scrutin la portée d’une refondation civique et ouvrir la porte à l’indispensable réécriture de la composante politique de notre contrat social ?

Ce qui nous éloignerait immensément des compétions d’ego ou des calculs de carrière qui ‘’plombent’’ nombre des candidatures ou pré-candidatures issues présentement des gauches, et nous situerait exactement à l’opposé de la conformation plébiscitaire qui a dénaturé l’élection du président de la République depuis la révision de 1962.

Didier LEVY - 19 12 2016
‘’D’HUMEUR ET DE RAISON’’

Publié sur Facebook ce même jour.

(1) Des mesures dont on rappellera que les plus illustratives sont :
- d’augmenter la durée du travail (de facto jusqu'au plafond des 48 h qui est la seule limite fixée dans l'UE),
- de revenir sur les garanties apportées par l'assurance-maladie, au profit de complémentaires-santé privées qui corrèlent prise en charge des soins et niveau de ressources,
- de renvoyer massivement à des accords d’entreprise les dispositions actuellement sécurisées par leur insertion au code du travail,
- de réduire les possibilités de représentation des salariés dans les entreprises,
- de donner au patronat les moyens de contourner les oppositions syndicales en interrogeant directement les salariés, autrement dit de marginaliser encore davantage les syndicats dans les entreprises - et tout spécialement dans les PME (quand les syndicats sont parvenus à s’y implanter),
- d’instaurer des formes de contrat de travail qui pour l'employeur "sécurisent" les licenciements individuels,
- de donner aux entreprises la possibilité de procéder à des licenciements collectifs de façon quasi discrétionnaire,
- d’accompagner ce démantèlement des protections sociales par un délitement supplémentaire des moyens de l’Etat, par une rétraction brutalement et dangereusement aggravée de sa présence et de sa visibilité en tant que gardien et serviteur du bien public, et par une dégradation clairement assumée de sa fonction de garant de l’intérêt général face aux intérêts privés,
- de supprimer, pour les thématiques sociétales, le droit à l'adoption plénière pour les couples homosexuels,
- et de conforter la discrimination des couples de femmes et des femmes seules en matière d'accès à la PMA, tout en aggravant la prohibition du recours la GPA (en ciblant en particulier le statut des enfants nés de celle-ci et ce, contrairement aux droits qui leur sont reconnus au niveau européen).
Le reste étant à l'avenant - dont la réécriture des manuels scolaires d’histoire pour les conformer à un roman national identitariste voué à les référer à des ‘’racines chrétiennes’’ invoquées à contresens).


dimanche 16 octobre 2016

CASSANDRE VERSUS SARKOZY

M. SARKOZY CANDIDAT, OU L’EXEMPLARITÉ DE L’IMPUNI.

Ø    Sa place est-elle sur les tréteaux de campagne ou devant ses juges ?

IL VIENT UN MOMENT OÙ L’EMPÊCHEMENT DE LA JUSTICE INTERPELLE LA RÉPUBLIQUE, et dans la France de 2016, cette interpellation tient en ceci : combien de temps le souci de la vertu civique peut-il encore s’accommoder de l’incertitude judiciaire qui protège un personnage public sur l’intégrité duquel pèsent les soupçons les plus graves, et qu’au surplus aucun scrupule d’honneur ne dissuade de postuler les plus hautes fonctions de l’Etat sans que les doutes émis sur sa probité aient été levés ?

Nicolas SARKOZY s’est donc, sans surprise, porté candidat à la candidature de son camp pour la prochaine élection présidentielle.

Il fera tout pour l’emporter, y compris le pire - avec ce personnage, le pire n’est-il pas toujours sûr ? L’escalade démagogique de son discours, entre extrémisme et non sens, en a apporté en quelques jours la confirmation attendue. Avec au demeurant un remarquable savoir-faire qui a presque masqué que sur toutes ses thématiques habituelles, il partait déjà de très haut dans les registres cumulés de l'exagération, de l’absurde et de l’inconséquence. Et non sans franchir de surcroît, en termes de décence politique, quelques limites devant lesquelles on pouvait se dire qu’il marquerait peut-être quand même le pas : il est vrai que l’objectif qu’il poursuit obsessionnellement d’une revanche sur sa défaite de 2012 ne laisse pas la place à de scrupules de convenance - si tant est que sa personnalité puisse se faire occasionnellement accueillante à ceux-ci.

Devant un Nicolas SARKOZY tout à son entreprise de reconquête du pouvoir et mobilisant à cette fin sa pugnacité la plus agressive, le désarroi vient de ce qu’on ne discerne pas ce qui pourrait stopper son élan - sauf un rejet de ses outrances par la partie modérée de l’électorat conservateur provoquant son échec, providentiel pour notre démocratie, au scrutin interne à la droite.

Et sauf - là est notre sujet - un développement judiciaire, nouveau et soudain, dans les ‘’affaires’’ auxquelles son nom est de longue date associé.

Il peu probable que ce coup d’arrêt-là résulte de l’initiative prise par le Parquet de Paris tendant à son renvoi en correctionnel dans la plus récente de ces affaires : le dossier ‘’Bygmalion’’ des irrégularités auxquelles a donné lieu le financement de sa campagne de 2012 - irrégularités aussi phénoménales que le volume des dépenses engagées. En effet, les conseils de Nicolas SARKOZY n’auront pas grand mal à faire traîner les choses bien au-delà du premier semestre de 2017 - tout en dénonçant en boucle, comme à leur habitude, un acharnement judiciaire aussi peu plausible que l’affirmation de l’innocence d’un chef mafieux dans la bouche de ses avocats.

Des affaires qui soulèvent cette interrogation : faut-il regarder comme normal que la justice - à une exception près - ne se soit toujours pas prononcée sur les accusations portées contre un ancien président de la République pour des faits liés à son élection et à la période de son mandat plus de quatre années après la fin de ce dernier ? En écartant ces accusations, en disculpant l’intéressé ou en prononçant à son encontre les sanctions prévues par la loi pour les fautes qu’il aurait commises.

n Rien n’est plus précieux que la présomption d’innocence.

Rien n’est plus précieux pour la liberté des citoyens et pour la solidité des garanties sur lesquelles celle-ci repose, que la présomption d’innocence. Ce qui légitime toutes les protections procédurales qui concourent à protéger cette présomption. Et ce qui justifie tout le parti qui peut-être tiré des ressources que ces protections offrent à la défense.

En l’espèce, ce parti a été exploité dans toute son étendue imaginable. Démontrant que tout justiciable qui dispose des capacités financières, de la notoriété et des réseaux grâce auxquels il est assuré d’être défendu par les meilleurs conseils - c'est-à-dire capables d’épuiser tous les recours que propose la loi et toutes les objections et requêtes que chaque méandre suivi par son dossier permet de soulever - confronte la justice, à quelque niveau de juridiction que ce soit, à l’insuffisance de ses effectifs et à la pauvreté de ses moyens. Une inégalité des armes qui a pour effet que chaque acte de procédure, y inclus ceux d’une mauvaise foi accomplie, vient surajouter des délais et des reports à la durée d’un parcours judiciaire dont le juge ne maîtrise plus l’allongement.

Pour le citoyen ‘’lambda’’, la lenteur des juridictions s’apparente à un déni de justice. Déni qui porte  fatalement atteinte au crédit de la justice. Un crédit attaqué bien plus gravement encore quand le ralentissement du processus judiciaire aboutit à créer une impunité de fait au bénéfice d’un personnage public. L’indignation dans ce cas est civiquement salutaire, mais ne devrait-elle pas être bien plus fortement exprimée quand le personnage en cause tire du ‘’temps judiciaire’’ l’avantage de pouvoir se présenter à une élection majeure sans que les imputations dont il est l’objet aient été éclaircies ou jugées, et avec la perspective, s’il est élu, que ces imputations en suspens soient vouées à une congélation définitive ?

Et lorsqu’il réussit de surcroît à se prévaloir du délai mis par la justice à dire s’il est ou non coupable, et de quoi, comme si l’inachèvement du travail des juges - qui est d’abord le fruit de ses efforts et de son ingéniosité - valait pour lui quitus, ou droit à l’oubli.

n Face aux présidents de la Vème République la justice est réduite à l’impuissance.

Dans l’impunité dont Nicolas SARKOZY a tiré parti pour filer sans entrave jusqu’à sa déclaration de candidature à la primaire de la droite, le ‘’temps judiciaire’’ est entré cependant pour une moindre part que les vices et les incohérences du système de la Vème république.

Ce nouvel épisode de sa carrière politique est ainsi moins abrité par la présomption d’innocence que par le statut, exorbitant du droit commun, dont il a bénéficié en tant que président de la République et qui pendant cinq années, à son endroit, a frappé la justice d’impuissance. On imagine facilement les obstacles en tous genres que la durée de cette inaction imposée à l’autorité judiciaire ne peut manquer ensuite de produire lorsque le juge retrouve ses prérogatives, l’instruction tardive des dossiers tendant à se rapprocher d’une investigation historique, avec tous les aléas qui en découlent.

n L’impunité constitutionnelle du président de la République est faite du cumul d’une irresponsabilité politique et d’une irresponsabilité pénale.

C’est bien le cadre institutionnel et, dans celui-ci, le privilège présidentiel qui lui sert de pivot, qui créent en premier lieu les conditions de l’impunité qui risque fort de s’étaler sous nos yeux pendant les prochains mois, i.e. aussi longtemps que durera le parcours de la candidature de Nicolas SARKOZY. Et pendant le nouveau quinquennat que celui-ci est susceptible d’obtenir et qui réactiverait ce privilège d’immunité dont la malignité se confirmerait ainsi avec éclat.

Une malignité qui ressort de la comparaison qui suit, et qui participe de celle, foncière, de nos institutions et du régime politique que ces dernières ont instauré.

Un ministre qui démissionne après qu’il a été mis en examen ne le fait pas parce que la présomption d’innocence ne jouerait pas en sa faveur, mais parce que (et, en bonne logique, seulement dans la mesure où) les actes ou les faits qui motivent la décision du magistrat instructeur, s’ils devaient être avérés, démontreraient son improbité ou entacheraient de quelque autre façon son honneur. Et parce que toute suspicion sérieuse affectant son honnêteté et son honorabilité est incompatible avec l’exercice de sa charge.

Le président de la République est dans une situation tout différente de par l’effet de l’impunité constitutionnelle qui protège sa fonction. Une impunité qui additionne son irresponsabilité politique - sauf dans le cas de poursuites engagées pour crimes contre l’humanité, aucune action ne peut être engagée contre lui, même après la fin de son mandat, pour des actes accomplis en sa qualité de président -, et une irresponsabilité pénale empêchant toute instruction et interdisant toute poursuite à son encontre tant qu’il exerce ses fonctions.

L’irresponsabilité politique du président de la République a certes cessé d’être absolue depuis la révision qui a prévu une procédure de destitution devant le Parlement « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », mais cette destitution est aujourd'hui inapplicable faute que soit intervenue (depuis 2007 !) une loi organique permettant sa mise en œuvre.

n Une double irresponsabilité incompatible avec l’idée d’une république démocratique.

Perdure donc, dans les domaines politique et pénal, une « inviolabilité » présidentielle, qui participe du caractère monarchique - celui d’une monarchie élective et plébiscitaire - de la Vème république. Un régime dans lequel le monarque règne et gouverne à la fois, en disposant de la protection suprême déjà inscrite, suivant la même inspiration institutionnelle, dans la Constitution de 1791 et reprise dans les Chartes constitutionnelles de 1814 et 1830 en une formulation identique : 
« La personne du roi est inviolable et sacrée »
.
L’acceptation de la perpétuation de cette immunité, absolue dans le domaine politique ou temporaire en matière pénale, grâce à laquelle le président de la Vème république n‘a de compte à rendre respectivement ni la nation et à ses représentants ni à la justice - ou que tardivement pour celle-ci -, vaut critère de départage par rapport à l’adhésion à l’esprit républicain et démocratique.

