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jeudi 17 décembre 2015

MA VILLE À L’HEURE ISLAMISTE


Les musulmans français,
                                   … des Français comme les autres

Ce qui est ici proposé est un point de vue suscité par un article récemment publié dans l’hebdomadaire Marianne « SAINT DENIS : MA VILLE À L’HEURE ISLAMISTE », et dont on prévoit qu’il s’attirera beaucoup de critiques : contribution à l’islamophobie, vision ‘’laïcarde’’ (les tenants d’une re-cléricalisation de la société ont été fort habiles de recycler ce qualificatif pour faire passer la laïcité de sa valeur positive à une réduction péjorante), remise en cause de pans entiers de la liberté des cultes et des consciences, méconnaissance de l’incorporation nationale où se range le plus grand nombre - qui reste toutefois non dénombré - des citoyens français de religion musulmane, négation de la multi culturalité des sociétés modernes et des ‘’identités’’ plurielles dont celle-ci requerrait la prise en compte et la sanctuarisation …

Mais un point de vue qui s’attache à répondre par avance à ces objections en les discutant pratiquement unes à unes au regard des choix qu’il défend et des deux priorités en faveur desquelles il a entrepris de plaider : d’une part la reconsolidation d’un consensus civique sur l’incompatibilité radicale qui sépare la conception républicaine de la nation de toute forme de communautarisme, et d’autre part l’urgente obligation où nous sommes, pour mettre hors d’état de nuire toutes les formes d’identitarisme, de créer les conditions d’une naturalisation de la religion musulmane désormais inscrite dans notre paysage cultuel. Deux impératifs qui partagent en arrière-plan une même résolution et une même exigence : l’effacement de toutes les représentations archaïques incluses dans les intégrismes religieux qui concourent à soumettre le sexe féminin à un statut d’infériorité. Un effacement qui passe par l’addition d’une pédagogie émancipatrice et d’un dispositif réglementaire qui rende impraticables des normes sociales, morales et familiales, et des prescriptions de conduites de vie et de relations à autrui qui emprisonnent les femmes qui y sont soumises, ou qui sont incitées à l’être, dans des discriminations absolument incompatibles avec le corpus de valeurs et de références d’une démocratie moderne - des normes et des prescriptions dont l’abolition va de pair avec celle de l’hyper exposition des marqueurs confessionnels fondamentalistes qui les impriment dans l’espace public.

Il est clair que les intentions et les résolutions ainsi mises en avant valent à égalité, dans leur principe, pour tous les cultes. Ce qui laisse attendre que les oppositions qu’elles susciteront viendront de tous côtés … C’est bien ce qui fait l’importance des soutiens qui s’exprimeront dans chaque croyance, émanant de celles et ceux qui vivent leur foi comme une quête spirituelle et à travers un engagement personnel au service du bien commun - qui ne saurait se définir contre la raison et encore moins dans le déni de la liberté et de l’égalité. Et dont le rapport avec leur ‘’croire’’ est conçu comme un libre parcours de l’intelligence de la foi qui a ceci d’inappréciable qu’il est, dans chaque religion, le rempart le plus invinciblement élevé contre le littéralisme fondamentaliste, et contre le fanatisme auquel ce dernier conduit.

Le texte qui suit peut se lire comme l’énonciation de propositions tendant à actualiser l’économie des règles qui organisent la ‘’laïcité à la française’’, et plus précisément à répondre aux défis que rencontre celle-ci par un remodelage du consensus qui accorde la neutralité de la République à la liberté des croyances et des cultes. Un consensus dont l’enseignement que nous pouvons tirer de notre Histoire démontre amplement qu’il conditionne la paix civile et le minimum de concorde indispensable à la préservation du lien national. Et qui se constate le jour où l’Etat et les citoyens, partageant le même regard sur les croyances et les options métaphysiques qui coexistent au sein de la société, s’accordent non seulement sur le devoir qui leur est fait de protéger les unes et les autres en tant que de besoin, mais aussi sur celui qu’ils ont de ne pas s’en préoccuper davantage que des vocations particulières qu’expriment, chacun pour leur part, les passionnés de philatélie, de pêche à la mouche ou de chant choral - pour autant évidemment que les tenants de ces croyances et de ces convictions participent identiquement de cette ligne de conduite qui porte un très beau nom : la tolérance.


Cet énoncé - « les musulmans français, des Français comme les autres » -, dont dans un récent éditorial de Marianne (n° 971) Jacques Julliard affirmait qu’il était devenu irréfutable depuis les attentats du 13 novembre (les Français y ayant été indistinctement visés, et donc les intéressés inclus), appelle-t-il ou non un point d’interrogation ? La réponse risquerait de pencher pour affirmative si l’on tirait une conclusion hâtive de l’article précédemment publié à la même source (Marianne n° 970) « SAINT DENIS : MA VILLE À L’HEURE ISLAMISTE » par Fewzi BENHABIB et Daniel BERNARD[1].

La description qui est donnée aux lecteurs de Marianne d’un Saint-Denis ‘’Tawhidisée’’, ou ‘’FISisée’’, est en effet plus que ‘’glaçante’’. Elle est d’autant plus démonstrative qu’elle émane d’un universitaire algérien ayant fui l’islamisme politique qui le menaçait de mort.

Elle réunit tout ce contre quoi est invoquée cette « identité française » dont on nous tympanise et qui est censée être mise en péril par un islam inassimilable. Et elle est d’autant plus propre à convoquer cette ‘’identité’’ que la sous-préfecture du ‘’93’’ porte dans notre Histoire une charge symbolique pour avoir abrité les tombeaux de nos rois (si on passe outre au fait que la Révolution a mis quelque désordre dans ces sépultures). Encore qu’il y aurait aujourd’hui plus de sens à l’associer à l’abjuration de la foi réformée prononcée dans l’abbatiale par Henri IV - qui ne constitue pas un mauvais référent en matière de pacification religieuse.

L’article de Marianne pointe l’omniprésence du voile dans tous ses déclinaisons, les lieux de culte dédiés au prosélytisme des Frères musulmans, la propagation du système d’endoctrinement islamiste à travers les librairies musulmanes intégristes, et plus généralement l’imprégnation de l’espace public et privé par ‘’une vulgate islamique’’ obscurantiste qui œuvre à multiplier les marqueurs communautaristes - tels les salons de coiffure qui réservent un espace séparatif aux femmes voilées.

Mais pour que la visibilité des signes extérieurs du wahhabisme dionysien s’interprète comme une démonstration exemplaire de la menace pesant sur notre identité nationale, encore faudrait-il … que celle-ci existât, ou autrement qu’en tant que chimère inventée avec les matériaux que fournissent ces idées de la France, parfois concurrentes mais toutes de filiation maurrassienne, dont la vénération enflamme si bien les populismes.

On réaffirme ici que cette notion d’identité collective est vide de sens. Métaphore qu'invalide la signification des mots - une identité ne saurait se rapporter qu'à un individu, et non a un groupe qui, quels que soient les liens qui tissent sa cohésion, n'est jamais qu'une addition d'individualités distinctes par essence les unes des autres. Et dont il ressort une représentation aussi dangereuse qu'imaginaire en ce qu'elle débouche sur cette conceptualisation du tribalisme qu’est l'identitatisme, et donc sur l'exclusion ou les discriminations, quand ce n'est pas sur les pires formes que peut prendre l’épuration ethnique.

Face à un modèle de contre-société élaboré par un intégrisme religieux, ce que nous avons à défendre ne se trouve nulle part ailleurs que dans ce qui nous réunit : notre citoyenneté. Qui est notre seul identifiant reconnu dans la République et qui nous fédère dans la nation, au sens de 1789, avec ce que cela comporte d’assimilation consentie à celle-ci. Un consentement qui s’adresse à un socle de références communes, héritées ou choisies, à une mémoire historique (ou à un roman national) et à des pans ou des éléments de culture partagés, et qui induit une participation minimale aux mentalités collectives discernables sur notre sol.

L’autre façon de mal poser la question du prosélytisme et du séparatisme islamiste est d’épuiser les distinctions entre les musulmans afin de désigner ceux qui pour nous seraient ‘’les pires’’, comme si on balisait la piste d’envol de la foi musulmane vers l’extrémisme. Parce qu’il serait certainement vain de vouloir tracer la frontière qui en terre d’islam et en-dehors, déterminerait, entre piétisme, rigorisme, fondamentalisme, salafisme et autres constructions idéologiques issues du littéralisme religieux, où se produit immanquablement la bascule dans le fanatisme et, de là, dans le djihadisme.

