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samedi 9 octobre 2021

" LE CLERICALISME, VOILA L'ENNEMI " : LA LOI PROTEGE LA LIBERTE, CELLE DE LA CONSCIENCE ET CELLE DES CULTES. Et toujours dans cet ordre.

> article en attente d'un profond remaniement (amende honorable) 

LA LIBERTE EST LA SEULE NOTION QUI SE DEFINISSE PAR SES LIMITES. QUI NE SONT RIEN D'AUTRE QUE SES GARANTIES.

Et d'abord le diagnostic factuel dont tout devait procéder : "... ce n’est pas dans les confessionnaux que les agressions sexuelles sont dénoncées. D’autre part, certaines professions spécifiques (médecins, soignants, travailleurs sociaux, avocats, notaires) sont soumises déontologiquement à un secret professionnel QUI EST AUTOMATIQUEMENT LEVÉ dés qu’il s’agit de mineurs de moins de 15 ans.

"Pourquoi donc l’Eglise catholique pourrait elle déroger à la règle ??

Dans une république laïque comme la nôtre, aucun organisme ne saurait faire exception".

Ensuite parce que les conséquences du secret, du déni, de l'esprit de pouvoir - le cléricalisme qui est indétachable de la configuration même d'une institution de gouvernance cultuelle - sont clairement posées. Oui, combien vont se détourner ? Combien vont juger sans appel et pas nécessairement dans le bon sens ?

Et par ailleurs, parce qu'une analyse aussi juste incite à une réflexion utile et bénéfique. On peut en risquer deux ici.

La première est qu'un clerc ayant, en confession, connaissance d'un crime - quel qu'il soit - est libre, en son âme et conscience, de ne pas le dénoncer. Non que la loi l'y autorise : si elle garantit le libre exercice des cultes, en l'espèce du sacrement catholique de la réconciliation, c'est toujours dans le respect de l'ordre public (on préfèrera parler du respect de la la législation sur laquelle se fonde la République). Le clerc, en l'espèce, et comme tout autre être humain qui choisit pour la même raison de faire silence d'un crime, exerce le droit général et imprescriptible à l'objection de conscience. 

Une objection personnelle dont le clerc sait, dont tout objecteur de conscience sait, qu'elle l'expose à l'impersonnalité de la loi. Ce qui s'accorde à la grandeur morale que revendique tout(e) émule d'Antigone. Pour ce clerc, si son geste d'objection est connu, rien dans son état, rien dans son appartenance à une cléricature, ne saurait venir ensuite légitimer une indifférence du juge. Ni compter valablement dans l'adhésion éthique que l'opinion peut accorder à une objection de conscience.

La seconde - et l'article de Michelle met bien l'accent sur l'aliénation millénaire de l'Eglise institutionnelle à une "morale sexuelle" faites d'oukases inhumains - parce que cette vérité est clairement dite : le catholicisme romain a hérité et s'est cuirassé dans une répulsion de la chair qui ne vient pas de la Bible, mais  d'une réinterprétation paulienne, précoce et missionnaire, puis d'une fixation dès les premiers siècles, sans doute attachée à des "névroses civilisationnelles" de ce temps. 

Rien dans le judaïsme ne prononce une déchéance du corps : tout au contraire, ce corps est l'objet d'une "action de grâce" prescrite et continue; et la reproduction sexuée est lue dans la Genèse comme un inestimable don à l'Adam, créé homme et femme, accordé au moment de la séparation des deux corps. De ce point de vue, la filiation avec la sainteté du corps né de la Création se trouve dans le christianisme en un énoncé tel que celui du patriarche Athénagoras : "Ce que font un homme et une femme qui s'aiment derrière la porte de la chambre à coucher est forcément saint".

Exactement l'opposé de l'opposition paulienne entre l'esprit qui élève et le corps qui abaisse et qui entraîne à la concupiscence - le mot recouvrira pour des siècles tout ce qui a trait à la sexualité humaine. 

Comment ne pas en venir à penser que cette obsession à inscrire cette sexualité dans le péché, au point de confondre à peu de chose près la première et le second, porte en elle ce que l'Institution catholique expose aujourd'hui, et avec quelle profondeur d'enracinement, dans ses constructions doctrinales et disciplinaires les plus à même de provoquer son rejet : célibat des prêtre, exclusion des femmes des ministères ordonnés, pouvoirs de type patriarcal, récusation de la charité et de la dignité du prochain vis à vis, en vrac, de l'homosexualité et de l'avortement ... on n'hésite presque à énumérer des archaïsmes ou des arriérations à ce point rabâchées.

Et ne pas en venir à aller, non jusqu'à établir un lien de causalité (qui serait par trop sommaire), mais jusqu'à orienter le projecteur d'éclairage sur le mépris et la détestation de la chair professés par l'Institution romaine en ce qu'ils produisent un facteur d'attraction vers une cléricature affichant une claustration mentale qui configure pour les névroses - et pour pire que celles-ci - s'agissant des pathologies du vécu et du comportement sexuel, un lieu optimal d'accueil.

 


Du président de la Conférence des Evêques de France, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, cette déclaration relative à la dénonciation des crimes sexuels commis par des clercs sur des mineurs : 

- « le secret de la confession s’impose à nous, et en cela, il est plus fort que les lois de la République ». 

De même que la lapidation des femmes adultères est bien évidemment un commandement "plus fort que les lois de la République". 

Sauf que dans le second cas, on voit très bien quelles paranoïas racistes iraient se saisir d'une déclaration aussi abjecte, fût-elle des plus isolées, pour propager leurs haines obsessionnelles (nonobstant la place que l'anti féminisme tient dans l'induration réactionnaire de l'extrême droite et dans les arriérations mentales sur lesquelles tout prétendu "ordre moral" se façonne). 

Dans le premier cas, la Droite Ultra Catholique - des Retailleau aux acolytes et clients de Bolloré - se signalera par un silence assourdissant. Adhérant pourtant, cœurs et âmes, à un déni de la République laïque dont ils ont repris le dessein de l'abolir au profit d'une restauration cléricaliste. Du type de celle qui accable la Pologne ou la Hongrie. 

Mention particulière étant faite, à cet égard, du groupuscule droitier qui est parvenu à empêcher le Parlement de délibérer sur le droit à une fin de vie dans la dignité. Droit dont la majorité de nos concitoyens réclament qu'il soit reconnu, comme c'est le cas dans les démocraties qui nous entourent. Et qui appartient simplement au champ de la liberté de conscience. 

Une liberté aussi impénétrable au cléricalisme que l'est par contre coup la notion de laïcité - laquelle a été précisément conçue, proclamée et inscrite dans les "lois de la République" pour garantir les droits de la conscience. 

Et pour protéger toutes celles et tous ceux qu'un pouvoir cultuel ou une institution religieuse est capable de menacer, de léser ou d'opprimer. 

Même si en 1905, la criminalité dite pédophile n'apparaissait pas aux républicains comme la menace la plus urgente à conjurer. 

Didier Levy - 08 10 2021

D'HUMEUR ET DE RAISON

lundi 8 mars 2021

L’ANTISEMITISME FAIT LE CRIME, LA LAICITÉ NE FAIT PAS LA HONTE DE SOI.

 

v  ... en France, il n’y a qu’une communauté, la nation.

Jusqu’à ces tout derniers mois, j’ai vécu dans l’une de plus riches villes de France, sinon la plus opulente. Et en tout cas, celle où l’argent doute le moins de sa légitimité, et où ses détenteurs sont les moins incertains du bien-fondé des privilèges qu’ils en tirent. 

Ce n’est pas en cela que cette ville a changé en quelques années. Mais en ce qu’on y a vu s’implanter un communautarisme confessionnel qui possède tous les traits sous lesquels cet identitarisme  - dénommé à présent ‘’séparatisme’’ quand il est culturellement le fait d’une minorité ciblée – est dénoncé dans les banlieues relagataires du département de la Seine-Saint Denis.

Deux obédiences de la même religion se sont ainsi installées à quelques centaines de mètres l’une de l’autre. Pour la première (dont les implantations sont présentement en reconstruction), s’est ajoutée à son lieu de prière une école mitoyenne, primaire et maternelle, occupant en son entier un ex-immeuble de bureaux. Le site comptant en outre quelques dépendances à son voisinage immédiat.

