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samedi 13 novembre 2010

Nicolas SARKOZY et la constitution de 1791

Nicolas SARKOZY et la constitution de 1791

« Au Roi seul appartiennent le choix et la révocation des ministres ».

Constitution du 3 septembre 1791 - TITRE III - CHAPITRE II - SECTION IV : Des ministres -article premier.

Salut et fraternité.

Ainsi arrive-t-on au remaniement annoncé.

En vérité, considéré pour ce qu’il est, l’épisode aura tout d’un non évènement.

Sous la Vème République, un ministre n’est le plus communément qu’un commis de l’Etat parmi d’autres. Hors périodes de cohabitation, la distance qui devrait séparer les fonctions de ministre et de haut fonctionnaire n’a cessé de se réduire pour devenir imperceptible depuis 2007.

Combien de ministres ont ainsi compté depuis1958 par la marque que leur action politique a laissée ? Leur liste est suffisamment brève pour qu’ils apparaissent bien comme des exceptions, et ceux qui sont à peu près assurés d’avoir une place dans l’Histoire le devront à l’évènement auquel ils ont été associés - à moins que ce soit seulement à l’empreinte de leur personnalité, à la force de leurs convictions ou au temps fort d’un discours capital : à consulter ainsi le passé, quelques noms se proposent à ces divers titres : Edgar Faure (pour la réforme des universités après 1968), Simone Veil (pour la légalisation de l’IVG), Gaston Defferre (pour la décentralisation), Robert Badinter (pour l’abolition de la peine de mort), et Dominique de Villepin (pour le discours à l’ONU), ainsi que deux ministres qui ont incarné un projet politique, Jean-Pierre Chevènement et Nicolas Sarkozy.

Aujourd’hui, la nomination d’un ministre est devenu un fait moins important qu’un changement à la tête de la SNCF ou d’Areva, et à peine plus que le choix du président de France Télévision.

Qu’être ministre signifie qu’on appartient à l’organe qui, à ce qu’avait prévu la Constitution, détermine et conduit la politique de la Nation est un leurre, une fiction ; un membre de l’actuel gouvernement l’admettait tout uniment l’autre jour dans une émission politique de France Culture et concédait que le président réglait seul l’action du gouvernement. Il en va pareillement, c'est-à-dire d’une fable ou d’un songe, de la règle constitutionnelle qui veut que la nomination des ministres soit proposée par le Premier ministre au président de la République. Et de même encore pour la révocation du Premier ministre que la Constitution n’autorise pas, le président de la République ne pouvant mettre fin à ses fonctions que « sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement ».

Si ces constats appelaient encore un commentaire, ce ne serait plus que pour en relever l’affligeante banalité.

En quel pays, parmi ceux qui se réclament de la démocratie et de l’état de droit, s’accommoderait-on pareillement d’une violation permanente et continue de la Loi fondamentale et portant au surplus sur des dispositions majeure ayant trait à la nature et au fonctionnement du pouvoir exécutif ? Imagine-t-on un ministre allemand, britannique ou néerlandais, ou de l’un des gouvernements des monarchies scandinaves, reconnaître publiquement qu’il se range le plus sereinement du monde à une transgression constitutionnelle au motif que cette dernière est permanente depuis cinquante ans ? Pour ne rien dire des Etats-Unis où le respect religieux porté à la Constitution rend simplement impensable que demeure impunie la commission d’une forfaiture publique de l’ordre de celles qui se perpétuent en France depuis 1958.

La Vème République présente cette bizarrerie unique que les juristes les plus éminents, les chroniqueurs politiques les plus écoutés et à peu près tous les responsables de partis ont légitimé l’existence d’une constitution parallèle qui, sous l’invocation d’un ‘’esprit des institutions’’, a pris le pas sur le texte approuvé par référendum le 28 septembre 1958.

Cet ‘’esprit des institutions’’ n’a pas donné à la constitution gaullienne son caractère monarchique qui y était bien inscrit dès l’origine par son inspirateur et ses rédacteurs : hormis la responsabilité du gouvernement devant le parlement (qui ménage la  possibilité du recours à des phases de cohabitation et dont, pour cette raison, on s’est gardé de faire l’objet de la révision constitutionnelle par quoi elle aurait obligé à passer), il en a revanche produit et fait prévaloir des raisons suffisantes pour effacer à peu près tout ce qui rattachait la Vème République au régime parlementaire.

L’exégèse qui s’est imposée veut que l’élection du président de la République au suffrage universel direct a eu pour effet de changer la nature des institutions. Déduction juridiquement absurde - déciderait-on demain d’élire au suffrage universel les maires de Rieutort de Randon (Lozère) et de Plougrescant (Côtes d’Armor), cette expérimentation changerait-elle quelque chose aux compétences et pouvoirs que la loi attribue aux magistrats municipaux ? - mais dont l’esprit public s’est laissé convaincre, dès l’après référendum de 1962 ou au fil du temps.

Par changement de la nature des institutions, il faut entendre que le président de la République, par la vertu du vote plébiscitaire qui est censé assurer la prééminence de sa légitimité, recouvre l’étendue des pouvoirs conférés au Roi des Français par la Constitution -déjà citée - de 1791 : «Le Pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans la main du roi».

Nicolas Sarkozy, depuis son élection, a donné à cette dérive - dont le principe était porté par l’extrême proximité existant entre les conceptions de la fonction présidentielle et de la fonction royale respectivement inscrites dans les institutions de la Vème République et dans la même Constitution de 1791 - l’extension considérable que l’on sait. Sous son mandat, le pouvoir présidentiel, déjà aligné pendant cinq décennies sur la configuration du pouvoir royal dans une monarchie constitutionnelle, se place dans une exacte conformité aux dispositions de la première de nos constitutions écrites pour ce qui est de l’exercice et de l’étendue des attributions exécutives que celle-ci avait prévues en fixant que « le roi est le chef suprême de l’administration générale du royaume ».