D’abord (et ne nous l’a-t-on pas assez seriné ces derniers temps ?) pour la raison que les gros bataillons des fantassins de la guerre sainte contre les impies font aussi appel à des volontaires ignorant à peu près tout de la théologie de l’islam, parmi lesquels doivent abonder les parfaits abrutis, les arriérés, les incultes et les analphabètes - sans compter les pervers et les sadiques qui ont toutes satisfactions à attendre de leur enrôlement. Ces volontaires viennent pour partie de chez nous, et les gros bras qui s’employaient jadis comme égorgeurs à notre Saint-Barthélemy bien française devaient à beaucoup d’égards leur ressembler …

Et pour la raison bien plus puissante que ce serait ne pas distinguer la véritable nature du mal auquel nous confronte le fanatisme qui se déploie dans toute l’étendue de l’islam ; un mal dont le monothéisme musulman n’est pas seul porteur, mais que toutes les religions, pour la part qui fait d’elles des institutions humaines, est à même de générer. Si la spiritualité, en tant qu’expérience et que recherche, élève l’esprit humain, si la parole et l’écrit qui lui sont dédiés, la philosophie, la poésie, les musiques et tous les arts illustrent magnifiquement cette élévation, la religion qui se veut lien et seule détentrice de la vérité qu’elle conceptualise dans ses dogmes et qu’elle fixe dans la doctrine qu’elle professe et dans les normes dont elle exige le respect, tend à façonner un système de pouvoir de type totalitaire. Or, le totalitarisme, quel qu’il soit, comble toujours les attentes des fanatiques dont la dévotion lui confirme en retour l’intangibilité de ses fondements les plus archaïques et les plus oppresseurs. Une dévotion qui s’emploie à le perpétuer et qui compte y réussir en proportion de la multitude et de la cruauté des sacrifices humains qu’elle lui dédie.

Comme leur notifient nombre d’intellectuels musulmans, l’islam et sa théologie, et jusqu’au texte du Coran lui-même, sont mis en demeure d’entrer dans la modernité, comprise en l’espèce comme l’insertion de la foi dans les cheminements de la raison et dans les valeurs qui y ont fait souche. Défi qui nous importe en ce qu’il s’adresse au culte le plus voisin de nous et devenu partie prenante à notre économie interne des confessions. Mais qui concerne toutes les autres croyances, ce dont suffit à convaincre la somme des massacres inter religieux réciproquement perpétrés dans le sous-continent indien (hindouistes versus musulmans ou versus sikhs) depuis les indépendances, et à quelle échelle ! Un défi qui englobe jusqu’au bouddhisme, pourtant associé à une image de paix, avec les persécutions dont les populations musulmanes de Birmanie sont actuellement l’objet.

Pour les religions chrétiennes, le temps des Croisades exterminatrices d’infidèles, celui des inquisitions et des bûchers, semblent s’être à jamais éloignés, mais demeure leur enracinement dans un référentiel dogmatique, doctrinal et normatif étranger aux sociétés des démocraties les plus avancées. La religion catholique est ici la plus immédiatement ciblée, notamment pour les positions dans lesquelles l’Eglise romaine s’est enfermée sur le droit à l’avortement, la contraception, le célibat des prêtres, le divorce ou la bioéthique, mais surtout en ce qu’elle ne cède rien sur la discrimination qu’elle fait peser sur la moitié de l’humanité en assignant aux femmes, au motif de leur altérité, un statut inférieur en son sein. N’en reste pas moins qu’il y aurait beaucoup d’l’injustice à ne pas aligner sur le tableau des arriérations intégristes les plus remarquables le clergé orthodoxe de Russie ou de Grèce, les fondamentalistes protestants et autres créationnistes d’Amérique du nord, ou les nombreuses églises ‘’évangéliques’’ d’Amérique du sud, d’Afrique ou importées en Europe dont le littéralisme terrifie par sa niaiserie et par sa capacité à inspirer toutes sortes d’anathématisations purificatrices.

Quant au judaïsme, on est amené à se demander s’il ne tourne pas à l’heure actuelle le dos au défi de la modernité. Le judaïsme réformé (libéral) a tenté, depuis l’époque des Lumières et de l’émancipation des ghettos, de relever ce défi en se recommandant d’une révélation en marche et non pas figée. Mais pour exemplaire qu’aient été son acceptation de l’esprit critique et sa prise en compte de la raison et de l’éthique modernes, son essor, dans la durée, l’a laissé minoritaire (hors les Etats-Unis). Et ii n’a pu empêcher le sionisme de devenir un courant hégémonique - un courant qui a imposé corrélativement sa conception ethnicisée du ‘’peuple’’ juif (jusqu’à chercher un fondement génétique à cette ethnicisation), et l’accréditation d’une lecture historicisée de la bible hébraïque qui a nourri le mythe d’un Eretz Israël et qui est devenue le point d’appui de son dessein d’expansion territoriale. Deux dévoiements, deux dénaturations et deux obscurcissements de la spiritualité juive qu’aucune lueur ne semble présentement susceptible, respectivement, d’invalider et de dissiper.

A première vue, ce survol, succinct et schématique, de l’état des religions apporte peu de réponses à la description rapportée par Marianne de l’implantation d’un islamisme radical à Saint-Denis - description qui vaudrait pour les villes avoisinantes et pour d’autres territoires délaissés par la République.

Mais il contribue, dans la façon d’appréhender cette implantation, à dégager en matière de cultes la ligne de démarcation républicaine entre le droit et l’abus du droit - ou la dérive de celui-ci. La matière étant complexe, on s’efforcera de se montrer un peu cartésien, et de la décomposer en autant d’éléments simples qu’il est possible pour poser les bornes de cette frontière :

- tout, dans la République, dans notre modèle républicain, procède de la liberté, et d’abord des droits proclamés dans la Déclaration de 1789 ; liberté de conscience, liberté des cultes, liberté d’opinion, liberté de communication et de publication, liberté de manifestation et de pétition …

- aucun droit cependant n’est jamais absolu sauf à être exposé à devenir tyrannique en portant atteinte à l’exercice de droits concurrents ; ainsi la liberté de croyance ou d’opinion n’autorise-t-elle aucune conviction à inciter à une restriction de ces mêmes libertés visant des convictions qui lui seraient contraires.

- pour les sujets les plus concrètement inscrits dans notre débat public, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes permettent à chacun de porter dans l’espace public les marques extérieures de son appartenance confessionnelle dès lors qu’il juge celles-ci inséparables du culte auquel il est attaché. Tout aussi légitimement, la loi peut prévenir en la matière les abus constitutifs d’actes attaquant les droits d’autrui (telles l’incitation contraignante au port des dits signes ou l’intention provocatrice valant atteinte à la tranquillité voire à la sûreté publiques).

- c’est avec la même légitimité que la loi républicaine a édicté les principes et les règles qui régissent le dispositif que recouvre la « laïcité à la française », la Loi de Séparation étant venu sceller à la fois, sous le couvert de la neutralité confessionnelle de l’Etat, la liberté des croyances, la liberté des cultes et la paix religieuse - et mettant fin en droit, s’agissant de cette dernière, à une guerre civile, déclarée et sanglante ou, selon les temps, faite d’une violence plus banalisée, qui était ouverte entre la France catholique et la France du libre examen (puis de la Raison) depuis le règne de François 1 er.

- c’est de cette légitimité que participent les interdictions qui en vertu de la neutralité de l’Etat et pour les raisons qui fondent celle-ci, privent les fonctionnaires publics du droit d’afficher des signes religieux ostensibles, ou qui proscrivent ceux-ci dans l’espace scolaire public censé ignorer toute exposition confessionnelle.

- la mise en œuvre de notre législation laïque, eu égard à la qualité juridique de son dispositif normatif, a tout a priori pour s’accompagner de solutions pratiques relevant de la seule intelligence civique - ce fut globalement, au reste, longtemps le cas. Un exemple : il coule de source que tout électeur(trice) peut entrer dans un bureau de vote coiffé(e) d’une kippa[2] ou d’un voile; en revanche, le président et les assesseurs du bureau de vote, en leur qualité circonstancielle de magistrats de la République, sont évidemment tenus de se l’interdire au regard du devoir de neutralité auquel ils sont soumis.

- dans la situation de passion identitariste et de fracture sociale qui nous afflige, tout appel à se référer à cette intelligence civique paraît inaudible. Or c’est bien d’elle, et d’elle seulement, que peut venir le scrupule de mesure ou de tact qui suggère au croyant intéressé qu’il n’est pas de bonne civilité vis à vis de ses concitoyens, dans tel contexte ou tel environnement, d’exercer sans réserve son droit à porter un couvre-chef ou un habillement indicateur ostentatoire de sa religion.

Et c’est en elle que se trouve la ressource de bon sens citoyen qui dissuade de se positionner selon un mode communautariste au sein d’une nation de conception unitaire et égalitaire, et de le faire de surcroît par des revendications outrancières et surabondantes. On pensera ici à la guerre - à la fois d’usure et de conquête  - que les divers intégrismes ont engagé sur les terrains des concours universitaires organisés le samedi, des cours de biologie dans les lycées, du sport ou des menus scolaires[3], ou par leurs consignes de repli sur des écoles mono confessionnelles où les élèves sont voués à une scolarité cadrée par un apartheid cultuel et culturel. Actions rampantes, scandées de conflits ponctuels et de mises en demeures symboliques, qui ont provoqué en retour une mobilisation contraire dont l’argumentaire nauséabond prouve ce qu’elle doit et rapporte à l’extrême-droite. Une mobilisation qui est porteuse du risque d’affrontements présentant les caractères d’une véritable guerre civile.

