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samedi 21 décembre 2019

BORGEN VERSUS JUPITER



¤ EN PRÉAMBULE …

Cet article se réclame d’un principe aussi fondamental dans la conception d’une démocratie moderne qu’il est méconnu dans le référentiel de notre débat public. Un principe qui est énoncé ci-après tel qu’il l’est dans la série danoise "Borgen" - à laquelle l’article au demeurant se réfère – et qui veut que :

" En démocratie, on ne gouverne pas parce qu'on a une majorité derrière soi, mais parce qu'on n'a pas une majorité contre soi " - i.e. en capacité politique de remplacer le gouvernement en place pour mener une politique différente sur laquelle elle s'est préalablement accordée.

S'ajuster sur ce principe a deux effets directs :

Ø sur les procédures, toute interrogation du Parlement sur la confiance que celui-ci fait, ou continue à faire, au gouvernement passe par la preuve contraire qu'il appartient à l'opposition d'apporter en votant une motion de censure à la majorité absolue - y compris donc quand il s'agit de répondre à une déclaration dit de politique générale que présente le chef du gouvernement à l'Assemblée.

L'obligation de rendre, à l'allemande, cette motion de censure "constructive" en y faisant figurer le nom de la personnalité qui remplacera le président du gouvernement si elle est votée, pousse à son niveau de cohérence maximale l'application de la règle ici défendue. On ne voit pas de meilleur gage de stabilité qui s'allie au respect des valeurs et des conceptions qui régissent un régime démocratique.

Ø sur l'intellection même de la démocratie, le culte de la majorité absolue - pour la légitimation originelle d'une majorité et de son chef, et tel que la Vème république, le reprenant du bonapartisme plébiscitaire, n'a cessé de l'enraciner et de l’étendre - se voit substitué le simple respect de la volonté du peuple, celle-ci fût-elle seulement exprimée à la majorité relative.

Une majorité ‘’simple’’ qui suffit à asseoir la légitimité des gouvernants dans les démocraties apaisées – que ces gouvernants soient à la tête d'un parti majoritaire, et pour cela nécessairement multi-tendances et donc, en fin de compte, de forme plurielle (ainsi le Royaume-Uni, contrairement à l’image faussée qu’y imprime le mode de scrutin hyper majoritaire), ou partie-prenante à une coalition gouvernementale négociée, construite et autorégulée dans un esprit de responsabilité ...

Un entendement et une reconnaissance de la valeur suffisante de la majorité relative qui, dans une France où Louis XIV et Napoléon sont enseignés comme modèles, feraient jouer une saine pédagogie laissant espérer qu'un jour, un vainqueur d'élection tout juste fort d'un 20 ou 25 %, voire d'un 30% des voix au 1er tour, ne conçoive plus de se déclarer comme étant à lui seul l'expression du choix de la majorité du corps électoral.

Et ce qui est plus grave, comme s'il donnait au sort heureux qui lui a ouvert une second tour gagé au binôme de tête du 1er, et au sort encore plus heureux d'avoir affronté en finale le ou la chef de l'extrême-droite, la portée et la valeur d'un sacre par la nation.

Ah ! Que n'aurons-nous pas entendu de totalement contraire au corpus républicain au long de plus de six décennies de gloses sur cette fameuse "rencontre d'un homme et de la nation" ... Exactement ce qui est épargné à nos amis finlandais - eux qui viennent de changer de Premier(ère) ministre en réglant en 48 h un épisode inhérent au fonctionnement normal d'une démocratie : la perte de confiance subie par le prédécesseur.
L’évocation incantatoire de cette rencontre providentielle est bien la clé de voute de la construction des représentations ou des mythes dont, dans sa durée, le régime de la Vème république a tiré tout ce qu’ils offraient pour mieux imprimer dans l’esprit public la supériorité qui serait propre au pouvoir personnel – une supériorité d’autant plus démontrée que ce pouvoir s’affiche d’exercice solitaire … ou jupitérien.

Mettant en avant des affirmations, des raisonnements et des argumentaires censés être validés par l’histoire. Et des notions prétendant s’accorder aux normes républicaines les plus constantes - alors que tout ce qui y compte n’a strictement rien de … républicain.