En effet, si être républicain, c’est d’abord porter dans toutes les fibres de son être une exécration irréductible envers toute forme de pouvoir personnel, l’idée même d’une « inviolabilité » du chef du pouvoir exécutif de la République se trouve nécessairement englobée dans ce rejet.

Trois observations confortent ce rejet et l’explicitent :

- il est légitime et nécessaire que le premier magistrat de la république - en ce qu’il n’est que ceci (i.e. en ce qu’il est tenu en dehors de la fonction exécutive), ou le chef de l’Etat dans une monarchie parlementaire, hors faute d’une gravité exceptionnelle qui viendrait à rendre impossible l’exercice de leur fonction, ou d’une nature qui les discréditerait personnellement, bénéficient d’une irresponsabilité politique. Cette irresponsabilité s’accorde sans conteste à leur rôle d’arbitre, de garant et de conciliateur au point qu’on peut la tenir pour inséparable de l’accomplissement de chacune de ces trois missions.

- en revanche, un régime démocratique moderne ne se conçoit pas sans que la responsabilité du chef du pouvoir exécutif puisse à tout moment être engagée devant le Parlement - quelles que soient les dispositions introduites dans la constitution d’un régime parlementaire pour prévenir le risque d’une instabilité gouvernementale : instauration d’une majorité qualifiée pour le vote d’une motion de censure, voire d’une motion de censure ‘’constructive’’ incluant/imposant la désignation du nouveau chef de gouvernement, mise en place d’un droit de dissolution permettant au suffrage universel de trancher un conflit entre le législatif et l’exécutif (ou d’une dissolution automatique au bénéfice d’un cabinet censuré), procédures telles notre « 49.3 » donnant latitude à un gouvernement appuyé sur une majorité seulement relative de conduire les affaires du pays …).

 - l’existence de régimes dit présidentiels ne récuse pas cette exigence démocratique d’une responsabilité politique de l’exécutif. D’une part, dans la mesure où ces régimes prévoient la possibilité d’une destitution du président par les Chambres, celles-ci se prononçant en général de façon successive, et selon des modalités complexes et des règles de majorité globalement protectrices pour le président en place.

Destitution dont la mise en œuvre est en principe réservée à des manquements d’une portée exceptionnelle (comme furent ressentis l’abus de pouvoir, l’obstruction à la justice et l’outrage au Congrès qui étaient les trois chefs d'accusation avancés contre le président Richard Nixon dans l’affaire du Watergate). Et qui accompagne le plus souvent une crise politique exacerbée, voire une crise de régime, quand elle n’est pas détournée en coup d’Etat parlementaire et/ou partisan - l’exemple récent du Brésil fournissant une illustration de ce détournement. Celui des tentatives d’impeachment aux Etats-Unis se rapproche sans doute davantage d’une sanction politique, plus ou moins déguisée, de l’exécutif (pour les trois présidents visés : Andrew Jackson, Bill Clinton et, donc, Richard Nixon).

Et elle ne la récuse pas, d’autre part, parce qu’aucun régime présidentiel ou présidentialiste ne saurait rivaliser en tant que modèle démocratique avec le régime parlementariste.

Pour la raison de fond que la matrice des régimes présidentiels qu’est la constitution des Etats-Unis n’a rien pour être classée dans les systèmes démocratiques ‘‘avancés’’. Outre les traits spécifiques qui ont présidé à sa conception - essentiellement la nécessité d’inventer un état fédéraliste (et sur ce point, l’invention est demeurée indépassable), et quels que furent les amendements qu’elle a connus dans sa durée - l’originalité et le caractère même de la constitution américaine résident en ce que sa modernité appartient entièrement à l’époque où elle a été rédigée : elle réunit en effet toutes les avancées de la pensée et de la science politiques à la fin du XVIII ème siècle, à la fois dans les droits qu’elle déclare et dans son économie institutionnelle - en mettant en place pour celle-ci un système représentatif intégralement électif et une séparation des pouvoirs pratiquement absolue.

Mais cette modernité a été composée de tous éléments que les créateurs de cette pensée et de cette science politiques avaient configurés pour le seul cas concret susceptible en leur temps de se présenter et par conséquent de motiver leur réflexion : la conformation d’une monarchie constitutionnelle accordée aux nouvelles Lumières. Puisque le recours à un monarque du type européen était impensable, et de surcroît impraticable, la république américaine s’est établie sur le dessin de cette monarchie constitutionnelle idéale. Idéale, mais nécessairement moins moderniste que le système de la démocratie parlementaire qui s’est développé postérieurement et s’est approfondi sur plus d’un siècle et demie, pour ne s’imposer d’ailleurs que progressivement ou par à-coups en Europe.

n Une immunité présidentielle dont les méfaits ne manqueront pas de s’exposer dans la phase politique nous entrons.

Le cumul des deux inviolabilités attachées à la fonction du président de la Vème république fait que la candidature de Nicolas Sarkozy a pour toile de fond une série de dossiers judiciaires qui demeurent pendants, principalement parce que la justice n’a pu s’en saisir qu’après que l’intéressé eut terminé son mandat présidentiel - et donc trop tardivement au regard du temps procédural pour qu’un sort fût fait, dans un sens ou dans un autre, aux soupçons qu’ils additionnaient contre celui-ci.

Parmi les dossiers médiatisés auxquels le nom de l’ancien président de la République s’est trouvée associé, seule ‘’l’affaire Bettencourt’’ a connu à ce jour une issue judiciaire. Pour la raison que le nombre des parties et la diversité des intérêts en cause, la concurrence des accusations et des passions qui se confrontaient, et l’addition ou le croisement des personnalités de tous horizons successivement mêlées aux épisodes qui rebondirent entre 2010 et 2013, excluaient que la justice demeurât inerte au motif que le ‘’chef de l’Etat’’ était implicitement le personnage central de l’intrigue.

De sorte que cette activation précoce des juges (i.e. dans une temporalité normale) - et par là le dossier Bettencourt est singulièrement démonstratif, nonobstant les pressions et manipulations auxquelles il donna lieu - est bien ce qui a permis que l’affaire trouve son cadrage judiciaire définitif dès la fin juin 2013.

Un dossier qui a ainsi valeur de contre-exemple sur la question du délai de saisine de la justice versus l’immunité présidentielle. Mais dont, factuellement, il ressort bien moins une disculpation de Nicolas Sarkozy sur la suspicion d’irrégularités et de malversation qui pesait sur lui que l’opportunité pénale qui a lui permis de se sortir du mauvais cas dans lequel il était : un non-lieu obtenu en l’absence de charges, parce que l’abus de faiblesse à l’encontre de Mme Bettencourt qui lui était reproché, ainsi qu’à quelques comparses et complices, était rétroactivement indémontrable.

La sauvegarde de Nicolas Sarkozy a ainsi finalement tenu à l’impossibilité de prouver que Mme Bettencourt était déjà atteinte de sénilité six ans plus tôt : faute de cette démonstration, il devenait impossible de qualifier d’extorsion la contribution occulte à la campagne présidentielle de 2007 dont tout donnait à penser qu’elle avait bien été apportée par l’héritière de l’Oréal.

On doit assurément considérer comme détestable le raisonnement qui infère de ce que quelqu’un est capable d’avoir commis tel acte illégal et/ou déshonorant, qu’il est coupable de celui-ci.

S’agissant cependant de Nicolas Sarkozy, on a affaire non pas à ‘’quelqu’un capable de commettre…’’, mais à un individu dont on s’est construit la certitude qu’il en viendra à n’importe quelle irrégularité ou improbité dès lors qu’il s’attend à en tirer avantage pour satisfaire son intérêt … ou son caprice.

Au point qu’il ne paraît à la limite même pas envisageable qu’il puisse être accusé à tort de la commission des faits qui lui sont publiquement imputés : sa personnalité, son comportement et ses agissements passés forment à cet égard un faisceau, non d’indices, mais de raisons si fortement étayées qu’elles sont à même de forger une intime conviction.

n Intime conviction versus présomption d’innocence.

Quelles que soient les facultés d’oubli de ses compatriotes sur lesquelles il compte tabler, les développements, les péripéties et les anecdotes de sa carrière instruisent à charge contre lui et attestent de ses dispositions hors du commun au travestissement des faits qui se combinent avec son assuétude quasiment pathologique au mensonge. D’une succession confondante d’improbités morales se dessine au surplus un type de vulgarité d’âme dont la vulgarité de conduite, d’allure et de tenue n’est que la projection, et dont participe un égocentrisme paroxystique et totalement décomplexé - ou définitivement incontrôlable. Un égocentrisme qui représente un ressort tellement puissant et actif qu’aucune préoccupation de prudence, à défaut d’un scrupule éthique, n’a jamais semblé en mesure de l’endiguer.

Autant dire qu’au regard des différents dossiers judiciaires dans lesquels Nicolas Sarkozy reste compromis, l’image d’infirmité morale qui se dégage de son personnage, met la présomption d’innocence au supplice. Et à un degré tel que sur l’ensemble des affaires qui sont venues les entre les mains des juges, on ne saurait reprocher au citoyen qui s’est simplement tenu au courant des épisodes écoulés, et qui a mémorisé les éléments d’information dont le public a eu connaissance, d’arrêter à ce jour son opinion sur la culpabilité de l’ancien président de la République.

Hors bien sûr pour les soutiens de l’intéressé qui font au minimum bénéficier celui-ci du plus ample bénéfice du doute - quand, pour les plus enthousiastes voire les plus exaltés, ils ne se disent pas d’ores et déjà certains qu’il sera entièrement blanchi -, cette conviction de sa culpabilité, qui englobe sans exception toutes les mises en cause demeurées en suspens, a tout pour être partagée et pour recevoir une adhésion à un niveau de certitude proche de l’invincible.

n Présomption de culpabilité ou anticipation d’une décision de culpabilité.

Des mises en cause qui ont ainsi en commun de voir en définitive peser sur Nicolas Sarkozy bien pire qu’une présomption de culpabilité : une anticipation de la déclaration de sa culpabilité. Chacune appelle cependant un examen particulier pour cerner et répertorier la nature du fait ou de l’acte qui est y est visé.

Ces faits et ces actes peuvent se situer chronologiquement avant ou après le terme de la présidence de Nicolas Sarkozy, mais ils sont dans ce cas tout aussi liés à cette présidence que ceux qui s’inscrivent à l’intérieur de la période.

Soient qu’ils renvoient à la campagne pour l’accession au pouvoir, soient qu’on leur prêtre d’être intervenus des années plus tard pour solder le compte judiciaire de cette campagne.

Entrent ainsi d’abord en scène, par ordre (nous semble-t-il) de gravité croissante, une tentative de corruption sur un magistrat de la Cour de cassation et l’attribution à de très proches conseillers d’un nombre plus que conséquent de commandes de sondages émanant de la présidence de la République - dans la quantité surabondante de ceux, parfois sans lien vraiment direct avec l’exercice de la fonction présidentielle, que l’Elysée a fait réaliser entre 2007 et 2012 (une surabondance et une dérive de leur objet qu’on rapprocherait assez facilement d’un détournement de l’argent public, ou à tout le moins d’un gaspillage caractérisé de ce dernier).

Ce qui réunit ces deux dossiers tient au caractère médiocre et subalterne - comparativement à la dimension pénale et morale des autres affaires - qu’ils ont en partage. On est loin en effet de la grande fraude et de la grande délinquance politiques - tout juste au niveau d’une banale république bananière ou pétro-africaine, et à peine au-dessus des petites turpitudes sur fond de vespasiennes mobiles décrites dans le Topaze de Marcel Pagnol ...

D’une toute autre envergure sont les deux imputations majeures qui visent le quinquennat de Nicolas Sarkozy : le financement libyen dont le soupçon affecte la régularité de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2007, et le prétendu arbitrage agencé pour conclure au bénéfice de Bernard Tapie le contentieux entre ce dernier et le Crédit Lyonnais.

