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samedi 30 juillet 2016

RÉTABLIR LA PEINE DE MORT : LA FOLIE DES MOTS PRÉCÈDE TOUJOURS LA FOLIE DES ACTES.

  
QUI, LE PREMIER, VA OSER RÉCLAMER
LE RÉTABLISSEMENT DE LA PEINE DE MORT
POUR LES TERRORISTES ? 

Qui, le premier, au prochain attentat ou à l’un des suivants (puisque nous savons hélas qu’il faut s’attendre à ce qu’ils aient lieu), va franchir le pas : Nicolas SARKOZY, Laurent WAUQUIEZ … ?

Faute de connaître leur option philosophique sur la peine de mort, on accordera à MM FILLON, COPÉ et MARTINON, et aux candidats de second plan à la primaire de la droite, le crédit de ne pas les faire figurer sur la liste prévisionnelle des postulants à la commission de cette infamie. Liste dont on a évidemment a priori écarté, pour les candidatures prédominantes, celles venant de personnalités unanimement reconnues comme ‘’convenables’’ et démocratiquement compatibles.

A moins que la proposition ne vienne de M. ESTROSI, de M. CIOTTI, ou d’un autre personnage qui comme eux se distingue ordinairement dans les rangs des LR par des prises de position ultra sécuritaires. On pense notamment à ceux qui à l’instar des susnommés, doivent se mesurer dans leurs fiefs électoraux avec la concurrence du Front national.

Il faut aussi compter bien sûr avec les plumes les plus réactionnaires de la société civile dont les obsessions identitaires et les compulsions répressives ont construit le fond de commerce éditorial, et avec les éditorialistes et chroniqueurs qui ont déjà donné quelques exemples de dérapages nauséabonds.


La déferlante du punitif, du non sens et de la démagogie.

La revendication de la restauration de la peine capitale, qui s’inscrit si logiquement dans le déferlement de suggestions indignes et/ou insensées dont on nous accable depuis le 14 juillet, ne semble malheureusement laisser la place qu’à une seule incertitude : celle du moment où elle surgira.

Si on cité en premier lieu, comme auteurs potentiels, MM. SARKOZY et WAUQUIEZ, c’est que l’un et l’autre ont derrière eux une somme vertigineuse de déclarations qui ne laissent absolument aucun doute sur le fait qu’ils sont capables de tout - s’entend pour eux du pire - dans leur expression publique.

Et pour le premier, parce que son statut de candidat à la candidature - dont l’officialisation est opportunément retardée eu égard aux avantages que lui assure présentement la présidence de son parti - donnerait un relief tout particulier à l’affirmation de sa part de la nécessité d’en revenir au ‘’châtiment suprême’’. En corrélant de surcroît cet ajout à son programme aux données tactiques et au calendrier de la primaire de la droite : Nicolas SARKOZY serait en effet placé devant l’alternative d’attendre pour en faire l’annonce la dernière ligne droite de la campagne interne à son camp afin de distancer ces concurrents au moment le plus décisif, ou, si un nouvelle attaque terroriste se produit d’ici là, de se prononcer dans le summum d’émotion et dans l’emballement médiatique du moment - en se gardant subsidiairement du risque d’être devancé par le Front National et de perdre le bénéfice d’un coup de démagogie sans pareil .

Front National dont on doit bien penser qu’il n’attend lui aussi que le moment le plus opportun pour exiger le rétablissement de la peine de mort pour les auteurs d’attentats islamistes. Le concernant, outre le choix de la circonstance qu’il jugera la plus réceptive et le plus payante, l’inconnu renvoie à la personnalité qu’il chargera, ou qui se chargera, de formuler sa prise de position : la présidente du parti ou la jeune députée du Vaucluse, par ailleurs si soucieuse de la défense des valeurs dites chrétiennes et donc du ‘’respect de la vie’’ ?


L’illisible et le bruit de fond de la « droite dure ».

Est-il déraisonnable d’imaginer qu’on va assister à la réapparition dans le débat public, et en première place, de la question de la peine capitale ? A qui le penserait, on conseillera de s’arrêter devant un kiosque à journaux et de parcourir les pages de ‘’Une’’ respectives des quotidiens affichés. Faire cette expérience ces jours-ci, c’est se voir confronté, sur le sujet de la prévention et de la répression du terrorisme, aux recommandations les plus attentatoires au droit et aux principes sous lesquels la République nous a fait vivre en garantissant nos libertés, et en même temps les plus absurdes ou les plus assurément inopérantes *.

Chacun y a va de ses suggestions dans une course au plus répressif et au plus liberticide qui n’a pas de raison de trouver son terme .Ici un ancien magistrat, là un avocat général à la retraite, ailleurs un expert pas moins réputé pour son positionnement dans la droite dure, c’est à qui prescrit les mesures les plus outrées et les plus dangereuses remises en cause de ce qui fait l’état de droit dans une démocratie contemporaine.

L’idée commune - on se réfère ici au résumé qu’en donne excellemment Nicolas SARKOZY (en ce domaine entièrement dédié au libre parcours de l’irréfléchi et de l’hasardeux, il y a tout lieu de se fier à lui) - tient en ceci : « faire bouger les lignes de droit pour l’adapter à l’ampleur de la menace ».

Sachant que la menace terroriste actuelle ne connaît ni limité appréhendable quant aux moyens auxquels peut recourir l’agresseur, ni profil avéré pour l’identification et le repérage préventif des exécutants, ni étendue géographique ou sociologique à laquelle elle serait susceptible d’être circonscrite eu égard à la multiplicité et à la diversité des champs de bataille qu’elle nous impose, on entrevoit jusqu’où ces « lignes de droit », au demeurant des plus imprécises, devraient ainsi « bouger ».

Partant de là, est-il si surprenant qu’on tombe au fil des titres exposés en devanture des kiosques, sur des questions aussi ahurissantes que « Les juges sont-ils trop indépendants ? » - ceci formulé dans le pays de Montesquieu (ou il est vrai que la justice a longtemps donné des exemples qui démentaient la distinction prêtée au baron Séguier entre les arrêts et les services, et où il ne s’est trouvé, dans tout le corps judiciaire, qu’un seul magistrat pour refuser de prêter le serment au Maréchal Pétain …).

Ou sur des suppositions simplement effarantes comme celle de s’affranchir unilatéralement du contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme, la France faisant en quelque sorte le tri dans les compétences de celle-ci pour en retrancher ce qu’elle jugerait inapproprié compte tenu des exigences de la lutte contre les djihadistes. Exigences dont l’évaluation ne cesserait certainement pas d’être revue à la hausse au fil du temps, tandis que les protections apportées aux citoyens par la CEDH se réduiraient symétriquement.


Pour se faire une idée du panorama qu’on aura bientôt sous les yeux.

Laisser aller ainsi le dérèglement des opinions nous exposerait à délibérer dans quelques mois sur des propositions et sur des thèmes bien pires encore. Faut-il se résigner à ce qu’on en vienne à discuter du mode d’exécution des peines capitales appelées à être prononcées à l’encontre des terroristes ? Signalons à ceux qui penseraient qu’on tire ici les choses au plus noir que se lit déjà, entre certaines lignes, qu’il serait légitime d’appliquer aux djihadistes de nationalité française le châtiment encouru en temps de guerre pour les faits d’intelligence avec l’ennemi et de trahison ?

Et faut-il offrir cette victoire à Daesh de combattre nous-mêmes notre démocratie et son appareil de lois qui sanctuarisent les droits que nous avons conquis sur nous-mêmes et contre tous les obscurantismes, toutes les intolérances et tous les arbitraires ? Démocratie et droits que Daesh abhorre, et à un point tel qu’elle n’a pas besoin de notre concours pour s’en prendre à eux et pour y porter le fer.