Sauf à tenir la reproduction du schéma Louis-Philippe-Guizot sous les traits d’un de Gaulle-Pompidou, d’un Giscard-Barre, d’un Sarkozy-Fillon et in fine d’un Macron-Philippe comme l’expression la plus authentique du système républicain. Alors que ni Clemenceau, ni Léon Blum, ni Pierre Mendès France n’auraient un instant conçu d’exercer le pouvoir exécutif de la République française sans être, en cette responsabilité, sous le contrôle effectif d’une Chambre ou d’une Assemblée en capacité de les censurer.

Les représentations et les mythes qui ont ainsi été mis à l’ouvrage ne se seraient pas appropriés un champ aussi étendu d’adhésions, y inclus celles capitalisées dans les conformismes et les paresses de la pensée, si la réfutation républicaine avait continué à leur opposer, par exemple, le blâme et l’objection irréductibles de Guernesey ou la force de dénonciation du ‘’Coup d’Etat permanent’’.

Mais la Gauche, une fois revenue aux affaires après 1981, a cessé de regarder comme son affaire tout ce qui aurait dû lui faire tenir la conception gaullienne de l’organisation des pouvoirs publics pour une régression politique. Une régression en deçà de la victoire de Léon Gambetta en 1877.

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¤ L’ARTICLE … BORGEN VERSUS JUPITER

Depuis un peu plus d’une année, la fracturation sociale – diagnostiquée pour la première fois en 1995 -, c'est-à-dire l’émiettement de la nation entre des catégorisations multiples, allant de séparatismes d’intérêts, socialement protestataires chacun pour eux-mêmes, aux communautarismes les plus identitaristes, a exposé toute l’ampleur et toute la radicalité qu’elle avait à présent atteintes. Les colères, les passions et les déchaînements qui en ont procédé tendent à signifier qu’on est en voie de passer au stade où il faudra parler de désintégration sociétale.

Lorsque la cité est à ce point en crise, une crise aussi durable, aussi profonde et déjà aussi violente, la réponse est nécessairement de l’ordre politique. Dans ce champ là, nombre d’acteurs et de commentateurs se sont déjà risqués à proposer des pistes.

La première ne tiendrait-elle pas dans la priorité que le généra de Gaulle s’était tracée - sans bien évidemment en renvoyer aucune autre – en 1958 lors de son retour aux affaires sous une menace de guerre civile (née de l’insoluble conflit algérien) et dans un contexte de crise de l’Etat : commencer par l’essentiel, « c'est-à-dire par la Constitution ».  

Que le mode de gouvernance pratiqué depuis 2017 concoure à extrémiser les conflits, suffirait au reste à faire prévaloir cette priorité.  En commençant pas ‘’tordre le coup’’ à l’idée (multiplement récurrente) de passer à un régime présidentiel – ce qu’un ancien président de la République a récemment préconisé, recueillant l’appui de commentateurs parmi les plus considérés.

Certes, supprimer la fonction d’un Premier ministre censé être le chef d’un gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation, mettrait fin à la violation de la constitution qu’hors périodes dite de ‘’cohabitation’’, celle-ci n’a cessé de subir de par la confiscation du pouvoir exécutif par le Président de la République. Au demeurant, dans quel rôle d’arbitre (par définition au-dessus des partis), et de garant des intérêts fondamentaux de la France (i.e. au-delà des enjeux partisans), ce dernier aurait-il pu se tenir dès lors que son élection se décidait au suffrage universel direct ?

Le processus de cette élection, destiné à réduire le départage final à deux candidats, ne pouvant qu’attacher un caractère plébiscitaire au choix du corps électoral – quand ce n’est pas comme en 2017, et avec les précédents de 2012 et 2002, le seul sens d’un ‘’tout mais pas lui (ou elle’’), dont le chanceux élu s’empresse de gommer tout ce qu’il a de très restrictif quant à la confiance dont il est investi.

Reste que prendre ainsi le parti du régime présidentiel, c’est une fois encore succomber à  cette espèce de manie qui consiste à se poser les mauvaises questions – moyen à peu près infaillible de se faire, et déjà à soi-même, de fausses réponses. En l’espèce, la question n’est assurément pas de doter de davantage de pouvoirs et de porter à son comble l’irresponsabilité politique du monarque élu, mais de rétablir la République dans ses fondamentaux – le premier étant le droit qui appartient à tout instant au corps politique  de « demander compte à tout agent public de son administration ».

