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jeudi 31 août 2017

RÉCUSER L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE À LA FRANÇAISE : SEUL LE RÉGIME PARLEMENTAIRE EST RÉPUBLICAIN.


Un constat tout d’abord : Jacques Chirac a été élu en 2002 avec tout juste 19,88 % des voix …  La "cote" d'Emmanuel Macron est-elle donc aujourd'hui si basse ? Faut-il en faire la première note de la marche funèbre du quinquennat ?

On peut gloser sans fin sur le bilan à 3 mois du président Macron - si tant est que le terme de "bilan", rapporté à une période aussi brève, puisse avoir du sens si on le détache des besoins en alimentation de l'information en continu.

Et on peut faire, semaine après semaine, l'exégèse de sondages qui révéleraient la chute de sa popularité.

Mais toutes les analyses, et leurs commentaires, qu'on peut lire sur le sujet méconnaissent l'inanité foncière de leur objet d'étude. Se laissent prendre par la grande illusion qui enveloppe notre monarchie élective et le système plébiscitaire sur laquelle celle-ci repose.


… Tout change en 2002

Une illusion dont avait quelque excuse de s'en laisser aveugler jusqu'à l'élection présidentielle de 2002 où ce système plébiscitaire a disjoncté.

A partir de ce scrutin où le Front national a mis fin au tête à tête entre candidat des droites et candidat des gauches, la supercherie qui couronne tous les vices de l'élection présidentielle au suffrage universel direct - modèle V ème république - aurait dû sauter aux yeux.


… quand le plébiscite gaullien cesse de fonctionner

Une supercherie construite sur le caractère de plébiscite qui a été donné au second tour du scrutin présidentiel : puisque suivant ce principe et sa logique, il fallait que le président de la République fût élu à la majorité absolue, le second tour de l'élection a été réservé aux deux candidats arrivés en tête au premier tour.

Pour un républicain, l'élection des gouvernants est valide dès lors que la majorité simple est acquise. Dans une démocratie parlementaire - i.e. dans la démocratie sous sa forme la plus avancée -, c'est à partir de cette majorité simple que se construisent en général les gouvernements de coalition. Coalition fondée sur la négociation et le compromis qui sont l'essence du régime démocratique.

La révision de la Constitution de 1962 qui a consacré la monarchie élective conforme aux vues du général de Gaulle, n'avait pas envisagé que l'usure du régime et le dérèglement de ses mécanismes conduiraient un jour le corps électoral à se déterminer non sur sa préférence à l'égard de l'un des deux candidats restant en lice, mais en faveur de celui qui lui apparaîtrait comme incarnant "le moindre mal". Puis que cette usure et ce dérèglement contraindraient les citoyens à déterminer leur vote du premier tour selon un savant calcul, ou une hasardeuse spéculation, dans le dessein, et sous l'obligation, de configurer le duel le moins révulsif et le moins périlleux pour le tour final.


… 2017, un cas d’école

Avec l'illustration la plus sidérante de ce vote où la science électorale - ou la confiance en une divination personnelle sourcée dans les publications de sondages - se substitue à l'expression d'un choix démocratique authentique : le cas des électeurs de gauche, a priori destinés à apporter leurs suffrages à Benoît Hamon grand vainqueur de "leur" primaire, qui ont voté pour Emmanuel Macron au 1er tour de 2017 pour éliminer François Fillon du second tour.

Autrement dit pour empêcher un prévaricateur avéré, soutenu en sus par un parti clérical redevenu menaçant, et porteur de surcroît du programme socialement le plus réactionnaire jamais proposé aux Français, d'accéder à la présidence de la République après une victoire courue d'avance dans un duel avec la candidate de l'extrême-droite.


… Une impopularité grandissante ou une adhésion réelle mal mesurée ?

Ce travestissement d'un vote démocratique, ajoutant ses effets à ceux du conditionnement plébiscitaire qui est imposé depuis l'origine dans l’agencement du second tour de notre élection présidentielle, vide à l'évidence de toute signification les pontifiantes analyses qui s'attachent à expliquer le désamour dont le président Macron aurait été l'objet au cours de l'été.