On l’aura compris, le présent message veut se situer, à sa façon, dans l’esprit des lanceurs d’alerte. Alerte qui en l’espèce, se résume en fin de compte à cette mise en garde : en continuant sur la lancée où nous sommes, les questions que nous nous poserons demain seront de nous demander (si nous cherchons nos références aux Etats-Unis pour les modalités d’exécution des condamnés à mort) s’il faut faire appel aux Laboratoires Servier - auxquels on prête une expertise touchant aux molécules homicides - pour la fourniture des produits nécessaires aux injections léthales, ou, dans une autre option, s’il convient de recourir à des ‘’partenariats public-privé’’ (formule que privilégient de si bon cœur les gouvernants de droite) pour la construction de chambres à gaz ou l’équipement de salles d’électrocution ?

Sans préjudice, le cas échéant, du questionnement juridique sur le point de savoir si une clause particulière doit être ajoutée aux engagements dans notre armée de métier, prévoyant explicitement la participation des militaires du rang aux pelotons d’exécution constitués pour les terroristes ‘’nationaux’’ ? Ou de la discussion sur l’opportunité de lancer une collecte publique aux fins de financer la production d’un lot de guillotines entièrement robotisées - pour éviter d’avoir à compter avec les délais de recrutement et de formation d’une équipe d’exécuteur des hautes œuvres, puis avec le coût de leurs salaires.

Autant de perspectives de régression qu’une société civilisée ne peut envisager sans effroi. Et qui font qu’on a eu quelque raison de titrer ce message d’alerte : LA FOLIE DES MOTS PRÉCÈDE TOUJOURS LA FOLIE DES ACTES.

Didier LEVY - 30 juillet 2016
« D’HUMEUR ET DE RAISON »
(Publié sur Facebook ce même jour)

* Quel sens peut-il ainsi y avoir à préconiser l’application de la peine de mort, et de quelle invocation de l’exemplarité et du caractère dissuasif prêté à celle-ci peut-on tirer argument, s’agissant de fanatiques pour qui la mort, celle qu’ils infligent et plus encore celle à laquelle ils aspirent, fait probablement tout le sens qu’ils donnent à leur vie ?


jeudi 14 juillet 2016

« INDIGNEZ-VOUS ! » : AVANT LA GUERRE CIVILE, ESPÉRER LE REBOND ?


NOUS SOMMES TOUS « DES VOYOUS » ...

DES VOYOUS ? … 
ÉTRANGE INCRIMINATION VENANT DE CEUX
QUI ŒUVRENT À RENDRE INÉLUCTABLE
UNE CONFLAGRATION SOCIALE 
DOUBLÉE D’UNE IMPLOSION SOCIÉTALE… 


M. GATTAZ, dans l’entretien qu’il avait donné au Monde, a donc dit de la CGT, ou au moins de l’un ou de quelques uns de ses syndicats : « (ils) se comportent un peu comme des voyous, comme des terroristes ».

Certes « comme des voyous » ou « comme des terroristes », cela ne revient pas tout au fait au même, dans l’absolu, que de dire ‘’ce sont des voyous, ce sont des terroristes’’. On pourra plaider de surcroît qu’il y a ce ‘’un peu’’ qui atténuerait significativement le propos accusateur auquel il se rapporte.

Mais c’est bien une ‘’objection rejetée’’ qu’il y a lieu d’opposer aux deux moyens de cette défense sémantique. D’une part, parce qu’en l’espèce le ‘’comme’’, loin d’être une atténuation prudemment réfléchie, est tout bonnement commandé par la construction de ce passage des déclarations du président du Medef (il est aisé de se reporter au verbatim). Ensuite, pour la simple raison que le ‘’un peu’’ n’a pas de sens : valant à la fois (cf. là aussi la construction de la phrase) pour l’imputation ‘’voyous’’ et pour celle de ‘’terroristes’’, il s’invalide en vertu du bon sens - à supposer qu’on puisse être un peu des voyous, on ne saurait assurément pas être un peu terroriste …

Considérons toutefois, charitablement, que faute avouée est à moitié pardonnée, et prenons acte de ce que M. GATTAZ a retiré le terme ‘’terroriste’’ - reconnaissant « (qu’) auprès des familles, des victimes (des attentats de Paris), (c’était) un mot totalement inapproprié ».

… « tout le reste est valable » …

Demeure cependant l’accusation contenue dans le terme de ‘’voyou’’. Sur lequel M. GATTAZ ne fait aucunement amende honorable. Tout au contraire, il persiste et signe : « Dans mon interview, hormis le mot terroriste, tout le reste est valable ».

Réduite à ce seul ‘’voyou’’, sa mise en cause de la CGT pèse certes assez peu en regard de la dénonciation dont Franz-Olivier GIESBERT cible celle-ci en l’élevant, au même moment, au rang d’ennemi public n°1 à l’égal de Daesh. Dénonciation qu’il faut citer pour ce qu’elle révèle du caractère délirant que peuvent avoir les raisonnements des zélateurs du marché - (à lui seul, le péril dans lequel la CGT mettrait l’intégrité de la France ne laisse-t-il pas confondu ?) :

« Même si la comparaison peut paraître scabreuse, est-il si illégitime d'oser la formuler ? La France est soumise aujourd'hui à deux menaces qui, pour être différentes, n'en mettent pas moins en péril son intégrité : Daech et la CGT. Il va sans dire que ces deux organisations minoritaires ne sont pas de même nature (…). Mais, sur le plan tactique, elles peuvent avoir recours aux mêmes armes. L'intimidation, notamment »

Comparaison, ou assimilation, qui relève de l’aberration. Une aberration qui, de par son énormité même, laisse présumer qu’elle est imputable à une abolition passagère du discernement. Voire à un trouble du jugement qui ferait tenir pour nulle et non avenue une confusion aussi insensée.

Le propos de M. GATTAZ mérite en revanche qu’on s’y arrête. En se limitant toutefois à quelques interpellations interrogatives - réplique qui semble bien suffisante car, après tout, que le principal dirigeant du patronat s’en prenne à la CGT est en soi dans l’ordre normal des choses. En régime capitaliste, la peur de classe, et la violence qui en découle, n’ont-elles pas de tout temps procédé du ‘’haut’’ vers le ‘’bas’’, des nantis et des hyper nantis envers les ‘’classes dangereuses’’ ?

… alors, la CGT, des voyous ?

Ainsi, à vous entendre M. GATTAZ, dirigeants et militants de la CGT se conduisent comme des voyous. Ce qui, énoncé sans ce ‘’comme’’ - relu comme on l’a fait -, laisse bien entendre qu’à votre sens, ce sont des voyous.

Questionnons avec vous, plus avant, cette assertion et ses implications :

- que sont alors, à vos yeux, ces patrons du CAC 40 qui se font attribuer des rémunérations exorbitantes dont l’appréciation la plus indulgente se contente de les qualifier d’obscènes ?

- que sont ces grands personnages et ces grandes familles, au nombre des plus fortunés de France, qui, aidés de leurs conseils, recourent à toutes les ressources de l’ingénierie de l’évasion fiscale que les banques et les officines spécialisées mettent à leur disposition ? Et dont on ne peut même pas imaginer qu’ils éprouvent une once de scrupule en se dispensant d’acquitter les contributions publiques dont ils sont redevables.

- que sont encore ces banquiers, arrivés au faîte des plus prestigieuses carrières dans la finance, qui font concevoir et mettre en place à travers les paradis fiscaux, et avec les concours locaux les plus véreux, les réseaux de fraude, de dissimulation et de blanchiment qu’ils vont ensuite commercialiser auprès des délinquants fiscaux de la planète - quand ce n’est pas auprès des intermédiaires de la criminalité organisée ?

- que sont également ces dirigeants d’entreprises, commis de leurs actionnaires, qui initient un plan social (laissons la ‘’sauvegarde de l’emploi’’, tellement plus new look, au magasin des artifices de la communication), ou qui annoncent une délocalisation programmée, pour un gain immédiat en termes de valorisation boursière ?