Dès lors, s’agissant du maintenant tout proche remaniement, qu’importe que la ministre de la santé soit ou non sanctionnée pour n’être pas parvenue à convaincre nos concitoyens que la variété nouvelle, l’an dernier, de grippe mondialisée se situait dans l’échelle de la dangerosité entre la peste noire médiévale et la tristement fameuse grippe espagnole ?

Ou qu’elle soit écartée du gouvernement, au titre du portefeuille des sports, en punition du spectacle que notre sélection footballistique a offert cet été en Afrique du Sud - ce qui serait au demeurant intrinsèquement injuste puisque la phalange de mercenaires réunis pour l’occasion n’a rien fait d’autre, en exposant son arrogance, son incivilité et par-dessus tout sa vulgarité, que de mettre en pratique le principe essentiel de la pensée de notre Grand Leader : « on n’a pas à s’excuser d’être riche ».

Qu’importe encore que tel ou tel ministre dit d’ouverture marque par son départ la fin d’une partie de bonneteau politique à laquelle il avait choisi de se prêter ; nul ne préoccupe plus, depuis longtemps, des raisons qu’il avait mis en avant pour le faire - ne reste seulement, pour la plupart des ralliés de 2007, que le côté pathétique ou pitoyable de l’exercice, et dans un cas au moins, l’exemple d’un reniement des engagements publics d’hier poussé au-delà des dernières limites concevables.

Il y aura sans doute aussi, et même vraisemblablement parmi les transfuges, des promus qui tireront ainsi récompense non d’une vassalité particulièrement portée à la servilité - comment distinguer sur ce critère depuis que les ministres de la République se font une fierté de recevoir du président des ‘’feuilles de route’’ (et à cet égard les instructions minutieusement détaillées et programmées qui ont été délivrées aux excellences nommées en 2007 représentent un abaissement supplémentaire de la fonction ministérielle par rapport à la pratique inaugurée par le gouvernement Raffarin) - mais de leur capacité à paraître devancer les lubies et les mots d’ordre élyséens, ou au moins à épouser ceux-ci avec l’immédiateté d’un mouvement réflexe et le zèle le plus démonstratif.

De ces promotions non plus, on ne tirera d’autre intérêt qu’anecdotique. Et pareillement du sort qui sera fait aux uns et autres au regard de la constance et de la vigilance qu’ils auront mis à faire parrainer le moindre de leur dit, fait et geste par une citation de la pensée présidentielle.

Mais, après tout, ces avancements et ces congédiements ministériels qui vont procéder du fait du prince s’accorderont parfaitement à la nature monarchique du système de la Vème République : élévation et exil des favoris, ostentation des gens bien en Cour et précarité de leur position, défaveur progressive ou chute soudaine des ministres ont été, pendant des siècles, l’effet naturel de la concentration des pouvoirs dans la personne du roi ; si les mœurs politiques d’aujourd’hui renvoient par là au temps de la royauté, on concèdera que pour ces caractères, elles s’associent peu au régime éphémère que la Constitution de 1791 inaugurait - l’arbitraire s’y trouvait en effet dépouillé de toute légitimité et de toute force - mais s’inscrivent entièrement, pour l’empire consenti au caprice personnel du chef de l’Etat, dans les temps antérieurs de l’Ancien Régime.

A peine moins mineure sera l’importance à attacher à un changement de Premier ministre. Tout a été dit du rôle subalterne que, hors périodes de cohabitation, la pratique de la Vème République a assigné au personnage auquel la Constitution confiait la direction de l’action du gouvernement. On peut certes objecter à ce constat que la formulation même de l’article 21, plus restrictive que celle qui aurait fait du Premier ministre le ‘’chef du gouvernement’’, comporte une part d’ambiguïté qui joue en faveur du Président de la République quant à la direction de l’exécutif.

Certes, il y a eu depuis 1959 des premiers ministres qui ont imprimé très fortement leur marque dans la conduite des affaires publiques : Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas, Michel Rocard et, naturellement les premiers ministres des cohabitations successives ; il est équitable d’y ajouter, pour la durée qui leur a été accordée et surtout pour l’importance de leur action dans le domaine économique, Georges Pompidou et Raymond Barre - en prenant bien sûr aussi en compte, s’agissant du premier, la stature particulière qu’il tire de la capacité qu’il a montré en mai 1968 à assurer la continuité de l’Etat.

En dehors de Georges Pompidou - certes renvoyé en juin 1968 à son destin de député du Cantal, mais tirant quelques mois plus tard avantage de l’usure de la magie gaullienne - aucun de ces premiers ministres n’a pu conjurer, pour le développement ultérieur de sa carrière, l’espèce de mauvais sort qui, sous une forme ou une autre, est venu sanctionner l’amorce de concurrence, ou l’autonomie trop revendiquée, où il s’était placé face à la prééminence du Président de la République. Leurs successeurs, depuis, se sont gardés de toute apparence d’affranchissement vis à vis de ce dernier.

La dévaluation supplémentaire qu’a subie depuis 2007 la fonction de Premier ministre, dévaluation actée dès la prise de fonctions de Nicolas Sarkozy, a fait du premier des ministres sinon un simple ‘’collaborateur’’ du Président, du moins une sorte de chef d’état-major du dispositif ministériel, plus ou moins investi selon les périodes de la charge de coordonner le mouvement de cet appareil et la parole des feudataires du chef de l’Etat placés à la tête de ses composantes.

Que François Fillon quitte l’Hôtel de Matignon et l’on rejouera l’un des épisodes historiques - relativement familiers des Français grâce notamment à leurs restitutions télévisuelles - qui ont vu nos rois se séparer de leur premier ou de leur principal ministre.

