¤ EN PRÉAMBULE
…
Cet
article se réclame d’un principe aussi fondamental dans la conception d’une
démocratie moderne qu’il est méconnu dans le référentiel de notre débat public.
Un principe qui est énoncé ci-après
tel qu’il l’est dans la série danoise "Borgen" - à laquelle l’article au
demeurant se réfère – et qui veut que :
"
En démocratie, on ne gouverne pas parce
qu'on a une majorité derrière soi, mais parce qu'on n'a pas une majorité contre
soi " - i.e. en capacité
politique de remplacer le gouvernement en place pour mener une politique
différente sur laquelle elle s'est préalablement accordée.
S'ajuster sur ce principe a deux effets directs :
Ø
sur les procédures,
toute interrogation du Parlement sur la confiance que celui-ci fait, ou
continue à faire, au gouvernement passe par la preuve contraire qu'il
appartient à l'opposition d'apporter en votant une motion de censure à la
majorité absolue - y compris donc quand il s'agit de répondre à une déclaration
dit de politique générale que présente le chef du gouvernement à l'Assemblée.
L'obligation
de rendre, à l'allemande, cette motion de censure "constructive"
en y faisant figurer le nom de la personnalité qui remplacera le président du
gouvernement si elle est votée, pousse à son niveau de cohérence maximale
l'application de la règle ici défendue. On ne voit pas de meilleur gage de
stabilité qui s'allie au respect des valeurs et des conceptions qui régissent
un régime démocratique.
Ø
sur l'intellection même de la démocratie, le culte de la majorité absolue - pour la légitimation
originelle d'une majorité et de son chef, et tel que la Vème république, le
reprenant du bonapartisme plébiscitaire, n'a cessé de l'enraciner et de l’étendre
- se voit substitué le simple respect de la volonté du peuple, celle-ci
fût-elle seulement exprimée à la majorité relative.
Une
majorité ‘’simple’’ qui suffit à asseoir la légitimité des gouvernants dans les
démocraties apaisées – que ces gouvernants soient à la tête d'un parti
majoritaire, et pour cela nécessairement multi-tendances et donc, en fin de
compte, de forme plurielle (ainsi le Royaume-Uni,
contrairement à l’image faussée qu’y imprime le mode de scrutin hyper
majoritaire), ou partie-prenante à une coalition gouvernementale négociée,
construite et autorégulée dans un esprit de responsabilité ...
Un
entendement et une reconnaissance de la valeur suffisante de la majorité
relative qui, dans une France où Louis XIV et Napoléon sont enseignés comme
modèles, feraient jouer une saine pédagogie laissant espérer qu'un jour, un
vainqueur d'élection tout juste fort d'un 20 ou 25 %, voire d'un 30% des voix
au 1er tour, ne conçoive plus de se déclarer comme étant à lui seul
l'expression du choix de la majorité du corps électoral.
Et
ce qui est plus grave, comme s'il donnait au sort heureux qui lui a ouvert une
second tour gagé au binôme de tête du 1er, et au sort encore plus heureux
d'avoir affronté en finale le ou la chef de l'extrême-droite, la portée et la
valeur d'un sacre par la nation.
Ah !
Que n'aurons-nous pas entendu de totalement contraire au corpus républicain au
long de plus de six décennies de gloses sur cette fameuse "rencontre
d'un homme et de la nation" ... Exactement ce qui est
épargné à nos amis finlandais - eux qui viennent de changer de Premier(ère)
ministre en réglant en 48 h un épisode inhérent au fonctionnement normal d'une
démocratie : la perte de confiance subie par le prédécesseur.
L’évocation incantatoire de cette rencontre providentielle est bien la clé
de voute de la construction des représentations ou des mythes dont, dans sa
durée, le régime de la Vème république a tiré tout ce qu’ils offraient pour mieux
imprimer dans l’esprit public la supériorité qui serait propre au pouvoir personnel – une supériorité d’autant
plus démontrée que ce pouvoir s’affiche d’exercice
solitaire … ou jupitérien.
Mettant en avant des affirmations, des raisonnements
et des argumentaires censés être validés par l’histoire. Et des notions prétendant
s’accorder aux normes républicaines les plus constantes - alors que tout ce qui
y compte n’a strictement rien de … républicain.