Rien à redire à cette proximité ? Rien a priori sinon le fait déjà que l’école en question est strictement mono-confessionnelle : ce qui, dans le domaine de l’enseignement dispensé à des enfants, se concilie difficilement avec la conception française et républicaine de la citoyenneté ; et ce qui, plus largement, interroge sur le contenu des programmes qui y sont enseignés et sur les options des maîtres. Et quelle éducation civique, quelle intégration à la société, attendent des gamins qui n’auront eu pour condisciples, dans leurs jeunes années, que des coreligionnaires identiquement formatés ?

Sinon, aussi, que du fait de la même proximité cultuelle, un étroit périmètre de rues a vu se regrouper les afflux quotidiens d’un nombre croissant de fidèles autour des deux lieux de prière ainsi que de parents d’élèves aux abords de l’école confessionnelle. Et que l’importance de cette fréquentation y a fait essaimer de multiples commerces assortis à la religion concernée : commerces alimentaires, restaurants, traiteurs, librairies, super marché ... Plus visiblement encore, ce périmètre est maintenant fréquenté, jusqu’à l’être à peu de choses près majoritairement les jours de célébrations religieuses, par des croyants qui affichent, entre autres, un habillement, des couvre-chefs et autres accessoires distinctifs qui sont autant de signes ostensibles, quand ils ne sont pas compris comme ostentatoires, de leur appartenance religieuse. Des signes et des conduites qui, par la fréquence de leur exposition dans l’espace commun, par le nombre de leurs adeptes, et par la singularité qui y est perçue, impriment la visibilité d’une expression communautaire on ne peut plus assumée.

Laquelle se trouve spectaculairement surexposée lorsque la municipalité affecte, à l’occasion d’une fête religieuse particulière et pendant plus de dix jours, une place publique de la ville à l’une des deux obédiences visées pour que celle-ci y construise un édifice cultuel provisoire. Au surplus, l’agencement et la dimension de cette construction, dont l’effet est d’entraver toute circulation des passants, aggravent l’affectation accordée à ladite obédience qui devient tout simplement la concession exclusive d’un lieu public à un culte.

Le maire, seul décideur de cette concession – son mode de décision est connu pour être des plus autocratiques -, dépasse en l’espèce, et sans doute de très loin, toutes les complaisances, tous les accommodements dispensés dans le « 9.3 » au communautarisme confessionnel. Clientélisme et électoralisme sont bien sûr ses tout premiers mobiles - là où ses collègues des communes de la Seine-Saint Denis peuvent au moins être crédités, additionnellement, d’une préoccupation de tranquillité publique à travers un dialogue compréhensif des isolements séparatifs que vivent des minorités culturelles. Sans qu’il puisse être exclu que ce porte-étendard de la droite ultra réactionnaire ne règle pas aussi ses comptes avec les principes d’une République laïque qui se réclame des valeurs progressistes de la raison ... 

Quoiqu’il en soit, l’illégalité de l’autorisation donnée à cette construction cultuelle ne souffre pas de discussion. De quels artifices qu’ait été entourée sa publication, de quels faux-semblants qu’on ait, ou qu’on puisse, habiller les tentatives pour la justifier, la législation qui a établi et qui encadre dans la République française la séparation des pouvoirs publics et des cultes ne se prête à cet égard à aucune interprétation[1]. Cependant, celles et ceux – dont l’auteur de ces lignes – qui ont entrepris de signaler cette illégalité, et de la dénoncer  par toutes les sortes possibles de publications et d’affichage (et même par voie de pétition), n’ont obtenu aucun écho de la part des autorités administratives ou judiciaires, ni de celle des médias répétitivement alertés. Tout juste une attention assez minimaliste de la part de leurs concitoyens pourtant majoritairement en accord avec eux.

Le parallèle qui est tracé ci-avant entre les banlieues de la Seine-Saint Denis et la ville opulente dont les encouragements et les appuis au ‘’séparatisme’’ du maire ont été renseignés dans leurs traits majeurs, a péché par l’occultation de ce qui les différencie.

Dans les premières, l’identitarisme religieux s’impute à un islam rétrograde, captif du fondamentalisme qui l’emmure dans sa différence. En même temps qu’il surarme les racismes qui ciblent depuis toujours les musulmans voués à coexister avec nous ou ceux de notre alentour ; et qu’il élargit jusqu’à la pire confusion le champ de la peur que provoque la violence fanatique et meurtrière des courants ou factions islamistes ‘’radicalisées’’.

Dans la seconde, le communautarisme confessionnel est le fait de ce que le maire de Neuilly sur Seine – puisque c’est bien la ville opulente dont il s’agit – désigne comme « la communauté juive ».  Oublieux, autant qu’il l’est outrageusement en l’occurrence de la loi, de cette notion constitutive de la République dont le sens s’est fixé dans l’acception incomparable énoncée naguère par un Grand rabbin : en France, il n’y a qu’une communauté, la nation.

 

v  ... une nation libre parce qu’elle est Une en se reconnaissant composite,

et une République Indivisible qui ne compte que des citoyens.

Deux notions inséparables de cette laïcité ‘’à la française’’ si peu ou si mal comprise hors de ses frontières. Parce qu’il échappe qu’elle a été inventée, comme on le ferait d’un vaccin, après des siècles de violences religieuses ou de guerres de Religion dans l’Europe chrétienne, de croisades internes et extérieures, toutes également résolues à exterminer hérétiques ou Infidèles, de persécutions et de cruautés indicibles bénies par des cléricatures affirmant leur possession exclusive et intégrale de la Vérité de la Foi.

Qu’elle a voulu répondre, pour ce qui est de la France et en une période plus moderne, à la guerre civile – guerre armée d’abord puis, plus longuement, guerre froide – déclarée à l’esprit des Lumières, tel que celui-ci avait fait valoir ses principes de liberté à travers la Révolution de 1789, par le cléricalisme romain en tant qu’autorité doctrinale absolutiste prétendant à la charge de régir les consciences.

Et davantage encore, qu’elle a eu pour première raison d’être, en vertu des mêmes idées et valeurs de liberté, d’assurer par la loi la protection du libre exercice des cultes, la loi intervenant ici pour qu’une protection identique valent à l’égard de toutes les croyances et non croyances, et, à rebours de l’Histoire passée, pour que le projet de la tolérance et de la coexistence se réalise dans la paix civile. Pour que les droits de la conscience s’inscrivent dans la loi comme des droits naturels, et partant imprescriptibles, symétriquement à la neutralité confessionnelle de l’Etat qui prive tous les fanatismes du croire du bras séculier qui les a si constamment et si diligemment servis pendant plus d’un millénaire.

 

v  ... ceux qui ôtent leur kippa

en entrant dans un bureau de vote.

C’est en une défection à cette neutralité confessionnelle des autorités publiques qu’a consisté le transfert délibéré par le maire de Neuilly/Seine d’un espace commun  de la ville à une entité confessionnelle, pour que celle-ci édifie temporairement un  lieu de culte sur le site ainsi concédé. Pour situer plus distinctement les tenants et les aboutissants de cette concession illégale, il convient de préciser que l’entité en question se donne à connaître comme un centre Loubavitch.

A grands traits, deux autres obédiences, plus anciennement présentes, se partagent le judaïsme à Neuilly/Seine. Correspondant aux deux principales composantes du judaïsme français.

D’une part, et en quelque sorte identifiés en référence à la synagogue séculaire de cette ville, des descendants, pour les uns, des juifs du royaume intégrés à la citoyenneté française en 1791 (juifs de Bayonne et de Bordeaux dont les ancêtres avaient été chassés d’Espagne et du Portugal ou en avaient fuit les persécutions, juifs des Etats du Pape en Avignon, juifs encore d’Alsace et de Lorraine ...), et pour les autres, de l’apport ultérieur, entre la fin du XIX ème siècle et les années trente, des juifs ayant respectivement échappé soit aux tueries que déchaînaient la fureur des pogroms dans l’empire tsariste, soit à la haine antisémite latente en Europe centrale et orientale, et au déchainement de ses assauts successifs s’étendant au final, pour leur paroxysme, à l’Allemagne et à l’Autriche.