Un exercice sommaire de concordance des temps nous montre ainsi le renvoi de Jacques Chaban-Delmas par Georges Pompidou, ou celui de Michel Rocard par François Mitterrand, comme des remakes assez fidèles de la disgrâce de Turgot ou du renvoi de Necker.

Les autres premiers ministres remerciés sous la Vème République l’ont été dans des conditions devenues plus obscures pour la mémoire collective mais qui justifient tout autant d’une référence à l’ordinaire des défaveurs royales : on est là dans une continuité d’inspiration et de cérémonial avec les disgrâces du duc de Choiseul, du chancelier Maupeou ou du contrôleur général Calonne et, finalement, citoyens et commentateurs de la presse se trouvent plutôt bien d’une reconstitution historique qui leur offre tant de repères dans les manuels scolaires de leur enfance.

Qu’en définitive François Fillon soit confirmé comme Premier ministre et, par les mêmes repères, la similitude des situations sera immanquablement établie avec la ‘’Journée des Dupes’’ qui vit le triomphe imprévu du Cardinal-Duc et la déconfiture de ses rivaux.


Quel que soit, au terme du remaniement qui se prépare, le sort de François Fillon et de ses collègues au gouvernement, et même si une certaine mesure des équilibres internes à la majorité aura pu peser, la décision du président de la République ne portera pas d’autre sens ni n’aura d’autre importance que d’exposer publiquement l’exercice solitaire d’un pouvoir personnel et de confirmer la nature monarchique de ce pouvoir. Autrement dit, elle comptera en ce qu’elle imposera à l’esprit la filiation de notre système politique à la monarchie bourbonienne, ou sa proche parenté contemporaine avec les monarchies qui se maintiennent au Maghreb et au Proche Orient.


Reste cependant que le remaniement peut comporter une dimension digne de retenir l’attention dans la mesure où il donnera à observer chez Nicolas Sarkozy les progrès, comme aurait dit Racine, de l’esprit d’injustice et d’erreur.

A cet égard, nous vivons sous un Prince et sous des mœurs politiques qui ne laisseraient pas vraiment de place pour la surprise si survenaient des nominations impensables partout ailleurs dans les démocraties développées.

Autant toutefois s’y préparer, au moins pour s’armer à l’avance contre le degré supérieur d’effronterie qui sera plus que probablement atteint ; dans cet ordre d’idées, il est salutaire d’imaginer le pire - qui n’est jamais pour l’actuel président qu’un palier sitôt dépassé qu’atteint.

Qu’on n’y voie pas un exercice de politique-fiction, car le propre de ce genre est de privilégier l’imagination, mais plutôt une œuvre d’anticipation qui mobilise les ressources de la raison et se fonde sur la déduction.

Dans le registre, donc, de ce pire qui a tout pour être prévisible, trois figures extrêmes du cynisme se proposent dans le casting ministériel à venir. Envisageons-les tour à tour :

- parions d’abord que le ministre de l’intérieur conservera son portefeuille. Il sera certes objecté qu’il ne le gardera que pour autant qu’un commis aussi froidement déterminé à prouver jour après jour qu’il est le plus fidèle parmi les fidèles, mais dont il sera apprécié qu’il soit davantage expert des rouages policiers et moins fréquemment porté à la gaffe, ne lui sera pas préféré.

Si le pronostic penche en sa faveur, ce n’est pas tant parce qu’il a interjeté appel de la condamnation pénale dont il a été l’objet pour les propos racistes qu’il a laissé surprendre, ni même pour son allant à faire toujours un peu plus dans la persécution sécuritaire des minorités proscrites que les ciblages présidentiels ne lui prescrivent.

il demeurera place Beauvau pour son aplomb incomparable à soutenir l’indéfendable et à démentir ce qui est le moins susceptible d’être exposé au doute.

S’agissant (pour choisir l’exemple le plus récent) de ces étranges effractions dont par trois fois rapprochées ont été victimes les données professionnelles de journalistes enquêtant sur une affaire sensible entre toutes, qui d’autre, hormis bien sûr le chef de l’Etat lui-même, aurait à ce degré le front de faire passer pour des imaginations acadrabrantesques, ou des supputations vipérines d’adversaires politiques fanatisés, cette forme d’évidence dans le raisonnement qui aboutit aux auteurs et aux raisons des dits cambriolages - raisonnement au demeurant que les capacités déductives d’un enfant de dix ans suffiraient à concevoir.

- faisons-nous ensuite à l’idée que l’actuel secrétaire général du parti présidentiel libèrera cette fonction, au reste intenable coincée qu’elle est entre les impatiences et les foucades du monarque, les chapelles et nuances disparates réunies dans ce parti unique et les médias devant lesquelles il faut en permanence justifier l’impulsif, le sommaire et le déraisonnable.

Le propre de ce poste ingrat, c’est qu’on en sort en général récompensé pour ce qu’on y a subi ; la vraisemblance est que la récompense consistera cette fois dans l’attribution du ministère de la défense.

L’intéressé a sans doute peu de critères pour justifier cette nomination ; mais il possède au minimum celui qui peut l’emporter sur toute autre considération : nul mieux que lui sans doute saura verrouiller le secret défense, seule digue qui protège le pouvoir de l’avancement judiciaire de la vérité dans quelques ténébreux dossiers où le seul secret en cause est le secret d’Etat dans l’extension qu’on donne à celui-ci pour dissimuler un scandale d’Etat.

Au premier rang des investigations de la Justice qu’il importe ainsi d’entraver, figurent les soupçons relatifs à l’attentat de Karachi, à des rétrocommissions pakistanaises et à leurs bénéficiaires hexagonaux via les détours luxembourgeois que l’enquête a mis au jour.

D’autres fidèles du président sont capables de brandir le secret défense chaque fois qu’une instruction en cours approche de preuves qu’il importe de lui cacher ; cela ne requiert pas en vérité un grand génie politique, et rien n’est plus facile que de couvrir dossiers, enquêtes, rapports et témoignages de ce noir manteau qu’on peut jeter sur les turpitudes publiques au motif fallacieux de la protection de la  sécurité nationale.