Sauf à tenir la reproduction du schéma Louis-Philippe-Guizot sous les traits d’un de
Gaulle-Pompidou, d’un Giscard-Barre, d’un Sarkozy-Fillon et in fine d’un Macron-Philippe comme l’expression la plus authentique du système républicain. Alors que
ni Clemenceau, ni Léon Blum, ni Pierre Mendès France n’auraient un instant
conçu d’exercer le pouvoir exécutif de la République française sans être, en
cette responsabilité, sous le contrôle effectif d’une Chambre ou d’une
Assemblée en capacité de les censurer.
Les représentations et les mythes qui ont
ainsi été mis à l’ouvrage ne se seraient pas appropriés un champ aussi étendu
d’adhésions, y inclus celles capitalisées dans les conformismes et les paresses
de la pensée, si la réfutation républicaine avait continué à leur opposer, par
exemple, le blâme et l’objection irréductibles de Guernesey ou la force de
dénonciation du ‘’Coup d’Etat permanent’’.
Mais la Gauche, une fois revenue aux
affaires après 1981, a cessé de regarder comme son affaire tout ce qui aurait
dû lui faire tenir la conception gaullienne de l’organisation des pouvoirs publics
pour une régression politique. Une régression en deçà de la victoire de Léon Gambetta
en 1877.
__________________________
¤ L’ARTICLE … BORGEN VERSUS JUPITER
Depuis
un peu plus d’une année, la fracturation sociale – diagnostiquée pour la
première fois en 1995 -, c'est-à-dire l’émiettement de la nation entre des
catégorisations multiples, allant de séparatismes d’intérêts, socialement
protestataires chacun pour eux-mêmes, aux communautarismes les plus identitaristes,
a exposé toute l’ampleur et toute la radicalité qu’elle avait à présent
atteintes. Les colères, les passions et les déchaînements qui en ont procédé
tendent à signifier qu’on est en voie de passer au stade où il faudra parler de
désintégration sociétale.
Lorsque
la cité est à ce point en crise, une crise aussi durable, aussi profonde et
déjà aussi violente, la réponse est nécessairement de l’ordre politique. Dans
ce champ là, nombre d’acteurs et de commentateurs se sont déjà risqués à
proposer des pistes.
La
première ne tiendrait-elle pas dans la priorité que le généra de Gaulle s’était
tracée - sans bien évidemment en renvoyer aucune autre – en 1958 lors de
son retour aux affaires sous une menace de guerre civile (née de l’insoluble
conflit algérien) et dans un contexte de crise de l’Etat : commencer
par l’essentiel, « c'est-à-dire par la Constitution ».
Que le
mode de gouvernance pratiqué depuis 2017 concoure à extrémiser les conflits,
suffirait au reste à faire prévaloir cette priorité. En commençant pas ‘’tordre le coup’’ à l’idée
(multiplement récurrente) de passer à un régime présidentiel – ce qu’un ancien
président de la République a récemment préconisé, recueillant l’appui de
commentateurs parmi les plus considérés.
Certes,
supprimer la fonction d’un Premier ministre censé être le chef d’un gouvernement
qui détermine
et conduit la politique de la nation, mettrait fin à la violation de la
constitution qu’hors périodes dite de ‘’cohabitation’’, celle-ci n’a cessé de
subir de par la confiscation du pouvoir exécutif par le Président de la
République. Au demeurant, dans quel rôle d’arbitre
(par définition au-dessus des partis), et de garant des intérêts fondamentaux de la France (i.e. au-delà des enjeux partisans), ce dernier aurait-il pu se
tenir dès lors que son élection se décidait au suffrage universel direct ?
Le
processus de cette élection, destiné à réduire le départage final à deux
candidats, ne pouvant qu’attacher un caractère plébiscitaire au choix du corps
électoral – quand ce n’est pas comme en 2017, et avec les précédents de 2012 et
2002, le seul sens d’un ‘’tout mais pas
lui (ou elle’’), dont le chanceux élu s’empresse de gommer tout ce qu’il a
de très restrictif quant à la confiance dont il est investi.