Outre d’avoir en héritage commun la survie à l’entreprise d’extermination perpétrée sous l’Occupation hitlérienne, cette composante du judaïsme a eu en propre son amour de la République – ne les a-t-on pas désignés et ne se sont-ils pas conduits comme des ‘’fous de la République’’ ? - qui a conféré toute sa dimension à sa volonté d’intégration civique. Pour la faire tenir en un trait, cette intégration à la nation telle que conceptualisée en 1789, rendait impensable aux uns puis aux autres qu’une kippa fût portée en public ailleurs que dans une synagogue : c’et encore un  Grand rabbin qui illustra cette adhésion élective en déclarant qu’il se découvrait toujours en entrant dans un bureau de vote – ce à quoi la laïcité à la française n’oblige en rien – ‘’par respect pour la République’’.

D’autre part, une composante d’expression culturelle inversée et d’un tout autre parcours historique, arrivée en France autour de 1960 et venue d’Afrique du nord. Notamment d’Algérie après l’indépendance de celle-ci et l’exode massif des ‘’Pieds Noirs’’ qui l’accompagnait. Et qui emportait les divers héritiers de l’empreinte très ancienne du judaïsme au Maghreb : qu’il s’agisse de descendants des tribus berbères si lointainement converties au judaïsme (ceux dont les ancêtres n’avaient pas opté pour l’allégeance à l’Islam après la difficile conquête opérée par ce dernier), ou de juifs sépharades expulsés d’Espagne par les Rois Très Catholiques et par un long acharnement de violences connexes - ou par les  persécutions ultérieures à l’encontre des marranes.

Un judaïsme partie prenante d’une histoire multiséculaire du Maghreb et ayant vécu dans des sociétés et sous des repères civilisationels structurellement communautaires. Un vécu identitaire, construit autour d’une religion et protecteur de la pérennité de celle-ci - dans son rite cultuel spécifique -, dont, malgré la rencontre avec la modernité configurée en Europe, les traits existentiels et psychologiques les plus profonds, ou les plus intimement signifiants, se sont maintenus en Tunisie et au Maroc sous les Protectorats français, et en Algérie au long des quatre-vingt dix ans qui ont suivi le décret Crémieux et l’obtention de la citoyenneté française (hors la honteuse parenthèse des proconsulats vichyste et giraudiste).

Une citoyenneté de pleine ferveur, comme l’attestent les engagements et les sacrifices que le patriotisme lui a inspirés au cours des deux guerres mondiales. Cependant, ‘’rapatrié’’ en Métropole, ce judaïsme d’imprégnation communautariste possédait un référentiel sociétal à coup sûr différent de celui des coreligionnaires aux côtés desquels il aurait désormais à exister, avant, quelques décennies plus tard, de devenir cultuellement le plus influent. 

 

v  ... ceux qui ont eu à coudre une étoile jaune sur leurs vêtements,

ceux dont carte d’identité a porté la mention « juif ».

Au total, donc, deux composantes de l’aire du judaïsme français dont la première participe de la laïcité à la française avec un bien-être où pratiquants et non pratiquants, juifs croyants et non croyants, se sentent heureux comme D.ieu en France ; et dont la seconde, quand elle s’aligne sur cette laïcité, interroge toujours un peu sur ce en quoi elle lui reste étrangère.

 La différenciation ainsi posée parmi celles et ceux où l’antisémite ne voit que des juifs - désignés subsidiairement sous des appellations tirées de ses fantasmes, ou concurrentes entre elles à travers le degré maximal de mépris qu’il croit pouvoir y mettre – s’expose à être jugée par trop schématique. Simplificatrice à l’excès, ou hasardeuse sinon erronée dans les considérants ou les hypothèses sur lesquelles elle s’appuie.

Mais s’agissant de l’assimilation à la laïcité, et plus directement de l’abstention de la manifestation publique d’une appartenance religieuse, comment ne pas au moins se représenter, au-delà de la référence aux socles géographiques et historiques, qu’il vient naturellement à la conscience des familles où l’on a porté l’étoile jaune sur ses vêtements et la mention « juif » sur sa carte d’identité, et de quiconque qui, encore enfant,  a été assujetti aux signalements et interdits ‘’raciaux’’ édictés par l’occupant nazi, que l’affichage d’un identitarisme communautaire est toujours, (et au minimum) imprudent.

Et assurément d’une rare imprudence pour les juifs qui trainent en Europe, du fait de la religion dominante, et très principalement de l’Eglise catholique, des siècles d’anathèmes. Dont est sortie, plus ou moins directement, une somme effarante de préconçus haineux et de falsifications assorties au registre de l’obsession, dans laquelle leurs persécuteurs n’ont eu qu’à puiser. Sans manquer de l’augmenter des apports de leur démence particulière.

Certes l’adéquation à la laïcité à la française comporte des étapes et des niveaux. Pour ce qui est ainsi de l’édification de la construction cultuelle – en l’espèce l’implantation de la Soukka attachée à la ‘’Fête des Tentes’’ – à laquelle le maire de Neuilly sur Seine a réservé par deux fois une place publique de sa ville, sa demande n’a pas émané des deux obédiences du judaïsme local, les plus significativement présentes, qu’on s’est efforcé de cerner dans leur rapport différencié à la République. Pour leurs propres célébrations de la même fête de Soukkot, l’une et l’autre ont installé la Soukka à l’intérieur des emprises de leurs lieux de culte respectifs.

Qu’en revanche le centre Loubavitch ait, lui, sollicité le maire - qui avait dû fournir davantage que des indices de son clientélisme dans ce genre d’affaires - ne saurait a priori s’expliquer que par une ignorance de la législation sur laquelle repose la laïcité de la République[2]. Sauf à retenir que les démarcheurs ont passé délibérément outre à ces lois laïques sous la considération d’une éminente supériorité du religieux et de son expression dévolue à leur branche spirituelle. Dans les deux cas, tout incline à penser que la requête a été formulée avec la quasi certitude que l’édile démarché balaierait d’un revers de main, par électoralisme, l’obligation de neutralité confessionnelle que le régime de la séparation impose aux autorités publiques.

 

v  ... la relecture d’ un ‘’classique’’ de l’antisémitisme :

« Les juifs dominent le monde ».

Un mérite est paradoxalement à reconnaître à la violation de la loi républicaine ainsi perpétrée : l’installation ‘’en pleine rue’’ de la Soukka  des Loubavitch de Neuilly/Seine a apporté, a contrario, une démonstration singulière des vertus de laïcité à la française.

Une démonstration dont la probation factuelle est venue d’un constat dont il y a lieu de douter que ni à la tête de la municipalité en faute, ni au sein de l’entité des croyants demandeurs, il n’avait pu être anticipé. Pour qui a interrogé les habitants des alentours de la place que sa dévolution à la Soukka des Loubavitch confisquait au public, chaque échange ou presque engagé à ce sujet voyait apparaître, la conversation plus ou moins avancée, l’expression d’un ‘’classique’’ de l’antisémitisme : une considération générale sur les juifs qui remontait du fonds ancestral du corpus antisémite et de son cortège d’ opinions reçues, de parti-pris ou d’emprunts aux enseignements du mépris, de la méfiance et de l'aversion ; un propos péjoratif qui échappait et venait se glisser comme une simple incidente ; parfois aussi un développement déjà construit et qui avait trouvé là une occasion de se faire entendre. Au-delà de ces variantes, autant d’’’aveux’’ qui comportaient l’énonciation de l’un au moins des traits et caractères, parmi les plus ressassés, qui sont censés singulariser le juif, le spécifier par un défaut ou une tare indétachables de sa personne et de son origine.

Tantôt, donc, une remarque glissée comme avec l’aveu discret d’une certaine gêne - de celles (« je n’ai contre les juifs, bien sûr, mais il faut bien reconnaître que dans un cas de ce genre ... ») qui spéculent sur les ‘’bonnes intentions’’ qui seront comprises ou perçues par l’auditeur - ; tantôt un discours péremptoire qui s’accommode aussi peu d’une réserve que les certitudes qui le portent (« on aura beau dire, monsieur, ces gens là ne sont pas comme nous ») et qui ont depuis longtemps pris possession mentale chez son auteur et s’y sont enracinées.