Mais il est probablement peu d’autres personnages ministériels ou ministériables que le calcul de leur carrière puisse convaincre de tenir pendant des mois le rôle de celui qui est préposé à redire sans fin, en réincarnant un magistrat qui se déshonora pendant l’affaire Dreyfus : « La question ne sera pas posée ».

- gardons le pire du pire pour la fin, et prévoyons la promotion de l’ex-trésorier de l’UMP au ministère de la justice. La probabilité de plus en plus grande de sa mise en examen dans l’affaire qui porte son nom - avec celui de la plus grosse fortune de France, ou tout comme - ne joue pas contre ce choix.

Bien au contraire, le président de la République peut regarder la situation inédite d’un Garde des Sceaux mis en examen dans une instruction judiciaire, et maintenu inébranlablement en fonctions, comme un avatar spectaculaire de la ‘’rupture’’ dont il ne cesse de se réclamer et, partant, comme une démonstration hautement pédagogique de sa volonté de conduire celle-ci en toutes choses à ses dernières extrémités.

La complication que cet épisode judiciaire et ses suites apporteront à l’exécutif et à sa majorité n’est pourtant pas négligeable : mais en regard, la nomination place Vendôme du ministre qui a porté la réforme des retraites offre deux atouts majeurs pour le chef de l’Etat.

Et deux atouts essentiels au moment où la nomination si tardive de magistrats instructeurs fait échapper les enquêtes en cours à Nanterre au contrôle dans lequel le pouvoir les tenait, nonobstant les contrariétés que lui a causées plus d’une initiative imprévue d’un procureur ‘’ami’’.

Dépaysement ou pas, tout est à craindre de juges qui outre la démonstration de leur indépendance auront à cœur d’exposer en quoi celle-ci distingue une instruction conduite par un magistrat du siège d’investigations instrumentées par un procureur dont la plume, sinon la parole, est serve. D’un côté, une instruction que seules la loi et la conscience du juge dirigent, de l’autre des instructions que le pouvoir politique a la faculté de faire descendre, d’étage en étage, du haut au bas de la hiérarchie des parquets - étrange pouvoir d’un passage du singulier au pluriel qui change ainsi le sens des mots ...

Redoutable indépendance assurément si elle s’exerce dans le cas d’espèce et dans ses péripéties connexes - et si en outre suffisamment de jour parvenait finalement à être fait dans l’enquête sur le marché des sous-marins pakistanais évoquée ci-avant.

Au total, le prochain ministre de la justice aura alors affaire à un bataillon de juges d’instruction lâchés simultanément sur cinq potentiels Watergates à la française - deux scandales d’Etat si dans les dossiers en cause, le soupçon de financement politique illégal se généralise en conviction publique majoritaire, auxquels s’ajoutent, pour le scandale le plus récent, son extension à ces trois cambriolages perpétrés sur des ordinateurs de journalistes dont les conséquences, serait-ce avec retardement, ont potentiellement tout pour être dévastatrices.

Tout donne à penser, toujours pour le scandale le plus récent, que ces magistrats tireront partie au surplus du concours agissant des enquêteurs de police dont on entend dire, de plusieurs côtés, que dans les conditions incertaines des investigations menées jusqu’ici, ils ont effectué un travail de très grande qualité, efficace et irréprochablement professionnel.

Face à des menaces judiciaires pesant sur l’exécutif probablement aussi graves que celles qui contraignirent le président Nixon à la démission (mais nous ne sommes les Etats-Unis ni par la séparation des pouvoirs, ni par la religion de la loi, ni par l’assimilation du parjure à la forfaiture), le premier atout du ministre du travail sortant procède de l’adage qui veut qu’on ne soit jamais si bien servi que par soi-même.

Aux yeux du président de la République, rien ne saurait certainement mieux soutenir le dévouement et la combativité de son Garde des Sceaux que la certitude de l’intéressé (qui lui sera confirmée chaque jour à un tel poste) de se trouver placé, tel Uri au plus fort de la bataille, au premier rang des victimes d’un dénouement judiciaire défavorable de l’affaire qui est partie de son cumul de fonctions et de la confusion d’intérêts qui en découlait.

D’aucuns auront aussi la malignité de penser que lorsque sera venu pour le pouvoir le moment d’activer la disparition des juges d’instruction au profit des bien moins incommodants procureurs, l’exposition judiciaire de ce ministre de la justice substituera chez lui à l’allure de robot programmé par le président de la République qu’il a affichée dans ses responsabilités précédentes jusqu’à l’aboutissement parlementaire de la réforme des retraites, la très probable et puissante satisfaction personnelle de tenir entre ses mains une régression si protectrice.

Son second atout est d’apporter au chef de l’Etat l’assurance de disposer à la Justice d’un auxiliaire qui a fait montre pendant les mois écoulés d’une résilience hors du commun ; l’image que le ministre du travail - déjà commis à l’exécution de la réforme la plus impopulaire du quinquennat - a donnée en affrontant les révélations qui tombaient chaque jour sur les conflits d’intérêts dans lesquels il était accusé d’être compromis, a eu quelque chose de celle du boxeur saoulé de coups, bousculé d’un bord à l’autre du ring, pressé dans les cordes et qui proche du KO debout ne se résigne néanmoins pas à abandonner - tandis que son manager ne se résout pas à jeter l’éponge pour abréger la correction qu’il subit.

Il y aura assez dans ces deux atouts pour surmonter l’objection qui viendrait de ce que le choix de ce ministre-là pour le portefeuille de la justice serait celui d’un homme pourvu d’un contact trop récent avec l’ingénierie pénale - contact de surcroît cantonné à la personne et à l’enquête d’un magistrat du parquet.