A cet égard, placer devant l’Assemblée nationale un président héritier direct du maréchal de Mac-Mahon, et détenteur de l’irresponsabilité politique dévolue à ce dernier dans l’attente d’une restauration monarchique et, partant, de la réaffirmation de la personne inviolable et sacrée du roi, est d’abord … d’une improbable modernité.

Ce président assisté des ministres qu’il choisit, nomme et révoque, renvoie encore plus lointainement à la constitution du 3 septembre 1791 - de  brève existence, comme on sait. Que le droit de dissolution soit maintenu, et le président qui y aura recouru se retrouvera, en cas d’échec de ses partisans aux élections législatives qui s’en suivront, dans le type de confrontation sans issue avec l’Assemblée qui, après la victoire du Cartel des gauches en 1924, contraignît à la démission Alexandre Millerand (lui aussi appelait à une révision constitutionnelle visant à renforcer les pouvoirs de l’exécutif).

Que le droit de dissolution disparaisse et l’on en reviendra au schéma institutionnel de la Seconde République – qui produisit, entre Président et Assemblée, la neutralisation respective des pouvoirs qui lui était promise, jusqu’à ce que le Prince-Président mît fin à celle-ci par le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Depuis, professeurs de droit constitutionnel ou de science politique n’ont cessé d’enseigner à leurs étudiants qu’il fallait se garder comme d’un fléau de ce régime de séparation absolue des pouvoirs.

A vrai dire, le régime présidentiel, pour le seul pays qui, dans l’histoire, l’a durablement mis en œuvre autrement que comme l’habillage d’une dictature militaire et/ou de la domination sans partage d’une oligarchie ou d’un clan, s’est fondé sur la conception d’une architecture institutionnelle qui s’appuyait sur les avancées les plus incontestablement modernes de la science politique de la fin du XVIII ème siècle : la configuration qui pouvait alors être tenue pour l’idéal d’une monarchie constitutionnelle – mais puisqu’il était exclu que les constituants américains, œuvrant au nom d’un peuple élu à la création d’un monde nouveau, fussent susceptibles d’aller chercher et de couronner le rejeton d’une vieille dynastie européenne, le régime né de leurs travaux, incluant l’indépassable invention du fédéralisme, devint une république.

Demeure que sur la durée, le système américain, parce qu’il impose en permanence à ses acteurs (qui sont certes plutôt disposés, par culture, à se plier à cet exercice) de faire jouer une mécanique savante et compliquée de freins et de contrepoids, n’a pas été si injustement pesé le jour où le général de Gaulle lui prêta d’aller ‘’cahin-caha’’ …

Parce qu’il est le décalque d’une monarchie constitutionnelle – et la pratique de la V ème république se trouve si proche ce passé là qu’il est superflu de lui fabriquer un plus pur alliage de la monarchie de Juillet et du Second Empire vers sa fin -, le régime présidentiel représente en France le système le plus à même d’exciter la frustration démocratique qui, depuis l’an dernier, se manifeste de si grand jour : confier tous les pouvoirs  - l’exécutif accaparé en son entier depuis 60 ans et le législatif délégué à une majorité à laquelle il est intimé d’obéir sans hésitation ni murmure – à un personnage qui n’aura aucun compte à rendre (sauf à la rue !) sur toute la durée de son mandat, irait radicalement à l’encontre de l’attente citoyenne d’une participation politique, et d’abord d’un pouvoir de sanction.

En l’état de notre monarchie élective, le spectacle donné par un président jupitérien anticipe  suffisamment sur l’avertissement formulé par Alexis de Tocqueville : transposer la démocratie pratiquée en Amérique dans un pays centralisé comme l’est la France – ajoutons : et de surcroît historiquement impropre à la pratique du compromis pour être étranger à l’idée que celle-ci est constitutive de la démocratie -, porterait le risque « (d’)une tyrannie pire que celle des Bourbons ».