Ce balisage des droits qui sont protégés par la ‘’laïcité à la française’’ et cette esquisse du modus vivendi qui les accompagne, mettent en évidence que l’enjeu auquel confronte l’article de Marianne décrivant l’installation à Saint-Denis du modèle sociétal lié à l’islamisme intégriste, dépasse l’exercice des premiers et le respect dû au second. Le sujet n’est pas en effet de gérer la liberté reconnue à chaque culte par les lois de la République, mais de faire prévaloir un état de droit garant de la liberté, de l’égalité et des dignités face à la consolidation d’enclaves où s’affirment, dans l’hyper exposition de marqueurs religieux fondamentalistes et au sein d’une sorte d’extraterritorialité saoudienne ou qatarie, des normes sociales, morales et familiales, des prescriptions de conduites de vie, de comportement et de relations à autrui, et par-dessus tout une somme de représentations archaïques soumettant le sexe féminin à un statut d’infériorité, qui enseignées au surplus à travers les préjugés et les obsessions puritaines de leurs propagandistes, sont radicalement incompatibles avec le corpus de valeurs et de références d’une démocratie moderne.

Bien au-delà du cas de Saint-Denis, la République, qui se réclame de la Raison, ne peut laisser perdurer des enclaves, géographiques et/ou sociologiques, acquises à des arriérations contre lesquelles elle s’est construite depuis son origine. L’idée de Progrès qu’elle a mise au premier plan de son projet émancipateur, lui interdit de consentir à ce que des droits conquis et proclamés soient remis en cause.

Raison et Progrès qui ne contredisent aucune spiritualité et qui ne sauraient par conséquent faire obstacle à la citoyenneté d’aucun croyant. Et qui ne sont pas davantage de vieilles lunes : instruments de mesure d’un état de civilisation, leur préservation appelle une politique de défense républicaine - celle-ci compte des précédents, qui furent salutaires, et si la République ne s’y consacre pas, on sait trop bien par qui ses thèmes seront repris et détournés.

Cette défense républicaine comporte plusieurs niveaux. Le seul qui touche aux racines de la ségrégation cultuelle et culturelle, se concentre sur la disparition des ghettos, terres de rejet et donc d’élection pour l’extrémisme religieux. Disparition qui ne se conçoit qu’intégrée à un engagement massif de la nation en faveur des intégrations dans la citoyenneté, un engagement qui implique évidemment l’abandon de l’action continue en destruction de tous les types de protection qui est universellement poursuivie pour sacrifier à la ‘’compétitivité’’.

L’échelle de temps pour une réalisation significative de ce programme -  au mieux, le moyen terme - souligne l’importance des dispositions que dicte l’urgence sur le court terme. Celles-ci (précisément pour la raison que c’est l’urgence qui les détermine) ne promettent pas d’être facilement consensuelles.

Essentiellement parce que la réduction de l’emprise que s’est assuré et que donne à voir le fondamentalisme islamiste, en passe de devenir l’obstacle prédominant à l’aboutissement de la naturalisation de l’islam, oblige à aborder la question de la visibilité de la religion musulmane dans l’espace public. Une réflexion qui ne peut être contournée compte tenu du sens qui, dans nos sociétés démocratiques, s’attache aux marques de cette visibilité - un sens qui se résume aux discriminations et aux obscurantismes auxquels, sans compter en arrière-plan la vision du djihadisme, ces marques renvoient. Partant, c’est la visibilité de toutes les adhésions cultuelles et de ses conséquences qui viendra en débat, et il est clair qu’un nouveau ‘’compromis historique’’ devra se dégager sur ce sujet : il exigera de tous les cultes intéressés un parti-pris de modération - peu courant en matière de coexistence confessionnelle - et l'acquiescement à une ostentation minimale, ou au moins réduite, de l’appartenance religieuse.

On suggèrera ici plusieurs pistes - et rien d’autre que des pistes - pour la construction de ce débat. On les réunira selon cinq types d’approches :

-        la première tient dans la pédagogie préalable qui s’impose pour convaincre que le rehaussement de la neutralité de l’espace partagé ne vise en rien le droit reconnu à chacun, en vertu de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes, de porter dans la sphère publique une marque extérieure de son appartenance confessionnelle ; mais que son objet est de mettre progressivement un terme à l’exposition, et par là à l’influence, d’un intégrisme islamiste déterminé à soumettre aux normes véhiculées par ses interprétations et par ses représentations celles et ceux qui sont les moins en mesure d’échapper aux discriminations que ces normes établissent ;

-        la deuxième consiste - à l’instar de ce qui a été fait, sur une longue durée, par l’industrie du cinéma et dans les fictions télévisées aux Etats-Unis en faveur de la perception des afro-américains - à soutenir et à promouvoir de façon systématique dans nos médias l’image d’un croyant ‘’moderne’’, dont l’intégration et la volonté de participation à une citoyenneté laïque se manifestent par sa discrétion et son tact vis à vis du port des signes distinctifs de sa religion, et par les limites ou par l’abstention auxquelles il se range de son propre chef les concernant ;

-        la troisième correspond au franchissement d’un palier, et il n’est pas douteux que de ce fait, elle prête à polémiques - probablement au moins autant du côté des juifs orthodoxes que de celui des musulmans rigoristes ou traditionnalistes ; elle envisage en effet de tarir le fond d’images référentielles de l’islamisme intégriste par une incitation massive et permanente à limiter le signalement vestimentaire des appartenances confessionnelles - i.e. pour l’essentiel aux chapeaux et coiffures[4]. Il va de soi que cette incitation s’adresserait à l’ensemble des croyances pour écarter toute idée d’un ciblage contraire à l’égalité des cultes.

Sans aller jusqu’à se réclamer de la maxime de Saint-Just - « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » -, la défense du corpus de valeurs et de principes de la République autorise celle-ci, si les composantes trinitaires de sa devise sont mises en échec sur son propre sol, et tout particulièrement l’égalité due aux femmes dans tous les domaines, à en venir à édicter dans les emprises des administrations et des services publics une interdiction pure et simple (mais éventuellement transitoire) des autres marqueurs visuels de l’adhésion à une religion - mesure destinée à prévenir la légitimation ou la banalisation que l’exposition expansive de ces marqueurs au cœur même de l’Etat républicain et de ses rouages est susceptible de fournir à des codes de vie irrecevables par une démocratie. La religion musulmane n’étant premièrement visée à ce titre que pour l’association qui s’est nouée si étroitement entre ses signalements vestimentaires et l’obscurantisme liberticide et le fanatisme à l’œuvre au sein de l’islam ;

-        la quatrième piste s’attache à une certitude : qu’elle passe par l’incitation ou par l’interdiction, la résistance à la propagation de l’intégrisme islamiste - résistance qui répondrait aux mêmes raisons et prendrait des formes identiques à l’encontre de tout autre extrémisme religieux - ne sépare pas cet intégrisme du communautarisme qui s’en nourrit et où il prospère. Un communautarisme qui est par essence doublement incompatible avec notre contrat républicain en ce que celui-ci se réfère à une république indivisible et en ce qu’il consacre une citoyenneté individuelle participant à l’indivision de la nation.

Ce qui rend indissociables les récusations de l’extrémisme musulman et du communautarisme par lequel ce dernier se traduit - si l’on se reporte à la description de ‘’Saint Denis, ville à l’heure islamiste’’ - réside en ce qui fait le trait le plus distinctif de toute entité d’essence communautaire : la création et la délimitation d’un cadre produisant ses propres lois, sous forme de normes, de codes et d’obligations dérivées de prescriptions religieuses, ethniques ou sectaires, et imposant à ses membres de se soumettre à cette législation séparative tenue pour la seule légitimement fondée. Ce qui donne la mesure de la force de pénétration et de contrainte que l’islam intégriste trouve dans la micro société parallèle que le communautarisme lui offre à régir.

Les moyens de briser ce carcan communautaire, et en premier lieu de le fragiliser en diminuant son emprise et sa visibilité, ne se dégagent que d’une approche calculée au plus juste par rapport à la liberté des consciences et des cultes. A cet égard, autant les boucheries hallal ou casher[5], ou les librairies et commerces d’articles cultuels, sont naturellement protégées par les lois de la République, autant celle-ci est en droit de limiter leur nombre dans un espace donné pour prévenir une mutation communautariste de cet espace. De même, l’acceptabilité des replis mono confessionnels (des écoles aux super marchés calés sur une offre uni-cultuelle) s’apprécie à l’aune du danger des identitarismes et de leurs référents, par nature rétrogrades et discriminants.

-   la dernière piste proposée élargit la question de l’hyper visibilité confessionnelle et communautariste et s’applique à endiguer les régressions dont celle-ci est l’agent propagateur par l’exemplarité qu’elle leur confère. Elle repose sur la conviction que la liberté se protège en premier ressort par la vigilance qui prévient qu’un droit parmi ceux déjà acquis - ici la protection de la liberté religieuse - soit détourné et s’exerce au préjudice des autres droits, ou fasse obstacle à l’instauration démocratique d’un droit nouveau. Conviction validée par notre Histoire qui légitime, outre l’aggravation de la pénalisation des discours et des ouvrages qui répandent un fanatisme - et présentement celui lié à l’islamisme ‘’radical’’ -, la création d’un ‘’délit d’incitation à la révocation des droits consacrés par la République’’.