Et quand bien même la réserve ne serait-elle pas complètement levée, ce qui compterait, en fin de compte, c’est que le personnage possède les ressources d’allégeance nécessaires pour fixer sa ligne de conduite ministérielle à ce qui importe par dessus tout au président : que le procès en appel à venir de l’affaire Clearstream écarte Dominique de Villepin des prochaines élections présidentielles.

Ne présente-t-il pas en effet tous les titres pour apparaître comme le plus convaincant parmi ceux dont on devine que nommés place Vendôme, ils sauraient s’employer sans relâche à mobiliser dans l’ombre les savoir faire et les expertises en petites roueries attachées à l’administration de la justice ; or, c’est là ce qui sera attendu du Garde des Sceaux : qu’il soit ‘’en cuisine’’ le relais pour les basse œuvres de la haute stratégie judiciaire qui se concevra entre conseillers élyséens, avocats et autres auxiliaires de l’incrimination pénale de l’ancien Premier ministre.

Le plus probant de ces titres étant la vive conscience qu’il ne peut manquer d’avoir de la corrélation de destin politique qui le lie au chef de l’Etat et donc à la réélection de celui-ci pour un second quinquennat - et l’homme est suffisamment averti en matière d’analyse électorale pour regarder une candidature présidentielle de Dominique de Villepin comme quasi fatale pour cette réélection.

Qui ne verrait pas d’ailleurs que les voix prises au 1er tour par l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac affaibliraient grandement la position de Nicolas Sarkozy, voire l’exposerait, en cas de multiplication des candidatures à droite, à connaître le même destin que Lionel Jospin en 2002 ?

Et, dans un scénario moins cauchemardesque pour la majorité en place, qui irait imaginer que le rival que le président-candidat s’est promis de faire pendre « à un croc de boucher » (étrange référence à un sinistre supplice hitlérien que l’indulgence commande d’attribuer à un problème récurrent de rapport à l’Histoire) appellerait ses électeurs à porter sur ce dernier leurs suffrages du second tour ?

Tout ceci concoure bien à ce que les chances du ministre du travail sortant d’être promu Garde des Sceaux trouvent un appui majeur dans la place que l’élimination judiciaire de Dominique de Villepin va tenir dans les prochains mois tant dans les calculs que dans les obsessions intimes du chef de l’Etat.


Le remaniement déjouera probablement, en totalité ou en partie, les spéculations qui ont été développées ici. En revanche, il y a fort à parier que pour la tonalité générale, c'est-à-dire pour la part qu’il fera à l’arbitraire, à l’égarement et à la provocation, il ne se positionnera pas en deçà de ce qui a été envisagé.

Il en sera ainsi parce que les nominations, promotions et renvois seront le fait du prince - avec cette circonstance aggravante que ce prince-là réunit tous les penchants politiques pervers qui font dériver un système monarchique de l’intrinsèquement mauvais au radicalement détestable.

Il existe une double consolation à cet égard : ce qui va se faire jour constituera très vraisemblablement le seul bouleversement complet de l’équipe ministérielle pour ce quinquennat, et donc l’ultime spectacle que ce dernier offrira de la marque publique de la faveur et de la défaveur du chef de l’Etat procédant, au terme d’un interminable suspense, au départage de ses courtisans ; pour la suite, il suffit d’espérer que le calamiteux mandat en cours ne sera pas renouvelé en 2012 …

Sauf que, s’agissant de l’après-2012  - et la réserve doit être tenue pour capitale -, l’élection d’un ‘’vrai’’ républicain ne signifiera pas par elle-même que la République est de retour.

Le vice monarchique n’est en effet pas entré dans nos institution en 1958 ou en 1962, ni en 2007, bien que chacune de ces dates ait marqué un palier majeur dans l’instauration d’un pouvoir personnel.

On soutiendra que la République a été polluée d’un caractère monarchique dès les commencements de la III ème du nom lorsqu’a été votée la loi sur le Septennat : en établissant le 20 novembre 1873, au bénéfice du maréchal de Mac-Mahon, une magistrature présidentielle à durée déterminée, et donc abritée de tout risque de censure par l’Assemblée (qui le 24 mai précédant avait retiré sa confiance à Adolphe Thiers, entraînant sa démission), l’instauration du septennat plaçait à la tête de l’Etat une fonction dont l’irresponsabilité qui y était attachée, hors le cas de haute trahison, renouait avec le caractère inviolable de la personne du roi.

Ce lien est d’autant plus évident que l’Assemblée nationale était très majoritairement déterminée à rétablir un roi sur le trône de France et que, par rapport à cet objectif, la loi sur le Septennat offrait l’intelligente commodité de permettre d’attendre le rappel à Dieu du comte de Chambord, ce dinosaure royal, pour proposer ensuite aux Français un prétendant plus présentable.

Et c’est autour d’un chef de l’exécutif qui avait cessé d’être responsable devant les députés que les lois constitutionnelles de 1875 se combinent et s’ordonnent, et qu’elles trouvent leur cohérence fondatrice - celle-là même qui conduit des monarchistes éclairés, entraînés par l’un des leurs qui les appelle à approuver une «constitution monarchique sans le Roi», à apporter leur voix à l’adoption d’un cadre institutionnel où une royauté de conception orléaniste pourra se glisser dans un habit fait à sa mesure.

Le calcul ayant échoué et les républicains ayant progressivement pris le contrôle de tous les organes de la République, les dispositions constitutionnelles de 1875 ne furent révisées qu’à la marge ; en particulier, et malgré l’attente des plus radicaux, la présidence de la République fut conservée avec les caractères qu’elle tirait d’avoir été imaginée comme la préfiguration d’une fonction royale restaurée.

Certes, dès l’élection de Jules Grévy, le président de la République va abandonner au chef du gouvernement une part majeure des fonctions exécutives ; désormais, la politique suivie est celle du ministère.