- de quel mot vous servez-vous - on est là sur le seul terrain de la morale et des convenances humaines - pour désigner vos compagnons de route sur les hauteurs les plus élevées de la prospérité matérielle, accumulateurs ou héritiers des privilèges de la fortune, qui n’ont ni honte ni gêne à se déplacer en Porsche ou en Ferrari flambant neuve (j’en croise personnellement, de tous âges, 5 ou 6 par semaine, ce qui n’est pas négligeable) ...

tandis que des millions de leurs concitoyens, chômeurs ou précaires de toutes sortes, se voient confrontés à l’épuisement précoce de leurs budgets mensuels et aux formes ordinaires de l’exclusion. Quand ce n’est pas à l’angoisse d’être compris dans les dizaines et dizaines de milliers de décisions annuelles d’expulsion pour impayés, ou de se retrouver parmi ces dizaines et dizaines de milliers de parias qui en sont réduits, en fin de compte, à habiter la rue ou à vivre dans une voiture.

- et, dans un autre registre, comment appelleriez-vous ces gens qui au sommet du pouvoir, peuvent avoir imaginé, décidé, orchestré et exécuté une spoliation de l’Etat de plusieurs centaines de millions d‘euros, sous le stratagème d’un arbitrage truqué et au profit d’un ‘’copain et coquin’’ ? …

oui, comment les appellerez-vous, sans préjudice du terme de félon éthiquement approprié à l’acte dont ils sont soupçonnés, une fois que la justice sera passée et aura donné à cet acte sa qualification pénale de forfaiture ?

- enfin, puisqu’il faut bien clore une liste d’exemples qui offrirait encore longtemps de la matière à nos interpellations (et pour tomber au niveau de l’anecdotique car la nomenclature de la rapacité, de la fourberie et du déshonneur qu’on passe en revue avec vous va du général au particulier), où classez-vous - par rapport à ceux qui vous paraissent, à l’instar de la CGT, mériter d’être rangés au nombre des voyous - le trésorier d’une candidature présidentielle de 2007 (personnage fort distingué au demeurant, mais on jauge ici à l’aune des impératifs civiques et de la vertu républicaine) qui n’a pas jugé indécent d’aller rencontrer à Genève des exilés fiscaux français pour solliciter leur généreuse obole en faveur de son champion ? Pour se retrouver, quelque temps plus tard, en charge du ministère du budget avec la pénible obligation de se montrer ingrat envers d’appréciés donateurs ?

Laissons-là M. GATTAZ : il serait inéquitable de ne s’en prendre qu’au président du MEDEF*. Bien d’autres patrons et des brigades bien entraînées d’économistes labellisés ‘’pensée unique’’, de chroniqueurs multi cartes, de sociétaires perpétuels des plateaux de télévision et autres experts, y inclus les auto- proclamés, se signalent par un zèle égal dans la propagande de la foi mise au service de la religion du marché et dans la stigmatisation des mécréants à cette religion. Et promeuvent avec une égale ardeur la sainte cause de l’enrichissement sans bornes des plus riches et de la précarisation continue des plus pauvres. Et tous font tout autant de la CGT leur « Delenda Carthago ».

Comme il n’aurait pas été très équitable de ne s‘en prendre qu’à l’éditorialiste du Point qui, pour être l’un des plus renommés de la profession, n‘en demeure pas moins qu’une plume parmi celles de ses pairs.

Et qui est assurément bien loin d’être la seule à écrire sans relâche la partition de l’hymne à la compétitivité, i.e. à ce qui tient lieu d’alpha et d’oméga pour le projet sociétal néolibéral.

Rien de vraiment neuf dans le fait que l’adhésion à l’entreprise de restauration du capitalisme pur et dur d’avant le New Deal, ou pour l’Europe occidentale d’avant les réformes économiques et sociales de l’après Seconde Guerre mondiale, se lit de titres en titres - dans tous ceux que cette entreprise a mobilisé pour sa cause, ou a gagné ou acheté à celle-ci ces dernières décennies.


… un accent nouveau, celui de la rage.

Ce qui est nouveau tient à la rage qui sourd entre les lignes.

Rage devant le constat qu’on n’est pas parvenu à convaincre ses compatriotes des avantages inouïs que procure la dégénérescence d’une civilisation réduite aux contours d’une lutte de chacun contre tous pour amasser, par tous les moyens et dans le plus court délai, le plus d’argent possible.

Et rage provoquée plus encore - réaction cette fois commune à l’ensemble des possédants - par la résistance inattendue que rencontre ce ‘’Bond en avant’’, engagé par les lois Macron et amplifié par la ‘’loi travail’’, qui a été programmé pour rendre irréversible notre alignement sur les canons de la doxa libérale - probablement la dernière étape préparant notre passage à une normalisation intégrale et intégriste après les présidentielles de 2017.

Le rejet social et l’obstacle de la rue réveillent un appétit, sinon une fringale, de revanche qui habite les riches depuis le premier ébranlement de leur puissance et de leur arrogance en 1936 ; une hargne, qu’on voit à l’occasion se convertir en soif de vengeance, qui s’est depuis réactivée chez eux à chaque avantage, à chaque droit, à chaque protection qui leur ont été arrachés au bénéfice des basses castes. Et par-dessus-tout, spécialement là où l’autocratie patronale s’auto légitime de l’appartenance à une essence supérieure et/ou d’un mérite hors du commun, à chaque atteinte portée au pouvoir discrétionnaire de la noblesse d’argent au profit des corps et organes représentatifs de ces castes subalternes.

Et c’est bien de la prégnance de cet appétit de revanche dont provient la frustration éprouvée par les hautes castes devant les concessions faites au mouvement social. Quoique les dispositions les plus déterminantes de la loi travail ne soient aucunement remises en cause, c’est bien l’incomplétude et le retardement du commencement d’expiation qu’on s’attendait à pouvoir infliger au monde du travail, pour toutes les concessions qu’on avait dû lui faire et pour toutes les peurs qu’il vous avait occasionnées, qui provoquent un surcroît de rancune et de détestation à l’encontre de ces serfs qu’on n’aurait jamais dû affranchir et qui auraient dû passer directement des mains féodales à celles des chefs d’industrie.

De ce grossissement et de cette intensification des sentiments de rancune et de détestation qui animent les possédants - et plus activement ceux qui contrôlent les médias - résulte sans doute que l’immense majorité des éditoriaux qui nous tombent en ce moment sous les yeux - et des mains - suggèrent une certaine parenté avec la presse de Vichy, avec les journaux de la Collaboration. Ou imposent à l’esprit ce rapprochement funeste. Parenté dans la violence du ton et parenté dans le type d’argumentaire. Parenté par la fureur et l’exécration qui s’y expriment.

Et qui visent au premier chef la CGT. Une CGT coupable de s’opposer à la loi travail. Coupable de refuser que via la primauté donnée aux accords d’entreprise, le dumping social qui, conjugué aux dumpings fiscal et environnemental, régit tout le champ de la mondialisation, s’impose également dans l’Hexagone comme le critère de départage entre opérateurs des marchés et donc comme le moteur de la concurrence.

Coupable, au fond, de défendre les salariés qui à travers ces accords, sont encore davantage voués à devenir la variable d’ajustement des entreprises, et à se retrouver en tête de gondole dans la compétition du ‘’low cost’’.

Coupable en somme de faire du syndicalisme - et d’en faire comme si la lutte des classes existait encore !


… la lutte des classes est bien toujours là
… ce qu’il n’est pas inutile de rappeler !

Une lutte des classes dont le parti de l’Ordre, de l’Argent, de la Propriété s’emploie à prouver non seulement la permanence mais, de façon au moins aussi démonstrative, la virulence.

Comme quoi, ‘’chez ces gens-là’’, la rapacité l’emporte sur la prudence. Et au point qu’on ne se soucie même pas de ménager une opinion qui aurait pu continuer à croire que les termes de ‘’dialogue social’’, de ‘’partenaires sociaux’’ et de ‘’démocratie sociale’’ recouvraient une réalité - ou un tout petit semblant de celle-ci. Les plus francs ne se cachent pas de vouloir faire un sort définitif à toutes ces billevesées, et d’être déterminés à se débarrasser d’un référentiel d’un autre âge et des conventions de langage qui allaient avec.