La réalité - et cela vaut bien entendu pour ses deux prédécesseurs - est que les instituts de sondages ne mesurent rien d'autre, à ce stade d'un mandat présidentiel, que l'assise électorale réelle du président élu. Décantation faite des emballements d'opinion qui saluent le vainqueur de la longue joute électorale présidentielle, la popularité mesurée et chiffrée tend à se confondre avec le niveau de l'adhésion - l'adhésion véritable, c'est à dire sans les calculs afférents au "vote utile" - que le président avait recueillie au moment du premier tour du scrutin présidentiel.

A chacun de se faire son opinion sur la politique que met en œuvre l'actuel président de la République. Sur la concordance que présente cette politique avec les discours de campagne, sur l'orientation libérale qui s'affiche et que ces discours annonçaient on ne peut plus clairement, et, globalement, sur le projet macronien d'aligner la France sur la mondialisation sans provoquer de rupture sociétale. Sans entraîner une déchirure irrémédiable ou explosive de la nation.

Mais qu'on nous épargne la représentation du grand chœur médiatique qui s'apitoie - les larmes de crocodile ne cachant pas grand chose du besoin de conforter les audiences et les lectorats - sur le "mauvais été", la rentrée menaçante et l'avenir incertain d'un exécutif juste arrivé aux affaires. Un apitoiement qui surexpose, au reste, des contrariétés, des complications et des déconvenues qui sont le lot ordinaire de tous les dirigeants des états démocratiques dès leurs prises de fonctions.


… seule compte l’échéance du jugement populaire

Façon aussi de dire à ce chœur, à ses experts, à ses éditorialistes, à ses chroniqueurs et autres invités des plateaux de télévision, que ce quinquennat échouera peut-être, ou très probablement, comme les précédents, mais qu'en toute hypothèse, un gouvernement a le droit - quand il n'en a pas le devoir - d'être impopulaire dès lors que le peuple jugera en fin de compte de son bilan.

Et dès lors que ce verdict, rendu en pleine connaissance de cause, participera du choix éclairé que fera le suffrage universel en renouvelant ou non le mandat qu'il est seul en droit d'accorder pour conduire la politique de la nation. Un choix éclairé dont le système monarcho-plébiscitaire de la Vème république a amplement démontré qu'il ne peut plus offrir les conditions.

Sauf à considérer que la compétition, inhérente aux régimes plébiscitaires, des postures, des simplifications et des artifices de communication - ce à quoi ce système se résume depuis pas mal de temps - a quelque chose à voir avec l'exercice de la démocratie.

Le vrai sujet de débat n'est pas tant de savoir si nos gouvernants - qu'ils soient "proactifs' ou prudents, voire inertes - peuvent, en l'état présent des fragilités de la société et de la réactivité de l'opinion, résister à l'impopularité qui les assaille, que de trouver à ces gouvernants un mode de désignation qui s'intègre à des institutions républicaines ayant recouvré la capacité de gérer dans la durée les aléas de la confiance populaire, ainsi, surtout, que les situations de défiance qui légitiment ceux-ci.


… et seul le régime parlementaire sait gérer démocratiquement les crises de confiance entre gouvernants et gouvernés

A cet égard, le régime parlementaire est bien le seul où l'équilibre est assuré entre, d'une part, l'indispensable continuité du gouvernement - on n'y vote pas facilement (et donc pas inconsidérément) une motion de censure -, et d'autre part, la sanction démocratique de l'échec ou de l'insuffisance de l'exécutif en place, ou celle de l'inconduite ou de l'improbité de l'un de ses membres éminents.

Toutes les procédures nécessaires à cet équilibre y ont été inventées, expérimentées et confirmées : censure du gouvernement, destitution de son chef par son propre parti ou par le groupe parlementaire qui en est issu, dissolution automatique, ou non, du parlement ou de sa chambre basse, la règle fondamentale est que ni l'exécutif, ni les députés, n'y disposent jamais d'un mandat dont la durée serait intangiblement déterminée au départ, et par là opposable à la volonté du peuple et/ou aux exigences du Bien public.