Reste
que prendre ainsi le parti du régime présidentiel, c’est une fois encore
succomber à cette espèce de manie qui
consiste à se poser les mauvaises questions – moyen à peu près infaillible de
se faire, et déjà à soi-même, de fausses réponses. En l’espèce, la question
n’est assurément pas de doter de davantage de pouvoirs et de porter à son
comble l’irresponsabilité politique du monarque élu, mais de rétablir la
République dans ses fondamentaux – le premier étant le droit qui appartient à tout instant au corps politique de « demander
compte à tout agent public de son administration ».
A cet
égard, placer devant l’Assemblée nationale un président héritier direct du
maréchal de Mac-Mahon, et détenteur de l’irresponsabilité politique dévolue à
ce dernier dans l’attente d’une restauration monarchique et, partant, de la
réaffirmation de la personne inviolable
et sacrée du roi, est d’abord …
d’une improbable modernité.
Ce
président assisté des ministres qu’il choisit, nomme et révoque, renvoie encore
plus lointainement à la constitution du 3 septembre 1791 - de brève existence, comme on sait. Que le droit
de dissolution soit maintenu, et le président qui y aura recouru se retrouvera,
en cas d’échec de ses partisans aux élections législatives qui s’en suivront,
dans le type de confrontation sans issue avec l’Assemblée qui, après la
victoire du Cartel des gauches en 1924, contraignît à la démission Alexandre
Millerand (lui aussi appelait à une révision constitutionnelle visant à
renforcer les pouvoirs de l’exécutif).
Que le
droit de dissolution disparaisse et l’on en reviendra au schéma institutionnel
de la Seconde République – qui produisit, entre Président et Assemblée, la
neutralisation respective des pouvoirs qui lui était promise, jusqu’à ce que le
Prince-Président mît fin à celle-ci par le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Depuis, professeurs de droit constitutionnel
ou de science politique n’ont cessé d’enseigner à leurs étudiants qu’il fallait
se garder comme d’un fléau de ce régime de séparation absolue des pouvoirs.
A vrai
dire, le régime présidentiel, pour le seul pays qui, dans l’histoire, l’a
durablement mis en œuvre autrement que comme l’habillage d’une dictature
militaire et/ou de la domination sans partage d’une oligarchie ou d’un clan,
s’est fondé sur la conception d’une architecture institutionnelle qui
s’appuyait sur les avancées les plus incontestablement modernes de la science
politique de la fin du XVIII ème siècle : la configuration qui pouvait
alors être tenue pour l’idéal d’une monarchie constitutionnelle – mais
puisqu’il était exclu que les constituants américains, œuvrant au nom d’un
peuple élu à la création d’un monde nouveau, fussent susceptibles d’aller
chercher et de couronner le rejeton d’une vieille dynastie européenne, le
régime né de leurs travaux, incluant l’indépassable invention du fédéralisme,
devint une république.
Demeure
que sur la durée, le système américain, parce qu’il impose en permanence à ses
acteurs (qui sont certes plutôt disposés, par culture, à se plier à cet exercice)
de faire jouer une mécanique savante et compliquée de freins et de contrepoids, n’a pas été si injustement pesé le jour
où le général de Gaulle lui prêta d’aller ‘’cahin-caha’’
…
Parce
qu’il est le décalque d’une monarchie constitutionnelle – et la pratique de la
V ème république se trouve si proche ce passé là qu’il est superflu de lui
fabriquer un plus pur alliage de la monarchie de Juillet et du Second Empire
vers sa fin -, le régime présidentiel représente en France le système le plus à
même d’exciter la frustration démocratique qui, depuis l’an dernier, se
manifeste de si grand jour : confier tous les pouvoirs - l’exécutif accaparé en son entier depuis 60
ans et le législatif délégué à une majorité à laquelle il est intimé d’obéir
sans hésitation ni murmure – à un personnage qui n’aura aucun compte à rendre (sauf à la
rue !) sur toute la durée de son mandat,
irait radicalement à l’encontre de
l’attente citoyenne d’une participation politique, et d’abord d’un pouvoir de
sanction.
En
l’état de notre monarchie élective, le spectacle donné par un président jupitérien anticipe suffisamment sur l’avertissement formulé par
Alexis de Tocqueville : transposer la démocratie pratiquée en Amérique
dans un pays centralisé comme l’est la France – ajoutons : et de surcroît
historiquement impropre à la pratique du compromis pour être étranger à l’idée
que celle-ci est constitutive de la démocratie -, porterait le risque « (d’)une tyrannie pire que celle des Bourbons ».