Le champ qui serait protégé par l’existence de cette incrimination, et par la répression parallèle de toute entrave à l’exercice des mêmes droits, est d’abord formé de l’ensemble des droits obtenus par les femmes depuis les années mil neuf cent soixante. Serait ainsi rendue impossible toute remise en cause des lois les concernant qui sont devenues parties intégrantes du contrat social - et donc aussi bien l’accès à la contraception que le droit à l’IVG.

Une protection légale qui pour les femmes les plus directement menacées par la pénétration et l’emprise du fondamentalisme musulman, est celle de l’égalité de statut que la République a instauré en faveur du féminin. Pénaliser toute entreprise visant à abolir ou à restreindre les libertés et les droits entrés dans notre législation n’est rien d’autre pour les femmes susceptibles d’être privées de ceux-ci par l’inféodation coercitive à laquelle leur appartenance cultuelle et culturelle risque de les soumettre - et d’autant plus si cette appartenance doit s’exposer publiquement comme une ‘’identité’’ ségrégative - que le rehaussement indispensable de la garantie que requiert le respect de leur dignité[6].

On reprochera sans doute aux pistes qui viennent d’être avancées de trop reprendre sur ce qui est entendu comme la liberté des religions. Elles répondent pourtant de façon mesurée à deux enjeux que notre Histoire a liés : la sauvegarde de la conception républicaine de la nation, qui doit compter également pour les croyants et les non croyants face aux identitarismes, et le dépassement des clivages confessionnels. Le premier nous rappelle que l’intégration dans la nation a toujours procédé de la renonciation à un ancrage communautaire. Le second nous confronte au défi de la naturalisation de la religion musulmane à présent inscrite dans notre paysage cultuel. Un défi considérable[7] en termes d’ajustement inter culturel et eu égard à notre représentation séculaire de l’islam en ennemi naturel - confondu avec des ‘’arabes’’ redoutés comme conquérants puis méprisés au temps colonial. Et dont dépend, suivant qu’il sera ou non relevé, et face à l’extrême-droite qui le veut insurmontable, la paix civile et le fonctionnement démocratique de nos sociétés.

Didier LEUWEN - 15 décembre 2015



[1] le choix de ce titre renvoyant évidemment au roman de Jean-Louis Bory « Mon village à l'heure allemande », prix Goncourt 1945, et partant au contexte d’une invasion et d’une occupation.
[2] Encore qu’il y eût naguère des rabbins pour se l’interdire ‘’par respect pour la République’’.
[3] On reste confondu devant le concours d’autisme sociétal qui se livre sur le sujet des cantines. Autant il va de soi qu’y servir des repas conformés à toutes les prescriptions alimentaires de telle ou telle religion contreviendrait à la neutralité scolaire, en identifiant certains élèves par la visibilité de leurs appartenances confessionnelles, autant proposer le cas échéant un plat sans porc de substitution, et ce de façon à la fois non ostentatoire (et rendue commodément non ostensible) et, matériellement, aussi dénuée de complication que la prise en compte de l’allergie d’un élève à l’arachide, représente clairement en l’espèce la conciliation la mieux opérante, sinon la seule envisageable, du libre exercice des cultes et de la laïcité.
[4] Exception faite bien sûr des ministres des cultes. Au-delà, les couvre-chefs ne suffisent-ils pas ?
[5] La seule question posée à leur propos est celle, globale, de la souffrance animale et plus spécialement de l’impact comparatif des méthodes d’abattage auxquelles elles se rattachent. Le refus de l'engourdissement préalable à l’abatage compte toutefois comme un argument supplémentaire pour les partisans de l’interdiction de l’abattage rituel - étant entendu que la réglementation à laquelle sont soumis les abattoirs ordinaires semble très insuffisamment respectée.
[6] Pour toutes les minorités reconnues qui demeurent sous la menace d’un regain de la discrimination à leur encontre - que ce dernier soit instrumenté par une militance réactionnaire ou par une immixtion de type clérical dans l’état de la législation -, cette protection interdirait tout révisionnisme législatif à visée régressive du type des persistantes ‘’Manifs pour tous’’.
[7] Et en tout cas encore bien moins ‘’gagné d’avance’’ que ne l’a été celui de l’insertion citoyenne des juifs français au XIX ème siècle.
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dimanche 29 novembre 2015

LA FIERTÉ D’ÊTRE FRANÇAIS …


une nouvelle page du roman national ?

Cet article répond à l’analyse développée dans Marianne (n° 971).par l’éditorial de Jacques Julliard « CE QU’ONT CHANGÉ LES IDES DE NOVEMBRE » - analyse que, pour une fois, ‘’penserlasubersion’’ ne partage pas.


Que d’innombrables chorales improvisées entonnent La Marseillaise est certes l’expression d’une réaction naturelle et salutaire de la part de la Nation blessée et des citoyens qui la composent. Ceux-ci montrent ainsi qu’ils se veulent mobilisées face à l’épreuve à laquelle leur pays est désormais confronté. Et ailleurs dans le monde, c’est le signe d’une sympathie pour la France, d’une solidarité avec elle au moment où des attentats meurtriers et abjects la frappent.

Mais est-ce la même Marseillaise qui est partout chantée ? Pour ne parler que de la France, s’agit-il de La Marseillaise lancée face aux pelotons d’exécution allemands sous l’Occupation nazie - qu’elle l’eût été par des résistants communistes, démocrates chrétiens ou issus de l’Action française - ou de celle que s’approprie le parti de Marine Le Pen, détournée et dirigée contre une immigration qui depuis trois décennies, est dénoncée aux ‘’vrais’’ enfants de la patrie comme incontrôlée et dévastatrice ?

« La fierté d’être français » laisse encore plus perplexe.

Plus précisément, est-on bien certain de pouvoir célébrer en même temps la France et « la tradition politique et philosophique qu’elle représente » quand ces deux traditions sont aussi mélangées ? Ainsi suis-je fier d’être français comme Diderot, comme Condorcet et comme Victor Hugo, et avec Zola ou Anatole France, ou Albert Camus, ou dois-je englober dans cette fierté Edouard Drumont, Charles Maurras, Rebatet … ou Eric Zemmour ? Quand pour le versant politique, on a d’un côté Jaurès, Léon Blum, Jean Moulin et Pierre Mendès France, et, de l’autre, des Pierre Laval, des Xavier Vallat ou des Jean-Marie Le Pen ? Pierre Brossolette, Georges Boris, ou le général de Bollardière versus Philippe Henriot, Joseph Darnand ou Maurice Papon. Pour ne rien dire de Charles de Gaulle versus Nicolas Sarkozy.

Qu’on compte les pires parmi ses concitoyens, qu’y faire ? Mais occulter que ces pires sont nos concitoyens, c’est glisser vers le roman national qui statufie une France en escamotant les autres. C’est également entrer dans ces démarches qui visent à sélectionner les critères censés être constitutifs d’une identité nationale valorisante autant qu’imaginaire. Une identité collective qui se construit sur une métaphore que le sens des mots invalide - une ‘’identité’’ ne saurait être qu’individuelle -, et qui sert trop bien à soutenir les discriminations et les exclusions xénophobes, comme elle a alimenté ailleurs les épurations ethniques.

La guerre produit effectivement une fraternité d’armes, et elle amalgame les individus très au-delà de celui qui croie au ciel et de celui qui n’y croit pas. Mais, nonobstant le discours officiel, nous n’en sommes pas là.

Au reste, qui ne pourrait citer au moins une vingtaine de noms d’hommes publics, publicistes ou politiques semeurs d’égarements et de phobies, avec lesquels, à ce jour, il ne voudrait pour rien au monde qu’on lui prête une identité partagée ?

Le désaccord avec le point de vue qu’épouse Jacques Julliard porte ainsi sur la conception d’un imaginaire français. Chacun reste libre de se faire « une certaine idée de la France » - « la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs », ou la patrie des droits de l’homme et de la liberté éclairant le monde. Mais dans la guerre que l’intelligence et la raison ont à mener contre l’obscurantisme, le fanatisme et le délire de tuer que ce dernier nourrit toujours, comment penser que l’idéalisation d’une figure de la France serait l’arme la mieux appropriée ? Quelle allégorie lumineuse et tricolore peut résister à la dénégation que lui apportent, entre autres crimes du colonialisme, la ‘’pacification’’ de l’Algérie par Bugeaud, la répression à Sétif en 1945, et les opérations ‘’de maintien de l’ordre’’ entre 1954 et 1962 marquées par l’usage généralisé de la torture et la pratique tout aussi courante des ‘’corvées de bois’’ ?

Que l’image historique de la France se voie imputer des événements qui l’altèrent ne tient pas à « une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français (et) non au génie de la patrie ». Que le racisme se soit beaucoup imprimé sur cette image est un constat qui ne se laisse pas réfuter, et certainement pas une « idée chic » propagée par des gauchistes et des ‘’bobos’’. La France, c’est la rafle du Vel’ d’Hiv’ autant hélas que l’abri offert aux enfants juifs dans les fermes de la Creuse, que l’asile donné aux Juifs dans les villages protestants du Vivarais et des Cévennes.