En revanche, le régime parlementaire, tel qu’il a été continûment ajusté à la modernité depuis la seconde moitié du XIX ème siècle, et tel que pour la France, il a fini par être ‘’rationalisé’’ dans la constitution de 1958 - ce fut l’apport capital de Michel Debré -, offre le cadre d’un exercice pacifié de la responsabilité démocratique, allié à celui des droits d’une citoyenneté raisonnée. L’addition de l’un et l’autre s’avérant capables d’en finir avec la guerre civile froide que perpétue notre fonctionnement institutionnel présent.

Pour autant, en effet, qu’on y insère la part et les formes de démocratie participative dont le corps électoral du XXI ème siècle entend disposer – avec les encadrements indispensables à la prévention des emportements démagogiques -, le régime parlementaire apporte seul la garantie de pouvoir signifier à des gouvernants qu’ils ont perdu la confiance de la nation, que leur échec ou leur discrédit excluent qu’ils demeurent en fonction.

Une perte de confiance signifiée par le vote d’une motion de censure - la configuration ’’constructive’’ de celle-ci en vigueur Outre-Rhin étant la plus exemplairement démocratique – logiquement suivie (hors application du schéma allemand) d’une dissolution automatique, ou par le renvoi de son leader que prononce le parti placé aux affaires (Margaret Thatcher), ou par un divorce survenant dans la coalition gouvernementale (Helmut Schmidt) : autant de procédures démocratiques qu’on regardera comme mieux accordée au souci du Bien Commun que les barricades ou les violences urbaines qui ont fini par répondre à l’irresponsabilité quinquennale octroyée en France au chef du pouvoir exécutif.

Responsabilité des gouvernants n’est pas instabilité : une seule motion de censure a été votée en Allemagne depuis 1949, et les autres démocraties parlementaires d’Europe occidentale peuvent quasiment  toutes afficher le même bilan -  Espagne comprise avant la crise catalane, et jusqu’à l’Italie, dans une certaine mesure, et par rapport à l’époque où son régime d’assemblée avait de quoi évoquer un copier-coller de notre IV ème république.

Certes, dans ces pays où prévalent les majorités de coalition, les formations de gouvernements s’avèrent  souvent laborieuses. D’autant plus si leurs démocraties (les scandinaves en particulier, mais également l’Espagne et le Portugal) recourent à la représentation proportionnelle.

Laquelle, en France, est communément l’objet des réquisitoires les plus catégoriques : parce qu’on l’associe à nos périodes d’instabilité ministérielle chronique - qui tenaient à bien d’autres explications et, d’abord, au faible nombre de partis vraiment structurés ; et parce qu’on oublie, d’une part, qu’elle a cours pour les élections de nos assemblées régionales et dans nos grandes villes pour les municipales, une prime majoritaire (au reste très excessive pour les scrutins municipaux) y évitant l’éparpillement des sièges, et d’autre part, que si l’exemple d’Israël lui donne à première vue une figure d’épouvantail, l’émiettement des représentations à la Knesset exprime en fait des clivages religieux et des différences culturelles, sociologiques et d’origine qui tendent à infirmer l’idée d’une nation qui serait assortie à la composante mythique du sionisme.

Que la négociation d’un programme gouvernemental commun puisse prendre un certain temps (comme cela a été le cas en Allemagne après les dernières élections au Bundestag),  est en vérité à mettre à l’actif du régime parlementaire.

 C’est bien dans ce type de négociation, préalable à la constitution d’une majorité de coalition, que s’élaborent les compromis dont on a rappelé qu’ils sont l’essence de la démocratie. A cet égard le compromis dont procède un contrat de législature conforte celui, plus fondamental encore, entre majorité et opposition – le contrat conclu entre les partis qui formeront le gouvernement entretient la pédagogie des légitimités que se reconnaissent mutuellement majorité et opposition parlementaires. 

Des compromis, des contrats, des légitimités respectives qui tombent sous le sens dans les démocraties qu’on a pris en exemple - comme la prudente mesure qui prévaut, de longue expérience, dans la mise en application des contrats de législature. Et qui suggèrent ce que, dans la durée, la pratique d‘un régime parlementaire moderne est susceptible d’instaurer dans un pays dont l’imagerie conflictuelle en est restée, finalement à peu de choses près, à la Saint-Barthélemy, aux noyades de Nantes et à la fusillade de Fourmies : l’apparition de rien moins que d’une démocratie de la civilité et de la permanence du dialogue politique.