Est-il plus démonstratif, à cet égard, que la recommandation lancée par un gradé du commissariat de police sis sur la frontière du quartier communautarisé, à l’un de ses subordonnés qui prenait note de la réclamation d’un habitant qui venait de se découvrir voisin d’une occupation confessionnelle antérieure de l’espace public : « Ne perd pas ton temps avec cette histoire, on sait bien que les juifs dominent le monde ! ».

 

Aura-t-on convaincu, par autant d’éléments de raison apportés, des vertus de laïcité à la française ?  La réponse affirmative se résumant en ceci : la neutralité religieuse en vigueur dans la totalité du champ des fonctions publiques – une neutralité qui se doit, somme toute, d’être aussi impartiale que celle dont l’Etat fait montre à l’endroit de la pratique de la pêche à la mouche, de la philatélie ou de la musique de chambre -, non seulement adosse la liberté de conscience sur la garantie de la paix civile, mais, confession par confession, conviction par conviction, protège les droits allant de pair avec cette liberté pour les citoyen(ne)s qui se réclament de chacune de ces options.

Individuellement et tout autant en leurs associations de croyances et de pensées communes – plus particulièrement pour les familles spirituelles les plus exposées à la vexation et à l’humiliation. Face auxquelles les accusations de desseins dominateurs, ou séparatistes, trouvent, en la pratique de la laïcité, de ses règles et de ses modes d’exercice, leur démenti républicain.

Pour autant, bien sûr, que ceux qui ont en charge de porter et de prononcer ce démenti assument en la matière leur devoir. Et qu’en tout premier lieu, ils respectent la loi et les principes de la République laïque qui est la nôtre.

Didier Lévy8 mars 2021

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EN GUISE DE POSTFACE...  : l’antisémitisme, une histoire personnelle.


 ¤ Et d’abord un pan familial

de « L'hommage de la nation aux Justes de France ». 

Ma famille a appris jusqu’où l’antisémitisme peut mener. Elle compte des patronymes des plus à même de pousser jusqu’à son paroxysme la rage antisémite. Tout en comportant, pour ce qui a été de mes parents, cette particularité qui tenait à ce que ma mère était catholique – ultime étape de l'assimilationnisme civique, ardemment patriote et républicain de ma branche paternelle, juifs d'Alsace redevable à la Révolution de leur citoyenneté.

Une mère qui, sous l'Occupation et en l'absence de mon père exilé depuis 1942, abrita chez elle, de l'été 1943 à la Libération de Paris un an plus tard, et avec mes deux frères sous son toit, une cousine germaine de son mari, juive par conséquent et munie du très fragile déguisement de faux-papiers.

A la différence de sa propre mère qui, très âgée, mourut dans le wagon qui l’emportait début 1944 vers Auschwitz, cette cousine eut ainsi la vie sauve et, toute athée militante qu’elle fût, devint quelques années plus tard ma marraine.

 

¤ S’appeler Lévy sans être juif.

Cet antisémitisme, je ne pouvais pas ne pas croiser au cours de ma vie, compte tenu de mon patronyme. Avec la circonstance particulière que n'ayant reçu, dans le contexte historique et dans le vécu familial de l'après-génocide, aucune transmission religieuse ni culturelle du judaïsme, j'aurai aussi à me garder de choquer par mon ignorance cultuelle les juifs que je croiserai (camarades de classe puis collègues de travail notamment), et également de passer à leurs yeux pour "un juif honteux".

Mais les rencontres les mieux gravées furent celle des quiproquos provoqués par cette ignorance : s'appeler Lévy sans être juif (ou sans être reconnu comme tel), en raison d’une mère qui ne l’était pas, et ne posséder de surcroît, pendant fort longtemps, qu’une très faible connaissance de la religion qu'on vous prête et surtout des prescriptions, si étendues et si exigeantes, propres à celle-ci - ou au moins de celles dont l’observance vient le plus souvent à se trouver appelée -, est un état dont on ne se sort qu'en acquérant des ressources inépuisables d'humour. Quantitativement du même ordre que celles que le fait d'être juif est censé vous procurer ...

De ces quiproquos, je n’en citerai qu’un pour son côté d’attrape-nigaud. Imagine-t-on ‘’la tempête sous un crâne’’ qu’on traverse quand à quatorze ans, invité à dîner chez son meilleur copain – circonstance très courante mais, ce soir là, étoffée de la présence des couverts d’un oncle et d’une tante et de ceux de deux neveux, et nettement plus ‘’habillée’’ qu’à l’ordinaire -, on voit la tablée se lever vers la fin du repas et se souhaiter, en plein mois de septembre, une « Bonne année » - avec tout l’empressement chaleureux qu’on est accoutumé à associer à un Nouvel An ? Ni mon copain ni sa mère n’avaient pu un instant envisager que le calendrier du judaïsme me fût totalement inconnu. De mon côté, l’idée qu’ils étaient juifs ne m’avait pas traversé l’esprit : leurs ancêtres, à l’instar de nombre de leurs coreligionnaires, avaient pris pour patronyme le nom de la ville dont ils venaient, et  - comme on dit abruptement – ‘’il fallait savoir’’ que Coblence, comme entre autres Marseille, Toulouse, Lyon (et) Caen étaient ainsi des noms juifs.

Les miens d’ancêtres, obligés eux-aussi à l’époque napoléonienne de se doter d’un patronyme, avaient dû à leur place éminente dans leur communauté d’Alsace de porter un nom référé à la Bible (mais devancés en supériorité d’office et d’état par les attributaires du nom de Cohen). Je me dirai plus tard qu’avec une composition différente des couples originels, j’aurais pu hériter du nom de métier qui avait échu à ma grand-mère de la branche paternelle, et qu’Haarscher eût été pour moi un nom de famille moins exemplairement démonstratif de ma méconnaissance du judaïsme ...

Quoique j’y aurais perdu de vivre cette précoce expérience de se trouver d’un coup projeté dans la surréalité où se déplace un personnage de Buñuel.

Pour refermer cette parenthèse, j’ajouterai que j’ai revécu à plusieurs reprises, bien des années plus tard, et sous la même connotation assez surréaliste, cette confrontation avec ‘’l’ailleurs’’ du nouvel an juif. Mais en étant alors capable de négocier la soudaineté de l’incongru sans rien laisser deviner du travail intérieur de mémoire que j’avais, au plus vite, opéré. Et même d’anticiper, par le réflexe adéquat, une récidive de mon partenaire de l’année précédente qui, désormais confiant en notre bonne intelligence, me souhaitait cette fois notre Bonne Année ... en hébreu.

 

¤ Retour à la gravité : un antijudaïsme national.

Durant mon enfance - située à assez proche distance des persécutions de Vichy et des déportations allemandes (on insistait alors de façon  relativement moyenne sur leur fin exterminatrice que vise aujourd'hui "la folie criminelle de l'Occupant") -, c'est à l'antijudaïsme chrétien que j'ai eu affaire. Venu d'abord d'enfants de relations de mes parents appartenant à des familles catholiques des plus pratiquantes et qui s’identifiaient à ce qu’elles étaient ‘’nombreuses’’ – au point les deux catégorisations se confondaient. Un antijudaïsme dont on pourrait presque se dire qu’il était sans ‘’vraie’’ méchanceté dans son fond. Principalement constitué de préjugés multi séculaires (ou par l’enracinement de leurs reliquats les plus supérieurement tenaces), de la codification d’une méfiance non moins longuement entretenue et transmise, et d'une bonne conscience dans le rejet qui donnait à ce dernier le trait d'une conséquence naturelle de l'appartenance à la foi catholique.

Le tout se résumait en un protocole bien appris où la séparation d’avec les juifs, explicite dans le tout venant de son affichage, se comprenait comme implicite dans ses raisons : le refus et le ‘’déicide’’ du Messie commis par Israël. Cependant, ce déterminant religieux  se doublait d'un sous-entendu plus politique – fait de la projection d’une image réactionnaire sur un miroir réducteur - qui préfigurait les thématiques identitaires dont l’axe tournerait plus tard sur les baptêmes conjoints de Clovis et de la France. Et qui ressortait, de longue date, de l’amalgame formé autour de l'exhortation  à être "Catholiques et Français toujours". 