En
revanche, le régime parlementaire, tel qu’il a été continûment ajusté à la
modernité depuis la seconde moitié du XIX ème siècle, et tel que pour la
France, il a fini par être ‘’rationalisé’’ dans la constitution de 1958 - ce
fut l’apport capital de Michel Debré -, offre le cadre d’un exercice pacifié de
la responsabilité démocratique, allié à celui des droits d’une citoyenneté
raisonnée. L’addition de l’un et l’autre s’avérant capables d’en finir avec la guerre civile froide que perpétue
notre fonctionnement institutionnel présent.
Pour
autant, en effet, qu’on y insère la part et les formes de démocratie
participative dont le corps électoral du XXI ème siècle entend disposer – avec
les encadrements indispensables à la prévention des emportements démagogiques
-, le régime parlementaire apporte seul
la garantie de pouvoir signifier à des
gouvernants qu’ils ont perdu la confiance de la nation, que leur échec ou leur discrédit excluent
qu’ils demeurent en fonction.
Une
perte de confiance signifiée par le vote d’une motion de censure - la
configuration ’’constructive’’ de
celle-ci en vigueur Outre-Rhin étant la plus exemplairement démocratique –
logiquement suivie (hors application du schéma allemand) d’une dissolution
automatique, ou par le renvoi de son leader que prononce le parti placé aux
affaires (Margaret Thatcher), ou par
un divorce survenant dans la coalition gouvernementale (Helmut Schmidt) :
autant de procédures démocratiques qu’on regardera comme mieux accordée au
souci du Bien Commun que les barricades ou les violences urbaines qui ont fini
par répondre à l’irresponsabilité quinquennale octroyée en France au chef du
pouvoir exécutif.
Responsabilité des gouvernants n’est pas instabilité : une seule motion
de censure a été votée en Allemagne depuis 1949, et les autres démocraties
parlementaires d’Europe occidentale peuvent quasiment toutes afficher le même bilan - Espagne comprise avant la crise catalane, et
jusqu’à l’Italie, dans une certaine mesure, et par rapport à l’époque où son
régime d’assemblée avait de quoi évoquer un copier-coller de notre IV ème
république.
Certes,
dans ces pays où prévalent les majorités de coalition, les formations de
gouvernements s’avèrent souvent
laborieuses. D’autant plus si leurs
démocraties (les scandinaves en particulier, mais également l’Espagne et le
Portugal) recourent à la représentation
proportionnelle.
Laquelle,
en France, est communément l’objet des réquisitoires les plus
catégoriques : parce qu’on l’associe à nos périodes d’instabilité
ministérielle chronique - qui tenaient à bien d’autres explications et,
d’abord, au faible nombre de partis vraiment structurés ; et parce qu’on
oublie, d’une part, qu’elle a cours pour les élections de nos assemblées
régionales et dans nos grandes villes pour les municipales, une prime
majoritaire (au reste très excessive pour les scrutins municipaux) y évitant l’éparpillement
des sièges, et d’autre part, que si l’exemple d’Israël lui donne à première vue
une figure d’épouvantail, l’émiettement des représentations à la Knesset
exprime en fait des clivages religieux et des différences culturelles,
sociologiques et d’origine qui tendent à infirmer l’idée d’une nation qui
serait assortie à la composante mythique du sionisme.
Que la
négociation d’un programme gouvernemental commun puisse prendre un certain temps (comme cela a été le
cas en Allemagne après les dernières élections au Bundestag), est en vérité à mettre à l’actif du régime
parlementaire.
C’est bien dans ce type de négociation, préalable à la
constitution d’une majorité de coalition, que s’élaborent les compromis dont on a rappelé qu’ils sont
l’essence de la démocratie. A cet égard le
compromis dont procède un contrat de législature conforte celui, plus
fondamental encore, entre majorité et opposition – le contrat conclu entre les
partis qui formeront le gouvernement entretient la pédagogie des légitimités
que se reconnaissent mutuellement majorité et opposition parlementaires.