Dans la première, l’ancien président de la République n’est plus protégé par aucune immunité pénale. Dans la seconde, il ne saurait l’être être par l’irresponsabilité que lui reconnaît la constitution dans le domaine politique et qui couvre, après l’achèvement fin de son mandat, les actes qu’il a accomplis en qualité de président : comment, en effet, l’orchestration d’une spoliation aux dépens de l’Etat, des instructions données et des dispositions prises en ce sens, pourraient-elles être considérées comme des décisions intervenues au titre des fonctions d’un président de la République et comme des actes faisant normalement partie de celles-ci ?

L’une et l’autre sont fondées sur des soupçons qui mettent en jeu la qualification la plus grave, avec la trahison, associée à la mise en accusation d’un fonctionnaire public, et particulièrement du premier d’entre eux : la violation du serment, explicite ou implicite, qui les consacre à l’accomplissement des devoirs de leur charge.

Violation qui constitue le crime de forfaiture - transposition pour un serviteur de l’Etat républicain du crime de félonie envers le roi, ou un suzerain, dans le lointain de la France monarchique ou féodale.

n Des sables libyens aux ors de la République : les décors respectifs de deux accusations de forfaiture.

Pour ce qui concerne le financement libyen, qui pourrait ne pas voir qu’accepter un financement électoral d’un Etat étranger n’est rien d’autre que prendre le risque de se lier les mains vis à vis de cet Etat si ensuite on l’emporte dans les urnes. Et donc d’aliéner par avance une part de la souveraineté et de l’indépendance de son pays - une indépendance et une souveraineté dont, faut-il le rappeler, le président de la République est le garant, responsabilité qui constitue le cœur même de sa fonction. La sollicitation, ou l’acceptation, d’une contribution financière ainsi sourcée suffit déjà à dessiner les contours d’une forfaiture. Et d’autant plus si elle est gardée secrète.

Et c’est se lier les mains de façon d’autant plus redoutable si l’Etat concerné possède l’un des régimes les plus tyranniques et les plus infréquentables de la planète, ce qui était incontestablement le cas de la dictature du colonel Kadhafi qui, au surplus, venait depuis peu de tourner le dos au terrorisme d’Etat - un terrorisme qui avait notamment frappé mortellement des citoyens français victimes d’un attentat des services libyens contre leur avion et endeuillé leurs familles.

C’était, en l’espèce s’exposer, une fois élu, à toutes formes de pression et de chantage de la part du régime kadhafiste, et notamment à toutes les exigences et foucades d’un dirigeant probablement à moitié fou - sans compter les avantages et profits attendus par son clan. L’aliénation qui se profilait promettait de jouer au profit de soutiens de circonstances dont les méfaits et les crimes auraient dû faire sauter aux yeux qu’ils étaient, en toute hypothèse, les pires contributeurs imaginables pour abonder les moyens financiers d’une campagne présidentielle française. Et elle se profilait avec une netteté telle qu’elle ne se limitait pas à alerter sur la possible ou probable commission d’une forfaiture, mais que par les effets immanquables qu’elle annonçait, elle désignait les constituants d’un crime de forfaiture par anticipation.

Le dossier du financement libyen de la campagne de 2007 - comme il en va presque toujours de même dans les malversations politiques ou crimes d’Etat en cours d’instruction dont tout donne à croire qu’ils seront avérés - comporte pour le public deux volets. Le premier où les éléments de l’accusation sont suffisamment publiés, et, pour tous ceux qui le sont, suffisamment étayés, pour qu’un grand nombre de citoyen(ne)s, si ce n’est le plus grand nombre, se soient d’emblée convaincus de leur vraisemblance pour acquérir bientôt la certitude qu’ils sont fondés. Ce qui est bien le cas ici où rien ne semble plus pouvoir entamer l’intime conviction, apparemment majoritaire, qui s’est formée quant à l’existence d’une contribution occulte de la Libye kadhafiste au trésor de guerre électoral de Nicolas Sarkozy.

Une conviction qui s’est également alimentée, outre ce qui est revenu aux traits de personnalité, aux dérives comportementales et à la réputation d’improbité dont on a dit qu’ils façonnaient l’image de l’intéressé, de raisons additionnelles fournies par l’actualité depuis 2012.

A cet égard, tant ce qu’on a appris du coût délirant de la deuxième campagne présidentielle menée cette année-là et des conditions - ahurissantes par l’ingénierie de la corruption qui s’y est faite jour - de son financement, que, sur un autre plan, la confirmation de l’appétit, fasciné et compulsif, pour l’argent de l’ancien président qui est ressortie du zèle que ce dernier a déployé dans sa très lucrative reconversion en conférencier international (sans compter l’entêtement qu’il a mis à prolonger cette carrière au-delà de toute convenance), laissent bien penser que l’aide financière d’une dictature comme celle de feu Kadhafi n’aurait rien eu (n’avait rien eu) pour faire hésiter Nicolas Sarkozy.

Le second volet dans les affaires de ce genre est constitué des hypothèses raisonnables que la certitude acquise sur le fond soumet à l’examen particulier et à l’évaluation collective. Ainsi en va-t-il de celle-ci : dès lors que le financement libyen de 2007 cesse d’être une interrogation, l’esprit critique peut-il ne pas être interpellé sur les motifs de notre intervention militaire ultérieure en Libye ? Pour démêler ce qui dans nos opérations aériennes et surtout terrestres - la question pour celles-ci visant l’action (plus que présumée) de nos forces spéciales - répondait à un impératif humanitaire et pouvait alléguer un droit d’ingérence, et ce qui était motivé par le dessein de se débarrasser d’une maître-chanteur (entré en action ou potentiel)

La question restera ainsi probablement longtemps posée de savoir si un lien a associé, successivement, la contribution occulte de Tripoli à la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007, l’heureuse issue - qui a suivi presque immédiatement l’arrivée de celui-ci à l’Elysée - des tractations autour de la libération des infirmières bulgares captives de la Libye, l’extravagante et humiliante visite d’Etat à Paris concédée dans la foulée de cette libération au Guide de la révolution libyenne, et, quelques années plus tard, notre participation décisive à la chute de ce régime et à l’élimination physique de son chef.

Une question sur laquelle l’histoire immédiate butera probablement de façon durable compte tenu de l’obscurité qui entoure les tenants et les aboutissants des agissements en cause et dont le chaos libyen, parachevant des manœuvres dissimulatrices et des manipulations en tous genres qu’il est facile de se représenter, n’est pas près de laisser espérer qu’elle se dissipe.

L’observateur le moins enclin aux déductions hâtives est cependant porté à conclure que la logique de l’enchaînement des faits penche du côté le plus défavorable à Nicolas Sarkozy : à savoir que l’intervention militaire de la France, et principalement sa phase relevant de la guerre secrète, a d’abord visé à détruire les preuves de la générosité intéressée du dictateur de Tripoli envers un candidat dont il était très certainement attendu qu’il soutienne la fragile et incertaine ‘’normalisation’’ de la Libye sur la scène internationale. Le secret-défense étant ensuite opportunément chargé de conforter et de sécuriser cet effacement de preuves.


L’affaire connue comme celle de l’arbitrage truqué au profit de M. Tapie comporte bien moins de zones d’ombre.

Parce que la justice est en partie passée en annulant cet arbitrage, et parce que les acteurs directs de cette intrigue dont le ressort a été la spoliation de l’Etat, ont été publiquement mis en cause. Et, semble-t-il, au complet.

Comme pour le financement libyen, on est passé de la vraisemblance de l’accusation à la certitude de son bien fondé. Et très vite l’intime conviction s’est faite de l’implication personnelle du chef de l’Etat d’alors dans la commission d’une falsification destinée à servir les intérêts de l’ancien propriétaire d’Adidas. Une implication en tant qu’auteur de la fraude. D’une fraude chiffrée à 404 millions d’euros.

Comment, en effet, aurait-on pu croire un instant que l’invention de cet arbitrage fallacieux et l’organisation son exécution - choix des arbitres, répartition des rôles entre ceux-ci, calendrier à suivre, instructions données aux différents niveaux de l’Etat concernés de concourir à l’opération… - avaient été décidées à un niveau subalterne, et sans que le président de la République en eût été au moins avisé ? Et évidemment bien plus qu’avisé, eu égard à la gouvernance ultra interventionniste et autoritairement dirigiste qui a de tout temps été sa marque.

Rien n’aurait su rendre vraisemblable que la conception du dispositif frauduleux, puis sa mise en œuvre, fussent intervenues dans une succession de réunions tenues au palais de l’Elysée entre quelques uns des principaux collaborateurs du chef de l’Etat, rejoints par quelques complices placés à des postes clés, voire par M. Tapie en personne. Que ces réunions soient ou non identifiées dans les agendas, quel doute raisonnable était susceptible d’entamer l’évidence ? A savoir que le seul scénario crédible dictait que le président de la République avait été à l’initiative de la manœuvre, et qu’il en avait, sinon dirigé personnellement l’exécution, du moins obtenu les assurances de son bon déroulement. Et ce, au minimum jusqu’à la notification de la sentence arbitrale.

Là encore, l’intime conviction - dont on vient d’analyser la teneur - a pris en compte les traits de la personnalité de Nicolas Sarkozy et l’image d’improbité qui s’attache à son personnage. Cependant les indices progressivement portés à la connaissance du public, dont vraisemblablement en bonne part le nombre des entrevues accordées dans le bureau présidentiel à M. Tapie durant la période entourant l’arbitrage qui allait être rendu en sa faveur, avaient tout pour la fortifier, et pour faire davantage encore que cela.

Sur les bases de certitude raisonnées, si l’on se réfère au classique questionnement inquisitorial  - ‘’Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando ?’’ -, toute la partie connue du dossier de cet arbitrage trafiqué apporte une réponse à presque chaque item, et en particulier au ‘qui’’, au ‘comment’’ et au ’’par quels moyens’’.

Une interrogation, d’intérêt psychologique, peut demeurer. Elle vise le ‘’pourquoi’’.Quel mobile a pu diriger Nicolas Sarkozy dans le parti qu’il a pris de seconder les intérêts d’un homme d’affaires lourd d’un passé et d’une réputation de nature à dissuader tout élu, et a fortiori le premier responsable politique du pays, de se commettre avec lui ? L’hypothèse la plus convaincante serait-elle que le président parvenu au dernier stade de l’assouvissement de son ambition personnelle, a voulu montrer à un arriviste ne valorisant comme lui que la réussite individuelle - une réussite acquise sans s’embarrasser des voies empruntées, tricheries en tous genres incluses -, que son succès lui ouvrait le pouvoir de tout faire, et donc celui de dispenser n’importe quelle faveur à un favori de n’importe quelle espèce pourvu qu’il en eût le caprice ?

Quelque chose finalement d’assez proche de la protection qu’octroie un petit caïd des banlieues ‘’difficiles’. Une protection qui avant de procurer une garantie ou une caution à son bénéficiaire, vaut démonstration de la position de force à laquelle, dans sa tribu et dans son alentour, s’est hissée son dispensateur. Une façon pour celui-ci de rouler les mécaniques vis à vis des gens qui sont de sa bande, et de se confirmer à lui-même l’opinion flatteuse et satisfaite qu’il a de son parcours de voyou.

S’il demeure une zone d’ombre, elle touche au groupe des complices et des auxiliaires. Non que se posent beaucoup de questions sur la garde la plus rapprochée au sein de laquelle, dans les années qui ont précédé l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la tête de l’Etat, d’aucuns ont dû avoir tout le temps se familiariser avec les entorses au droit et les manquements à la plus élémentaire morale publique qui semblent bien, avec le recul, avoir toujours été des constituants de l’environnement naturel du candidat à la candidature de 2017. Des sortes d’identifiants que ce dernier a toujours traîné derrière lui dans les fonctions qu’il a occupées depuis 1993.