> Démocratie et compromis sont ontologiquement inséparables, ou au moins de signification identique : le libre débat des libres opinions, au terme duquel la démocratie consacre les choix politiques du corps citoyen, n’existe que si les légitimités, et par conséquent les droits respectifs, de ce qui devient – après l’expression de ces choix dans les urnes – la majorité et l’opposition sont affectés d’une valeur absolument égale.

À défaut de cette égalité, qui est tout l’enjeu du compromis permanent qui définit la démocratie politique, la majorité devient une dictature. Ce qui la rapproche alors des forces exerçant un pouvoir sans partage ni contrepoids : au lendemain des circonstances qui les ont vues l’emporter, s’ouvre le temps de la Terreur, du Goulag ou des camps de rééducation maoïstes. Pour la majorité qui procède de l’élection - et avec, pour la France, la circonstance aggravante de ce qui serait notre attraction qualifiée (à tort) de robespierriste -, elle tend à ne plus se distinguer de celles fondées sur le coup de force.


Autant d’enjeux capitaux derrière cette notion d’un compromis en lequel s’identifie la démocratie :

v Un compromis qui fait l’obligation à laquelle se soumettent au départ tous les acteurs de la démocratie, et dont le respect, et plus encore l’intégration plénière aux mentalités collectives, établit la seule assurance de voir perdurer un régime démocratique.


v Et, peut-être par-dessus tout pour ce qui est du fonctionnement régulier de ce régime, un compromis qui se décline comme ‘’la chose la plus naturelle du monde’’ entre partenaires d’une coalition de gouvernement ou d’une fédération des composantes de l’opposition en vue de leur retour aux affaires.


S’il faut quelquefois «des mois de négociations entre les partis pour trouver des accords de gouvernement », ce délai traduit donc la voie qu’une démocratie ‘’adulte’’ privilégie quand le lien entre la liberté et le compromis a pris tout le sens et toute la place qui lui revient.

Ajoutons que quand  l’accord de gouvernement prend du temps, c’est aussi parce qu’on y cherche à distinguer entre ce qui est souhaité et ce qui est possible ; et à dégager au total un consensus suffisant -, non seulement dans l’équipe gouvernementale qui va se mettre au travail, mais, dans une sorte de parallèle vertueuse, au niveau du corps politique de la nation[1].


Tout ce qui se donne à voir dans la très remarquable série danoise « BORGEN », au long de ses saisons et au fil de des épisodes : une Première ministre, un gouvernement collégial et une Parlement qui pratiquent, au milieu des autres éléments d’une société civilisée, la forme la plus simple, la plus naturelle et la plus authentique du régime démocratique.

Une série qui s’adresse hic et nunc aux politiques et aux éditorialistes qui n’auraient pas eu leur compte de monarchie plébiscitaire et qui seraient partants pour y rajouter quelques couches supplémentaires de présidentialisme – comme si deux années de gouvernance jupitérienne n’avaient pas suffi à combler leur appétence pour un pouvoir fort confondu avec un pouvoir sans contrôle. Les encourager à visionner, ou à re-visionner, chacun des épisodes de BORGEN vaut une convocation à autant de leçons d’instruction civique.

Ils y trouveront en outre le choc du dépaysement et celui d’un saut d’époque : pour le premier, parce que la démocratie danoise leur apparaîtra comme un système régissant une autre planète, ou en tout cas dont aucun élément ne saurait leur paraître familier ; et pour le second, parce qu’à l’instar des autres régimes du même moule – et spécialement ceux en place d’Helsinki à La Haye, ou ceux des ex-Dominions canadiens, australiens et néo-zélandais - cette démocratie a tout pour les renvoyer à l’archaïsme d’une Vème république conçue en majesté et non en citoyenneté.

Une utile confrontation en un moment où, de défiance généralisée envers les représentants de la nation en soulèvements de toutes formes contre l’Etat, le pacte républicain qui est censé soutenir le mouvement de notre vie démocratique, approche du degré de fragilité qui était celui de l’Edit de Nantes quand survînt sa révocation.