Avec en arrière-plan, une convergence axée sur l’objectif qu’avait fixé, il y a de cela quelques années, celui qui était alors l’idéologue en chef du patronat : la suppression dans l’organisation de la société française de tout ce qui est issu des idées politiques, économiques et sociales de la Résistance. Une prescription qui affirmait sans complexe sa radicalité : le but était bien de ne pas laisser subsister la moindre trace des legs du programme du CNR.

Cet impératif a probablement cheminé quelque temps dans les têtes des propagandistes et communicants de la société de marché avant d’être de nouveau formulé, et il est significatif qu’il apparaisse de plus en plus régulièrement dans l’énoncé des conditions ou des voies et moyens de la restauration du capitalisme intégral. En exposant la perspective sur laquelle s’ordonneront les affrontements sociaux à venir, lorsque cette restauration sera engagée dans l’offensive finale qu’annoncent les projets électoraux des partis de droite, et qu’elle libérera toute la violence dont elle est chargée.

La revanche dont est porteuse l’éradication du corpus démocratique conçu par la Résistance et inclus à la Libération dans la ré écriture de notre contrat social - une éradication entièrement tournée contre tout ce qui, à travers ce corpus, marquait la volonté de soumettre l’économie de marché à la primauté du Bien commun et à l’exigence de justice sociale - ne s’apparente pas pour les possédants à la satisfaction d’une rancune ordinaire : l’enjeu pour ceux-ci est la réparation d’un manque à gagner de plus d’un demi-siècle, une réparation dont ils entendent s’assurer qu’elle écarte en outre tout risque de voir leur enrichissement se retrouver un jour entravé ou borné comme il l’a été par les contraintes et les obligations auxquelles le ‘’Welfare state’’ soumet les plus riches.

La partie que ces possédants sont décidés à jouer à ce double égard est d’une ampleur qui ne laisse pas imaginer qu’ils y entrent sans s’être résolus à aller, si besoin est, jusqu’à l’extrémité de la violence civile.


… à quel type et à quel degré de violence s’attendre ? ...

La vraie question porte en effet sur le type de violence qui s'exprimera dans une confrontation sociale qu’on a si résolument programmée qu’elle est à peu près inéluctable : on peut craindre que la plus grande proximité de cette violence soit avec la guerre civile. La probabilité de ce scenario effleure-t-elle les candidats, ou futurs candidats, qui dans la droite française surenchérissent les uns par rapport aux autres dans le thatchérisme programmatique le plus aveugle ? Leur arrive-il de songer qu'il vient un moment où face à un surcroît d'injustice sociale qui leur est imposé, les peuples se souviennent que la résistance à l’oppression fait partie de leurs droits naturels ? Et que lorsque le gouvernement viole leurs droits en se confondant avec une tyrannie de classe, ils se rappellent tôt ou tard que l'insurrection est pour eux non seulement « le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs », mais d'abord la réplique la plus légitime ?

Et une réplique qui ne se cantonne pas aux moyens courants de la conflictualité sociale. Et d’autant moins, notamment, au seul exercice du droit de grève que dans tout conflit dont la maîtrise lui échappe, et a fortiori dans un contexte insurrectionnel, l’Etat commence immanquablement par tenter de limiter l’exercice de ce droit. Qu’il y parvienne ou non, ou à la marge, la confrontation qui se dessine ouvre le champ à une escalade dans le rapport de force et dans le recours à la force, ce dont les manifestations de ce printemps ont peut être donné le premier signe.

Le signe en même temps de ce que la colère devant la récusation des droits sociaux - qu’il s’agisse des droits déjà perdus, ou en passe de l’être, ou de ceux promis à une abolition massive -, la résolution de ne plus rien céder désormais de l’appareil protecteur constitutif du contrat social et de reconstruire les pans entiers de ce dernier qui ont été abattus, et la fureur explosive accumulée à l’encontre de l’expansion des fortunes des hautes castes - des fortunes démesurées et aussi provocatrices que la revendication insatiable par ces mêmes castes d’un surcroît de privilèges -, forment une conjonction de facteurs capables de provoquer l’effondrement d’un système inégalitaire, spoliateur et sourd aux revendications de dignité de celles et ceux qu’il domine.

Que cet effondrement puisse être entrevu, et entrevu comme une possibilité historique, ne saurait faire méconnaître que nous ne sommes pas en 1788, c'est-à-dire en face d’un Ancien Régime idéologiquement à bout de souffle, financièrement exsangue et dépassé par les contradictions sociétales qu’il n’avait ni su ni pu résoudre. Mais dans une configuration de rapports de puissance qui évoque 1848, lorsque dans l’Europe telle qu’elle avait été conformée par la Sainte-Alliance, se mettait en mouvement la contre-offensive réactionnaire qui allait partout écraser ‘’le Printemps des peuples’’.

A ceci près que pour faire prévaloir sa domination hégémonique, la mondialisation financiarisée dispose de moyens autrement plus puissants et plus coercitifs que l’Europe des Empires passés. Et l’Union européenne, instrument majeur de la soumission universelle au marché, tend vis à vis des peuples qu’elle englobe, à décalquer en termes économiques et financiers le rôle qui appartenait naguère au Pacte de Varsovie en tant que bras armé de l’imposition et de la perpétuation du modèle soviétique dans les pays satellites de l’URSS.


… avec en France, un parti de l’Ordre
qui se prépare à la mère des batailles.

Le grand parti de l’Ordre social retrouve aujourd’hui le fond de cet accent qu’il avait quand la répression versaillaise écrasait la Commune, et qu’il exigeait la répression la plus féroce et la plus éradicatrice à l’endroit des ‘’rouges’,’ de ces ‘’partageux’’ qui avaient tant effrayé les ‘’honnêtes gens’’, de la bonne bourgeoisie aux campagnes profondes.

Comme il se retrouve dans la même concentration de haine sociale que celle qu’il formait face au Front Populaire, aux congés payés et aux Quarante heures. On sait vers quels soutiens, voire à quels concours, cette haine l’a majoritairement emporté peu d’années plus tard.

Une concordance des temps spécialement remarquable associe les exécrations respectivement ciblées sur les 40 H de Léon Blum et sur nos 35 H. En ce que les unes et les autres représentent l’outrage suprême que les patrons, et avec eux la classe dominante, puissent se voir infligé : les riches ont toujours abominé l’idée que les pauvres puissent se reposer - n’est-ce pas peut-être aussi pour cela que l’esclavage a été inventé ?… -, comme si chaque réduction de la durée du travail volait aux premiers un temps que les seconds leur doivent par nature de toute éternité et sans fin.

Et comme il reproduit la crue de haine qui l’a saisi lors des ‘’événements’’ de mai 1968. Une haine qui ne s’est pas arrêtée à ces événements eux-mêmes - qui avaient tout pour la faire déborder en ce qu’ils conjuguaient un bouleversement sociétal et une vague de revendications sociales, dans la commission simultanée de deux sacrilèges aux yeux des tenants de l’ordre établi, patrons de droit divin en tête et derrière eux tous les gens de bien(s) tétanisés par la Grande Peur d’alors. Mais qui a perduré depuis comme une pathologie sous-terraine. Au point qu’un Président tout nouvellement élu s’est senti obligé en 2007, au soir même de son succès, d’interpeller le fantôme de la contestation censé sans doute rôder dans l’ombre, et de promettre un combat sans merci contre l’esprit malin de ce funeste génie qui hantait encore les cauchemars des possédants.

Des événements dont ces derniers n’ont rien appris sinon le mot ‘‘chienlit’’**. Qui est depuis immanquablement convoqué pour stigmatiser les grèves et les manifestations qui accompagnent les mouvements sociaux d’un peu d’envergure. Et pour étayer, à la fois en tant que figure imposée et que ressort inépuisable, le discours par lequel passent le réquisitoire anti syndical et la dénonciation de la variété de contestataires que produit le moment.