Les Grandes Heures de notre histoire justifient la gloire que nous en tirons et que tant d’hommes et de femmes célèbrent avec nous de part le monde. Même si la révolution américaine, et dans une certaine mesure la révolution batave, ont précédé la nôtre. Même si les conquêtes des armées de la Révolution française n’ont pas apporté que la liberté et des lois émancipatrices aux peuples d’Europe - les idées de progrès n’ont pas pesé très lourd, dans la durée, et au regard du reste, dans les besaces des soldats de la République et encore bien moins chez ses généraux.

Gardons-nous donc de tout messianisme national et assumons la France, non dans la mémoire embellie qu’on nous a transmise, mais dans les traits complexes et parfois troubles de son visage réel, dans le legs composite dont elle nous fait les héritiers. C’est en nous tenant à cet égard à la vérité des faits que ce qui nous appartient effectivement d’exemplaire prendra toute sa place dans l'armature du message que les démocraties ont à faire prévaloir contre le regain des arriérations et de leurs fureurs.

Un message qui est celui du droit au libre examen et à la liberté de conscience ; et un message qui a à franchir des frontières déroutantes. Telle celle qui traverse un pays où des centaines de milliers de personnes s’acharnent contre la reconnaissance de l’égalité des droits pour les homosexuels, en prétendant conformer la législation d’une république laïque à la conception du mariage sur laquelle s’arque boute le clergé de la religion anciennement hégémonique.

Didier LEVY  -  28 11 2015


jeudi 19 novembre 2015

UN APPEL POUR QUE L’ANNÉE 2016 SOIT DÉCLARÉE « ANNÉE DE LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET DE LA LAÏCITÉ ».

  
… PAR CET APPEL, NOUS INVITONS LES POUVOIRS PUBLICS …

« PENSERLASUBVERSION » publie ici le texte intégral de la pétition qu'il a fait paraître ce 19 novembre sur ’Change.org’’ et’MesOpinions.com’’. 


APPEL POUR QUE L’ANNÉE 2016 SOIT DÉCLARÉE

« ANNÉE DE LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET DE LA LAÏCITÉ ».

PAR CET APPEL, NOUS INVITONS LES POUVOIRS PUBLICS


¨ A DÉCRÉTER ET A FAIRE CONCERTER QUE LE LUNDI 4 JANVIER, premier jour ouvré de l’année, les textes fondamentaux régissant dans la République la liberté de conscience et la laïcité :

- les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789

- les articles 3 et 4 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (toujours en vigueur)

- l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 en vigueur

- les articles 1, 2, 26 et 28 de la Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat

> seront lus sur toutes les stations de radio émettant sur le territoire de la République à l’ouverture de leur principale session d’information du matin, ou, en l’absence d’une telle session, à 7 h ;

> seront lus à l’écran sur toutes les stations de télévision émettant sur le territoire de la République, quel que soit leur mode de diffusion, à l’ouverture, en soirée, de leur principal journal télévisé ou de leur principale session traitant de l’actualité du jour, et à défaut de ces créneaux, à 20 h ;

> seront affichés sur la page d’accès de tous les sites d’information et assimilés accessibles par le réseau Internet, cet affichage étant effectué pendant toute la journée du lundi 4 janvier et occupant au minimum la moitié de cette page d’accès. A défaut de page d’accès, l’affichage prendra place avant celui des informations données par le site intéressé et dans la même mise en page que celle utilisée pour ces informations;

> seront publiés en première page de tous les quotidiens paraissant le lundi 4 janvier, la publication des articles de loi occupant au minimum le tiers de cette page,

> seront publiés sur la première page suivant celle de couverture dans tous les autres organes de presse et dans leur première livraison pour le mois de janvier 2016. Sur cette page ne figurera que la publication des articles de loi

La lecture des articles de loi relatifs à la liberté de conscience et à la laïcité sur les radios et télévisions sera confiée à des écrivains, artistes, comédiens, créateurs et personnalités du monde intellectuel et scientifique qui se seront portés volontaires à cet effet auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Pour la répartition de ces volontaires entre les différents médias, il sera procédé par voie de tirage au sort.


¨ À PRENDRE TOUTES LES DISPOSITIONS POUR QUE LE RAPPEL AINSI EFFECTUÉ SERVE DE PRÉFACE A UN GRAND DÉBAT NATIONAL MENÉ EN 2016.

Les sujets de ce débat s’ordonneront autour de la recherche d’une pacification et d’un consensus civiques portant sur l’articulation de la liberté de conscience et de la liberté des cultes avec le respect des règles de la laïcité qui garantissent ces deux libertés et qui sont instituées pour assurer à la paix civile.

Dans la recherche de ce consensus, il sera pris en considération :

- que la loi, fût-elle la plus sage, et que les juridictions veillant à son application, fussent-elles les mieux éclairées, ne sauraient écarter tout risque que des contradictions et des conflits surviennent entre des droits par nature concurrents.

- qu’une hiérarchie peut certes exister entre les droits qui ont été établis mais qu’elle ne peut justifier l’abolition d’aucun parmi ceux-ci.

- qu’aucun droit n’est jamais créé sans limite, car aucun droit n’est jamais absolu, sauf à être voué à devenir tyrannique.

Sur ces bases, le débat embrassera toutes les situations particulières où un conflit entre les droits constitutionnels touchant à liberté de conscience et les normes de la laïcité est le plus susceptible de se faire jour. Les questions suivantes, citées à titre d’exemple, illustrent les causes de discorde qu’on cherchera prioritairement à dépasser. Et les litiges sur lesquels des réponses devront être apportées, par des solutions de référence ou des modalités pratiques largement convenues :

n j’ai le droit, au titre de la liberté de conscience, de porter le voile (ou la kippa - … ou autres signes, non limitativement) dans l’espace public, mais suis-je fondé à penser qu’il est opportun que je signale mon appartenance religieuse par des signes ostensibles dans n’importe quel lieu ou contexte, nonobstant tout scrupule de civilité ou de tact vis à vis de mes concitoyens d’une autre confession que la mienne- sachant de plus que ceux-ci seront portés à y voir la revendication d’un communautarisme que rejette la République?

n j’ai le droit, au titre des mêmes libertés, de respecter le jour consacré au repos hebdomadaire qui est en vigueur dans ma religion, mais ce droit s’étend-il jusqu’à m’autoriser à faire valoir une impossibilité à le contrarier quand il en résulte une gêne ou entrave excessivement lourdes pour autrui dans l’exercice de mon activité professionnelle, ou quand cela a pour effet de soulever des problèmes d’organisation quasiment insolubles (cas notamment des concours et examens qui, en telle espèce, ne peuvent matériellement être organisés qu’un samedi ou un vendredi) ?

n j’ai le droit, au titre de la liberté des cultes, de veiller à ce que mes enfants respectent les interdits alimentaires édictés par la religion dans laquelle je les élève, mais est-il raisonnable que je pousse ma revendication en ce sens jusqu’à créer une situation conflictuelle et des antagonismes sans issue dans la cantine scolaire qu’ils fréquentent - interrogation qui interpelle en termes symétriquement opposés les personnes en responsabilité sur la question de la laïcité dans les établissements scolaires …

n j’ai le droit, toujours au titre de ces libertés, de donner à mes enfants une éducation religieuse dans la confession qui est celle de ses parents, mais n’ai-je pas le devoir de mesurer l’incompatibilité - flagrante - qui existe entre ma qualité de citoyen de la République Une, Indivisible et Laïque et le fait d’inscrire les dits enfants dans une école mono-confessionnelle où ils seront instruits et formés au seul contact de professeurs et de condisciples de leur religion, et dans le cadre de vie scolaire séparatif qui en découle ?

n j’ai le droit, en tant que fidèle de la religion qui pendant des siècles a été dominante de manifester une forme spécifique d’attachement aux signes que celle-ci a imprimés dans notre histoire et notre culture, mais quelle raison y aurait-il à ce que je consacre ces signes en marqueurs d’une discrimination xénophobe, à ce que je les dévalue en faisant d’eux le périmètre d’une appartenance tribale, et le support de métaphores qu’un minimum de savoir et de pensée invalide (racines, identité …) et qui n’ont jamais imagé que des discours nauséabonds, quand ils n’étaient pas criminels, voire génocidaires ?


L’enjeu de ce débat national n’est pas d’acter de nouvelles législations - les existantes font amplement l’affaire. Mais d’aboutir à une CHARTE DE LA LAÏCITÉ CITOYENNE.

La République n’y consentira aucun recul sur ses valeurs, ses principes et ses lois, mais tirera d’une convention ouverte pendant une année à la société française tout entière, la matière d’une leçon collective d’instruction civique appelée à faire référence pour une ou plusieurs générations.

Avec le double objectif, plus immédiat, d’achever la naturalisation des cultes dans la France républicaine, et de fortifier notre démocratie contre le fanatisme qui s’est répandu autour d’elle et qui est venue la frapper sous sa forme de folie la plus meurtrière.