A cet égard, l’exemple le plus éloquent ne se repère-t-il pas dans ce détournement de fonds destinés à des enquêtes de la police, et plus spécifiquement à des modes d’enquête particuliers, détournement dont la justice a tranché qu’il avait bien servi à abonder la rémunération du premier collaborateur d’un Nicolas Sarkozy ministre de l’intérieur ? Quel degré d’effondrement de l’éthique de la haute fonction publique faut-il avoir atteint, dans quel marécage moral faut-il que vivent les conseillers d’un ministre, pour qu’une malversation de cet ordre s’accomplisse dans le secret des palais de l’a République ?

Et que penser du ministre qui ne voit rien, ou ne veut rien savoir, de cette malversation, s’il ne lui a pas donné son aval en ne voyant rien à redire à ce qu’autour de lui on soit aussi assoiffé d’argent qu’il ne se cache pas de l’être lui-même ?

Mais pour les autres acteurs ou exécutants du complot, plus encore qu’une obscurité, c’est un mystère qui entoure le cas des personnages tenus a priori pour intègres qui étaient en situation sinon de connaître, du moins de comprendre, ou de deviner, la spoliation de l’Etat que dissimulait un arbitrage dont la mise en œuvre paraissait surprenante, ou plutôt insolite, aux juristes spécialisés en la matière. Incompréhensible apparaît en effet la docilité ou la complaisance de certains auxiliaires qui ont été amenés à prêter la main à la machination (ou à se retrouver en situation d’en être accusés) parce que leurs fonctions dans l’Etat rendaient leur concours ou leur passivité indispensables.

Au tout premier rang de ces auxiliaires figure évidemment la ministre de l’économie et des finances en poste au moment des faits. Que Mme Lagarde ne soit pas ‘’du même monde’’ que M. Tapie, ainsi qu’elle l’a fait observer elle-même, est une évidence. Une indulgence de sa part envers une filouterie manigancée au profit de ce dernier apparaît dans la même mesure hors de vraisemblance.

Dès lors, a-t-elle péché par naïveté, par inexpérience politique ? Ou bien s’est-elle ralliée à la solution de l’arbitrage (passant outre à l’avis contraire de ses services), sans discerner ce qu’il y avait de frauduleux derrière celle-ci, en raison d’une trop longue et trop forte imprégnation du droit américain des affaires, de ses procédures et de ses modes de règlement des litiges ?

Ou encore le carriérisme ministériel aurait-il eu sa part dans une cécité aussi étonnante chez une juriste de haut vol face à un dossier ‘’pourri’’ - ou, peut-être plus vraisemblablement, la crainte, en quittant le gouvernement sur la dénonciation d’un scandale d’Etat, de s’attirer une rancune violente et irrémissible de Nicolas Sarkozy et de ses partisans - rancune de nature à lui fermer les postes les plus prestigieux des institutions internationales en excluant qu’un gouvernement français de droite y présentât un jour sa candidature ?

Reste l’hypothèse où la ministre de l’économie et des finances aurait pensé, ou se serait persuadée, que l’Elysée poussait à ce point les feux en faveur de l’arbitrage, que celui-ci sortait du même coup du champ de ses responsabilités ministérielles. Et qu’il se réduisait à un dossier dans lequel son ministère ne faisait qu’appliquer des instructions venues des plus proches collaborateurs du président de la République - de sorte qu’il revenait seulement à son cabinet et aux services concernés de Bercy de mener l’opération à son terme suivant ces instructions. Raisonnement plausible, mais qui aurait traduit une méconnaissance, ou un oubli, du statut juridique et historique de nos ministres qui les rend directement comptables de tout ce qu’accomplit l’administration à la tête de laquelle leur nomination les a placés.

S’il est bien un intérêt à attendre du renvoi de Mme Lagarde devant la Cour de justice de la République, et des autres procès à venir, il réside certes en premier lieu dans la clarification qui pourra ressortir des audiences quant à la nature et à l’étendue des implications respectives des principaux artisans de la forfaiture imputée à Nicolas Sarkozy dans cette nième ‘’affaire Tapie’’. Mais tout autant dans les explications qui seront tirées des débats sur les raisons, motivations ou mobiles qui ont conduit ceux-ci à participer à la commission de cette escroquerie dont l’Etat républicain a été la cible.

n La vérité, toute la vérité : ce que laissent espérer une confirmation et une sanction pénale de la mystification à laquelle tout ramène ‘’l’arbitrage Tapie’’.

Dans cette affaire, on s’est davantage que dans les autres, attachés à cerner les complicités et les concours. Et avant tout concernant celles et ceux qui y sont mis en cause et dont la personnalité et la réputation auraient dû rendre impensables qu’ils y fussent compromis.

On l’a fait parce que s’agissant des deux accusations les plus graves qui visent l’ancien président de la République, celle qui a trait à la falsification dont tout donne à conclure qu’elle a été instrumentée à l’avantage de M. Tapie, est très probablement la seule dont la justice sera en mesure de mettre au jour la quasi-totalité des tenants et des aboutissants.

Toutes les pièces nécessaires à cet effet sont entre les mains des juges, ou accessibles à ceux-ci dans un terme qui ne saurait être éloigné. Tant les éléments matériels déjà réunis que les déclarations recueillies sur les procès verbaux de l’instruction, ou celles à venir devant la juridiction de jugement, doivent permettre au peuple français, au nom duquel la justice sera rendue, non seulement de savoir précisément quelles fautes ont été commises, dans quelles conditions et pour quels intérêts, mais d’avoir in fine la certitude que les peines prononcées en répression de celles-ci sanctionnent selon la loi la totalité de leurs auteurs, et des complices ou auxiliaires de ceux-ci.

Même si face à cette attente, le chef de ‘’négligence dans la gestion de fonds publics’’ retenu à l’encontre de Mme Lagarde laisse perplexe[1]. Il y a là une sorte d’euphémisme pénal qui ouvre toute grande la porte à une trop grande indulgence du juge politique - lequel, dans l’Histoire, a toujours eu du mal à se positionner entre l’excès de sévérité et une clémence abusive généralement faite de mansuétude corporatiste[2].

Une indulgence qui est déjà d’autant plus à prévoir que la Cour de justice de la République sera portée à ménager, en l’ancienne ministre de l’économie et des finances, la personnalité placée à la tête du FMI. Que l’arrêt de la Cour soit trop sévère et oblige l’intéressée à démissionner de ses fonctions présentes, et ce serait le second directeur général français qui devrait successivement renoncer à son poste dans cette institution des suites d’une incrimination judiciaire et sur un désaveu moral. Ces deux interruptions de mandat pour des raisons entachant l’honorabilité de son titulaire, qui se suivraient à si peu d’années de distance, entraîneraient le risque de voir une fonction dont il est convenu qu’elle échoie à intervalles réguliers à l’un de nos compatriotes, échapper durablement à ceux-ci.

Pour les autres protagonistes, il faut bien entendu compter avec les empêchements de tous types qu’ils continueront de tenter de mettre au dévoilement de la vérité. Et plus spécialement avec la loi du silence, et ses déclinaisons, à laquelle d’aucuns se tiendront pour faire obstacle au travail judiciaire - mais on peut se représenter que les dossiers des juges sont déjà copieusement remplis. Au demeurant, l’équilibre entre l’omerta - dictée aux uns par la perspective d’une nomination ultérieure dans un poste gratifiant (dans les deux acceptions de qualificatif) - et, en sens inverse, les aveux concédés par les autres pour disposer les magistrats à l’indulgence, ne s’établit pas nécessairement en faveur du premier terme …

Au total - et c’est là tout le contraste avec l’enlisement qui sauf coup de théâtre, se profile pour l’instruction de la forfaiture dont la Libye et le recours à ses fonds forment le cadre -, il demeure raisonnable de se ranger sur l’espoir que les juges, dans le droit fil de l’invalidation de ‘’l’arbitrage Tapie’’ qu’ils ont déjà prononcée, seront dans le dossier de cet arbitrage, en mesure d’aller au bout de la mission que la loi leur confie.

Ne serait-ce, après tout, que pour la raison qu’il est plus facile de remonter à la source et de démêler les fils d’une machination ourdie aux dépens de l’Etat quand celle-ci a été manigancée dans les bureaux de la présidence de la République, et que les suspects (à commencer par le ‘’suspect n°1’’) sont auditionnables à tout instant, que lorsque les témoins du forfait sont enterrés dans le désert libyen, et que les preuves ont été anéanties sous les bombardements et les tirs d’artillerie - surtout si ces bombardements et ces tirs ont été opportunément ciblés avant que les pillages des palais et des bâtiments publics consécutifs à toute révolution n’achèvent de disperser les cendres de pièces compromettantes …

La responsabilité qui pèse sur la justice de tout mettre au clair dans le processus de l’extorsion qui a été dirigée contre l’Etat au bénéfice du sieur Tapie, est à la hauteur de la gravité exceptionnelle de la qualification des faits sur lesquels il lui appartient en l’espèce de se prononcer : la commission d’une forfaiture, ou la complicité active ou passive apportée à celle-ci.

Une responsabilité qui requiert qu’aucun rôle ayant pu être tenu - ce qui interpelle en tout premier lieu le président de la République alors en fonction - dans cette entreprise d’extorsion, ni aucun concours ayant pu lui être été apporté, ne restent impunis.

Une responsabilité et une exigence qui valent évidemment pour toutes les autres affaires dans lesquelles Nicolas Sarkozy se trouve soupçonné. L’ensemble des affaires qui le visent se fédérant au reste sur une image commune : celle d’une canaillerie dont les ressorts - l’appropriation et la domination - sont finalement d’assez bas étage.

La justice doit ainsi passer dans le dossier Tapie, sans se désintéresser du cas d’aucun acteur ou figurant : quid à cet égard des deux ‘’arbitres’’ que la Cour d’appel a décrits « poussés à l’effacement par facilité, excès de confiance, parti pris, voire incompétence », et laissant au troisième - mis en examen dès mai 2013 pour escroquerie en bande organisée - la possibilité d’exercer une « mainmise sans partage sur la procédure arbitrale ». Et quid, subsidiairement, à la lumière des faits aujourd’hui établis, de la justification des 300 000 euros versés à chaque arbitre à la fin de l’arbitrage ?

Au-delà de l’exigence de justice, c’est la moralité même de notre système démocratique qui se trouve en jeu et, avec elle, le respect que la république se doit à elle-même - inséparable du respect que les citoyens sont appelés à lui porter.

n Alternative intenable et principe de précaution démocratique.

Ce long réquisitoire ne pourra rester sans conclusion. Celle-ci appartient aux juges.

C’est bien d’eux qu’elle est attendue, et naturellement en priorité pour ce qui est du sort judiciaire de Nicolas Sarkozy. Ce qui n’empêche pas que tout regard républicain sur les accusations portées à l’encontre de l’ancien président de la République s’arrête à ce jour à l’intime conviction de la culpabilité de ce dernier. Une intime conviction surabondamment nourrie d’indices graves et concordants - on regrettera ici que la loi n’ait pas consacré la notion d’indice accablant qui s’appliquerait en l’espèce merveilleusement.

Au-delà de ce qu’il revient à la justice de trancher, l’environnement de mises en causes pénales au sein duquel se place la candidature de Nicolas Sarkozy interpelle nos concitoyens. Le nombre et la gravité des accusations qui se sont accumulées à l’endroit de celui-ci et dont on s’est employé à dresser le tableau - un tableau aussi affligeant par ce qu’il expose fatalement d’un individu acharné à exercer de nouveau tous les pouvoirs concentrés dans la fonction présidentielle, que par les vices de conception de nos institutions qui en constituent la toile de fond - renvoient le corps électoral de la droite et, le cas échéant, l’ensemble des électeurs de 2017 à une interrogation préalable à tout choix de leur part quant au(x) suffrage(s) qu’ils auront à exprimer.

Interrogation qui ne devrait pas se présenter dans une démocratie adulte dotée d’une justice suffisamment pourvue de moyens, et qui ne se serait pas présentée si un réflexe civique élémentaire avait d’emblée censuré un candidat que sa situation vis à vis de ses juges privait de la qualification morale requise pour se présenter à l’élection à la présidence de la République. Si la majorité de l’opinion publique avait ainsi, comme elle se le devait, clairement signifié à Nicolas Sarkozy cette invalidation de principe - et quelle meilleure formulation aurait-elle pu donner à ce rappel à la décence politique qu’en reprenant à son compte des termes qui illustrèrent jadis l’esprit de résistance et les ressources de dignité d’une république également outragée :
 « Jusqu’où ton audace effrontée se déchaînera-t-elle ? ».