D’aucuns diraient que ‘’la cocotte-minute commence à siffler’’. En ce qu’il est à la fois plus parlant et plus digne au regard du sujet en cause, on privilégiera l’avertissement lancé en novembre 1953 par Pierre Mendès France: « Nous sommes en 1788 ». D’autant qu’un instant et pour sept mois entendu, puis écarté pour des décennies, il offre une bonne matière à réflexion dans les circonstances où Cassandre se heurte aux surdités volontaires.

Didier LEVY – 12 décembre 2019


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¤ EN APPENDICE, sous forme de considérations personnelles.

effectivement, aucun régime n'est parfait.

Ce qui vaut en tout premier lieu pour le régime présidentiel, et si tant est qu'hors ce qu'a paru longtemps représenter le système américain, on en trouve un qui soit vraiment et durablement démocratique : Uruguay, Argentine, Chili ...

Ce n'est alors que pour des périodes soudain plus fastes que les précédentes, toujours exposées à se refermer - en gros, au hasard d'une présidence placée sous des auspices favorables mais d'une durée incertaine (Brésil, Chili, Mexique …). Ce qui donne, tout bien pesé, un pastiche qui inverse les termes de son modèle : le régime présidentiel, pour une démocratie, est le meilleur de tous, à l'exception de tous les autres.

J'ai été assez longtemps partisan d'une fusion des fonctions de Président de la République et de Premier ministre, mais sous la forme que ce dispositif a connu de 1944 à la mise en place de la IV ème république en janvier 1947. Au profit d'un "président du gouvernement (provisoire) de la République" cumulant ces deux fonctions. Dispositif conçu par de Gaulle à Alger et devenu parlementariste à dater de l'élection de la première Assemblée constituante en octobre 1945.

L'âge apportant, dit-on, un peu de raison, j'en suis venu en penser qu'un pays toujours ouvert aux grands vents des passions politiques, et des pires du genre, toujours prêt à renouer avec une guerre de religion, prendrait quelque risque à se dispenser d'un président-arbitre. Arbitre, garant, assurant l'impartialité de l'Etat, et œuvrant à l'unité de la nation et à une concorde minimale entre les membres de celle-ci.

Le contraire du monarque élu de La Vème république, chef du parti majoritaire (ou de l'opposition en période de cohabitation).

Restant, certes, à trouver l'oiseau rare pour remplir ce rôle de premier magistrat de la République se tenant au-dessus des partis ... Un regard rétrospectif sur ceux qui ont été naguère en charge d’une fonction présidentielle entendue de la sorte, n’en distinguera qu’un tout petit nombre à s’être placé à ce niveau : Sadi Carnot, Emile Loubet, Armand Fallières, et, pour le moins lointain, Vincent Auriol.

Se dirait-on que pour la majorité des titulaires à venir d’une magistrature présidentielle d’arbitrage, de conciliation et de (bonne) influence, cette condition d’excellence serait insusceptible d’être satisfaite, et qu’il faut en conséquence renoncer à rétablir une présidence de la République non partisane , le régime parlementaire, quoique dès lors dépourvu de son ‘’juge de paix’’, garderait pour lui d’être le seul à permettre la mise en jeu de la responsabilité des gouvernants en cours de mandat (sans laquelle, à mon sens, il n'est pas de régime démocratique - ni d’abord de ‘’soupape’’ à la manifestation de la perte de confiance en cas d'échec flagrant sinon extrême).

Un régime parlementaire dont, tous exemples nous entourant à l'appui[2], je pense que s'il intègre les règles et les procédures modernes de son fonctionnement, il n'expose pas au risque de crises répétées et interminables qu’on lui attache. La modernité (elle se lit ainsi dans la rédaction de la constitution de 1958) y tenant en effet à ce que la responsabilité gouvernementale y est essentiellement activée par le mécanisme de la motion de censure[3], dont l’adoption est subordonné à un vote à la majorité absolue.

Un mécanisme dont l’efficacité est sur exposée dans le "49-3"- article dont j'ai naguère défendu dans Marianne qu'il était le plus exemplairement démocratique de la constitution[4] - sans espoir de convaincre grand monde dans le lectorat, tant la gauche a fait de son usage l'équivalent d'un Dix-huit Brumaire.