CET APPEL ÉMANE DES AMIS DU BLOGUE « PENSERLASUBVERSION »


pour tous contacts : didier.levy98@gmail.com

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ARTICLES DE LOI  RELATIFS A LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET A LA LAÏCITÉ

Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789

Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.

Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946

3. La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme.

4. Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République.

Constitution du 4 octobre 1958

ARTICLE PREMIER.

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales.

Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat.

Article 1
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées (…) dans l'intérêt de l'ordre public.

Article 2
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (…).

Article 26
Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte.

Article 28
Il est interdit (…) d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. 

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lundi 9 novembre 2015

ROBES EMINENTES ET ROBES INDIGNES


L U M E N A

LA VOCATION DES SERVANTES.

(Regards sur l’économie des vocations)


À Alice

Ce temps où se découvre dans l’Eglise-institution le champ d’une libre parole ne serait-il pas de ceux, généralement inespérés, où des brèches ouvertes dans l’Histoire offrent un passage aux questions les plus dérangeantes ? Ces moments où l’air tout à coup s’agite, où le non-dit paraît soudain exprimable, où les contestations étouffées semblent pouvoir se développer comme une voile qui se gonfle, où l’imagination créatrice ou réparatrice jusque là contenue est à même de se donner libre cours, faudrait-il les laisser passer par aquabonisme, ou bien doit-on les saisir pour ‘’tout mettre sur la table’’ et tout faire bouger ?

Parmi bien d’autres, deux précédents historiques font assurément pencher la balance en faveur de l’audace.

La convocation des Etats-Généraux de 1789, d’abord, à partir de laquelle, en quelques mois, toute l’architecture organique de la société d’Ancien Régime disparaîtra et se verra substituer un ordre juridique radicalement neuf et une somme si considérable  de novations et de transformations que la monarchie en sera finalement emportée.

L’autre exemple appartient à ma génération, celle qui a eu 20 ans en 1968. Qu’on considère en effet le soulèvement d’idées qu’ont représenté ‘’les évènements’’ d’alors, et au-delà de l’échec qu’a connu sur le moment le mouvement contestataire engagé le 22 mars 1968, l’ampleur des changements qui sont venus percuter la société française dès l’immédiat après mai 68. Ou qui ensuite - comme autant de répliques d’un séisme, mais étalées sur plusieurs décennies - ont fossilisé l’une après l’autre les représentations tutélaires qui référençait encore la France à l’ordre moral du siècle précédent, ou qui sont venu à bout de pesanteurs qui lui conservaient un visage à la fois patriarcal et franchouillard.

On peut ainsi regarder comme le dernier en date des contrecoups de la subversion dont est partie il y a plus de quarante ans le remodelage de notre référentiel sociétal, l’ouverture frénétiquement combattue mais finalement accomplie du droit au mariage pour les couples homosexuels. Des contrecoups qui avant celle-ci, par avancées successives, ont produit l’abaissement à 18 ans de l’âge de la majorité, la libéralisation du divorce, le droit à la contraception puis à l’IVG, ou encore l’instauration du PACS. Liste non exhaustive qui peut comprendre jusqu’à l’abolition de la peine de mort.

Ces avancées du droit ont été accompagnées et portées par un mouvement de fond qui contient peut-être le plus significatif de ce remodelage libérateur : le bouleversement sur un demi-siècle des mentalités et des comportements dont l’étendue se lit dans la proportion des enfants conçus aujourd’hui hors mariage, dans la banalisation des couples formés ou décidés à vivre dans une autre forme d’union, et dans l’émancipation - hors minorités ciblées - de la servitude à laquelle l’emprise multimillénaire de la sacralisation de la virginité condamnait le sexe féminin.


Pourquoi mettre en avant ces deux séquences, pourquoi entrer dans le détail de la rétrospective s’agissant de la seconde ?

Simplement pour que l’énumération de tant de changements, et de changements d’une importance aussi capitale, donne toute sa dimension au vœu que forme pour l’Eglise son ‘’aile marchante’’, vœu qui peut se traduire sous la forme d’une interpellation que cette aile marchande s’adresserait à elle-même : que l’Eglise connaisse demain, dans ce qu’elle a en propre, une surabondance comparable de bouleversements et de renversements, n’est-ce pas là, au fond, tout le mal qu’on lui souhaite ?

Surtout si cette surabondance comble l’attente de nouvelles lectures du dogme, de nouvelles approches doctrinales, et d’une façon plus générale d’un aggiornamento à la hauteur du besoin d’actualisation et de renouvellement qui vise l’appareil conceptuel et les modes de discours, de cérémonial et d’organisation. Une attente dont la prise en compte a été si longuement retardée, qu’on a si longuement refusé d’entendre une fois desséchés les fruits de l’embellie de Vatican 2, que le risque à présent est d’être réduit à départager deux probabilités concurrentes de rupture : un schisme des Eglises nationales arc-boutées sur un ne varietur intégral versus un schisme de celles dont les fidèles n’en pourront plus d’avoir tant attendu le moment d’une écoute confiante du monde.

L’espérance fait certainement devoir de ne pas s’arrêter à ce double risque. Dès lors, si l’on envisage le processus révisionniste dont a dessiné les lignes comme la subversion de digues qui protègent infiniment moins qu’elles n’obstruent et n’ensablent nos étroites voies d’accès à la transcendance et de partage de son projet, une conviction raisonnée s’impose à l’esprit : dans ce parcours de libération et de redécouverte du sens, le combat pour l’égalité de statut du féminin - une égalité de statut spirituel et une égalité en découlant de vocation sacramentelle et de capacité fonctionnelle dans l’administration humaine de la foi - constituera assurément ‘’la mère des batailles’’. De par les effets directs de la reconnaissance de cette égalité, et de par toutes les implications de cette reconnaissance, que celles-ci soient discernables ou non à l’instant présent.


Ce parcours passera par le franchissement de plusieurs verrous. Le premier d’entre eux est l’obligation du célibat pour les ministres ordonnés. Non certes en  ce que cette obligation concernerait ou discriminerait les femmes, mais parce que sa construction articule deux présupposés irrecevables sur lesquels repose également l’abaissement du féminin - encore que de nos jours l’argumentaire justificatif du célibat des clercs se fasse discret au sujet de l’un et de l’autre.

Il s’agit en première part de la hiérarchisation des vocations qui sous évalue ou dévalue celle qui est vécue au sein du mariage (on entend ici ce qui fait la substance de cet état et non le sacrement en lui-même), celle qui se construit et agit à partir de l’amour échangé dans un couple humain. Une hiérarchisation qui traduit rien moins qu’une dépréciation du mariage, le ‘’regnum uxorium’’, paradoxale au regard de la force contraignante d’indissolubilité dont celui-ci se trouve chargé (et accablé), et surtout étrangère à l’Evangile qui confère à l’amour qui fonde le couple la capacité d’accomplir la com-union de deux êtres en une seule âme et en un seul corps. La dévalorisation de cette capacité englobe inévitablement la part égale que prend la femme dans l'apparition de cette unicité d’être, - unicité où peut se lire une préfiguration de l’insertion à venir de la création dans la transcendance-, et dans la consécration du mouvement d’âmes qui y préside.

Le second présupposé comporte une dépréciation encore plus violente : celle qui en rupture avec le judaïsme, est présente dès les tout premiers pas du christianisme et qui tient à ce que le regard sur le mariage s’arrête à l’image de souillure qui vient alors s’attacher à la sexualité : une vision - imputable à un courant nouveau de représentations qui pénètre le monde romain ? - qui pour des siècles, va réduire la relation amoureuse du couple, comprise comme l’espace quadrillé d’interdits [1] des ‘’actes réservés aux époux’’ (quelle idée de la tendresse conjugale se lit dans cette définition hélas toute contemporaine !), à la fonction de reproduction que lui assigne la perpétuation de l’humanité et au rôle disculpant d’exutoire par où s’épanche la lubricité de l’homme.

Et une vision qui rétrécira dramatiquement l’enseignement sur l’amour humain en ignorant que ce ne peut être un hasard ou une nécessité parmi d’autres si la reproduction sexuée est venue à travers d’autres espèces jusqu’à nous, mais pour que le don de la vie soit voué à s’accomplir dans une exultation du corps et de l’âme, dans l’exultation de l’unicité de corps et d’âme que consacre la fusion amoureuse.

Autrement dit pour que l’amour produise la vie (ce qui vaut hors transmission biologique) comme il a originellement produit la Création. Et pour qu’au-delà du don de vie, le couple amoureux - tout couple amoureux - vive dans la relation sexuelle une incarnation de son union : derrière l’affirmation de la grandeur de la sexualité humaine, l’image ou l’évocation de l’incarnation du Verbe ne s’imposent-elles pas d’elles-mêmes à l’esprit ?