Faute que cette disqualification civique ait mis précocement un terme à l’aventure personnelle d’une candidature éthiquement irrecevable - ou, mieux, ait dissuadé l’annonce de celle-ci -, nos compatriotes sont confrontés, en l’état des études d’opinion, à une perspective qu’aucun républicain ne saurait envisager sans éprouver un mélange d’accablement et d’indignation.

Et c’est de l’un et de l’autre conjugués que procède la question préalable adressée au corps électoral. Sachant que les juges n’auront pas soldé à temps le compte des soupçons dirigés contre Nicolas Sarkozy, est-il concevable que ce dernier, pour l’avoir emporté à la primaire de la droite puisse concourir, et avec toutes les chances de succès, à l’élection de 2017 ?

Hors l’hypothèse, présentement improbable, où un fait nouveau dans son environnement pénal viendrait à ses propres yeux rendre politiquement impraticable sa candidature.

Question qui en détermine ou sous-entend une seconde - qui en préciserait les termes si besoin était : puisque pour Nicolas Sarkozy, la victoire à la primaire vaut une qualification quasi certaine pour le second tour de scrutin face à celle qui est déjà assurée d’y figurer, à quel choix les Français sont-ils prêts à se fixer à ce second tour entre la présidente du Front National et un ancien président de la République qui tente de se faire réélire sans avoir été blanchi d’accusations gravissimes liées à l’accomplissement de son premier mandat ?

La première partie de l’interrogation s’adresse aux électeurs de droite, la seconde à tous les électeurs qui ne sont pas disposés à voter pour Mme Le Pen l’an prochain.

Double questionnement, dont celui qui se rapporte au second tour de l’élection présidentielle confronte à une alternative aussi cruelle que décisive. Alternative dont les deux options sont l’une et l’autre légitime dans l’absolu.

Légitime serait en effet le choix de ne pas choisir et de déposer dans l’urne un bulletin blanc. En signifiant par ce bulletin un double rejet de candidatures jugées également irrecevables.

Et à ce point irrecevable qu’elles forment une objection citoyenne à l’encontre d’institutions assez pernicieuses pour produire en dernier ressort une pareille sélection de candidats à la direction de l’Etat.

Une objection centrée sur la contestation d’un dispositif électoral dans lequel l’attraction plébiscitaire de la Vème république a consacré la désignation de l’élu à la majorité absolue - sans songer que c’était là prendre le risque d’écarter arithmétiquement du second tour des candidats de valeur, et de présenter à l’arbitrage final du suffrage universel un binôme humiliant pour la nation et dangereux pour la république.

Et tout autant légitime, pour un démocrate, apparaît le parti contraire - celui qui se conforme à la discipline de vote sur laquelle s’est affermi le régime républicain. Et qui s’aligne sur cette discipline jusqu’à passer outre à l’image de voyou politique de l’un des deux candidats pour faire barrage à l’élection de l’autre à la fonction de président de la République - pour la raison que cette autre-là est la candidate et le leader de l’extrême-droite,

Pour l’électeur qui s’y range, ce parti suppose qu’il se résigne à assurer un second mandat à Nicolas Sarkozy - avec l’impunité pénale qui est attachée à la durée de ce mandat. Une résignation d’autant plus rebutante politiquement et moralement que sur des thématiques sociétales essentielles, très peu du contenu du discours de candidat de l’intéressé se distingue actuellement du programme ordinairement développé par la présidente du Front National, par son parti et par les autres dirigeants de celui-ci.

A vrai dire, le pari fait sur la discipline républicaine repose sur une espèce d’hommage de la vertu au vice. Sur une forme paradoxale de confiance en la logique de la personnalité et du parcours politique de celui qui se rapproche du statut de favori de la primaire de la droite, en son art consommé du calcul et en l’abondance des preuves de duplicité qu’il a fournies : Nicolas Sarkozy possède certes peu de critères susceptibles de le ranger au nombre des républicains, mais les outrances égrainées à ce stade de sa campagne relèvent bien trop visiblement d’une stratégie visant à capter les suffrages des gros bataillons de l’électorat le plus droitier et extrême-droitier, pour laisser imaginer qu’elles traduisent une adhésion pleine et entière de sa part au référentiel frontiste.

Passé la primaire, et s’il l’emporte effectivement à celle-ci, il est à prévoir que sans qu’il soit question d’un recentrage - qui astreindrait sa campagne à un ‘’grand écart’’ incessant et intenable -, ses propositions les plus outrées, et donc de nature à diriger les électeurs centristes vers un candidat plus consensuel, seront passées sous silence ou démenties sans autre embarras.

Demeurera certes l’opprobre attaché un candidat qui postule la plus haute fonction de la République en affectant de tenir pour nulle et non avenue la mise en cause publique dont sont l’objet sa probité et son intégrité. Et qui récuse par avance, et plus qu’à demi-mot, l’appréciation des juges sur les actes qui lui sont imputés dans l’exercice ou à la périphérie de son premier mandat présidentiel.

Mais demeurera également cette réalité qu’hors la ligne de partage que trace le respect de l’éthique la plus basique, la différenciation entre Nicolas Sarkozy et ses concurrents à droite ne distingue que des nuances. Pour l’électeur républicain de l’autre camp, les projets présentés à la primaire de la droite déclinent à peu près les mêmes préconisations économiques, marquées par le dessein de régler leur compte à toute espèce de droit acquis ou de statut protecteur, et portées par une dynamique de revanche sociale qui, dans sa radicalité, est sans précédent dans notre Histoire.

De sorte que pour ce même électeur, sur ce terrain des projets de société (et presque pareillement sur celui du ‘’sécuritaire’’), le dilemme du second tour se projette dans des termes de contrainte politique quasi similaires que l’hypothèque Sarkozy soit levée ou non. A supposer qu’elle le soit, comment en effet pourra-t-il envisager d’apporter son suffrage à un autre candidat de droite, certes exempt de toute disqualification morale et n’ayant pas de comptes à rendre à la justice, dès lors que ce sacrifice à consentir à la défense républicaine le contraindra à mêler sa voix à celles qui, en soutenant ce candidat, approuvent du même coup un programme électoral néo-thatchérien - et éventuellement plus caractérisé par cette référence que celui de Nicolas Sarkozy ?

Autre interrogation qui comporte elle aussi deux réponses légitimes dans l’isoloir. Mais comme pour la question de conscience posée dans le cas d’une participation de Nicolas Sarkozy au second tour du scrutin présidentiel, la concurrence de légitimité trouve sa réponse dans ce qu’on peut dénommer un principe de précaution démocratique.

Précaution qui consiste à prendre en compte que l’extrême-droite, si elle parvient au pouvoir, fera tout pour rendre sa position inexpugnable - à l’instar de ce que font la droite ‘’dure’’ et l’ultra droite nationaliste qui gouvernent respectivement en Hongrie et en Pologne. Et à considérer que les mesures les plus odieuses - celles qui spéculent ouvertement sur l’inintelligence et sur les passions mauvaises et celles qui sont les plus mortifiantes pour les valeurs de la République - que des maires frontistes ou assimilés ont pu localement édicter préfigurent ce que ferait à l’échelle nationale un gouvernement issu d’une victoire de Mme Le Pen à l’élection présidentielle. Sans préjudice des choix de politique générale défendus par le Front National.

Une précaution qui mérite certes d’être regardée comme déterminante, mais dont on doit concéder qu’elle ne peut valoir plus que ce qu’elle vaut. Dans la mesure où rapportée à l’alternative qui mettrait face à face Mme Le Pen et Nicolas Sarkozy, elle ne saurait comporter la garantie que ce dernier, une fois élu, et s’il se trouvait en peine de réunir une majorité à l’Assemblée nationale, ne contracterait pas une alliance avec les députés frontistes, ou, au minimum, ne négocierait avec ceux-ci un appui au coup par coup - dans une espèce de caricature sinistre de la notion de ‘’majorité d’idées’’. Et où elle n’assurerait même pas que le marché passé avec l’extrême-droite n’en viendrait pas à glisser, selon la distinction classique du système parlementaire, du soutien - ponctuel ou permanent - à la participation gouvernementale du Front national. Une participation qui irait au devant des attentes encore silencieuses de l’aile la plus réactionnaire de la droite classique, et qui scellerait le dépassement par celle-ci de la frontière républicaine qui isolait jusque là le FN.

n De l’interpellation des citoyens à l’interrogation des consciences.

Interrogation des consciences ? Si c’est assurément d’une interrogation de cet ordre que procèdent, derrière l’option politique, les choix citoyens pour le second tour de l’élection présidentielle, la perspective de l’après-élection, si Nicolas Sarkozy était désigné pour effectuer un nouveau mandat de président de la République, comporterait le même questionnement éthique.

Un questionnement qui s’imposerait à quiconque se dit républicain et qui énoncerait trois interpellations personnelles : cette élection est-elle valide, et puis-je considérer ce président comme légitime ? Et si ma réponse est négative, quelle conséquence me faut-il en tirer - spécialement sur le second point en termes de responsabilité civique individuelle ?

Le point de savoir si l’élection est valide ou non renvoie à une appréciation de droit et serait constitutionnellement de la seule compétence du Conseil constitutionnel. Dans l’hypothèse où l’on se place, compte tenu des éléments que les neuf sages auraient forcément à l’esprit relativement aux deux campagnes présidentielles précédentes de Nicolas Sarkozy - ce que l’on peut qualifier au minimum de ‘’zones d’ombre’’ pour celle de 2007, et le dépassement vertigineux des frais de campagne de l’intéressé en 2012 avec son prolongement judiciaire autour du financement de ceux-ci -, il est probable que la décision du Conseil s’entourerait de davantage que de circonspection ...

Ceci étant, les citoyens auraient, eux, en mémoire qu’il y eut des circonstances, et au moins une parmi celles-ci où la régularité d’une élection présidentielle était concernée, où le Conseil constitutionnel ne se conforma pas à une maxime consacrée par l’Histoire depuis plus de trois siècles qui renfermait ses obligations en tant que plus haute juridiction de la République :

« La Cour rend des arrêts, et non pas des services. ».

Les temps ont certes changé à cet égard, surtout par rapport à la subordination plus ou moins discrète à l’Exécutif dont les premières décennies de la Vème république ont laissé le souvenir, et l’indépendance du Conseil s’est incontestablement affirmée sous son dernier président : le juge constitutionnel est-il pour autant en capacité - une capacité d’ordre politique - d’infirmer, si la loi l’exigeait, une élection présidentielle au suffrage universel direct - i.e. le résultat d’un scrutin capital où l’ensemble du corps électoral a été appelé à s’exprimer ?

Quant à la question de la légitimité, elle a en propre de s’apprécier à la fois selon des critères objectifs et des critères subjectifs. Les premiers intègrent évidemment les considérants qui décident de la régularité de l’élection, mais ils concourent principalement, à un niveau supérieur d’homologation, à la vérification de la conformité de la votation populaire aux dispositions constitutionnelles qui depuis 1962 régissent l’élection directe du président de la République.

Indépendamment de toute contestation susceptible d’interroger ces critères objectifs, c’est à des critères subjectifs qu’en appellerait essentiellement l’interpellation visant la légitimité d’une nouvelle élection de Nicolas Sarkozy et celle du nouveau mandat qui s’ouvrirait devant ce dernier,

D’abord parce que la légitimité politique, dans sa dimension historique et/ou morale, surplombe toujours la légitimité juridique. La période à la fois tragique et honteuse, héroïque et abjecte, de 1940 à 1944 en a produit dramatiquement l’illustration la plus exemplaire.