Mais l’effacement politique du président de la République laissait inchangée la nature essentiellement monarchique de sa charge : sur le long parcours des IIIème et IVème république, celle-ci s’est ainsi positionnée dans l’espace institutionnel comme un substitut organique à la fonction royale abolie.

Outre, et en premier lieu bien sûr, le statut d’irresponsabilité qu’elle confère à son titulaire, et outre le décorum (bien modeste à la vérité au regard des pompes, sûretés et cérémonials actuels) dont est gratifié celui-ci, quelques héritages symboliques comme le droit de grâce ou l’accréditation des ambassadeurs attestent de cette consanguinité de la présidence de la République et de la magistrature royale.

Au surplus, la relégation politique du président de la République sous l’empire des constitutions de 1875 et de 1946 est loin d’être aussi étendue qu’on s’est habitué à le penser. Et notamment, pour la IIIème république, bien moins que ne l’a laissé à croire la formule de Georges Clemenceau affirmant qu’il y avait deux organes inutiles - la prostate et le président de la République - sur quoi on a fondé l’idée de la faiblesse, voire l’inexistence, des pouvoirs exercés par les présidents d’alors.

Or, loin d’être cantonnés à « l’inauguration des chrysanthèmes et (puis) du salon de l’Auto », les présidents de la République de l’époque non seulement disposaient d’une capacité d’influence bien réelle dans le jeu politique intérieur - on n’accédait pas facilement à la direction d’un ministère contre leur antipathie, et les exemples abondent à cet égard à commencer par celui de Léon Gambetta - mais la constitution et la pratique leur réservaient un rôle prédominant dans la définition et la conduite de la politique étrangère.

La loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 dispose ainsi que le président de la République négocie et ratifie les traités (il n’y a évidemment aucun hasard dans le fait que la constitution du 4 octobre 1958 a rétabli mot pour mot à la formulation de 1875), et, qui plus est, qu’il n’en donne connaissance aux Chambres qu’à partir du moment « où l’intérêt et la sûreté de l’Etat le permettent ».

La pratique a amplement suivi la lettre et l’esprit des dispositions constitutionnelles : «Laissons ceci, messieurs, c’est l’affaire de monsieur le président de la République et de monsieur le ministre des affaires étrangères» disait Emile Combes à ses collègues à la fin des conseils des ministres lorsque l’ordre du jour ne comportait plus que les questions diplomatiques. Les présidents de la III ème République n’y seront supplantés par le président du Conseil (ou le ministre des affaires étrangères) qu’après la première guerre mondiale, la charnière se situant au moment de la négociation du Traité de Versailles très largement confisquée par Georges Clemenceau.

La conformation orléaniste de la présidence de la République a bien surplombé les institutions républicaines sous deux républiques ; au moins pour la magistrature d’influence exercée vis à vis du fonctionnement de la politique intérieure, et pour les arbitrages ou médiations que cette dernière implique, ses effets perdurent jusqu’aux présidents de la IVème république, et tout particulièrement avec Vincent Auriol : l’hôte du palais de l’Elysée ne se distingue pas alors, dans le rôle qui lui revient à cet égard, des chefs d’Etat des monarchies parlementaires d’aujourd’hui qui ont conservé des attributions politiques effectives (Espagne, Belgique et, dans une moindre mesure sans doute, Pays-Bas).

A considérer l’état d’avancement démocratique des monarchies parlementaires européennes, bien significativement supérieur au nôtre sur presque tous les points, on pourrait admettre l’idée que la république est susceptible de s’accommoder de la présence à sa tête d’une déclinaison citoyenne de la royauté.

Le raisonnement est faux en ce que la conservation dans l’organisme institutionnel de ce gêne monarchique porté par la fonction du président de la République a été, par la personnalisation de la légitimité qu’elle comportait, l’une des causes qui ont fait obstacle à ce que la vulnérabilité du corps politique à l’attraction du pouvoir personnel puisse être éradiquée en à peu près 75 ans de république.

En se consolidant et en s’établissant comme un système mixte - une législation et des organes républicains coiffés par un vestige de la fonction royale - la III ème République s’est inscrite à son tour dans une logique de conciliation contre nature entre l’esprit de la Révolution et l’aspiration (ou la résignation) au rétablissement d’un magistrature personnalisé - logique qui, quoique que ce fût alors sur un mode autocratique auquel s’opposera la forme collégiale de gouvernement des deux républiques parlementaires, est déjà à l’œuvre avec l’instauration du Consulat puis sous les deux empires bonapartistes.

Ce système mixte résulte moins d’un choix de l’aile majoritaire du parti républicain que d’une soumission aux contraintes politiques, faite d’une certaine acceptation de l’idée dominante de l’ordre des choses considéré comme condition de l’ordre social et de l’ordre public, et d’un souci d’apaisement des dissensions partisanes après une décennie d’affrontements extrêmes parachevant elle-même un siècle de révolutions.

Le compromis accepté qui signifiait qu’on passait du programme de Belleville à une république qui s’installait, sans pratiquement rien changer au décors, dans un dispositif institutionnel imprégné d’orléanisme, tenait aussi à l’amollissement des convictions militantes ; cet amollissement qui a fait que l’ambition de construire un modèle de citoyenneté conforme à l’idéal et aux principes républicains a interrompu prématurément son élan une fois réalisées les grandes conquêtes de libertés des années 1880 puis, définitivement, une fois remporté la victoire de la laïcité en 1905.

Pour la suite, la fragilisation de l’esprit républicain imputable à ce compromis, et plus particulièrement à la permanence constitutionnelle du modèle régalien de la présidence de la République, n’a pu qu’affaiblir dans l’opinion publique la résistance aux idées propagées par l’Action française puis par les ligues et factions d’extrême droite se réclamant des autocraties fascisantes. Plus tard, la propagande légitimatrice du régime de Vichy tirera à son tour tout le parti possible de la sujétion multiséculaire à la représentation personnalisée du pouvoir que le renoncement de la République à devenir authentiquement républicaine aura maintenue vivace et active dans l’esprit public.