Des
compromis, des contrats, des légitimités respectives qui tombent sous le sens
dans les démocraties qu’on a pris en exemple - comme la prudente mesure qui
prévaut, de longue expérience, dans la mise en application des contrats de
législature. Et qui suggèrent ce que, dans la durée, la pratique d‘un régime
parlementaire moderne est susceptible d’instaurer dans un pays dont l’imagerie
conflictuelle en est restée, finalement à peu de choses près, à la
Saint-Barthélemy, aux noyades de Nantes et à la fusillade de Fourmies : l’apparition
de rien moins que d’une démocratie de la civilité et de la permanence du
dialogue politique.
> Démocratie et compromis sont ontologiquement inséparables, ou au moins de
signification identique : le libre débat des libres opinions, au terme
duquel la démocratie consacre les choix politiques du corps citoyen, n’existe que
si les légitimités, et par conséquent les droits respectifs, de ce qui devient
– après l’expression de ces choix dans les urnes – la majorité et
l’opposition sont affectés d’une
valeur absolument égale.
À défaut de cette égalité,
qui est tout l’enjeu du compromis permanent qui définit la démocratie
politique, la majorité devient une dictature. Ce qui la rapproche alors des forces exerçant un pouvoir sans partage ni
contrepoids : au lendemain des circonstances qui les ont
vues l’emporter, s’ouvre le temps de la Terreur, du Goulag ou des camps de
rééducation maoïstes. Pour la majorité qui procède
de l’élection - et avec, pour la France, la circonstance aggravante de ce qui
serait notre attraction qualifiée (à tort) de robespierriste -, elle tend à ne
plus se distinguer de celles fondées sur le coup de force.
Autant d’enjeux capitaux derrière cette notion d’un compromis en lequel
s’identifie la démocratie :
v Un compromis qui fait
l’obligation à laquelle se soumettent au départ tous les acteurs de la
démocratie, et dont le respect, et plus encore l’intégration plénière aux
mentalités collectives, établit la seule assurance de voir perdurer un régime
démocratique.
v Et, peut-être
par-dessus tout pour ce qui est du fonctionnement régulier de ce régime, un
compromis qui se décline comme ‘’la chose la plus naturelle du monde’’
entre partenaires d’une coalition de gouvernement ou d’une fédération des
composantes de l’opposition en vue de leur retour aux affaires.
S’il faut quelquefois «des mois de négociations entre les partis pour
trouver des accords de gouvernement », ce délai traduit donc la voie
qu’une démocratie ‘’adulte’’ privilégie quand le lien entre la liberté et le
compromis a pris tout le sens et toute la place qui lui revient.
Ajoutons que quand l’accord de gouvernement prend du temps, c’est
aussi parce qu’on y cherche à distinguer entre ce qui est souhaité et ce qui
est possible ; et à dégager au total un consensus suffisant -,
non seulement dans l’équipe gouvernementale qui va se mettre au travail, mais,
dans une sorte de parallèle vertueuse, au niveau du corps politique de la
nation[1].
Tout ce
qui se donne à voir dans la très remarquable série danoise « BORGEN », au long de ses saisons et au fil de des épisodes :
une Première ministre, un gouvernement collégial et une Parlement qui
pratiquent, au milieu des autres éléments d’une société civilisée, la forme la
plus simple, la plus naturelle et la plus authentique du régime démocratique.
Une
série qui s’adresse hic et nunc aux
politiques et aux éditorialistes qui n’auraient pas eu leur compte de monarchie
plébiscitaire et qui seraient partants pour y rajouter quelques couches
supplémentaires de présidentialisme – comme
si deux années de gouvernance jupitérienne n’avaient pas suffi à combler leur
appétence pour un pouvoir fort confondu avec un pouvoir sans contrôle. Les
encourager à visionner, ou à re-visionner, chacun des épisodes de BORGEN vaut une convocation à autant de
leçons d’instruction civique.
Ils y
trouveront en outre le choc du dépaysement et celui d’un saut d’époque :
pour le premier, parce que la démocratie
danoise leur apparaîtra comme un système régissant une autre planète, ou en
tout cas dont aucun élément ne saurait leur paraître familier ; et pour le second,
parce qu’à l’instar des autres régimes du même moule – et spécialement ceux en
place d’Helsinki à La Haye, ou ceux des ex-Dominions canadiens, australiens et
néo-zélandais - cette démocratie a tout pour les renvoyer à l’archaïsme d’une
Vème république conçue en majesté et non en citoyenneté.