La légitimité juridique, au moins jusqu’à l’automne 1942[3], appartient en effet au maréchal Pétain et au gouvernement de Vichy, tandis que la légitimité nationale est sur les quatre années l’apanage du seul général de Gaulle, chef et symbole de la Etats-Unis Libre.

Ensuite, parce que la contestation en légitimité du nouveau mandat qui aurait été accordé à Nicolas Sarkozy renverrait à un critère subjectif par excellence : le défaut de capacité éthique. Subjectif ne signifiant pas incertain, mais désignant une conviction personnelle arrêtée en conscience.

L’interrogation de conscience vaudrait en l’espèce citation à comparaître pour l’image d’infirmité morale qui est imprimée sur un personnage suspecté dans des dossiers judiciaires où sa probité et son honorabilité sont directement mis en cause - parmi lesquels pas moins de deux accusations touchant à la commission du crime de forfaiture,

Et si l’on a justement pesé dans les pages qui précèdent la charge d’indignité que la somme des éléments successivement appelés - qui nous ont paru ne faire qu’un du probant et de l’accablant - impute à Nicolas Sarkozy, le jugement subjectif du citoyen ne pourrait s’arrêter que sur la certitude que cette charge constitue un obstacle insurmontable à l’exercice de la fonction de président de la République. Fût-ce en laissant ouverte, par scrupule, l’hypothèse que la justice vienne un jour contredire ce jugement de l’esprit civique.

Dans le temps qui est ici considéré, l’immédiat de l’après-élection présidentielle où le plus probable est que les juges n’auront rien tranché définitivement du cas de l’intéressé, c’est bien en raison d’une indignité personnelle - indignité étant prise à la fois dans le sens moral du terme et dans un sens voisin de celui de l’indignité nationale prononcée à la Libération - qu’une seconde élection de Nicolas Sarkozy à la première magistrature de la République serait d’office dépouillée de sa légitimité.

En ce qu’elle serait privative de l’habilitation à exercer un pouvoir auquel nos institutions ont donné un caractère monarchique, cette indignité appellerait un rapprochement avec l’exclusion de l’onction du sacre qui serait venue frapper un souverain médiéval sous le coup d’une excommunication.

Chaque citoyen appelé à ses propres yeux à rendre ce jugement de conscience aurait pu constater que l’armoire débordante des éléments à charge produits contre le président élu a continué à se remplir au fil de la campagne électorale, et la disqualification morale qu’il prononcerait n’en aurait qu’encore moins de raison de ménager une place à l’hésitation.

C’est là une considération qui s’appuie déjà sur un premier exemple, mentionné ci-après, et qui se projette sur une certitude : durant la période précédant l’élection, le cours naturel des instructions engagées et les investigations de la presse ne pourront pas manquer de mettre au jour des indices nouveaux, voire des preuves matérielles définitivement irréfutables, à l’encontre de Nicolas Sarkozy.

Qui s’ajouteront à la somme des mises en cause qui hypothèquent le mandat que celui-ci fait tout pour obtenir d’un scrutin favorable en 2017.

Au moment où ces lignes sont écrites, le dernier élément de preuve publié (voir « L’Obs » sur Internet le 27 septembre 2016) va bien dans le sens d’un alourdissement continu de la suspicion - déjà écrasante - qui pèse sur l’intéressé. On en citera, ci-dessous, un extrait qui est d’autant plus éclairant que les faits concernés sont présentés avec la froide objectivité d’un rapport de gendarmerie.

«  Explosif : Médiapart révèle qu’un carnet de notes, appartenant à un ex-ministre libyen et détaillant plusieurs versements du régime de Kadhafi effectués en pleine campagne de 2007, est actuellement exploité par la justice.

«  La justice française enquête depuis 3 ans sur les soupçons d’un financement libyen occulte et massif de la première campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Et, révèle Médiapart, le juge d’instruction parisien Serge Tournaire et les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption viendraient d’obtenir de la justice norvégienne la communication de nouvelles pièces : des notes manuscrites, rédigées par Choukri Ghanem et datées du 29 avril 2007, qui détaillent trois versements d’un total de 6,5 millions d’euros au profit du futur président français.

«  Le ministre libyen du Pétrole y retranscrit le compte-rendu d’une réunion avec d’autres dignitaires du régime, au cours de laquelle sont évoqués les noms de trois auteurs de versements au clan Sarkozy :

-          Saïf al-Islam Kadhafi - second fils du colonel - pour 3 millions d’euros ;

-          Abdallah Senoussi - chef des services secrets et beau-frère de Kadhafi - pour 2 millions d’euros ;

-          Bachir Saleh - directeur de cabinet de Kadhafi - pour 1,5 million d’euros.

«  Dans son compte-rendu des discussions, Ghanem fait aussi état d’une impatience des destinataires quant à la réception physique des fonds, affirme Médiapart.

Le («tout en ligne») d’investigation souligne que ce carnet est la première preuve tangible de versements - le document révélé en 2012, par ailleurs authentifié par un expert, n’était qu’un accord de financement « .

La publication de « L’Obs » rappelle en outre :

«  Dans un extrait non-publié de l’entretien accordé en mars 2011 au « Figaro », dont l’enregistrement a été diffusé par France 3 début 2014, Mouammar Kadhafi affirmait avoir fait arriver Nicolas Sarkozy au pouvoir en France :

«  C’est nous qui lui avons fourni les fonds qui lui ont permis de gagner les élections. [...] Il est venu me voir alors qu’il était ministre de l’Intérieur. Il m’a demandé un soutien financier. Et on l’a soutenu ».  .

Elle apporte également un éclairage factuel qui est de ceux qui, dans une affaire dont il importe au plus haut point que rien ne filtre, laissent entrevoir une intervention de ces services qui sont spécialisés dans des opérations dont la discrétion fait tout le prix, et qui sont ordinairement activités du sommet des pouvoirs d’Etat :

«  Le 29 avril 2012, la police autrichienne retrouvait le corps sans vie de Choukri Ghanem dans les eaux du Danube, à Vienne, concluant à une noyade accidentelle consécutive à une crise cardiaque. Acteur clé de la réconciliation entre Paris et Tripoli, l’ancien ministre du Pétrole de Kadhafi s’était exilé en France après la chute du colonel, tué fin 2011 pendant les printemps arabes « .

Le sort commun aux pièces de cette nature est d’être, à peine révélées, qualifiées de faux par ceux qu’elles dénoncent. Sans préjudice des analyses du texte qui, nonobstant le déni d’authenticité qui a été immédiatement opposé à ce dernier, s’emploient à y pointer des contradictions censées invalider les faits rapportés.

Ainsi en a-t-l été de la notation du compte rendu cité qui signale ‘’une impatience des destinataires quant à la réception physique des fonds’’ - notation dont d’aucuns ont tiré parti pour jeter un doute sur l’acheminement final des versements libyens, en faisant plus que sous-entendre qu’il y avait là de quoi infirmer la concrétisation de ceux-ci. Comme si la lenteur d’exécution d’un versement contraire à la loi n’était pas a priori parfaitement explicable par les procédures et les modalités complexes auxquelles les intermédiaires et passeurs en tous genres devaient par précaution se soumettre ...

Ce document ne concerne certes qu’une faible part du montant estimé du financement dont il est reproché à Nicolas Sarkozy d’avoir bénéficié pour sa campagne présidentielle de 2007 de la part du régime de Tripoli. Mais il conforte (s’il en était besoin …) l’intime conviction qui tient que l’intéressé a sollicité et obtenu ce financement constitutif du crime de forfaiture[4]. Une forfaiture qu’on a spécifiée en distinguant la nature particulière qu’elle tire du fait qu’elle a été formée dès que son auteur s’est mis entre les mains des dirigeants libyens, quand bien même ses effets ne se sont manifestés qu’un peu plus tard - i.e. à partir de l’instant où des financements occultes octroyés avant l’élection de 2007 devenaient, cette élection acquise au bénéfice de Nicolas Sarkozy, susceptibles d’être activés en moyens de chantage, ou de pression, sur le président de la République française pour faire valoir les intérêts du régime kadhafiste et/ou de ses principaux dignitaires.

n Reste à répondre à la troisième interpellation citoyenne : quelle conséquence tirer du constat de l’illégitimité d’un président élu ?

A chacun d’envisager de quelle manière il protesterait de l’illégitimité d’un président de la République, en récusant ainsi le mandat que dernier prétendrait exercer.
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Il est néanmoins de sage précaution, compte tenu de l’état des scénarios pour le second tout de la prochaine élection présidentielle, de comparer sans trop attendre les manifestations de cette protestation qui viennent naturellement à l’esprit. Mettre en discussion collective les intentions de chacun à cet égard apparaît au demeurant comme un moyen de stimuler l’imagination et la réflexion citoyennes, puis de recenser les modes de protestation qui seraient les plus pertinents et les plus expressifs.

Il importe en premier lieu de circonscrire le champ de cette contestation. De s’assurer qu’on s’entend précisément sur sa nature, sur la raison qui la justifie, et sur les moyens qui s’accordent à l’une et à l’autre et qui s’y bornent. Distincte de la notion de ‘’désobéissance civile’’ - réponse appropriée quand elle vise un exécutif qui ne s’incline pas devant la perte de son habilitation à gouverner prononcée pour une raison morale ou politique dirimante et sans appel -, l’idée d’objection civique se propose comme celle qui semble la plus pertinemment opposable à un président dont la nation, ni ceux de ses corps dont c’était le rôle, ne sont parvenus à empêcher qu’il soit illégitimement élu et qui vient juste d’entrer en fonction.

Schématiquement, la désobéissance civile s’oppose d’abord à l’illégalité d’un pouvoir, et l’objection civique à l’illégitimité de son titulaire.

En quoi consiste plus précisément cette ‘’objection civique’’ ? En la dénonciation citoyenne - la plus élémentaire dans un état de droit - de ce que le détenteur d’une charge publique ne dispose pas de la qualification requise pour remplir celle-ci - et en l’espèce de la qualification morale que la République attend de tous ses serviteurs.

A la différence de la désobéissance civile qui autorise à se retrancher de la gouvernance du droit - s’entend du droit public - parce que cette gouvernance se trouve comme suspendue par l’invalidation de l’autorité qui a vocation à la faire respecter, l’objection civique vise, elle, la personne qui, de par son illégitimité, se positionne en usurpation de la fonction qu’elle occupe dans la République. A son égard, elle constitue la première réplique ou rétorsion citoyenne, l’une et l’autre porteuse du mépris public.

A partir de ce cadrage, les voies et les formes que pourrait emprunter l’expression du déni de légitimité sont multiples. Suivant ce qu’on a déjà avancé, elles se prêteraient avantageusement, via les supports numériques, à un partage de propositions et à un débat conclu par un vote sélectif - l’idéal étant qu’une expression commune de ce déni soit adoptée. Le délai entre la proclamation des résultats du second tour de l’élection présidentielle et la prise de fonctions du nouveau président devrait a priori donner un temps suffisant à la tenue de cette concertation républicaine (du moins si la simplicité de ses modalités privilégie la rapidité requise par les circonstances).

Pour ce qui concerne sa propre protestation, si les circonstances font qu’elle ait à s’exprimer, l’auteur de ces lignes incline à penser - et c’est ce qui ferait donc la suggestion qu’il soumettrait au débat contestataire - que pour les citoyens pénétrés de la certitude de l’illégitimité du président de la République, la manifestation la plus immédiatement démonstrative de leur conviction consisterait à faire retour à celui-ci de leur carte d’électeur. En accompagnant ce retour d’une lettre qui motive leur initiative et qui adosse donc celle-ci à la disqualification morale de son destinataire.

Ainsi secondé et explicité par une lettre-type, une lettre-modèle ou une lettre de rédaction individuelle, selon ce qui serait ressorti du débat républicain sur ce point, mais s’appuyant dans chaque cas sur l’étai de considérants identiques, le retour au personnage qui accède à la plus haute fonction de la République de ces cartes d’électeurs renvoyées en nombre par leurs détenteurs, notifierait à l’intéressé le discrédit en lequel il est tenu. Un discrédit dont la prise en compte politique serait évidemment proportionnelle au nombre des retours décomptés.