C’est encore la même incapacité de la République à dépouiller ses institutions, et avec elles ses protocoles et ses étiquettes, des influents vestiges de la monarchie du temps de la Charte - et aussi à réviser les modes d’administration hérités du premier et du second empire - qui a fourni d’indispensables appuis à la restauration opérée après 1958 du système institutionnel orléaniste - augmenté et aggravé des mécanismes plébiscitaires qui identifient le gaullisme politique de l’après-guerre.


Cinquante ans de royauté élective justifient aujourd’hui les termes d’un proverbe bien connu : en l’espèce, c’est bien aux fruits qu’il a portés qu’on reconnaît l’arbre, et c’est bien au pouvoir personnel qui s’y déploie, à la sur-légitimation du chef de l’Etat qui y tient lieu de philosophie politique, et au champ - encore augmenté depuis 2007, et dans des proportions qu’aucun alarmisme n’aurait laissé imaginer - qui y est laissé à l’exercice de l’arbitraire que s’identifie la monarchie qui nous gouverne, constitutionnelle dans son principe et, sur la durée, successivement autoritaire puis despotique dans ses inclinations.

La Vème république n’est pas la République mais une forme monarchique de gouvernement, même si la transmission du pouvoir - formes démocratiques et représentatives obligent - y  est moins linéaire qu’en Corée du Nord, et bien que le contrôle sur les sujets y soit encore sensiblement plus lâche qu’à Rabat ou à Amman (au moins tant que les ‘’services’’ ne sont pas davantage mobilisés à cette fin).


Arrivé à ce point de l’analyse, il est temps d’être abruptement affirmatif, et de l’être en réponse à deux interrogations fondamentales.

Qu’est-ce qu’être républicain ?

C’est porter dans toutes les fibres de son être une détestation absolue et irrévocable de toute forme de pouvoir personnel - que ce soit dans l’Etat, dans la plus modeste collectivité locale, dans la sphère économique et l’entreprise, dans la sphère sociale.

Quelle barrière faut-il dresser contre le pouvoir personnel, quel moyen employer pour parvenir à son abolition ?

La réponse tient dans un principe de la médecine expérimentale : supprimez la cause et vous supprimerez les effets : puisque la présidence de la République a été le repli offert aux signes et survivances de la fonction royale du temps des constitutions républicaines, et puisque les attributions du président de la V ème république fondent depuis 1958 l’exercice d’un pouvoir personnel et forment l’assise d’une autorité monarchique, c’est bien la fonction présidentielle qu’il convient de supprimer.

Supprimer la présidence de la République est sans doute une proposition plus que déconcertante. Mais faut-il rappeler que la France a déjà connu deux périodes de son histoire contemporaine où les fonctions de chef du gouvernement et de chef de l’Etat étaient réunies en une fonction unique.

D’abord - et paradoxalement du temps de l’Assemblée de Bordeaux, puis de Versailles, à forte majorité royaliste - au bénéfice du sinistre M Thiers et sur un peu plus de deux années : le seul vrai mérite que l’Histoire pourra reconnaître à l’homme qui voulut et qui dirigea l’écrasement de la Commune, est d’avoir durant cette période porté pendant quelques mois le titre sobrement républicain de ‘’chef du pouvoir exécutif de la République française’’ (avant de recevoir quelques mois plus tard de l’Assemblée nationale celui de ‘’président de la République’’ qui s’accordait mieux à sa vanité), et d’être parvenu au fil des jours, en profitant notamment ainsi de la pesanteur des mots, à faire entrer la république par la petite porte d’un régime qui était destiné à être tout autre.

La seconde période va de 1944 à l’élection en janvier 1947 de Vincent Auriol à la présidence de la République qui marque l’installation de la IV ème république. Le général de Gaulle, Félix Gouin, Georges Bidault et Léon Blum exerceront successivement la fonction de président du gouvernement provisoire de la République.

Un pouvoir exécutif ainsi réunifié et responsable devant le Parlement, tel est bien le modèle par excellence du gouvernement républicain.

Il n’existe en regard que des variantes du système monarchique, qui toutes incorporent des principes dont chacun pris isolément montre une distance et une incompatibilité insurmontables avec ce qui fait l’essence du régime républicain ou, au minimum, une différence radicale avec ses références et ses normes. C’est exemplairement le cas du caractère inviolable que la constitution de 1791 (puisqu’il faut bien revenir à l’éclairage originel que donne notre première Loi fondamentale écrite) reconnaît au roi, et tout autant de chacun des fondamentaux de la philosophie de l’Etat qui détermine l’architecture de la Vème République.

Le système monarchique, quand il est équilibré par une constitution, n’offre d’ailleurs que deux modèles.

Dans premier le roi gouverne. Cela donne la monarchie constitutionnelle dont l’Assemblée constituante a si laborieusement tenté de dessiner les contours et qu’elle a établie pour un temps si bref. Nous y sommes revenus, et en cela nous avons remonté le cours de l’évolution des systèmes politiques jusqu’à un stade qu’on peut regarder comme pré-moderne ou comme celui d’une propédeutique de la démocratisation des monarchies.

Dans le second, la monarchie parlementaire, qui suppose que la querelle entre les deux conceptions de la royauté selon la Charte - «Le Roi règne mais ne gouverne pas» et «le Trône n’est pas un siège vide» - soit tranchée en faveur de la première, le roi n’est plus qu’un arbitre, voire un symbole.