Une
utile confrontation en un moment où, de défiance généralisée envers les
représentants de la nation en soulèvements de toutes formes contre l’Etat, le pacte républicain qui est censé soutenir
le mouvement de notre vie démocratique, approche du degré de fragilité qui
était celui de l’Edit de Nantes quand survînt sa révocation.
D’aucuns
diraient que ‘’la cocotte-minute commence
à siffler’’. En ce qu’il est à la fois plus parlant et plus digne au regard
du sujet en cause, on privilégiera l’avertissement lancé en novembre
1953 par Pierre Mendès France: « Nous sommes en 1788 ». D’autant
qu’un instant et pour sept mois entendu, puis écarté pour des décennies, il
offre une bonne matière à réflexion dans les circonstances où Cassandre se
heurte aux surdités volontaires.
Didier LEVY – 12 décembre 2019
___________________
¤ EN APPENDICE, sous forme de considérations personnelles.
… effectivement, aucun régime n'est parfait.
Ce qui vaut en tout premier lieu
pour le régime présidentiel, et si tant est qu'hors ce qu'a paru longtemps
représenter le système américain, on en trouve un qui soit vraiment et
durablement démocratique : Uruguay, Argentine, Chili ...
Ce n'est alors que pour des
périodes soudain plus fastes que les précédentes, toujours exposées à se
refermer - en gros, au hasard d'une présidence placée sous des auspices
favorables mais d'une durée incertaine (Brésil, Chili, Mexique …). Ce qui donne,
tout bien pesé, un pastiche qui inverse les termes de son modèle : le régime
présidentiel, pour une démocratie, est le meilleur de tous, à l'exception de
tous les autres.
J'ai été assez longtemps
partisan d'une fusion des fonctions de Président de la République et de Premier
ministre, mais sous la forme que ce dispositif a connu de 1944 à la mise en
place de la IV ème république en janvier 1947. Au profit d'un "président
du gouvernement (provisoire) de la République" cumulant ces deux fonctions.
Dispositif conçu par de Gaulle à Alger et devenu parlementariste à dater de
l'élection de la première Assemblée constituante en octobre 1945.
L'âge apportant, dit-on, un peu
de raison, j'en suis venu en penser qu'un pays toujours ouvert aux grands vents
des passions politiques, et des pires du genre, toujours prêt à renouer avec
une guerre de religion, prendrait quelque risque à se dispenser d'un
président-arbitre. Arbitre, garant, assurant l'impartialité de l'Etat, et
œuvrant à l'unité de la nation et à une concorde minimale entre les
membres de celle-ci.
Le
contraire du monarque élu de La Vème république, chef du parti majoritaire (ou
de l'opposition en période de cohabitation).
Restant, certes, à trouver l'oiseau rare pour remplir ce rôle de
premier magistrat de la République se tenant au-dessus des partis ... Un regard
rétrospectif sur ceux qui ont été naguère en charge d’une fonction présidentielle
entendue de la sorte, n’en distinguera qu’un tout petit nombre à s’être placé à
ce niveau : Sadi Carnot, Emile Loubet, Armand Fallières, et, pour le moins lointain, Vincent Auriol.
Se dirait-on que pour la
majorité des titulaires à venir d’une magistrature présidentielle d’arbitrage,
de conciliation et de (bonne) influence, cette condition d’excellence serait
insusceptible d’être satisfaite, et qu’il faut en conséquence renoncer à rétablir
une présidence de la République non partisane , le régime parlementaire, quoique dès lors dépourvu de son ‘’juge de
paix’’, garderait pour lui d’être le seul à permettre la mise en jeu de la
responsabilité des gouvernants en cours de mandat (sans laquelle, à mon
sens, il n'est pas de régime démocratique - ni d’abord de ‘’soupape’’ à la
manifestation de la perte de confiance en cas d'échec flagrant sinon extrême).
Un
régime parlementaire dont,
tous exemples nous entourant à l'appui[2],
je pense que s'il intègre les règles et les procédures modernes de son fonctionnement,
il n'expose pas au risque de crises répétées et interminables qu’on lui attache.
La modernité (elle se lit ainsi
dans la rédaction de la constitution de 1958) y tenant en effet à ce que la responsabilité gouvernementale y est essentiellement
activée par le mécanisme de la motion de censure[3],
dont l’adoption est subordonné à un vote à la majorité absolue.