Passées la décennie de Vatican II – le temps-charnière de l’abandon par la droite catholique des exprimés anti juifs -, puis l'embellie projetée par celle-ci sur les proches suivantes - qui prorogea la contrainte au silence prononcée depuis la Libération à l’encontre des nostalgiques et des continuateurs en puissance de la politique anti-juive de Vichy -, l'antisémitisme se retrouva en quête de gisements productifs ou demeurés tels : à ce que je vis à chaque détection de sa prégnance, il concentra donc son approvisionnement en phantasmes et en délires sur le foncier de ses sources contemporaines nationales – au sens détourné et dégradé, bien sûr, que les tenants du nationalisme intégral donnent à ce qualificatif de national.

De sorte que si l’antisémitisme nazi, d’ailleurs désormais confronté à une narration plus effroyablement documentée de ses camps d’extermination, demeure groupusculaire, on détecte de nouveau, par leurs réactivations, les empoisonnements du débat public qu'avaient produits Drumont et Maurras, ainsi que les composantes des représentations mentales que leur démence - la paranoïa aigue du guide de l'Action française étant aussi avérée que sa surdité - avaient imprimé dans les mentalités les plus réceptives de leur temps. S’entend ici le temps long qui va de la fin du XIXème siècle à l’épilogue de la Seconde guerre mondiale. Une histoire repoussante que je me suis néanmoins attaché à connaître et à comprendre, et à présent sans doute plus que toute autre, pour tenir une place plus activiste parmi les vigilants – ceux qui face à toutes les déclinaisons de la haine du juif, se gardent d’oublier que « le ventre est encore fécond ... ».

Cet antisémitisme du ‘’retour aux sources’, toutefois, ne vient aujourd’hui pas seul : spectre voué à hanter, avec plus ou moins de bruit de fond selon les saisons humaines, la maison commune de nos diversités, il y cohabite avec d’autres pourvoyeurs en venins. La concurrence qui s’instaure ainsi entre toxines hésite dans le classement respectif de leurs capacités létales à l’endroit de nos sociétés et de leurs libertés.

L’ennemi du genre humain porte, à son choix, selon sa pathologie, l’uniforme de la xénophobie, celui du fanatisme, celui des racismes ou celui du sexisme – énumération non limitative. Mais il se fournit au même arsenal dont l’enseigne est à la haine de l’autre.

Toutes et tous ne s’y mesureront peut-être pas directement. Mais l’avertissement, que je plaide en conclusion de mon ébauche d’histoire personnelle, peut se résumer en ceci : cette haine est toujours suralimentée par le repli sur une fortification communautaire se décrétant inexpugnable, autrement dit par la revendication d’un identitarisme ségrégatif – d’aucuns le qualifieraient de séparatif ...

Au moins dans notre pays, parce qu’en France, il n’y a qu’une communauté, la nation. Et qu’ainsi conçue, la nation s’ajuste exactement sur les droits fondamentaux déclarés en 1789, et sur ceux qui se sont développés à leur suite avec pour objectif de nous réunir dans une République démocratique, laïque et sociale.

Didier Lévy – 08 03 2021



[1] La loi prescrit qu’« il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture privés, ainsi que des musées ou expositions ». L’esprit qui inspire cette disposition est celui de la neutralité des autorités publiques, et en particulier des municipalités. En décidant l’érection d’un monument religieux, une municipalité marquerait sa préférence pour un culte au détriment du reste de la population.

[2] Il va sans dire que ces interprétations ne s’accompagnent d’aucun déni de l’importance séculaire du courant Habad-Loubavitch – inclus son très riche fond de contestations et de controverses -, son enseignement de sagesse, compréhension et savoir, et son apport à la  mystique juive.

mardi 16 février 2021

‘’ CONTRE FROMANTIN ‘’ / un réquisitoire, et une interpellation à l’endroit de Marianne qui additionne les publications offertes à ce personnage.


AVOIR TOUT CE QU’IL FAUT (et pire encore) POUR PLAIRE À « VALEURS ACTUELLLES » :

UN CRITERE POUR DEVENIR CHRONIQUEUR ATTITRÉ DE « MARIANNE » ?

Qu'on donne la parole dans Marianne[1] à celui qui fut à l'Assemblée l'indéfectible porte-voix de la droite la plus réactionnaire sur toutes les questions de bioéthique et de société, cela s'appelle servir la cause de la liberté d'opinion, donc de la démocratie. Il en irait exactement à l’identique, et le rapprochement s'impose de lui-même par la proximité extrême des idées, d'une interview ou d'une libre tribune offertes à Philippe de Villiers ou à Marion Maréchal Le Pen. Encore que ni l’une ni l’autre n’eussent à leur palmarès d’avoir figuré, place du Trocadéro – et en s’employait de surcroît à s’y rendre le plus visible possible -, aux premiers rangs des soutiens d’un candidat à l’élection présidentielle dont chacun pouvait être convaincu qu’il avait volé la République pendant une décennie où il était député, ministre et Premier ministre.

On peut juste s'interroger sur la fréquence de publication qui est réservée à M. Fromantin. Ou (et bien davantage) sur la position d'analyste sociétal et politique qui lui est prêtée par la présentation dont bénéficient ses textes et qui voile leur parti-pris. En occultant le positionnement idéologique qu'ils défendent : un engagement radicalement conservateur qui est gommé dans la parution des textes qu'accueille Marianne, au risque de faire croire qu'on lit le propos d'un observateur et d'un commentateur objectivant la situation et les problèmes présents de notre pays.

A cet égard, peut-il échapper qu'il n'est pas une idée, voire pas un mot, dans cet article daté du 6 février (le hasard tombant sur cette date hautement symbolique des assauts contre la République ...) qui ne comporte, en sous-texte, une prédication masquée de l’ultra libéralisme : avec l'initiative individuelle (la trop entendue "libération des talents’’ ou ‘’des énergies"), et partant la libre concurrence, évidemment promues comme autant de bienfaisances naturelles dispensées par la main invisible du marché ; et, symétriquement la dénonciation d'un "fiscalisme" qui entraverait l'éclosion d'une société d'entrepreneurs censée avoir seule la capacité résoudre  les problèmes et de surmonter les défis - des dérèglements climatiques et écologiques aux tensions sociales.

Une prédication pour une révolution néoconservatrice qui ne manque naturellement pas d'inclure la promotion « des richesses (...) culturelles et patrimoniales du pays », en se gardant de dire en clair que, pour l'auteur, "culturel" et "patrimonial" s'entendent comme des synonymes de l'héritage chrétien, en une intellection identitaire de ces racines fantasmées et, en premier lieu, dans la visée de la restauration de l'ordre moral enraciné dans le cléricalisme catholique.  Autant de « valeur(s) socle(s) » qui, heureusement, n'ont rien à ce jour d'une « ambition collective » ...

 

Ce qui précède, bien pesé, ne serait peut-être que d‘une importance relative (le personnage et ses idées sont assez bien connus), si M. Fromantin n’arguait pas de la nécessité impérative « d’une gouvernance de proximité et de confiance ». 

Détonante effronterie de la part d’un édile dont la gouvernance urbanistique tient dans l’idée fixe d’accueillir le maximum de sièges sociaux de groupes ou multinationales jugées prestigieuses. Et dont on peut faire confiance à la politique municipale de ce qu’elle se confondra invariablement avec les ressorts de la rentabilité de l’immobilier d’entreprise.

Le contrecoup en étant qu’une partie de la ville est livrée aux dévastations de continuelles déconstructions/reconstructions d’immeubles de bureaux : autant de chantiers dits de ‘’réhabilitation’’ – mot subterfuge mis à la place de ‘’valorisation’’ -, successifs ou simultanés, mais tous considérables, dont le maire en cause n’accorde aucune once d’attention à l’impact écologique pourtant plus qu’évident et sévère, ni aux nuisances les plus pénibles, ou carrément accablantes, qui en résultent pour les riverains pendant des mois ou des années, ni même aux manquements inouïs à la sécurité de leurs alentours commis par les entreprises intervenantes. Sans compter, en parallèle, son délaissement de bâtiments déclarés en péril depuis des années et, par conséquent, exposés à des sinistres meurtriers à l’instar, dans un passé récent, de leurs équivalents marseillais.  En bref, avant de disserter sur « La faillite de l’État », il y aurait assurément pour M. Fromantin de quoi balayer devant sa porte, si ce qui fait en toutes choses sa religion, et son rapport à l’habileté qu’il met à la servir, pouvaient lui laisser entrevoir où se situent les véritables « zone(s) rouge(s) ».