La distance qui sépare cette monarchie-là de la république parlementaire classique (i.e. dotée d’un président-arbitre) est généralement tenue pour faible. La personnalisation du pouvoir que l’une et l’autre consentent met en avant une double excuse de nécessité : le besoin des nations en symboles unificateurs et la nécessité de disposer d’une autorité ou d’une magistrature en capacité d’arbitrer entre les organes politiques et à l’intérieur de ceux-ci.

Double raison irrecevable pour un républicain, au prix qu’elle demande : le maintien d’un trône ou l’acceptation d’une magistrature qui perpétue les signes du pouvoir monarchique et les références à la fonction royale.

Raison sans fondement au surplus parce que la République a à sa disposition tous les symboles qu’elle veut, pour peu qu’elle s’emploie à les chercher et surtout à les légitimer par les actes de son gouvernement.

Raison inacceptable surtout parce que la République n’a tout simplement pas besoin d’arbitre - c’est la société qui doit en disposer, notamment pour se prémunir d’un surcroît de judiciarisation car celle-ci exacerbe la conflictualité et contribue mécaniquement en retour à nourrir l’inflation législative.

La République a seulement besoin d’une séparation des pouvoirs, d’où procède fonctionnellement les arbitrages utiles - au moins dès lors que le pouvoir judiciaire est coiffé par une Cour constitutionnelle de plein exercice.

Et si un scrupule de prudence, s’agissant d’un pays dont l’Histoire est faite de divisions politiques et religieuses et de luttes civiles souvent meurtrières, devait néanmoins dicter la conservation d’une magistrature d’arbitrage, qu’au moins cette dernière prenne la forme d’une instance collégiale - le Conseil constitutionnel, dans ses compétences et son rôle actuels, donne assez bien l’idée de ce à quoi cette instance pourrait ressembler - plutôt que d’être confiée à un titulaire unique dont la position, de par la nature de la fonction exercée, a vocation à être attirée du côté des ressemblances et des références monarchiques.

Par dégoût de la sombre comédie en quoi consistera le remaniement promis pour les tout prochains jours, par rejet insurmontable des pratiques de pouvoir et de communication dans lesquels il va s’inscrire, et en opposition définitive au système où celles-ci se nourrissent, il faut plaider pour que la substitution d’un ‘’président du gouvernement de la République’’ au binôme monarchique actuel président-premier ministre soit reconnue comme la pierre angulaire d’une révision constitutionnelle par laquelle la France sera enfin organisée en République.

Ce ‘’président du gouvernement’’, établi dans les compétences et rétabli dans la qualité de chef du pouvoir exécutif de la République française, sera responsable devant le Parlement - l’esprit de la révision proposée s’oppose radicalement à l’idée du régime présidentiel en ce que tout mandat à durée déterminée, on y insistera jamais assez, est porteur par nature d’une qualification monarchique.

Il sera responsable, et le gouvernement avec lui, comme le sont la chancelière allemande, le président du gouvernement espagnol et le premier ministre britannique - et comme le sont, selon les modalités qui leur sont propres, tous les gouvernements des démocraties parlementaires d’Europe occidentale et nordique, et des systèmes identiques du Canada, d’Australie et de Nouvelle-Zélande.

Cette révision, par elle-même et hors la somme des modifications que la démocratisation de notre régime politique imposera d’y ajouter, n’implique pas un bouleversement complet de nos institutions.

En se limitant à son objet et à son insertion dans notre corpus institutionnel, il est assez facile de concevoir un dispositif d’application clair et simple, inspiré de l’idée du contrat de législature et régi par le mécanisme de la motion de censure constructive à l’allemande.

On y reviendra prochainement ici.

S’il fallait démontrer l’intérêt et les avantages de la reconfiguration du pouvoir exécutif qui est proposée, probablement suffirait-il d’observer qu’avec elle disparaît la notion, détestable pour tout républicain, de ‘’chef de l’Etat’’ - celle-là même dont les zélateurs de la V ème république ont fait le référentiel de leur conception du pouvoir et de l’autorité, sans mesurer qu’ils l’ont ainsi érigée en marqueur de ce qui les sépare du camp de la République.

Dans la République, le collectif des citoyens est investi de l‘administration et de la surveillance de la chose publique ; dans leur indivision perpétuelle à cet égard, ils sont par conséquent à la fois l’Etat et son chef, le terme étant compris au sens de la responsabilité civique partagée.

La République ne connaît pour le reste d’autre autorité et d’autre pouvoir que ceux légitimement attachés au mandat des magistrats qu’elle a nommés - mandat qui est soumis  impérativement à l’équilibre fixé par la loi entre les droits individuels et la poursuite de l’intérêt général, et qui s’exerce dans la stricte limite des compétences qui sont attribués aux agents publics et des obligations d’une bonne administration du bien commun.

Dans l’ordre législatif et exécutif, les magistrats de la République sont élus, leur mandat est bref et son renouvellement est limité ; ils sont par principe révocables à tout instant pour autant que la confiance leur soit retirée dans des conditions régulières et conformes à la dignité des institutions républicaines.

Dans l’ordre judiciaire, s’ils rendent leurs décisions en vertu de la loi et au nom du peuple, leur indépendance et l’étendue de la détermination qui est laissée à leur conscience sont la première garantie de la liberté et de la sécurité des citoyens.

Il est bien d’autres principes hors du respect desquels il n’y a pas de république. Ceux-là sont ceux qu'il importe d’inscrire les premiers sur les tables de la loi républicaine, ne serait-ce que pour la raison qu’en y adhérant on fortifie l’exécration de toute forme de monarchie - exécration sur laquelle, tant qu’elle a su y réunir ses citoyens, la république romaine a fondé sa vigueur.


Bû, le 9 nov. 2010


Martin Avaugour - Denis Kaplan - Jacques Langlade

En collaboration avec le collectif «Défense des maillons faibles - Non aux chargés de clientèle».
Le texte présenté a été débattu le 24 octobre 2010 devant le cercle ‘’Contre les effondrements de l’intelligence’’.