Mais le verrou principal qui est appelé à ‘’sauter’’ concerne bien entendu l’exclusion des femmes des ministères ordonnés. Une exclusion intenable, et vécue d’abord comme telle en ce qu’elle est incompréhensible au regard du rôle à la fois d’actrice et de témoin-clé qui a été attribué à celles-ci des Noces de Cana à la première rencontre au tombeau avec le Fils de l’Homme ressuscité en passant par la résurrection de Lazare, ou de réceptrices de messages essentiels tel celui qui annonce l’Incarnation ou celui délivré devant la Femme adultère. L’argumentaire qui la soutient ne produit au reste que des raisons paresseuses : la place et les fonctions imparties aux femmes dans le temps messianique (notamment par des règles et normes que le Rabbi Jésus dépasse ou remet à leur niveau) sont-elles fondatrices d’une Tradition, ou la simple observation historique d’une réalité sociologique patriarcale qui dans ses caractères spécifiques et dans son environnement culturel est datée et géographiquement localisée ?

Et intenable, cette discrimination l’est tout autant parce que le critère de départage qui l’institue érige un mur au plein milieu des créatures humaines en déterminant en fonction de leur sexe autour et au bénéfice de qui se referme l’habilitation à se mêler ‘’des affaires de Dieu’’. Un mur infranchissable dont les gardiens s’emploient à nier ou à occulter que pour eux et au fond d’eux-mêmes, il marque la frontière voulue par l’ordre de la nature entre la prééminence dévolue au masculin et l’infériorité assignée au féminin, une frontière que l’impureté consubstantielle à ce féminin figurée depuis la nuit des temps, rend d’autant plus nécessairement immuable.

Verrouillage à l’intérieur d’un verrouillage, cette image d’impureté, ancrée dans tant de civilisations, perdure comme la plus exemplaire des déraisons qui, depuis des millénaires, font le malheur de la moitié de l’humanité [2]. Comment concevoir que la raison reste impuissante à la dissoudre par la dénonciation de son inanité et de sa malfaisance ? Elle laisse pourtant bien voir ce à quoi elle se réduit : une représentation mentale qui puise ses constituants dans notre cerveau archaïque, et qui - pour l’interprétation qu’on se risque ici à proposer- s’est connectée dans celui-ci à une perception primitive et ambivalente du sang pour la projeter sur le féminin. Une perception qui, schématiquement, aurait conjugué la promesse d’assouvissement de la faim suggérée par la vue du sang du gibier blessé et la menace vitale que signale à l’individu humain l’écoulement de son propre sang, et qui aurait structuré l’association inconsciente de la première avec le sang hyménal et celle de la seconde avec le sang menstruel.

Association qui, si on l’admet, relie son premier référent aux sacralisations de la virginité, comme elle fait pénétrer le second, par le jeu de reflets inversés, dans la substance des sanctifications ou des déifications de la fécondité. L’ombre portée de ces sacralisations et de ces déifications - mêlant célébrations transculturelles des divers types de Vestales et anciens cultes de la Déesse-Mère - a enveloppé un christianisme qui s’est bien peu gardé de ne pas y inscrire ses pas. Si bien que la récusation de l’appareil conceptuel au moyen duquel le féminin y a été muré dans un statut d’infériorité passe par l’invalidation de l’imaginaire sexué autour duquel s’est formé le binôme pureté/impureté qui se veut l’abrégé de la condition de l’autre genre de l’humain.

Une réduction d’autant plus haïssable que les mythologies discriminantes du féminin et leurs représentations fantasmées du physiologique et du biologique offrent aux pires obsessions et perversions de quoi s’assouvir et se masquer. De ce que ce fantasmé se perpétue en vecteur d’une soumission violente au masculin, est-il preuve plus évidente que celle qui ressort de l’assimilation mentale et physique de la défloration à un viol [3]?


Plutôt qu’à un troisième verrou à ouvrir, c’est plutôt à la perspective d’un dépassement supplémentaire qu’amène à ce stade la réflexion. Un dépassement qui se profile dans la continuité d’une conquête de l’égalité sacerdotale par le féminin, mais qui porte en lui d’élever - comme c’est généralement le cas dans l’Histoire-  une victoire des femmes en avancée collective. Ainsi en a-t-il été naguère du droit de vote accordé aux femmes : sa signification véritable se lit aujourd’hui, non comme le succès final des suffragettes, mais comme l’accomplissement de la démocratie - une démocratie jusque là imparfaite, et même infirme, en ce qu’elle excluait du suffrage prétendument universel la moitié des citoyens. Plus près de nous, le droit à la contraception a d’abord été une incomparable libération des femmes - celle de la fatalité des grossesses -, mais avec le recul, il s’inscrit dans nos mœurs comme la possibilité donnée à tous les couples hétérosexuels de s’ouvrir à une vie amoureuse où leur relation intime peut s’exprimer et s'embellir en se concentrant sur ses richesses autres que l’enfantement, ce dernier devenant désormais un choix et non plus un piège et un sujet d’angoisse.

Ce dépassement repose sur une interrogation : si une barrière aussi haute que celle de la discrimination des femmes devant le sacerdoce peut tomber, comment envisager que rien ne vienne jamais remettre en cause cette autre frontière placée au cœur de la foi qu’est la différenciation multiséculaire du clerc et du laïc, c’est à dire la dévolution de la fonction sacramentelle à un corps sacerdotal, et à lui seul. Un corps sacerdotal ainsi investi d’un pouvoir charismatique qui le sépare des fidèles et détenteur d’une primauté organique arguant d’une validation mystérieuse et quasi magique. C’est là un questionnement auquel la Réforme a largement répondu et dont on sait qu’il progresse autour de nous.

Vis à vis du ministre du culte que nous connaissons, l’idée d’une abolition de cette distinction clerc/laïc n’amène pas à méconnaître ce qui légitime son statut différencié : un degré supérieur de connaissances théologiques, d’expertise exégétique et, corrélativement, d’aptitude à accompagner l’investigation spirituelle, auquel s’ajoute bien sûr sa formation liturgique ; et, de par son parcours d’études philosophiques et/ou son expérience d’animateur des engagements d’une paroisse, sa capacité à éclairer les référentiels éthiques. Mais à se représenter ce ministre ordonné comme appelé à se redéfinir en ‘’ministre diplômé’’(ou en ministre ‘’qualifié’’). Et ce, sans perdre de vue que les compétences auxquelles son expertise affecte ce ‘’ministre diplômé’’ ne sont pas, n’ont jamais été, exclusives et partant opposables au ‘’simple fidèle’’ coparticipant au sens de la foi, au discernement de la vérité et à la grâce de la parole.

Le déplacement des lignes séparatives entre clercs séculiers et laïcs pour l’accomplissement des sacrements ouvre en revanche un débat fondamental eu égard à l’économie des habilitations sur laquelle le catholicisme s’est configuré. Le bouleversement qu’induirait une novation de cet ordre serait-il pour autant si considérable ? Les sacrements en connaîtraient-ils un changement majeur, en seraient-ils affectés dans leur sens et dans leur portée ?

Du baptême (où à peu près rien sur le fond ne serait modifié) à l’onction du Passage, du mariage (ou le prêtre n’intervient que comme témoin) au sacrement de réconciliation, ces interrogations se soldent apparemment par la négative. D’autant que le ‘’simple fidèle’’ pourrait toujours, au cas par cas, apprécier en conscience, et plus spécialement pour le sacrement de réconciliation lorsqu’une inquiétude spirituelle ou éthique pèse sur la ou les fautes en cause, s’il convient qu’il se tourne vers un ministre du culte, ou se faire une règle, par choix personnel, de toujours recourir à l’assistance de celui-ci.

La portée que revêtirait l’admission de l’intégralité des baptisés à la fonction sacramentelle ne s’évalue en définitive que par rapport au seul sacrement eucharistique, par rapport à l’impact qu’aurait l’accession des laïcs à l’accomplissement de ce dernier. Un impact qui renvoie à cette question : la recommandation messianique « Vous ferez cela en mémoire de moi » appelait-elle les Apôtres à instituer une classe sacerdotale qui perpétuerait les mots et les gestes de la Cène et leur donnerait effet, ou, formulée dans un repas entre Juifs, mêlée aux bénédictions de ce repas pascal et insérée dans les prescriptions de la Loi qui y étaient observées, enjoignait-elle de reproduire le rite que créait le Fils de l’Homme au moment de passer par la mort, et de faire de ce rite le signe que le peuple de la nouvelle alliance aurait à placer au centre de tous ses partages et de toutes ses action de grâce, i.e. de sa communion ?

On objectera à qui retient la seconde interprétation que rien ne garantirait qu’un laïc ‘’de base’’ pratiquant le sacramental de l’eucharistie serait pénétré de la juste signification du « Ceci est mon corps … ceci est mon sang », et que les représentations qui l’habiteraient seraient rigoureusement conformes à l’enseignement de l’Eglise. Mais la répétition du « Ceci est mon … » a-t-il d’autre sens que de nous placer devant le mystère des mystères, celui qui touche à l’Incarnation du Verbe, à toutes ses incarnations y inclus les invisibles ? Autre façon de le dire : l’annonce des incarnations à venir qui est contenue dans le « Vous ferez cela … » ne se suffit-elle pas à elle-même, de sorte que nous ne sommes pas appelés à nous figurer la nature de ces incarnations et de la présence de la transcendance qu’elles promettent, et encore moins à nous hasarder à spécifier leur substance dans des concepts explicatifs (autre nom des dogmes) ?