… Le paradoxe d’une république dont le pouvoir exécutif s’est affranchi de la Constitution

Vis-à-vis de l’exécutif, cette règle fondamentale institue donc une faculté de révocation : celle qui a fait très dommageablement défaut à la Vème république (les exemples viennent d'eux-mêmes à l'esprit ...). Le paradoxe tenant à ce que les institutions dont celle-ci a été au dotée à l'origine, et dont la captation du pouvoir exécutif en son entier par le président de la République a trahi l'esprit, organisaient cette révocation propre au régime parlementaire suivant le schéma le plus exemplairement équilibré et rationnalisé que les constitutions françaises aient jamais connu.

Un schéma que l'irresponsabilité politique du "chef de l'Etat"[1] (augmentée de l'impunité judiciaire monarchiquement attachée à la fonction) dont les présidents de la Vème république ont conservé le bénéfice en dépit de leur confiscation des pouvoirs constitutionnels du Premier ministre[2], a évidemment vidé de tout contenu.

Et donc rendu inopérant quant à son objet : la possibilité de sanctionner le chef de l'exécutif au cours de son mandat.

Qu’importe en effet que le gouvernement et son chef nominal soient responsables devant le Parlement, si le véritable détenteur des pouvoirs de gouvernement est à l’abri – sauf déclenchement d’une crise de régime – de toute censure ? Si rien ni aucune circonstance ne permet de le révoquer ?

Une faculté de révocation ainsi abolie, comme était corrélativement effacée la nature parlementaire de nos institutions, alors qu'elle renvoie à rien moins qu'au principe que nous avons en théorie solennellement adopté dans la Déclaration des droits de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».


… une abolition et un effacement historiquement régressifs, mais un horizon républicain moins fermé qui ne le paraît

L’irresponsabilité du titulaire du pouvoir exécutif n’a pas fait entrer la France dans un système présidentiel. A considérer les régimes classés comme tels[3], ce système ne nous offre, en tant que société ‘’développée’’, qu’une incarnation référentielle possible : celle des Etats-Unis d’Amérique. Or, à cette aune, rien ne reproduit en France les freins et contrepoids qui, outre la structure fédérale, équilibrent le fonctionnement des institutions américaines.

Celles-ci ne fonctionneraient-elles – jugement formulé naguère par le général de Gaulle– que « cahin-caha » … Les équilibrent en tout cas sur un modèle conçu au XVIII ème siècle et dont on peut tenir que le régime parlementaire l’a irréversiblement dépassé en termes de modernité politique.

Ce vers quoi nous avons régressé est le régime de la monarchie constitutionnelle[4]. Le mode d’exercice du pouvoir exécutif, à travers les dispositifs et les pratiques qui ont été décrits et analysés ci-avant, rapproche en effet davantage notre monarchie élective des royaumes du Maroc et de la Jordanie que des démocraties avancées qui nous entourent.

Une monarchie constitutionnelle ressuscitée depuis à présent plus d’un demi-siècle et qui, pour l’histoire comparative, et hors la transmission héréditaire, s’apparente à beaucoup d’égards à celle – de très brève durée - qui avait été élaborée pour le Roi Louis XVI par l’Assemblée Constituante. Pourrait même y figurer, à peine transposé, le déclaratif énoncé en 1791 que les restaurations ultérieures ont repris à leur compte : « La personne du Roi est inviolable et sacrée ».

D’où la tension permanente qui s’exerce entre un système politique anachronique et une société qui est globalement dotée de toutes les libertés conformes aux standards des régimes démocratiques du XXI ème siècle. Et d’où les incohérences grandissantes de notre vie politique, écartelée entre des besoins et des impératifs de modernité – le contrôle et la participation citoyennes au premier chef - auxquels le régime parlementaire peut en vérité seul répondre, et une configuration monarcho-plébiscitaire qui est, par nature, figée dans une vision verticale de la légitimité et rétive à tout contrôle effectif du peuple et de ses représentants.    

De là, au total, la confusion institutionnelle et civique où nous sommes.  Mais une confusion dont la prise de conscience semble heureusement s'étendre de plus en plus largement dans les cercles de l’opinion, et dont il est permis d'attendre que le retour au régime parlementaire ne sera pas point trop lointain.

Encore faudra-t-il conforter cette prise de conscience en déployant la pédagogie nécessaire pour convaincre nos concitoyens de ce que le plébiscite quinquennal qui pourvoit à l’élévation d’un monarque à durée déterminée, et inamovible pendant cette durée, leur confisque des droits essentiels que la République a proclamé à leur intention. Et d’abord de celui de ‘’demander compte’’ de l’exercice de tout mandat public - et a fortiori du plus éminent -, y compris pendant que ce mandat s’accomplit.