Symboliquement, ce geste signifierait de la part de chacun de ses auteurs qu’il se met en grève de la République. Une grève justifiée par la dénaturation que ferait subir au régime républicain l’indignité de son premier magistrat. Par celle que produirait sur les institutions l’incapacité morale du président de la République à exercer les fonctions que lui confie la constitution, et avant toutes autres celles de garant et d’arbitre. Et, plus directement encore, par celle qui affecterait l’appareil des droits protecteurs du corps social et qui se déduirait de l’invraisemblance du cas de figure qui ferait voir un président élu parce qu’il a réussi à échapper à ses juges - et/ou qui a voulu être élu pour s’abriter de leurs poursuites - endosser le costume de gardien de l’état de droit et de comptable de l’indépendance de la justice.

Une grève de la République qui se ramènerait à l’exercice d’un droit de retrait des fonctions citoyennes. Un retrait obstinément et tranquillement poursuivi tant que perdurerait le scandale public de l’illégitimité avérée du président de la République.

Une seconde étape suivrait logiquement cette première réaction civique qu’on pourrait classer, métaphoriquement, dans le registre de la défense passive. Elle se voudrait, elle, résolument offensive et emprunterait la voie d’une pétition publique adressée aux deux chambres du Parlement.

Cette pétition inviterait l’Assemblée nationale et le Sénat à voter la loi organique permettant la mise en œuvre de la procédure de destitution instituée par la révision constitutionnelle du 23 février 2007 : la destitution par le Parlement du président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » deviendrait ainsi enfin applicable.

On peut disserter sans fin sur les incertitudes, les ambiguïtés et les failles que comporte le dispositif introduit par cette révision, et qui ne sont que le reflet de celles qui affectent les institutions de la Vème république dans la configuration où ces dernières ont été appliquées par le général de Gaulle puis par ses successeurs : l’invention, dans le cadre d’un système présidentialiste parlementarisé, d’une responsabilité éthico-politique, même assez vaguement circonscrite, du président de la République a nécessairement tout d’un exercice d’équilibrisme constitutionnel.

Si les dispositions restées en suspens depuis dix ans devenaient opérantes, il est hors de doute que le flou qui entoure le champ d’application qui leur est réellement ouvert donnerait à penser - à beaucoup et en première analyse - que la menace de leur utilisation contre un Nicolas Sarkozy revenu à la tête de l’Etat, viserait les seuls actes de celui-ci accomplis pendant ce nouveau mandat. Ce qui serait déjà, pour la durée du dit mandat, une précieuse épée de Damoclès suspendue au dessus d’un personnage dont la personnalité et le passé sont ce qu’ils sont.

S’agissant en revanche de la somme des manquements qui, au titre de son premier mandat, sont imputables à Nicolas Sarkozy, ce dernier, son clan et ses partisans obligés trouveraient nombre de constitutionnalistes pour soutenir qu’ils échappent à la sanction prévue par la loi constitutionnelle de février 2007.

Or, outre que cette non rétroactivité ne ressort pas explicitement du texte de la loi :

« Art. 68. - Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »,

qui peut supposer que des actes fautifs commis par un président de la République à l’occasion d’un mandat antérieur à son mandat en cours, mais dont l’établissement de la certitude de leur commission aurait lieu pendant ce dernier, ne justifieraient pas l’ouverture d’une procédure de destitution dès lors qu’ils auraient été constitutifs d’un manquement si grave aux devoirs propres au chef de l’Etat qu’ils apparaîtraient incontestablement de nature à être incompatibles avec le maintien en fonction de celui-ci ?

Deux cas de figure - les plus immédiatement imaginables - illustrent le danger que cette lecture de bon sens de l’article 68 dans sa nouvelle rédaction ferait courir à un Nicolas Sarkozy réinstallé à la présidence de la République.

Le premier étant que parmi celles et ceux qui sont renvoyés devant les juges pour leur compromission dans l’affaire dite « des sondages de l’Elysée », ou dans l’escroquerie dont l’Etat a été victime sous le couvert du fallacieux « arbitrage Tapie », il s’en trouve un qui se décide, pour prévenir une trop grande sévérité de la justice à son égard, et notamment pour éviter une peine de prison ferme, à passer des aveux complets qui mettent pleinement en lumière la culpabilité de Nicolas Sarkozy dans toute sa gravité et toute son étendue - aveux que d’autres prévenus, pour ne pas être en reste, viendraient alors confirmer de façon probante et dans leur entier, et qui pour servir encore mieux la vérité, seraient au surplus étayés par la fourniture de preuves matérielles incontestables que les personnes poursuivies auraient jusque là dissimulés aux enquêteurs.

Le second, éventualité, non moins réaliste, procédant de la découverte par la presse d’investigation - sur-motivée que celle-ci serait par le scandale qu’elle aurait vu dans la participation victorieuse de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle - de documents ou de témoignages établissant sans discussion possible la forfaiture commise par celui-ci à travers le financement libyen de sa campagne de 2007, ou dans le montage de la spoliation de l’Etat arrangée au bénéfice de Bernard Tapie.

Sauf à se faire à l’idée (démentie par les études d’opinion) que la majorité de nos concitoyens ne s’attendent plus à trouver de la probité chez le titulaire de la plus haute autorité publique, et qu’ils ont perdu toute entendement de ce que recouvrait la notion de vertu républicaine et de ce qu’implique le respect de l’Etat de droit, la certification soudaine d’un ou de plusieurs manquements gravissimes à la loi dont le soupçon pesait déjà depuis des années sur le président de la République - malgré des dénégations du principal intéressé énoncées contre toute évidence et répétées notamment tout au long de la campagne ayant conduit à son élection - aurait tout pour jeter sur ce dernier un discrédit dévastateur.

Un discrédit d’une telle ampleur que ce président de la République se verrait censuré par le jugement éthique des consciences citoyennes avant de l’être par le Parlement.

C’est de la puissance de ce discrédit moral que dépendrait le constat par les parlementaires de ce que la déconsidération infligée à Nicolas Sarkozy par la production de la preuve d’un manquement majeur de sa part, à la fois irréparable et disqualifiant, a pour effet immédiat de placer celui-ci dans l’impossibilité de poursuivre son deuxième mandat. Les dits parlementaires étant pour le reste conduits à se déterminer par le caractère infamant du manquement en cause - caractère qui vaut pour chacune des fautes susceptibles d’être démontrées et qu’ils n’auraient d’autre choix que de faire prévaloir sur l’ancienneté relative de celles-ci, toutes étant par ailleurs inaccessibles à quelque circonstance atténuante que ce soit.

Sachant que le Sénat a retrouvé une majorité de droite, et que l’Assemblée nationale qui, quelques semaines après le scrutin présidentiel, sortira des élections législatives de 2017 sera encore plus majoritairement d’une orientation identique, ce constat par le Parlement de l’obligation où il se trouve de tirer les conséquences de la certitude désormais acquise que le président de la République a failli irrémédiablement à ses devoirs lors de son premier mandat, ne pourrait s’affranchir de la pesanteur des rapports de force politiques qu’en procédant de la prise en considération d’un impératif républicain : sauvegarder le crédit des institutions, la dignité des assemblées et la légitimité de la gouvernance de la République en prononçant la destitution d’un président dont il est avéré qu’il a manqué à ses devoirs à un degré manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions.

Faute que le Parlement s’aligne sur cet impératif, ou pour lui signifier par la voix populaire que le critère sur lequel l’alinéa premier de l’article 68 de la constitution qualifie la faute qui ouvre le champ à la déchéance d’un président de la République de son mandat est plus qu’amplement formé, une nouvelle pétition publique serait à coup sûr indispensable.

Comme aux deux étapes précédentes par lesquelles serait passé le déni citoyen de la légitimité d’une seconde élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l’Etat - celle de la protestation individuelle et celle de la pétition exigeant que soit votée la loi organique conditionnant la mise en œuvre de la destitution -, le succès de l’initiative civique serait ainsi subordonné à une mobilisation de dimension nationale.

Sans préjudice du passage obligé par la réfutation des contestations qui seraient soulevés en vue de rendre inopérantes vis à vis de Nicolas Sarkozy les dispositions introduites par la révision constitutionnelle de 2007.

La plus attendue consistant à arguer de l’irresponsabilité politique qui privilégie le président de la République et qui couvre, après l’achèvement de son mandat, les actes qu’il a accomplis en cette qualité.

Interprétation soutenue en se référant, tant que faire se peut, à l’état du texte constitutionnel sous le premier mandat de Nicolas Sarkozy, et en vertu de laquelle l’intéressé s’est toujours prétendu protégé, aussi bien au regard des poursuites engagées dans le dossier des sondages de l’Elysée que de celles afférentes à l’affaire de l’arbitrage Tapie, par l’immunité dont le président de la République bénéficie pour les actes effectués dans l’exercice de ses fonctions.

On a déjà souligné le non sens sur lequel est construit ce moyen de défense. Un non sens qu’on peut souligner en citant la maxime qu’aimait jadis rappeler un grand professeur de droit : « Ce qui est absurde, ne peut pas être juridique ». Distribuer, par faveur, entre ses proches conseillers, des commandes présidentielles aussi nombreuses que lucratives en passant outre pour ce faire aux règles de passation des marchés publics, ou ordonner que soit perpétrée une fraude et une malversation au détriment de l’Etat aux fins de faire verser un pactole à un particulier gratifié du copinage présidentiel, pourraient-ils être considérées comme des décisions intervenues au titre des fonctions d’un président de la République et comme des actes faisant normalement partie de celles-ci[5] ?

On conviendra que peu d’interrogations reçoivent une réponse aussi clairement, aussi incontestablement et aussi définitivement négative.

Et si toutes les entraves ou complications envisageables sur le chemin de la destitution d’un Nicolas Sarkozy parvenu à se faire élire une seconde fois à la présidence de la République, s’avéraient autant dépourvues de sérieux et, normalement, d’aussi peu de capacité de retardement, les électeurs indignés du printemps 2007 n’auraient pas grande inquiétude à concevoir quant à la durée de ce nouveau mandat.

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A qui demanderait de quelle raison a procédé la nécessité ressentie par l’auteur des pages qui précèdent d’envisager de façon aussi détaillée les incidences de la nouvelle candidature présidentielle de Nicolas Sarkozy, la réponse la plus simple à lui apporter tiendrait en une comparaison factuelle.

Factuelle et chronologique : pour ne retenir que deux des dossiers en suspens, le financement électoral libyen dont Nicolas Sarkozy est soupçonné remonte à 2007, et l’arbitrage truqué au bénéfice du Bernard Tapie, qui est sans doute la plus grave accusation dont il a à répondre en tant que premier magistrat de la République, date de 2008, soit du début de son mandat achevé en 2012. Respectivement dix années plus tard et plus de quatre années après le terme de ce mandat, celui qui a été qualifié de ‘’sale type’’ par son concurrent victorieux de 2012, est en mesure de se représenter à l’élection capitale de la Vème république parce que la justice n’a pas été en mesure de se prononcer sur les imputations dont il a été l’objet - lesquelles ne sont même pas venues devant les juridictions de jugement de premier degré compétentes.

Et l’opinion ne s’est pas particulièrement émue - la classe politique encore moins - de ce que quatre années - pour se limiter à la période où l’immunité judiciaire de Nicolas Sarkozy avait pris fin - n’aient pas suffi pour que ces imputations soient jugées, ou pour que le cas échéant, il en soit fait justice à la décharge d’un ancien président de la République.

En regard de ces quatre années perdues, qui en feront cinq, combien de temps a-t-il fallu aux Etats-Unis pour que le scandale du Watergate, instruit suivant des formes constitutionnelles adéquates et avec tous les moyens nécessaires, oblige Richard Nixon à démissionner[6] ?