Avançons d’une cran encore le questionnement : ce que le célébrant a en tête en prononçant ces deux « Ceci est mon … » - que ce soit la célébration de la mémoire de la Cène, une présence symbolique ou une présence réelle, une consubstantiation ou une transsubstantiation, ou encore une ‘’union sacramentelle’’ ou une ‘’présence objective’’ - ne compte-t-il pas pour rien en comparaison du don que constitue pour l’assemblée réunie autour de lui, la participation au mystère le plus expressif de l’amour de Dieu ? Idée qui peut se résumer ainsi : prêtre catholique, pasteur luthérien, pasteur calviniste, laïc se reconnaissant dans la transsignification …, qu’il soit dispensé par l’un ou par un autre, le sacrement en tant qu’il est toujours ce don partagé, ne sera rien d’autre que ce don, et d’abord pour celle ou celui qui le reçoit. Ce qui le validera et ce qui suggère que la communion la plus accomplie, pour celui/celle qui préside à l’actualisation de la Cène comme pour celui/celle qui mange le pain et boit le vin, procède d’un vide volontaire de l’entendement, qu’elle requiert l’absence de toute intellection préétablie du sacrement pour que la perception de l’incarnation attendue soit seulement celle de l’épiphanie d’une Présence. Et pour qu’elle soit pleinement ouverte à la pénétration de la grâce intime et indivise qui entoure cette épiphanie, grâce où se projette celle qui enveloppait les convives du Cénacle et flottait sur leur tablée.

Si le signifié du rituel de la Cène a été livré à l’état d’inconnaissable, s’il est voué pour l’universalité des croyants à demeurer tel jusqu’à la parousie - en suggérant tout au plus les contours d’une incarnation et, à travers les espèces, d’une incarnation incorporelle (contradiction entre les termes qui donne la mesure de ce qui nous est impénétrable) -, alors la classe sacerdotale et les laïcs sont confrontés à égalité à un signe de communion dont la dimension est incommensurable mais dont l’acception de l’énoncé ne peut se déchiffrer et qui, partant, résiste à toute transcription dogmatique.

Et s’il est loisible d’en tirer abruptement la conséquence, l’égalité face à l’indéchiffrable n’implique-t-elle pas l’égalité dans l’approche sacramentelle de cet indéchiffrable ? Une égalité qui entraîne que le geste eucharistique ‘’tombe dans le domaine public’’ et cesse de pouvoir se confondre avec un tour de magicien requérant initiation préalable et allocation d’un pouvoir spécifique.


Les trois mouvements qu’on a décrits enchaînent trois interpellations adressées à l’Eglise-institution : pour qu’elle se libère du dégoût et de la peur du sexe [4] et du dégoût et de la peur du féminin, et pour que cette double libération coïncide avec l’achèvement d’un temps historique où un corps sacerdotal, exclusivement masculin et célibataire, a détenu seul toute l’étendue des charismes et de l’autorité. Apparier ainsi le détachement de dégoûts et de peurs qui ont façonné les représentations mentales de la hiérarchie sacerdotale et le dépassement de la dichotomie clerc/laïc, répond à la certitude que l’apparition parallèle et concomitante de ces deux émancipations de l’entendement est la condition première d’un élagage des branches mortes de l’institution.

Une certitude qui se conforte de l’interaction qui fait lien entre la répulsion [5] attachée à la sexualité humaine et au sexe féminin et la pérennisation du monopole cléricalo-masculin sur le sacramentel. La démarcation que cette monopolisation trace aujourd’hui au sein du peuple des baptisé(e)s ne compte-t-elle pas au nombre de ses bornes frontières, sous-jacent à l’argumentaire théologique et capable de survivre à l’effritement de celui-ci, le parti-pris de l’exclusion des femmes des ministères ordonnés ?

Bien d’autres partis-pris entrent dans la composition d’une pesanteur doctrinale qui est devenue culturellement et sociétalement aussi indéfendable qu’elle est largement récusée. De cette récusation, un signe probant peut être tiré de ce que dans notre société, la morale enseignée par l’Eglise romaine tend à n’être plus associée qu’à la pénalisation de la sexualité et à la récusation de droits parmi les plus constitutifs de l’égalité des femmes, et de ce que déclarer son adhésion à l’une et à l’autre concoure à identifier le ‘’catholique pratiquant" des catégories sociologiques. Les branches mortes qu’on a ciblées désignent d’abord un positionnement réglementariste du magistère face aux épreuves de la vie dont suffit à rendre compte la ségrégation infligée aux divorcés remarié, et, au-delà, une négation systémique de la grandeur propre à la chair dont témoigne, outre cinquante années d’enténèbrement sur la sujet de la contraception (pour ne rien dire de la condamnation de l’IVG ou des manifestation dites ‘’pour tous’’), l’interminable entêtement dont l’obligation du célibat pour les clercs séculiers est l’objet.

Cependant, tout donne à penser que les renversements espérés auront bien pour point de départ, pour impératif initial, l’accession du féminin à un statut d’absolue égalité. De cette reconnaissance dépend que l’Eglise se réinsère dans le mouvement et dans les mentalités des sociétés européennes dont elle s’est retranchée au XVIII ème siècle en se fermant à un temps et à un esprit nouveaux. Et c’est bien pour s’inscrire dans cette assignation que le présent texte a été titré ‘LA VOCATION DES SERVANTES’’.

Et comment le conclure plus à propos que par ces deux citations qui étaient rapprochées l’une de l’autre dans un récent article de ‘’Marianne’’ signé d’Eric Conan : «  La femme est l’avenir de l’Eglise ».

La première de Romain Gary :

« Le premier à avoir parlé d’une voix féminine, c’était le Christ. La parole du Christ constitue pour moi l’incarnation même de la féminité. Je pense que, si le christianisme n’état pas tombé entre les mains des hommes, mais entre les mains des femmes, on aurait eu aujourd’hui une tout autre vie, une tout autre société, une tout autre civilisation ».

La seconde du pape François :

« L’Eglise est femme, l’Eglise est un mot féminin, on ne peut pas avoir de théologie sans cette féminité ».

Didier LEUWEN  -  9 novembre 2015 *

 

* Cet article est tiré d’un commentaire consacré au texte d’Alice Damay-Gouin «Quel est mon trésor ?» qui est paru le 28 septembre 2015 sur le blogue ‘aubonheurdedieu-soeurmichele’.


Un résumé en a été publié le 10 novembre 2015 sur le même blogue ‘’aubonheurdedieu-soeurmichele‘’ dans Invité-es .
[ aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/ ]

L’article a par ailleurs été publié début 2016 sur le site du Wijngaards Institute for Catholic Research 

[ http://www.womenpriests.org/ministry/levy.asp ]



Publié par "penserlasubversion" dans "collection LUMENA".

 






[1] Je renvoie ici à Georges Duby (‘Le chevalier, la femme et le prêtre’’) et aux pages où celui-ci explique qu’au Moyen Age la recherche du plaisir au sein du mariage est jugée un péché aussi grave que l’adultère. Conception qui demeurera dominante bien au-delà du XIIIème siècle …
[2] Ce qui ne vaut pas pour le judaïsme où l’impureté possède une connotation spirituelle spécifique.
[3] Pour ce qui est de la sacralisation de la virginité - celle qui a pu conduire en ‘’théologie mariale’’ à une formulation telle que « sa virginité n’a pas été lésée (!) » -, la dimension de perversion qui s’y attache est on ne peut plus fortement illustrée par la captation sur les réseaux de ce prédicateur de l’islam intégriste affirmant à ses ouailles qu’’’au Paradis les femmes retrouvent leur virginité après chaque rapport sexuel’’. L’inconscient a ainsi de ces partages de fixations entre monothéistes …
[4] Les atténuations, certes non négligeables sur le fond, qu’a connues leur expression depuis quelques décennies ont été si mesurées, tellement ‘’hors sol’’, que leur impact sur les mentalités et les représentations paraît non significatif - et même non mesurable s’agissant de nombre de clercs, de ‘’voix autorisées’’ et de pieux notables ….
[5] Le mot ‘’répulsion’ peut sembler excessif mais, le concernant et concernant l’importance qu’on a donnée à la problématique du dégoût, comment ne pas persister et signer car il y a bien eu répulsion de la chair de la femme, en même temps qu’il y a eu répulsion de l’acte de chair et répulsion de la chair elle-même (inconnue du judaïsme qui bénit le don des orifices nécessaires aux fonctions naturelles). Si le ‘’Inter faeces et urinam nascimur’’ - lisible comme le pire blasphème adressable à Celui qui a crée l’humain à son image et dispensé l’amour comme source de la vie - est controversé et sans auteur avéré, il réfère indéniablement à cette triple aversion que les modes de pensée de notre modernité ne sauraient plus regarder que comme le produit d’une emprise névrotique et comme le nœud d’arriérations aussi aliénantes qu’intrinsèquement malsaines.