Un mécanisme dont l’efficacité
est sur exposée dans le "49-3"- article dont j'ai naguère défendu
dans Marianne qu'il
était le plus exemplairement démocratique de la constitution[4] -
sans espoir de convaincre grand monde dans le lectorat, tant la gauche a fait
de son usage l'équivalent d'un Dix-huit Brumaire.
>
CE
QUI EST POUR MOI UN FORMIDABLE ET CATASTROPHIQUE CONTRESENS. Et
sans doute la raison majeure du déni que subit le régime parlementaire quant à
son excellence démocratique sans partage. À travers l’imputation qui lui est
faite d’entraîner une instabilité gouvernementale – une imputation que les
faits contraires répertoriés à notre alentour invalide du tout au tout, mais
qu’entretiennent indéfiniment le désintérêt, l’ignorance et, encore plus invinciblement à ce jour, l’incompréhension absolue
dont sont l’objet les mécanismes stabilisateurs de la démocratie parlementaire.
Des mécanismes, quelque effort
qu’on fasse – à l’exemple, ici, de mon obstination à tenter de rendre les miens
un tant soit peu opérants - pour en faire pénétrer l’inattaquable conformité
démocratique et le caractère impératif de leur application, dont la logique même demeure impénétrable
par les acteurs les plus naturellement destinés à la défendre et à la
promouvoir dans le débat d’une reconstruction du pacte républicain.
La conviction ne se sépare pas
en l’espèce de la raison. On en appellera donc à l’une et à l’autre pour
conclure cet additif sur un énergique :
« Vive le 49-3 ! ».
Didier LEVY
Cet article a été partagé le même jour sur Facebook.
Précédé de cet avertissement :
¤ " L'AUTEUR N'AVAIT PAS GRAND
SUCCÈS ... ".
> LE BLOGUE "PENSERLASUBVERSION"
publie, dans une version comprenant des développements étendus, un article déjà
paru sur le blogue "Garrigues et Sentiers". Des développements
augmentés d'un "préambule" et d'un "appendice", l'ensemble
étant issu, et résultant directement, des échanges entre l'auteur et des amis
lecteurs de la première parution du texte.
Le dit auteur
sachant que la présente publication ne suscitera aucune espèce d'intérêt - en
dehors, bien entendu, de quelques lecteurs habituels qui s'attachent au devenir
de la République et au concours qu'ils ont à apporter à la reconfiguration de
celle-ci.
Il ne s'agit en
effet que du sujet de notre constitution ...
Matière jugée
ingrate. Et dont il a été depuis longtemps (six décennies de monarchie élective
et donc plébiscitaire) perdu de vue que de sa discussion ouverte et approfondie
dépend la forme que peut prendre la participation citoyenne à la refondation de
notre contrat social et de notre pacte républicain.
Didier LEVY -
21 12 2019
PENSERLASUBVERSION-DIDIERLEVY.BLOGSPOT.COM
¤ EN PRÉAMBULE … Cet article se réclame d’un principe aussi…
[1] Et ceci, un
peu malicieusement : s’il faut en passer par 2, voire dans l’exceptionnel
par 3 mois de discussions, n’est-ce pas en définitive une très conséquente
économie de temps en comparaison de semestres de face à face avec des
insurrections de ‘’Gilets Jaunes’’ dont l’existence et le mal-vivre sont
soudain découverts, ou de mois d’affrontement avec des manifestations, grèves
de services publics et fracturations sociales additives, pour cause d’une
réforme des retraites sortie du chapeau de Jupiter
au moment d’une élection plébiscitaire où la communication s’est, de longue
date, substituée au débat citoyen des idées ?
[2]
La part
étant faite aux cas aberrants – on pense à celui de la Belgique bi-nationale où
les mises en concurrence partisanes sont de ce fait dédoublées en deux langues
- avec les durées incongrues de vide gouvernemental qui peuvent en découler.
[3]
Dont l’efficacité
est encore amplifiée si elle couplée à une dissolution automatique ou à sa forme
allemande qui requiert qu’elle soit ‘’constructive’’.
[4] En ce qu’il s’allie
exemplairement au principe énoncé ci-avant en PRÉAMBULE : «En démocratie, on ne gouverne pas parce
qu'on a une majorité derrière soi, mais parce qu'on n'a pas une majorité contre
soi».