 

Et ceci encore ne ferait que compléter un portrait, si Marianne ne se dissimulait pas à elle-même que le maire Fromantin est dans sa ville le propagateur d’un communautarisme confessionnel, et qu’il dépasse de loin, en la matière, tous les exemples fournis par ce département-cible qui est réduit à son appellation numérotée de ‘’9.3’’. Un communautarisme dont les faits saillants s’inscriraient dans tous les médias si, lui aussi, pouvait donner lieu à la dénonciation indignée d’un clientélisme favorable aux musulmans – qu’il est ‘’vendeur’’ de nourrir le procès en ‘’séparatisme’’ de ces croyants-là (seraient-ils au reste plus enclins au fondamentalisme que les croyants des autres cultes ?), et quelle jubilation de pouvoir étoffer encore davantage – en sus de l’amalgame islam/terrorisme - le réquisitoire qui s’appuie sur un racisme immémorial à l’encontre de ‘’l’Arabe’’ et du ‘’Noir’’ !

Quoiqu’il commette, par clientélisme électoraliste, dans son soutien ou sa complaisance à ce communautarisme confessionnel, M. Fromantin peut transgresser les principes républicains et s’affranchir des lois de la République : le silence et l’impunité lui sont garantis parce que l’identitarisme cultuel auquel il ouvre grand les vannes est le fait de courants de juifs ‘’religieux’’, sans doute historiquement et culturellement étrangers à la ‘’laïcité à la française’’, mais dont l’inclination au différencialisme est suffisamment minoritaire ou  généralement cloisonnée pour passer sous les radars médiatiques.

De plus, cette laïcité à la française est si mal, ou si peu, appréhendée, que les transgressions qui lui sont infligées en la ville de Neuilly sur Seine ne sont ni mesurées à leur niveau de gravité ni qualifiées dans leur nature exacte.

Pourtant, en le cas d’espèce, le communautarisme identitaire servi par M. Fromantin se distingue par une visibilité qui s’imprime durablement dans l’espace public : depuis puiseurs années, un périmètre de rues a d’abord vu se regrouper les afflux quotidiens d’un nombre croissant de fidèles autour de deux lieux de prière voisins correspondant à deux obédiences différentes du judaïsme, mais également dissociées de la synagogue ‘’officielle’’, pôle séculaire et symbolique d’un judaïsme ardemment républicain où l’on est attaché à un assimilationnisme civique dès sa date d’entrée dans la citoyenneté.  Et affluer pareillement élèves et parents d’élèves aux abords d’un vaste établissement scolaire, contigu à l’un des deux lieux de culte, à la conformité règlementaire incertaine et strictement mono-confessionnel – c’est à dire voué à dispenser aux enfants une instruction ségrégationniste.

L’importance de cette fréquentation croisée a fait essaimer, dans ce quartier, de multiples commerces assortis à la religion : commerces alimentaires, restaurants, traiteurs, librairies, super marché ... Plus visiblement encore, ce périmètre de rues est maintenant fréquenté, jusqu’à l’être à peu de choses près majoritairement les jours de célébrations religieuses, par des croyants qui affichent, outre leur résolution à l’entre-soi, un habillement, des couvre-chefs et autres accessoires distinctifs qui sont autant de signes ostensibles, quand ils ne sont pas compris comme ostentatoires, de leur appartenance confessionnelle. Des signes et des conduites qui, par leur concentration et par la fréquence de leur exposition dans l’espace commun, par le nombre de leurs pratiquants, et par la singularité qui y est perçue, sont bien entendu ressentis comme une expression communautaire on ne peut plus assumée. A laquelle est spontanément associée l’imputation de séparatisme, quand celle-ci n’est pas explicitée en des termes équivalents – ou finalement pires.

M. Fromantin pouvait-il ignorer ce à quoi amèneraient inéluctablement les facilitations en tous genres et les reconnaissances, ou les apparences de légitimations, qu’il distribuait en faveur du communautarisme confessionnel [2]? Tout simplement, et par un constat factuel irréfutable, à une affligeante ‘’libération de la parole’’ - certes contenue dans le registre de ce qu’on délivre à mi-voix et précautionneuse dans le choix des interlocuteurs - qui consiste en rien moins qu’en une remontée conséquente et rapide du préconçu, du préjugé et des partis pris qu’un antisémitisme multiséculaire a sédimenté dans les mentalités. Parmi ses habitants, la concession d’un quartier à des courants religieux fermés chacun sur eux-mêmes, et spécifiquement à ceux-ci, pouvait-elle instrumenter autre chose que cette résurgence d’un flux venimeux superficiellement recouvert, et manquer de produire, au fil des arrangements électoralistes qui se faisaient jour au bénéfice des deux obédiences en cause, le regain d’une antipathie ou d’une aversion parmi les plus indurées ?

Un questionnement qui rebondit sur le pire de ces arrangements électoralistes. Ceux-ci expliquent-ils tout quand la dévolution de l’espace public à des obédiences cultuelles identitaristes se manifeste, ainsi que c’est le cas à Neuilly sur Seine, sous sa forme la plus outrée, et la plus inouïe, qu’une autorité municipale puisse lui donner : l’affectation, survenue en 2019, à l’occasion d’une fête religieuse particulière et pendant plus de dix jours, d’une place de la ville à l’une des deux obédiences visées pour que celle-ci y construise un édifice cultuel provisoire. Sachant, au surplus, que l’agencement et la dimension de cette construction – la Soukka attachée à la célébration de la fête juive des Tentes[3] -, dont l’effet est d’entraver toute circulation des passants, viennent aggraver cette attribution qui devient tout simplement une affectation exclusive à un culte.

Ou ne doit-on pas exclure que le maire Fromantin règle aussi par là ses comptes, en tant que porte-étendard d’une droite ultra conservatrice et que tenant des positionnements réactionnaires les plus endurcis, avec les principes d’une République qui se réclame des valeurs progressistes de la raison et, plus particulièrement, avec le corpus politique et légal d’une laïcité de l’Etat qu’il a tout pour exécrer en ce qu’elle fait barrage au cléricalisme. 

Le plus sidérant est que cette concession d’une place de Neuilly sur Seine à un courant cultuel – un centre Loubavitch situé dans une rue voisine – à fin d’édification d’une Soukkot sur un site public, a été perpétrée à deux cents mètres d’un hôtel de police. Que les autorités judiciaires et administratives compétentes, procureur de la République et préfet du département en tête, n’ont donc pas pu manquer d’en être parfaitement avisées - l’auteur de ces lignes en a lui-même fait le signalement immédiat au Parquet de Nanterre, en sus des multiples affichages de protestations républicaines qu’il a effectués in situ, de sa mise en ligne d’une pétition – photographie à l’appui - appelant au respect de la loi  ... et des alertes réitérées qu’il a adressées à Marianne sans parvenir à intéresser une rédaction pourtant connue pour sa disposition à défendre la laïcité.  

Pour autant, rien ne saurait donner à penser que les pouvoirs respectivement en charge dans l’Etat de l’exécution des lois et de la répression des violations qui leur sont causées, aient donné une suite un tant soit peu conséquente à la connaissance qu’elles avaient de la commission par le maire Fromantin d’une dévolution de l’espace commun à une entité confessionnelle, dévolution complétée de l’autorisation de bâtir temporairement sur celui-ci un lieu communautaire de célébration religieuse.