Un discours de combat qui se développe et se durcit sous nos yeux. L’idée qui refait jour d’instaurer une responsabilité collective pour les violences entourant les manifestations, ne nous ramène pas seulement à la genèse de feue la tristement célèbre loi ‘’anti casseurs’’ : elle s’aligne parmi les indices les plus probants de ce que les classes privilégiés aiguisent leur convoitise et fourbissent leurs armes à l’approche des présidentielles de 2017, bien décidées à tirer parti jusqu’au tout dernier item des avantages et des assouvissements que le candidat de la droite aura inscrit à son programme à leur intention. L’attente sur laquelle elles se fortifient leur fait voir l’élection à venir comme la mère des batailles, en ce que la victoire qui s’y profile annonce l’abolition de tout frein à leur cupidité.


… la ‘’lutte finale’’ programmée par les classes possédantes
          est-elle pour le monde du travail une guerre perdue d’avance ?

On s’est arrêté sur trois exemples tirés de la longue liste des guerres sociales - guerres sanglantes et guerres ‘’froides’’ - menées par les privilégiés sur plus de deux siècles d’histoire moderne pour briser toute menace dirigée contre leurs patrimoines, leur statut et leur pouvoir.

Mais comme les guerres de ce genre là ne sauraient jamais être seulement défensives, les leurs ont toujours comporté le dessein de porter plus haut encore leur confiscation de la richesse de la nation - pour démesurément élevée que soit déjà cette confiscation.

Le temps présent suffirait à valider le choix du terme de ‘’guerre’’: en est-il de plus juste pour dépeindre l’épisode en cours où le projet, mortifère pour n’importe quelle société, de tout concevoir en termes de marchandisation, de tout réduire à une marchandisation, se déploie à l’échelle planétaire avec un cynisme et une brutalité pleinement assumés ? Entreprise de conquête idéologique et politique qui allie le lavage des cerveaux (par l’omniprésence de la publicité et des manipulations ‘’communicantes’’***), la subversion des valeurs humanistes (en leur substituant le culte universel de la compétitivité et de la profitabilité), l’abaissement des autorités publiques (par le désarmement des Etats devant les nouvelle féodalités de la finance mondialisée), et la destruction des systèmes de droits, de solidarité et de protection sociale au bénéfice de la sélection, ou de la reproduction, des ‘’élites’’ les plus prédatrices. Et qui dans développement des effets qu’elle produit, se montre de surcroît encore plus résolue que ne l’ont été les incarnations précédentes du système capitaliste, à ne s’embarrasser d’aucune restriction d’ordre environnemental ni d’aucune précaution de santé et de salubrité et, d’une façon ou d’une autre, à toujours passer outre à celles-ci ?

Le « tout-marché » s’est répandu comme une invasion. Avec pour seule fin de faire place nette de tout ce qui n’est pas dédié à la quête compulsive du profit. Et pour établir, derrière le culte de la main invisible du marché, le règne sans partage du business globalisé - un business anonymement pervers ou incarné par des seigneurs de l’argent plus rapaces que ne l’ont jamais été les ‘’seigneurs de la guerre’’ de jadis. Un business qui encaisse sans broncher les révélations successives de sa gangrénisation par la fraude, la corruption et la prévarication. Et à qui il reste si peu à faire pour tout soumettre à l’empire totalitaire qu’il édifie et qui voue l’humanité à être gouvernée par l’agiotage et la spéculation - un agiotage et une spéculation portées à des dimensions tellement inouïes que l’ordre du monde est tout près de basculer dans la folie comme il l’a fait avec les totalitarismes du XXème siècle.

La concentration de nos classes possédantes sur l’objectif - qu’elles ont aujourd’hui à portée de vue - d’une restauration intégrale de leur main mise sur la société, et de la récupération de la libre jouissance de tous les ressorts de celle-ci qui leur était assurée au XIX ème siècle et jusqu’à la Seconde guerre mondiale, n’est que l’expression nationale de la croisade refondatrice que s’est prêchée à lui-même le capitalisme, et qui dans quasiment tous les pays, progresse inexorablement, volant de victoires en reconquête, depuis les années Reagan et Thatcher.

Une « Reconquista » victorieuse face à laquelle la France a longtemps fait figure d’exception. En premier lieu, en se positionnant radicalement à contre-courant des anglo-saxons dans les années 1981-1983 au cours desquelles une politique, sinon socialiste, du moins authentiquement de gauche, a été mise en œuvre. Et plus encore, dans la mesure où, ensuite, les concessions et les reculs de tous ordres opérés au titre de l’obligation-réquisition de s’aligner sur la doxa dite néolibérale, y ont jusqu’à ce jour moins lourdement altéré le modèle social conçu à la Libération que dans les pays européens comparables. Une différence qui tient à la circonspection qu’ont montrée les gouvernements successifs auxquels il était enjoint de procéder à cet alignement - une circonspection qui les a globalement inclinés à temporiser, ce dont rend compte le fait que l’assaut destiné à forcer les lignes de défense élevées par notre exception sociale n’a été véritablement lancé que sous le gouvernement Valls.


… de la confrontation mondiale à une confrontation française.

D’un côté, une croisade mondialisée et la déclinaison nationale de celle-ci dans le cadre européen. Une déclinaison dont les bénéficiaires tout désignés ont ces dernières années pris plus fortement conscience du caractère tardif et partiel, et de son décalage avec le mouvement général de ‘’libéralisation’’ qui a pratiquement tout emporté au sein de l’UE. Ce qui a exaspéré leur aversion envers tout ce qui, de près ou de loin, peut être rangé sous le ‘’Welfare state’’.

Une aversion dont a vu qu’elle atteignait le degré de l’exécration. Et qui réduit et résume au contentement d’un double calcul leur impatience de voir une droite ultra libérale et socialement décomplexée reprendre la main dans le pays : en attendant d’elle qu’elle remette les classes inférieures à la place qui leur est impartie - servir à l’enrichissement des nantis (ou sinon ne servir à rien, ce à quoi pourvoit le chômage).-, et parallèlement qu’elle détourne à tout jamais l’Etat d’intervenir comme acteur du jeu économique - avec l’objectif prioritaire de le priver des leviers nécessaires à cette intervention et de l’empêcher d’exercer toute espèce de police qu’il se sentirait la vocation d’assurer au nom du Bien commun dans le champ de l’économie.

Ce qui revient à intimer à la puissance publique de laisser faire et de laisser aller le cours naturel des affaires privées, afin que les castes privilégiées tirent de celles-ci tous les avantages que les combinaisons inventives des banquiers et du business arrangent à leur intention. Et de façon plus primaire (mais qu’est-il de plus primaire que le dessein ici visé de ‘’se goinfrer de fric’’ ?), tous les gains que le libre parcours de la loi de jungle de la marchandisation est fait pour générer à leur profit.

De l’autre, l’émergence dans quelques pays, majoritairement de l’Europe du sud, d’une résistance politique, à la fois sociale et sociétale, au totalitarisme auquel se ramène l’absorption de toutes les activités humaines par le marché. Et de manière plus diffuse, l’apparition ou la consolidation d’une opposition à l’austérité - autre nom pour désigner, à travers la rétractation des ressources publiques, le dépérissement d’Etats qui ont abdiqué la fonction de protection constitutive de leur légitimité -, et d’une colère face à l’explosion de la précarité et face à celle, corrélative, des inégalités, qui s’expriment dans des états ou jusqu’ici seule la voix de la réaction ultralibérale se faisait entendre.

Le cas du Royaume-Uni, où le choix par la base du parti de l’actuel leader du Labour a eu le sens d’une rupture avec la dénaturation du travaillisme opérée à l’époque blairiste, peut-il en figurer une illustration probante ? Et qui surtout se confirme dans le temps malgré le contexte nouveau du Brexit ?

L’opposition que rencontre la loi travail depuis qu’elle a été présentée, situe actuellement la France en première ligne de la résistance sociale et politique à la progression du « tout-marché » - ou plutôt en l’espèce du « tout pour le marché » - qu’orchestrent Commission européenne et gouvernements de l’Union.