> CE QUI EST POUR MOI UN FORMIDABLE ET CATASTROPHIQUE CONTRESENS. Et sans doute la raison majeure du déni que subit le régime parlementaire quant à son excellence démocratique sans partage. À travers l’imputation qui lui est faite d’entraîner une instabilité gouvernementale – une imputation que les faits contraires répertoriés à notre alentour invalide du tout au tout, mais qu’entretiennent indéfiniment le désintérêt, l’ignorance et, encore plus invinciblement à ce jour, l’incompréhension absolue dont sont l’objet les mécanismes stabilisateurs de la démocratie parlementaire.

Des mécanismes, quelque effort qu’on fasse – à l’exemple, ici, de mon obstination à tenter de rendre les miens un tant soit peu opérants - pour en faire pénétrer l’inattaquable conformité démocratique et le caractère impératif de leur application, dont la logique même demeure impénétrable par les acteurs les plus naturellement destinés à la défendre et à la promouvoir dans le débat d’une reconstruction du pacte républicain. 

La conviction ne se sépare pas en l’espèce de la raison. On en appellera donc à l’une et à l’autre pour conclure cet additif sur un énergique :

« Vive le 49-3 ! ».

Didier LEVY



Cet article a été partagé le même jour sur Facebook. Précédé de cet avertissement :

¤ " L'AUTEUR N'AVAIT PAS GRAND SUCCÈS ... ".

> LE BLOGUE "PENSERLASUBVERSION" publie, dans une version comprenant des développements étendus, un article déjà paru sur le blogue "Garrigues et Sentiers". Des développements augmentés d'un "préambule" et d'un "appendice", l'ensemble étant issu, et résultant directement, des échanges entre l'auteur et des amis lecteurs de la première parution du texte.

Le dit auteur sachant que la présente publication ne suscitera aucune espèce d'intérêt - en dehors, bien entendu, de quelques lecteurs habituels qui s'attachent au devenir de la République et au concours qu'ils ont à apporter à la reconfiguration de celle-ci.

Il ne s'agit en effet que du sujet de notre constitution ...

Matière jugée ingrate. Et dont il a été depuis longtemps (six décennies de monarchie élective et donc plébiscitaire) perdu de vue que de sa discussion ouverte et approfondie dépend la forme que peut prendre la participation citoyenne à la refondation de notre contrat social et de notre pacte républicain.

Didier LEVY - 21 12 2019

PENSERLASUBVERSION-DIDIERLEVY.BLOGSPOT.COM
¤ EN PRÉAMBULE … Cet article se réclame d’un principe aussi…

 



[1] Et ceci, un peu malicieusement : s’il faut en passer par 2, voire dans l’exceptionnel par 3 mois de discussions, n’est-ce pas en définitive une très conséquente économie de temps en comparaison de semestres de face à face avec des insurrections de ‘’Gilets Jaunes’’ dont l’existence et le mal-vivre sont soudain découverts, ou de mois d’affrontement avec des manifestations, grèves de services publics et fracturations sociales additives, pour cause d’une réforme des retraites sortie du chapeau de Jupiter au moment d’une élection plébiscitaire où la communication s’est, de longue date, substituée au débat citoyen des idées ?
[2] La part étant faite aux cas aberrants – on pense à celui de la Belgique bi-nationale où les mises en concurrence partisanes sont de ce fait dédoublées en deux langues - avec les durées incongrues de vide gouvernemental qui peuvent en découler.
[3] Dont l’efficacité est encore amplifiée si elle couplée à une dissolution automatique ou à sa forme allemande qui requiert qu’elle soit ‘’constructive’’.
[4] En ce qu’il s’allie exemplairement au principe énoncé ci-avant en PRÉAMBULE : «En démocratie, on ne gouverne pas parce qu'on a une majorité derrière soi, mais parce qu'on n'a pas une majorité contre soi».

dimanche 3 novembre 2019

LA JUSTICE EST SAISIE DES MANQUEMENTS DU MAIRE DE NEUILLY-SUR-SEINE A L’OBLIGATION QUI LUI EST FAITE DE RESPECTER LES LOIS QUI FONDENT LA LAÏCITÉ DE LA RÉPUBLIQUE.