L’illégalité de la double faveur ainsi dispensée ne souffre pourtant pas de discussion. De quels artifices qu’ait été entourée la décision (M. Fromantin optant prudemment pour l’affichage d’un simple ‘’avis au public’’ en se gardant de la publication, plus risquée, d’un arrêté municipal en bonne et due forme), de quels faux-semblants qu’on ait pu, ou qu’on puisse, habiller les tentatives pour la justifier, la législation qui a établi et qui encadre dans la République française la séparation des pouvoirs publics et des cultes ne se prête à cet égard à aucune interprétation[4]. Le défaussement des autorités, qui ont préféré ‘’regarder ailleurs’’, devant une violation aussi extraordinairement grave et spectaculaire du caractère laïque de la République, est venue garantir (ou confirmer) au maire Fromantin qu’il pouvait impunément passer outre au respect de la loi  de séparation et à sa transcription à l’ARTICLE PREMIER de la Constitution. Et manquer ainsi, au regard de l’Etat de droit, à l’une des obligations parmi les plus impératives dont était assorti son mandat – une trahison de ses devoirs qui, pour tout agent public, se qualifie du mot de forfaiture. Une assurance si bien comprise que M. Fromantin, en récidive, a affecté l’année suivante la même place et dans les mêmes conditions,  au même centre Loubavitch de Neuilly sur Seine pour que celui-ci y construise et y installe de nouveau ‘’sa’’ Soukka pour toute  la durée de la célébration de la fête des Tentes.

Il est vrai qu’en 2019, et a fortiori en 2020, le maire Fromantin n’en était pas, en la matière, à des coups d’essai. Ainsi se félicitait-il, dans un communiqué de presse du 7 mai 2018, d’avoir pris l’initiative de l’attribution du nom de ‘‘Joseph Sitruk, Grand Rabbin de France’’ à un espace public de sa ville – qui n’était autre, déjà, que cette place dont on n’imaginait pas qu’elle serait concédée les deux années suivantes à un confessionnalisme communautariste et privatisée au bénéfice de l’érection d’un lieu de culte temporaire.

Une attribution évidemment contraire aux dispositions de la Loi de séparation[5] en ce qu’elle visait à honorer, ès qualités, un dignitaire cultuel, et que dès lors l’apposition d’une plaque au nom de celui-ci constituait bien un « signe religieux » affiché dans un « emplacement public » : être républicain, c’est être à même de comprendre le distinguo qui décide qu’on peut très légitimement donner à une avenue  le nom de feu l’Abbé Pierre, en hommage à l’action sociale exemplaire à laquelle ce dernier a consacré sa vie, ou celui de l’Abbé Grégoire – promoteur de la citoyenneté des juifs à l’Assemblée Constituante et de la première abolition de l'esclavage -, mais qu’on ne la rebaptise pas  ’Avenue Jean-Marie cardinal Lustiger’’ – quels qu’aient pu être les mérites sacerdotaux de l’intéressé.

Il ne suffisait pas que cette distinction fût bafouée (et de plus au profit du Grand Rabbin  qui avait incarné le virage du judaïsme français et de ses institutions vers un différencialisme fortement identitaire) : le plus ahurissant réside dans le fait qu’aux côtés du sieur Fromantin, participèrent en personne à l’inauguration de la place dans sa nouvelle dénomination rien moins qu’une ministre du gouvernement en exercice et le préfet du département.

Il n’est pas anecdotique de mentionner que l’auteur de ces lignes, en la circonstance, avait engagé sa première initiative d’interpellations publiques. Outre ses affichages répétés de protestations républicaines, y compris bien sûr numériques, il avait poussé ses engagements jusqu’à saisir, dès le mois de juin 2018, le préfet des Hauts-de Seine en vue, argumentaire juridique à l’appui, de faire réformer la décision du maire Fromantin (d’ailleurs actée sans vote de son conseil municipal). En soumettant l’idée que l’annulation de l’appellation que venait d’attribuer, illégalement, M. Fromantin à la place en cause s’accompagne de la substitution d’une nouvelle dénomination qui marque notamment le respect dû à la sensibilité tout particulièrement légitime des citoyens juifs, et donc aux pratiquants du culte intéressé - à savoir : « PLACE DE L'HOMMAGE DE LA NATION AUX JUSTES de France[6] ». Plus rien donc d’une faveur clientéliste appuyant un processus de communautarisation cultuelle et identitaire, mais la seule prise en considération de la mémoire qui est tragiquement enracinée dans l’histoire du judaïsme et dans celle de la nation.

Une démarche demeurée sans retour[7], comme s’il était devenu futile, ou comme s’il s’avérait inopportun, de rappeler que « La République ne reconnaît, (…) aucun culte », et en vertu de ce rappel, de faire application de la loi.

Et un engagement citoyen resté sans réaction de la part de Marianne, dont il va de soi qu’elle avait parallèlement reçu le signalement, très détaillé, de l’initiative attentatoire à la laïcité de la République prise par le maire Fromantin, de ses circonstances et de son contexte : un signalement adressé à plusieurs signatures de la rédaction, dont celle la directrice de la rédaction, et répété entre fin juin et fin novembre 2018. Comme s’il n’y avait pas lieu de signifier, en opposition à tous les communautarismes confessionnels, la première des notions constitutives de l’Etat républicain et inséparable de son caractère laïque – celle dont le sens s’est fixé dans l’acception incomparable énoncée naguère par un Grand rabbin : ‘’En France, il n’y a qu’une communauté, la nation’’.

 

Le réquisitoire qu’on vent de dresser laisse sans réponse l’énigme qui en a été la source. Parce qu’il est impensable qu’au regard des deux séries d’alertes dont elle  été destinatrice – en 2018 (affaire de la ‘’’Place Joseph Sitruk, Grand Rabbin de France’’) et en 2019 (affaire de la première Soukka érigée sur la même place) - Marianne ait ignore les gravissimes manquements du maire Fromantin dont il lui était fait état. Sauf à imaginer que les courriers de ses lecteurs sont voués à une lecture superficielle et bâclée.  

Et bien davantage encore, parce qu’il est tout simplement inconcevable que lui aient échappé les positions prises par M. Fromantin sur la scène publique nationale – invariablement (quoique les degrés de franchise dans l’énonciation soient variables), l’expression d’un système de pensée où communient un néolibéralisme étranger à tout scrupule social et un ordre moral cléricaliste. Le premier est trop avéré pour qu’il soit utile d’y revenir. Pour le second, il se mesure à la seule lecture de trois extraits tirés de  l’entretien que M. Fromantin avait donné à « Familles Chrétiennes » entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2017. Référence préalable faite, bien entendu, à nos ‘’racines chrétiennes’’, on y trouve les marqueurs cléricalo-réacs les mieux signifiants :

‘‘…  le sujet fondamental qui se pose aujourd’hui aux chrétiens  (…) se pose à l’aune de trois grands thèmes qui interpellent autant nos convictions que nos égoïsmes : Notre regard sur le monde ; l’avenir des générations futures ; et les sujets de bioéthiques.

‘’Le 3ème sujet concerne nos valeurs de société. J’ai observé les positions du FN au cours de ces années quand les Gouvernements de François Hollande ont remis en cause des principes fondateurs de notre humanité. Et je me rappelle d’une grande distance de Marine Le Pen et de Florian Philippot pour lesquels il était urgent de ne pas s’en mêler, allant jusqu’à dire que l’abrogation du mariage pour tous était aussi importante que « la culture du bonsaï ».

‘’Le risque existe déjà quand on voit le peu d’énergie que beaucoup de parlementaires de la droite et du centre ont mis à défendre nos valeurs au cours des cinq années écoulées. (…). Je suis un des seuls à n’avoir rien laissé passer sur aucun des textes de loi : la recherche sur les cellules souches embryonnaires, le mariage pour tous, le délit d’entrave numérique [visant les harcèlements de la propagande anti IVG], la loi sur la fin de vie et l’avortement comme droit fondamental’’.

Que Marianne ouvre ses colonnes à un  personnage qui, s’il est bien libre de placer les « principes fondateurs de notre humanité » là où il croit bon de les mettre,  invite à rien moins qu’à conformer les lois de la République à la doctrine morale professée par la cléricature catholique et ce, sur les questions de société où les injonctions du magistère romain sont les plus largement rejetées et pour tout dire les plus empreintes d’aveuglement des réalités humaines et les plus arriérées, démontre qu’un journal républicain est capable d’ignorer la mise en garde fondatrice de Léon Gambette : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! ».