Pour celles et ceux qui y sont mobilisés, comme pour le camp d’en face, l’affrontement en cours - sur un projet de loi dont on a dit plus haut qu’il représentait pour les possédants la dernière étape précédant notre ratification pleine et entière du credo ultra libéral qu’ils attendent pour l’après-présidentielle de 2017 - se jauge comme la répétition générale du choc décisif à venir. Il apparaît comme une sorte de passage en revue et de comptabilisation des forces en présence ; et, pour la droite, comme un moment essentiel de la planification des ressources et moyens qu’elle aura à mettre en œuvre pour mener à bien sa politique de normalisation économique et sociétale sur les critères européens alliant précarisation et délitement de l’appareil de protection sociale. Une normalisation agressivement régressive qui - hors la part faite au sécuritaire répressif et fortement teinté de démagogie xénophobe - contient tout son projet.

La confrontation qui se profile peut se représenter symboliquement comme celle des lecteurs auxquels s’adressait l’ « INDIGNEZ-VOUS ! » de Stéphane Hessel et des cibles qui y étaient visées par les termes sans appel d’une dénonciation dont nous n’avons rien oublié - des cibles qui, depuis, ont tout fait pour se rendre encore plus visibles par l’effet de ce mélange de bonne conscience, d’auto justification intéressée et de cynisme qui est leur marque. Cette figuration passera du symbolique au réel si l’enjeu de cet « INDIGNEZ-VOUS » trouve une traduction et une expression politiques, ce qui donnerait d’ailleurs à l’activisme qu’il serait ainsi à même de fédérer une chance d’emprunter un cheminement pacifique ou, au moins, non violent. Cheminement qui est présentement bien moins probable que la réalisation de cet autre scénario qui s’ébauche devant nous : celui d’une radicalisation dont la rue sera le premier lieu d’expression et d’une ascension des formes de la lutte sociale jusqu’à l’extrémité de la violence civile.

Une violence dont on se retient de la référer de nouveau à la guerre civile. Mais, en vérité, n’est-ce pas précisément sous la forme de la guerre civile, et fût-ce en en retenant la figure la moins sanglante, que s’imagine le plus vraisemblablement le heurt entre ceux qui, dans une douzaine de mois, se retrouveront le dos au mur dans la défense du socle de leurs droits - avec la conviction que rien n’est plus légitime que leur résistance à la cupidité dévorante des nantis -, et un parti de l’Ordre, de l’Argent, de la Propriété arc-que bouté qu’il sera sur sa résolution de tirer de la victoire de la droite la liquidation totale des freins et contrepoids par lesquels le corpus social introduit et développé depuis la Libération entrave le libre jeu du capitalisme pur et dur ? Et contrarie l’expansion illimitée de la richesse et des privilèges que le capitalisme garantit d’autant mieux à ses profiteurs qu’il dispose plus souverainement de la licence d’aller au bout de sa pente naturelle : c'est-à-dire à ce summum de prédation dont les ressorts de la mondialisation augmentent aujourd’hui spectaculairement la mesure.


… une conflagration sociale sur fond de crise sociétale.

Quelle forme peut revêtir cette conflagration dont les principaux déterminants sont déjà réunis ? Séisme conflictuel suivi de violentes répliques appelées à se répéter durant des mois, ou cycle long d’intenses violences sociales, ou encore soulèvement brutal brisé par une répression à la hauteur de la rage des possédants … Seule la certitude de l’affrontement se distingue clairement à l’horizon de 2017. Un choc classe(s) contre classe(s) dont la puissance s’accordera à l’ampleur de la crise sociétale qui en sera la toile de fond, et l’intensité à la profondeur des divisions qui auront auparavant fragmenté la nation.

Pessimisme outré ? On peut le tenir pour tel (et d’autant plus facilement que c’est là la position la plus arrangeante), mais seulement si on occulte ou minimise, dans le panorama que livre la société française, le nombre et la gravité des fractures sociales, l’étendue et la diversité des discriminations, la force et l’enracinement déjà acquis par des identitarismes concurrents et antagonistes qui sont parvenus à distendre le tissu unitaire et à le mener tout près du point de rupture.

C’est sur l’héritage de quatre décennies de chômage et de près de trois décennies de précarisation croissante, sur le tableau des ghettos territoriaux, sociologiques et psychologiques qu’on a laissé se former et sur celui des apartheids culturels, éducatifs et économiques qui en façonnent les frontières, et sur un sentiment inter générationnel de démoralisation civique et de désespérance sociale, que communautarismes et contre-communautarismes - pour l’essentiel des communautarismes confessionnels et des communautarismes de rejet - se sont implantés en marge ou, pire, au cœur de la République.

Qu’est-il finalement le plus grave : que des jeunes pensent recouvrer une dignité personnelle par leur enrôlement dans les rangs des tueurs djihadistes et distinguent chez ceux-ci un idéal sanctifiant leur vie et leur mort, ou que la société ne réponde sur le fond à ce besoin de dignité et d’idéal que par l’amalgame entre musulmans - entre citoyens français musulmans - et terrorisme ? Et par la voix de ceux qui en appellent à une prétendue ‘’identité’’ exclusive de toute différence ? Ou à des ‘’racines’’ que l’histoire serait bien en peine de cerner, et qui ne sont de surcroît pas loin d’évoquer cette ‘’pureté du sang’’ dont on sait les fleuves du même fluide qu’elle fit couler. Toutes métaphores pareillement absurdes et mortifères, dont on se désespère de les voir si peu dénoncées pour ce qu’elles sont d’abord : simplement et totalement fallacieuses.

Qu’est-ce en effet, de par la définition même du mot, qu’une identité qui serait autre qu’individuelle, qui ne spécifierait et ne définirait pas une personne en propre, et quelle racine, gauloise, gallo-romaine, franque et chrétienne, ou autre, serait commune à la population française du XXI ème siècle, ce composé des « Eaux Mêlées » que des dizaines de siècles ont brassées ?

Promouvoir une culture partagée - et la langue qui la porte (du moins pour autant qu’elle se cuirasse contre sa submersion par l’anglo-américain) -, redonner vie et sens au pacte républicain, enrichir et non plus démanteler notre contrat social, restaurer ce ‘’vivre ensemble’’ qui tient lieu de figure ou de mirage d’un paradis perdu, représentent les réponses basiques à la démoralisation civique qu’on a évoquée.

Ce ne sont là bien sûr que des têtes de chapitre. Et prises l’une après l’autre, elles déclinent des objectifs que l’air du temps tient à peu près tous pour désormais inaccessibles.

Toutes concourent cependant au même constat : résister au délitement de notre lien sociétal implique d’avoir la résolution de venir à bout de la multiplicité et de la diversité des facteurs qui poussent actuellement à ce délitement.


… la sauvegarde de notre modèle social
       ne se sépare pas de la reconstruction d’une nation une et indivisible.

Ce combat se livre sur deux fronts, et il est aussi décisif et redoutable sur chacun d’eux. D’une part, avec l’enjeu social projeté sur l’espèce de bataille de Verdun politique et sociale qui se profile et se prépare, et qui probablement dès le second semestre de 2017, mettra face à face l’impérialisme conquérant du ‘’Tout-marché’’ et la défense de l’Etat-providence (portons-en le nom aussi haut que l’idée). De son issue finale dépendra que la République retrouve ou abandonne la priorité du plein-emploi et le projet de réduire continûment les inégalités.

D’autre part, avec le double et gigantesque défi que constituent la réinvention d’un modus vivendi autour de la laïcité et la réparation de l’échec de l’intégration vécu par une large part de deuxième génération de l’immigration.

C’est dans un contexte profondément dégradé - additionnellement par le démantèlement progressif du pacte social et par les enfermements identitaires - que nos compatriotes vont devoir vivre ce double engagement de forces antagonistes, celui - circonstanciel pour son moment - qu’annonce le dessein des classes privilégies de faire de l’après présidentielle ‘’la mère des batailles’’ qu’elles entendent livrer pour faire place nette de la démocratie à vocation sociale qui s’est architecturée à la Libération, et celui - appelons-le structurel - auquel conduisent la crise sociétale et ses métastases communautaristes, suractivées qu’elles sont par les données économiques et sociales dont on s’est efforcé de dresser l’inventaire au fil de cet article.