Davantage encore que d’une comparaison, il s’agit d’une opposition entre les niveaux d’honnêteté et de décence civique que les institutions de deux sociétés - sinon toujours leur corps électoral - requièrent respectivement des détenteurs d’une fonction publique ou des aspirants à l’exercice de celles-ci. Opposition qui s’apprécie connaissant les effets délétères pour un régime démocratique d’une impunité trop longtemps consentie à un gouvernant exposé à une condamnation pénale - et ce pour des infractions dont la seule suspicion, dès lors qu’elle est suffisamment nourrie, est de nature à entraîner sa déchéance dans l’estime de ses concitoyens.

Le parcours de l’impunité de Nicolas Sarkozy et sa projection sur les prochains mois forment l’essentiel de l’intrigue du plus plausible des trois plus noirs scénarios que comporte l’élection présidentielle de 2007 - les deux autres étant la victoire de l’extrême-droite et celle, qui semble de loin la plus inaccessible, du néo-thatchérisme à la française incarné par François Fillon.

Mettre en pages ce scénario, c’est évidemment prendre le risque d’être démenti par les faits. Face à la candidature de Nicolas Sarkozy, un succès d’Alain Juppé à la primaire de la droite se joue en effet à chances égales, voire supérieures au gré des mouvements du sentiment public, Un succès qui, à l’instar des autres postulants, le désignerait quasi automatiquement comme le futur le président de la République, la certitude que la droite l’emportera au printemps prochain réduisant le scrutin officiel à une invitation faite aux électeurs acquis aux ‘’Républicains’’ de venir confirmer la sélection déjà opérée par leur camp lors sa primaire[7].

Et c’est aussi, par la force des choses, endosser les habits de Cassandre. Laquelle, outre qu’elle est privée du pouvoir de persuasion, intéresse généralement assez peu parce que le pire, serait-il formé des menaces les plus clairement intelligibles, n’est que rarement certain et, peut-être plus encore, parce que l’avenir apparaît toujours lointain.

Mais si dans le texte qui nous a menés jusqu’ici, Cassandre a tenu la plume, au moins ne fut-ce pas seulement pour annoncer aux Troyens la destruction de leur ville, ni pour se limiter à en prévoir et à en décrire les causes.

L’intention qui s’est formée au fil des pages a bien été de dresser, en contrepoint d’un réquisitoire aussi complet que nécessaire contre Nicolas Sarkozy, un état des lieux d’une démocratie outragée et moralement sinistrée par l’impunité de fait dont celui-ci dispose à ce jour. Par toutes les raisons qui l’ont rendu insaisissable par la justice après qu’eut cessé son immunité judiciaire. Et qui l’ont autorisé à concourir en vue de l’élection présidentielle sans qu’aucune des charges, accusations et suspicions pesant sur lui - alliant forfaiture, escroquerie, prévarication, corruption active …, autant de legs de son mandat qu’il traîne derrière lui depuis 2012 - n’ait pu être apurée par les juges de la République.

Le scandale civique qui est ainsi exposé peut cesser sur un échec de sa candidature aux primaires de la droite. Mais c’est pour envisager le cas contraire dans ses conséquences que Cassandre (plus éloignée de la divination, faut-il le préciser, qu’on puisse jamais l’être …) a prolongé la confrontation entre d’une part les normes d’un état de droit et l’éthique républicaine, et d’autre part l’indignité d’un candidat qui réunit tous les critères pour être perdu de réputation - confrontation inconcevable en ses termes dans toute autre démocratie affermie - jusqu’après le dénouement qu’elle trouverait le plus vraisemblablement devant le suffrage universel : celui où le corps électoral, contraint dans son choix par la présence de la candidate du Front National au second tour du scrutin présidentiel, devrait consentir à Nicolas Sarkozy un nouveau mandat de président de la République.

En cherchant à appréhender les suites de ce dénouement, Cassandre n’a pas cédé à une inclination pour la politique-fiction ou pour les paysages politiques peints aux teintes les plus sombres. Elle a bien suivi un projet, qu’elle peut revendiquer comme un engagement personnel, qui était de dégager les voies constitutionnelles et citoyennes amenant au plus tôt la destitution de Nicolas Sarkozy pour les manquements à ses devoirs de premier magistrat de la République afférents à son mandat initial.

Des manquements, qu’ils soient certifiés par l’avancement du processus judiciaire ou par les investigations de la presse d’enquête et d’opinion, dont chacun se définirait de lui-même comme ayant été non seulement ‘’manifestement incompatible’’ au moment de sa commission avec l’exercice de ce premier mandat, mais comme jetant la même disqualification sur le mandat en cours.

Cette disqualification étant rendue opérante vis à vis de ce nouveau mandat par la conjonction des preuves établies et de la possibilité offerte au Parlement de se servir de la sanction de la destitution - celle-ci ayant pour effet immédiat de donner à l’autorité judiciaire la possibilité de se saisir d’un président rendu au droit commun.

Le peuple français gardant - faut-il le rappeler ? - le dernier mot lors de l’élection présidentielle consécutive à cette destitution, pour autant que le président de la République déchu de son mandat, en concourant à cette élection (qui se situerait évidemment avant toute décision définitive de la justice), entende le placer en position d’arbitre et faire de lui le recours contre sa révocation.

Que le scénario qu’elle a, par méthode, envisagé se réalise, et Cassandre méritera un peu de reconnaissance de la part de ces concitoyens. En effet, si ceux-ci devaient se réveiller, le résultat du scrutin de 2007 acquis, avec la ‘’gueule de bois’’ des mauvais matins des lendemains d’élection, en ayant à se faire à l’idée accablante qu’un nouveau mandat présidentiel est tombé entre les mains de Nicolas Sarkozy, quel autre réconfort pourrait alors mieux les secourir que la perspective d’une mobilisation concentrée sur les voies et moyens de parvenir à la destitution de l’intéressé ?

Quel autre ‘’rebond’’ citoyen serait au demeurant concevable que d’entreprendre de franchir une à une toutes les étapes nécessaires - celles qui ont été ci-avant énoncées ou celles qui paraîtraient plus sûrement agissantes - pour amener le Parlement à prononcer la déchéance d’un mandat obtenu malgré tous les avertissements ayant dénoncé l’illégitimité du candidat qui l’aurait conquis ? Et conquis, en fin de compte, grâce à des circonstances politiques outrageusement favorables - i.e. le nombre voix réunies par l’extrême-droite au 1er tour du scrutin et le ‘’vote utile’’ qui lui aurait répondu au second.

Objecterait-on que le retour de Nicolas Sarkozy au sommet de l’Etat serait l’expression de la volonté majoritairement exprimée par le suffrage universel, qu’il n’y aurait pas là de quoi infirmer le caractère démocratique d’un appel fait à sa destitution. Car celle-ci sanctionnerait un personnage déjà discrédité dont tout laisse prévoir que les développements des prochains semestres fourniront à son encontre la plus incontestable confirmation de la nécessité de l’exclure à jamais de l’exercice d’une fonction publique.

La démocratie n’est pas faite que de l’addition des bulletins de vote sortis des urnes. Elle est d’abord une construction de droits, de garanties et de protections qui s’élève sans relâche dans l’intérêt des citoyens. Une construction conçue pour fortifier leur liberté et pour les diriger vers toujours plus d’égalité, mais qui dessine son projet sans s’écarter en rien de son objectif premier -celui dont la réalisation conditionne celles de tous les autres qu’elle a à poursuivre : façonner la nation en tant qu’état de droit.

Un état de droit qui bien loin de se résumer à la somme des lois en vigueur - par nature réformables et évolutives -, façonne et encadre le référentiel des principes et l’économe du droit qui régissent une société libre. Qui, partant, sanctuarise le contrat social auquel se conforme et sur lequel se fixe tout système démocratique pour pouvoir prétendre à cette qualité. Et qui en assumant pleinement ce double rôle vis à vis du contrat social, dont il est en même temps partie prenante, constitue l’unique garde-fou capable de prévenir le basculement de la démocratie dans son exact contraire : la démagogie.

Là réside l’équilibre fondateur de la démocratie. Celui qui lui permet de-confier la confection et l’exécution des lois à la majorité qui se forme dans le corps social sans que celle-ci n’en tire un pouvoir ou une capacité de tyrannie.

Mais qui l’appelle aussi impérativement à toujours faire de la minorité son rempart.

Didier LEUWEN - 19 10 2016

Publié sur Facebook ce même jour.




[1] A l’aune de cette négligence, et vu le vague qui entoure cette notion, combien de membres des gouvernements qu’a comptés la république auraient été exposés à répondre de leur gestion devant une Haute Cour ?
[2] L’exception historique, en matière de bon fonctionnement d’une juridiction politique, doit se réduire à la Haute Cour de la Libération, dans sa configuration parlementaire et telle qu’elle fut présidée par le député socialiste Louis Noguères.
[3] Avec la prise de contrôle de l’Algérie et du Maroc par les Alliés et la formation à Alger d’une autorité étatique (Darlan, puis Giraud) concurrente de celle siégeant à Vichy - et avec, corrélativement, l’occupation militaire par les Allemands de l’ex-‘’zone libre’’ qui achève de réduire à une fiction l’‘’Etat français’’ consacré par l’armistice de 1940.
[4] La confirmation qu’apporte la publication de cette preuve matérielle appelle une observation qui vaut pour tout élément probatoire du type de celle-ci produit dans un scandale d’Etat : une interrogation sur son authenticité ne peut presque jamais être totalement écartée parce que les affaires auxquelles cette preuve se rapporte appartiennent à un terrain où les manœuvres des ‘’services’’ et autres officines sont susceptibles de s’être déployées - de sorte aussi qu’un ‘’faux’’ peut n’être que la fabrication astucieuse d’une pièce dont le truquage est destiné à être découvert au grand bénéfice de sa cible apparente qui peut en tirer le parti de passer du statut d’accusé à celui de victime d’une machination …
[5] L’immunité pénale (et civile) du président de la République sous le régime originel de l’article 68 de la constitution ne paraissait pas moins absurde.  Comment se représenter en effet que pour des actes privés – détachables de ses fonctions- le chef du pouvoir exécutif était abrité de toute mise en cause devant les juridictions pénales, aucune poursuite ne pouvant être exercée à son encontre pendant toute la durée son mandat ? La normalisation apportée par l’introduction de la procédure de destitution se mesure ainsi (par des exemples extrêmes, mais ce sont encore les plus démonstratifs) à ce qu’antérieurement, un président de la République qui aurait été convaincu d’avoir commis des actes pédophiles avant le début de son mandat, ou soupçonné d’avoir négocié la participation d’un réseau de prostituées à des soirées échangistes ayant eu le parc de l’Elysée pour théâtre, ou, pire, accusé d’avoir empoisonné son épouse légitime pour convoler dans de nouvelles noces avec sa maîtresse en titre, aurait vu jouer en sa faveur son impunité judiciaire, temporaire mais absolue (sauf à tirer parti d’un vide juridique - évidemment voulu pour des raisons de précaution politique - qui faisait que n’importe quels faits pouvaient être qualifiés de ‘’haute trahison’’ - faute non déterminée par la loi).
[6] Le cambriolage du siège de campagne du Parti Démocrate dont l’affaire du Watergate tire son origine a lieu le 17 juin 1972. Richard Nixon, sous le coup d’une procédure d’impeachment, se résout à démissionner le 9 août 1974 … soit 2 ans et 2 mois plus tard.
[7] L’élection du président de la République au suffrage universel direct, telle que le général de Gaulle en a conçu l’idée n’a assurément rien de républicain, puisqu’elle consacre par un vote plébiscitaire le caractère monarchique de l’Etat. Au moins traduit-elle une pensée politique dont elle tire sa cohérence avec le système institutionnel dont elle coiffe l’édifice. La conjonction présente du recours à des ‘’primaires’’ pré-sélectives sur le modèle américain et d’études d’opinion qui donnent la certitude d’une ample victoire de la droite à l’élection présidentielle, abolit la représentation référentielle du gaullisme de la rencontre, dans la désignation du chef de l’Etat, entre un homme et le peuple français, en détruisant la logique supra partisane qui devait régir cette désignation.