Et qu’elle fasse le choix de publier les vues de M. Fromantin – eu égard au maximalisme réactionnaire où ce dernier se situe – dans une rubrique titrée ‘’ILS NE PENSENT PAS (FORCEMENT) COMME NOUS’’ manifeste que l’art de la litote y atteint incontestablement son apogée.

Au moins, sur le terrain de ces thématiques nationales, et à ce stade des accueils dont elle a gratifié le sieur Fromantin, Marianne aurait-elle pu prévenir des ripostes comme celle que je me suis fait l’obligation de proposer à ses lecteurs, en faisant figurer une mise au point de sa rédaction en regard de la nouvelle contribution de l’intéressé. Non tant pour se dédouaner de sa bienveillance incongrue (s’il fallait en élucider les raisons, on ne trancherait pas ici entre complaisances et accointances – en l’état, inexplicables pour les premières et des plus invraisemblables pour les secondes), mais juste pour répliquer à ce collaborateur occasionnel et démentir avec éclat toute espèce de connivence avec lui. Une réplique ciblant de façon exemplaire son appel à « RENVERSER LA TABLE ».

Et remettant en mémoire que c’est de notre filiation révolutionnaire, dans ses grands moments d’affirmation et ses élans d’authenticité, que sont issus les ‘’renversements de tables’’ porteurs de sens pour le bien commun - et non du parti des privilèges, de la naissance et de l’argent, et de l’obscurantisme religieux, celui qui par essence ne se sépare jamais de l’intolérance quand il ne dérive pas de lui-même vers le fanatisme. Une filiation à l’esprit de la Révolution qui revendique du reste bien plus que des renversements de tables : toutes ces ‘’tables rases’’ où ont pris place les avancées de la liberté et de l’égalité, de l’abolition des privilèges à la loi de la séparation des Eglises et de l'Etat, de l’instauration du divorce à la légalisation de la propagande anti conceptionnelle et du recours à l’IVG, des conventions collectives et des congés payés du Front Populaire à la création de la Sécurité sociale et aux nationalisations de la Libération, et des libertés publiques instituées par la IIIème république à la tardive consécration légale de l’égalité citoyenne des femmes.

La récapitulation de ces avancées progressives aurait eu pour effet salutaire de replacer on ne peut plus clairement M. Fromantin dans le camp où l’Histoire le range : celui des adversaires de la République. Et des pires lorsqu’en tant que maire, il viole ouvertement les lois auxquelles nous devons de vivre dans une République laïque qui garantit le libre exercice des cultes et la libre affirmation des non croyances et qui, déterminée à rompre avec les guerres de religion de jadis et leurs Saint-Barthélemy, s’est fixée de les faire prospérer dans la paix civile. Et lorsque, par un électoralisme éhonté, il promeut dans sa ville un communautarisme cultuel dont il affecte d’ignorer que l’identitarisme surexposé concoure à dénaturer la nation dans son acception républicaine et à la fracturer. Un adversaire de la République des plus radicaux, aussi, comme acteur du débat public, lorsqu’à longueur de discours et de prises de positions, il ravive les thèses les plus rétrogrades et excite les arguments les plus bornés à destination des ennemis de la liberté de conscience qui ont sévi au cours des siècles sans à peu près rien apprendre, ni oublier, dans la très longue durée de leur croisade. Dans l’accumulation non moins étendue de leurs malfaisances.

Pour cette somme de raisons, M. Fromantin, nonobstant son étroite notoriété, est bien l’une des figures du camp des ennemis irréductibles, sinon irrécupérables, de la République - un camp que rejoignent celles et ceux qui manifestent que les valeurs républicaines, les principes et les droits et libertés que  la République a affirmés, leur restent et leur resteront inintelligibles, et par conséquent étrangers. Pour se convaincre de la place qu’il occupe dans ce parti ou cette ligue, il suffirait au demeurant d’identifier ce en quoi résident présentement leur première thématique fédératrice et la première dénonciation publique de leurs orateurs : ce ‘’mariage pour tous’’, objet d’une détestation inentamable parce que ses contre-marcheurs, et les prédicateurs qui,  tel le sieur Fromantin, les mettent en mouvement, sont trop possédés par un esprit d’injustice et d’erreur pour distinguer l’essentiel : à savoir que le droit au mariage des couples homosexuels ouvre l’accès à un mariage civil dont la loi républicaine exclut toute similitude ou ressemblance, et plus généralement encore toute espèce de lien avec les célébrations maritales ordonnées par les cultes - et a fortiori tout assujettissement aux prescriptions et invalidations qui régissent les mariages confessionnels. En en faisant un contrat comme un autre - une convention légalement formée (et donc librement conclue) qui fait la loi des parties -, un contrat que la République authentifie pour assurer les droits qui en découlent, à commencer par le droit à un état-civil.  

 

Ce manifeste n’a pas caché qu’il se voulait être un réquisitoire. Et il se lit sans doute comme une catilinaire ‘’Contre Fromantin‘’. Mais l’accusation peut conclure ses réquisitions en y apportant comme une nuance d’indulgence – il s’entend bien évidemment que cette indulgence ne saurait concerner, en l’occurrence, que les reproches adressés à Marianne pour avoir ouvert ses pages à un personnage qu’elle aurait dû tenir pour infréquentable. Par elle-même et par ses lecteurs.

Au titre donc de cette part de mansuétude qui lui est dévolue, on concèdera qu’il y a peut-être encore assez loin, tout bien mesuré, entre l’ébahissement et la consternation qu’on éprouve en rencontrant la signature de M. Fromantin dans Marianne et, pour rester dans un ordre d’idées voisin, l’effarement outré que provoquerait la mention de celle d’Alain Soral au sommaire d’un hebdomadaire de la presse israélienne.

 

Didier Lévy

13 février 2021


[1] Nota. MARIANNE N° 1247 – du  5 au 11 février 2021 : « COMMENT RENVERSER LA TABLE » par JC Fromantin.

[2] On ne s’arrêtera pas ici aux indices qui convergent sur la prise en compte au sein de ce périmètre du même critère communautaro-cultuel dans les attributions de logements sociaux.

[3] Pour la même fête de Soukkot, les deux autres obédiences du judaïsme local, plus significativement présentes, et qu’on s’est efforcé de cerner dans leur rapport différencié à la République, ont en revanche installé la Soukka à l’intérieur des emprises de leurs lieux de culte respectifs.

[4] La loi prescrit qu’« il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture privés, ainsi que des musées ou expositions ». Le commentaire ajoute que l’esprit qui inspire cette disposition est celui de la neutralité des autorités publiques, et en particulier des municipalités. En décidant l’érection d’un monument religieux, une municipalité marquerait sa préférence pour un culte au détriment du reste de la population.

[5] Idem.

[6] Avec la suggestion  que la plaque correspondante reproduise le texte de l’inscription consacrant cet hommage que le 18 janvier 2007, Jacques Chirac, Président de la République, et Simone Veil, présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et ancienne déportée, ont inauguré dans la crypte du Panthéon de Paris : « Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d’occupation, des lumières, par milliers, refusèrent de s’éteindre. Nommés « Justes parmi les nations » ou restés anonymes, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé des Juifs des persécutions antisémites et des camps d’extermination. Bravant les risques encourus, ils ont incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité. ».

[7] Sinon que la plaque "Place Joseph H. Sitruk ..." ayant été l’objet d’un enlèvement peu après son inauguration, les affichages protestataires de l’auteur de cette démarche lui valurent d’être dénoncé comme le coupable de ce vol. Dénonciation prise au sérieux par le Parquet (qui écarta toutefois une possible motivation antisémite – sur une considération patronymique, le plus vraisemblablement ...), ce qui entraîna pour l’intéressé d’être entendu 3 h durant au commissariat de police de Neuilly sur Seine. Une audition irréprochable, par sa civilité légaliste, de la part des fonctionnaires de police et facilement convaincante, mais suivie – comme couverture vis-à-vis de la hiérarchie - d’une perquisition (rapide) de son domicile. La plaque fut diigentement remplacée par la mairie, et même dédoublée pour une meilleure visibilité de la part des passants... Il est à noter que seules dans leur cas, les plaques successives ne comportent pas l’indication du nom de la ville, probablement un déguisement artificieusement conçu pour prévenir des réactions à l’éventuelle diffusion de leur captation photographique.