Encore faut-il ajouter au panorama général qu’on a décrit, l’élément singulièrement aggravant d’une division politique entre deux camps de force à peu près égale. Les études d’opinion qui mettent à parité partisans et adversaires de la loi travail donnent à penser que le même partage vaut à peu de choses près s’agissant de l’alignement de la France sur le modèle de la société de marché.

Une division politique qui ne délimite cependant pas les contours d’un ‘’front du refus’’ homogène. La gangrène identitariste et l’adhésion aux mots d’ordre qu’elle diffuse, une adhésion devenue très probablement majoritaire si l’on considère l’ensemble des catégories sociales qui auraient dû se réunir dans ce camp du refus, a pour conséquence que la résistance politique à la soumission au tout-marché ne se fédère pas dans un dessein commun de restauration de l’idée républicaine de nation. L’électorat conquis par l’extrême-droit représente à cet égard un obstacle présentement insurmontable.

  

C’est bien au constat d’une extraordinaire fragilité du corps social que renvoie la projection qu’on a faite de nos perspectives nationales à l’échelle de quelques mois : une projection qui associe conflagration sociale et crise sociétale aiguë.

Comment un peuple découragé, démoralisé, et divisé comme il l’est, et parcouru d’autant de types de rejet et de formes diverses de haine, comment une société minée par son interminable emprisonnement dans le chômage et  déprimée - autant qu’elle en est affaiblie - par la rétractation de l’Etat-providence, et qui observe, impuissante (ou jubilatoire pour sa fraction hyper nantie) l’avancement du chantier de démolition des statuts protecteurs sous lesquels elle a vécu - et qui, de surcroît, se sait promise à des déchirements communautaires dont les attentats terroristes lui paraissent les signes avant-coureurs -, pourraient-ils affronter cette conflagration annoncée, et sans doute déjà présente dans les esprits ?

On a récusé l’imputation de pessimisme à laquelle cette analyse, par nature, s’expose. La part plus ou moins grande de celui-ci que l’on met dans l’appréhension du futur proche n’est d’ailleurs finalement que secondaire. La seule question qui vaille ne se pose-t-elle en des termes d’un tout autre ordre : eu égard à cette fragilité du corps social - et probablement est-il plus juste de parler d’une extrême vulnérabilité - que peut-il y a voir de plus fou que de programmer un affaiblissement supplémentaire de l’Etat ?

Un affaiblissement et un repli dont on promet au surplus qu’ils seront massifs. EXTRAORDINAIRE MÉCONNAISSANCE (OU IGNORANCE) DE NOTRE HISTOIRE, DE CE TRAIT SPÉCIFIQUE A LA FRANCE QUI TIENT A CE QUE L’ETAT Y A CRÉÉ LA NATION ! UN ETAT QUI, POUR CE FAIRE, A TIRÉ SA LÉGITIMITÉ DE SA FONCTION PROTECTRICE - et d’abord de celle que la dynastie capétienne a incarnée durant dix siècles à travers toutes les vicissitudes que le royaume et ses sujets ont vécues, et qui s’est symboliquement évanouie avec la fuite à Varennes.

Une protection vis à vis des périls et des menaces récurrentes sur la longue durée de la période monarchique, ou propres à chacune de ses séquences, et tant vis à vis des alarmes dont les villes progressivement s’émancipaient que de celles qui ont fait la toile de fond de la vie paysanne. Qui a joué contre l’invasion, l’insécurité et les troubles de toutes natures, voir contre la famine ou l’insalubrité, et en premier lieu face à la violence de la société féodale, face à l’arbitraire, aux abus et à la tyrannie du seigneur le plus voisin. Une protection qui a dispensé souverainement ou incorporé droits, sûretés, chartes et garanties, en attendant que la royauté parvienne, après des siècles d’efforts et de luttes incessantes, à soumettre la noblesse à l’ordre centralisateur de l’appareil administratif et normatif en lequel elle s’était transformée. Et à imposer une paix intérieure, tardive et couvrant moins d’un siècle, mais enfin complète.

Sans doute faut-il rappeler ici le parallèle avancé par feu le comte de Paris quand il affirmait (en substance) qu’une monarchie restaurée ne s’accommoderait pas davantage des féodalités de l’argent qu’elle ne l’avait fait dans sa longue histoire des féodalités terriennes et seigneuriales.

L’Etat républicain, successeur en légitimité - sinon en continuité - depuis 1792 de l’ancienne royauté, se trouve investi, dans le sentiment public, de la même charge protectrice. Chaque fois qu’il a paru se dérober à cette mission et à cette responsabilité, la cohésion nationale s’est délitée et la violence civile s’est réactivée- ce qu’illustrent, sous des formes bien entendu très différentes,  la Commune de Paris, en tant que réaction à une humiliation patriotique, ou les convulsions politiques des Années Trente produites par un régime sans projet ayant perdu son idéal et son élan.

Et la seule fois où il a failli dans sa fonction de protection et de sauvegarde - on entend évidemment ici l’effondrement national de 1940 devant l’Allemagne nazie -, l’Etat républicain a été emporté par le désastre qu’il avait été incapable de conjurer. Tandis que la nation assommée par la défaite, asservie sous la croix gammée ou pétrifiée par la propagande du régime de Vichy, s’engageait - à un petit nombre d’exceptions près - dans une descente de quatre années vers l’abîme en passant par tous les degrés du déshonneur.

Jamais l’Etat républicain n’a eu autant besoin de moyens et de leviers. Et en matière de leviers, le minimum qui doit lui revenir correspond à ceux dont le pacte républicain réécrit à la Libération le dotait pour asseoir ses capacités d’intervention : capacités qu’il tirait principalement de la nationalisation des banques, des compagnies d’assurance et de l’énergie, et de la disposition d’un réseau d’administrations ou d’établissements dédiés à  des missions de service public et exerçant ces missions sans partage.

Et jamais surtout - les deux impératifs étant évidemment corrélés - l’Etat républicain n’a vu peser sur lui une responsabilité aussi écrasante vis à vis de la continuité de la nation. L’enjeu n‘est pas de salut public, au sens que les républicains, Clemenceau en tête, ont donné au Premier conflit mondial. Au sens auquel on peut rattacher le sacrifice d’un million et demie  de victimes combattantes.

De même que l’Etat a fat la nation, de même il est aujourd’hui en situation de la laisser se défaire. Dans quel aveuglement faut-il être, ou dans quel enfermement au service d’intérêts et de privilèges, et d’idées qui justifient les uns et les autres et qui sont de celles ‘’qui peuvent tuer un peuple‘’, faut-il se tenir, pour ne pas concevoir que l’Etat est présentement le seul rempart de la République ?

Pour autant que cet Etat en soit un. C'est-à-dire pour autant que son engagement soit total sur les deux fronts où la nation est attaquée. Une nation qui dans ses profondeurs attend de l’Etat qu’il défende le Bien commun, qu’il incarne l’intérêt général, et qu’il garantisse justice sociale et égalité. Et qu’il soit l’image d’une vertu républicaine alliant désintéressement, probité et équité.

Et une nation qui perçoit que c’est de l’Etat, de sa fermeté et de sa ténacité, dont il dépend que les revendications identitaristes et les divisions communautaires soient rappelées à la loi commune sur laquelle repose la République : à savoir que celle-ci est une et indivisible, et que la nation dont elle consacre la souveraineté ne connaît que l’individualité de citoyen(ne)s égaux en droit, tous et toutes possesseurs indivis de la chose publique, et tous et toutes investis à égalité de la charge de législateur.