Et pour faire entendre que le plébiscite en lui-même ne peut, par vocation, qu’engendrer un pouvoir de type personnel. D’autant plus solitaire, arrogant et présomptueux qu’il se conjugue avec  l'irresponsabilité politique qui coure d’un plébiscite à l’autre pour le vainqueur de ces compétitions électorales archaïques. Là encore, et en remontant juste avant le dernier quinquennat écoulé, les exemples s’imposent d'eux-mêmes à la mémoire.

Deux messages à faire passer inlassablement. Du second découle plus spécialement la conclusion de cette tribune.

Par le rappel du principe qui - avec la conviction que toute autorité qui se dérobe au contrôle et à la sanction devient despotique, ou au minimum arbitraire - a fédéré au fil du temps[5] les adversaires des Badinguet, des Mac-Mahon et autres Boulanger ; puis les contempteurs successifs du système de la V ème république, de Pierre Mendès France aux promoteurs d’une nouvelle République ressourcée dans le parlementarisme :

‘’Etre républicain, c’est porter dans toutes les fibres de son être une exécration absolue et irréductible à l’encontre de toute forme de pouvoir personnel‘’.


Didier LEVY – 1er septembre 2017


Publié sur Facebook le 30 août 2017. Dans une première version sensiblement moins développée, et en introduction à la publication de l’article « Macron : les raisons d'une chute », EDITO de Matthieu Croissandeau sur L’OBS-électronique du 30 08 2017.

¤ DEUX EXTRAITS :
’A quoi tient une cote de popularité ? Quatre mois après son arrivée à l’Elysée, celle d’Emmanuel Macron poursuit sa dégringolade, sondage après sondage. A écouter les commentaires, on finirait par croire que l’été fut des plus calamiteux, voire que la fin est proche… Deux jugements aussi excessifs qu’expéditifs. (…).
 ‘’ Davantage que les chiffres de sa courbe sondagière toutefois, ce sont les raisons de ce dévissage qui devraient préoccuper le président. Car, à l’évidence, ce mouvement marque à la fois une impatience, une déception et une incompréhension (…)’’.





[1] Appellation privilégiée par le général de Gaulle et avant lui par Philippe Pétain.  Faut-il rappeler que dans la conception républicaine, l’Etat  - organe qui appartient à l’indivision des citoyens dont il émane – ne saurait avoir d’autre ‘’chef’’ que le collectif de ces citoyens aux mains desquels il est confié. Quelque délégation que ceux-ci peuvent donner aux magistrats de la cité pour conduire, sous leur contrôle, les affaires publiques.  
[2] Hors périodes dites de cohabitation, où le rapport de forces politique rétablit le partage constitutionnel des compétences entre le président de la République et le Premier ministre qui recouvre, comme le gouvernement, la plénitude du rôle que lui attribuent les articles 20 et 21 de la Constitution.
[3] Et bien sûr seulement ceux (majoritairement situés en Amérique Latine) qui après avoir épousé des transitions démocratiques à peu près parallèles, ont cessé d’être le simple habillage de dictatures issues d’un pronunciamiento militaire, et/ou celui de la tyrannie d’une oligarchie économique ou clanique.
[4] ‘’Constitutionnelle’’ s’entendant évidemment, en l’espèce, au sens des classifications en vigueur. Redisons que la V ème république relève fort peu de cette qualification pour avoir détourné son économie institutionnelle au profit du président de la République, et ce dès la promulgation de sa constitution. Un détournement de la Constitution, i.e. une violation de la Loi fondamentale, qui ne se retrouve dans aucune autre démocratie : dans ces états de droit (ce que nous prétendons être), il y serait tout simplement impensable.
[5] On évoque ici le seul temps de paix. Il va de soi que l’opposition au pouvoir personnel du Maréchal Pétain, et au régime qui en procédait, englobait et conjuguait une multiplicité de motifs dont l’importance est indépartageable, comme leur association a varié individuellement : motifs patriotiques, motifs politiques – dont la fidélité à la République -, motifs philosophiques, motifs spirituels …