Une indivisibilité qui est le gage de l’unicité de la loi et partant de la protection de chaque membre du corps social par les mêmes principes, droits et libertés. Raison qui suffirait à écarter ce que la notion même d’indivisibilité exclut par elle-même -: i.e. tout type de groupement qui entendrait se délimiter et se démarquer à l’intérieur de la nation, en communauté intermédiaire ou en entité concurrente, et qui entreprendrait, en vertu de cette dissociation, de soumettre celles et ceux dont il tiendrait qu’il a vocation à les régir (qu’ils s’agrègent à lui par conviction ou par contrainte) à une législation séparative faite de règles et de coutumes qui lui sont propres et dont il proclame la supériorité normative.

Jamais il n’a été davantage requis de l’Etat républicain qu’il se fixe pour priorité l’abolition et l’extinction des privilèges. Au sens ancien du terme, quand il s’agit pour lui et quand il lui incombe de rester fidèle au projet des constituants de 1789 en anéantissant la prétention des communautarismes à ériger à leur profit des sortes de « leges privatae » - qui se décalqueraient de celles sur lesquelles était basée l'organisation sociale de la France d'Ancien Régime. Au sens contemporain, quand il s’agit pour lui et quand il lui incombe de restaurer le contrat social dans sa composante la plus distinctive de l’intention qui a présidé à sa refondation au sortir des années de l’Occupation : l’assignation que la République se fait à elle-même de mener sans relâche une politique de réduction des inégalités.

La réparation du lien social, les premiers pas vers un rétablissement de la cohésion de la nation, la sortie de l’état dépressif qui suractive les tensions, les peurs et les antagonismes dans une société privée de l’espoir d’un progrès collectif, sont inséparablement tributaires de ce combat contre les inégalités - inégalités de revenus, de patrimoine et de statut.

Un combat dont on mesure l’immensité de l’engagement public qu’il implique. Une addition de volontarisme inlassable et d’engagement financier massif auxquels font et feront barrage l’acharnement des classes possédantes à éradiquer jusqu’à l’idée de politiques redistributives et leur hâte de voir l’Etat appauvri. Un Etat dont on ne se représente plus qu’il parvienne à mobiliser les ressources - considérables - qu’exigeraient l’effacement des discriminations et la réactivation de la promesse longtemps tenue par la République d’intégration culturelle, éducative, professionnelle et sociale.

Conçue par la droite comme la bataille décisive pour l’absorption de la société française par un capitalisme intégriste et mondialement hégémonique, l’échéance électorale de 2017 s’annonce redoutable. Que la coalition des intérêts autour des hautes castes soit d’une puissance formidable, et qu’en regard la vulnérabilité du corps social apparaisse plus extrême qu’elle ne l’a sans doute jamais été au cours de notre histoire moderne - années 1940-1944 mises à part -, incline à un pessimisme qu’aucune forme de crise ne parviendra vraiment à surprendre.

Il est infiniment peu vraisemblable que d’ici au vote de nos concitoyens, le rempart dont on vient de dire qu’il était capital qu’il soit rehaussé via une révision radicale de l’orientation de l’action de l’Etat, ait une chance de l’être - ou s’il l’était par une divine surprise, que ce soit, en si peu de temps, avec un effet significatif. Et quant à l’expression du suffrage universel, il est plus qu’improbable, vu le poids de l’endoctrinement déployé par les institutions et les œuvres de la religion du marché, qu’elle fasse obstacle à ce que la France à son tour connaisse une déconstruction complète, ou à peu près complète, de l’Etat-providence et du corpus protecteur qui lui est attaché.

Reste qu’envers et contre tout, le débat public ne doit pas être déserté. Au moins pour répéter que la mise en application d’un programme ultra libéral après la prochaine élection présidentielle ne se fera pas sans provoquer un séisme conflictuel ou un cycle long de désagrégations et de violences sociales. Et que le risque d’une implosion sociétale, dont tous les facteurs sont réunis, est au bout de cette séquence qui soumettra la nation, déjà fragmentée par l’outrance des inégalités et la prégnance de la précarité, et déjà parcourue par les pointillés des sécessions identitaires, à des convulsions qu’elle n’est plus en mesure de supporter.

Pour répéter surtout que cette implosion ne peut être prévenue que si des héritiers de nos révolutions, conscients de former le canal historique du projet républicain, surgit la résistance et la renaissance salvatrices. Quelle que soit en fin de compte la nuance de néolibéralisme que les urnes - des urnes dévaluées par le scrutin plébiscitaire auquel on les emploie aux fins de pourvoir une fonction d’essence monarchique - désignent comme adversaire à la République, celle-ci ne peut faire valoir sa raison d’être que si elle se range et conforme son ambition à la définition qu’elle a donnée d’elle-même, et que si sa résolution est de redonner vie aux cinq termes de cette définition.

Ce qui lui intime d’être Une - et par conséquent de ne reconnaître comme communauté que la Nation -, d’être Indivisible - et par conséquent de récuser toute possession d’une identité, que celle-ci vaille revendication d’une primauté ou d’une spécificité, pour ne reconnaître que la citoyenneté qu’elle procure -, d’être Laïque - et par conséquent de récuser toute assujettissement confessionnel de la loi, toute subordination de la volonté générale et des droits de la conscience aux normes édictées par le religieux, pour reconnaître en la neutralité cultuelle de l’Etat la seule garantie de la liberté de pensée alliée à la paix civile -, et d’être Démocratique et Sociale - et par conséquent d’exclure qu’elle puisse être la République configurée par deux siècles de notre histoire sans satisfaire à la fois à l’une et à l’autre de ces obligations, pour reconnaître en l’égalité la première condition de la démocratie.

Le plan de bataille ainsi tracé entraîne-t-il qu’on doive laisser son lecteur entrevoir un motif d’optimisme ? Et qu’il y ait lieu de se dire que s’il partage les objectifs énoncés, celui-ci attend probablement qu’on soutienne sa conviction en concluant à l’espoir d’un sursaut de la République - pour faibles que puissent paraître à beaucoup les signes annonciateurs ou prometteurs de ce sursaut. 

Cet espoir pourrait alors être tiré de l’idée que le capitalisme est certes aujourd’hui conquérant, et qu’il n’est pas loin d’avoir tout soumis à son entreprise de restauration, mais que les conquêtes, à l’instar les colonies de naguère, sont faites pour être un jour perdues. Ou de l’idée voisine que le capitalisme mène pour son propre compte une croisade qui semble invincible, mais que les croisades ont finalement toutes été vaincues et qu’il n’est rien resté de leurs appropriations, au moins sur la longue durée.

 Didier LEVY - 14 juillet 2016
‘’ D’HUMEUR ET DE RAISON ‘’


*acronyme qui renvoie au culte de ‘’l’entrepreneur’’ que l’héritier des Wendel et chef de file de leur holding familiale, à l’époque premier président du MEDEF, a institué par décret personnel comme l’empereur Théodose le fit du christianisme en religion de l’empire. Mais les appellations qui avaient cours auparavant de ‘’Patron des patrons’’ et de ‘’CNPF’’ ne signifiaient-elles pas plus clairement, et plus franchement, de quel personnage et de quoi respectivement il retournait ?

**terme qui prouvait à l’époque que si le général de Gaulle avait temporairement perdu le contrôle de la situation - une situation, il est vrai, sans précédent -, il conservait intacte sa faculté de verbaliser l’idée ou l’image qu’il voulait faire partager au pays. C’est à dire la capacité à mettre en scène le mot juste ou la formule imagée propres à contenir et à décrire un fait politique majeur, ou un événement exceptionnel requérant sa transcription dans le discours public. Capacité qui fait défaut aujourd’hui dans le débat politique.

***l’ampleur et la fréquence de l’exposition des citoyens à tous les types de messages émanant de la publicité et de la communication, la pression exercée sur eux au long des journées - une pression à peu de choses près continue - par l’une et par l’autre, les manipulations dont ils sont si répétitivement l’objet de leur part à toutes deux via l’utilisation de procédés et de techniques de persuasion de plus en plus sophistiquées ou simplement affranchis de tout scrupule, inclinent à penser que le temps que nous vivons peut sans exagération être dénommé « l’Ère du mensonge ». La propagande de la marchandisation et de la religion du marché y trouvent bien sûr très grandement leur compte.