Un signalement, en application des dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale, de faits commis dans la ville de Neuilly-sur-Seine, département des Hauts-de-Seine, en violation de la législation en vigueur relative au caractère laïque de la République française.


Monsieur le Procureur de la République,

Par la présente lettre recommandée avec avis de réception, je porte à votre connaissance les faits suivants constitutifs de la violation susvisée :

- pour pas moins de 11 jours consécutifs, une place de la ville de Neuilly-sur-Seine vient d’être affectée à une manifestation cultuelle, au bénéfice de laquelle l’emprise concernée s’est trouvée de fait privatisée à des fins strictement confessionnelles.

- au motif de la fête de Soukkot, cet espace public a ainsi été quasi entièrement occupé par des constructions en bois dédiées à cette célébration religieuse et décorées comme telles, et plus particulièrement destinées à recevoir la figuration (Soukka) des Tentes auxquelles cette fête est dédiée.

- des constructions qui, de plus, ont rendu impossible la circulation des piétons au travers de la dite place, puisque, au milieu de celle-ci, les piétons se heurtaient à ces édifices dont l’implantation interdisait leur passage.

Il ressort de la situation ainsi créée : 

1 - que l’appropriation d'un site public pour des cérémonies et festivités confessionnelles est en contradiction flagrante avec la laïcité proclamée de la République, telle que cette laïcité est inscrite dans la Constitution et protégée par les lois qui l’organisent et la régissent.

Une contradiction notamment établie - pour les dispositions législatives qui, s’agissant du caractère laïque de la République, en forment l’arrière-plan historique le plus signifiant - par les articles 27, 28 et 29 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat.

L’article 28 disposant ainsi :

‘’ (qu’) il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ’’.

2 - que cette appropriation a été opérée sur autorisation du maire de Neuilly-sur-Seine. Une autorisation publiée sous la seule forme d’un avis affiché in situ.

Procéder sous la forme d’un simple avis, et non par la publication d’un arrêté municipal, incite fortement à penser que l’illégalité entachant cette autorisation était clairement perçue. Et qu’était prudemment tenu compte du peu de doute existant quant au fait que la juridiction administrative, saisie d’un tel arrêté, aurait annulé un acte aussi manifestement contraire au respect de la laïcité en lequel un maire a l’obligation de se tenir dans l’exercice de ses fonctions.

Sachant, en outre, que le maire de Neuilly-sur-Seine peut se voir reprocher d’avoir en l’espèce méconnu les fins assignées à la fonction de police municipale, telles que celles-ci sont définies par l’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales. En ce que les différents objets de la police municipale ont en commun de concourir à la prévention de « tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique » - la confessionnalisation d’un emplacement public comportant assurément le risque d’un trouble public, ou constituant par nature ce même trouble.

3 - que l’avis susmentionné, signé du maire et informant le public de l’affectation cultuelle que recevait l’espace public concerné, indiquait, sous cette signature, que la dite autorisation était donnée  pour une fête de la « communauté juive ».

Une assertion au demeurant inexacte en ce que, factuellement, ce sont seulement certains juifs religieux qui, pour leur propre obédience – investie d’une personnalité spirituelle très spécifique - ont sollicité du maire de Neuilly-sur-Seine, et obtenu illégalement de ce dernier, l'implantation et l'édification de l’agencement religieux correspondant à "leur Souccah’’ sur le domaine public détourné à cette fin.

Pour leur part, et à ce qui s’est vu ou su , les autres affiliations spirituelles et de sensibilité culturelle auxquels se rattachent respectivement les juifs pratiquants de la Ville, ont organisé leurs célébrations liées à la fête de Soukkot, dressage et aménagement de la Souccah inclus, dans des lieux et espaces à caractère privatif destinés ou ajustés à cet usage - comme il se doit tout naturellement s'agissant de rites et de manifestations cultuelles.

Et, surtout, une assertion qu’invalide un démenti catégorique : il n'existe pas, il ne saurait exister, de "communauté juive’’ à Neuilly-sur-Seine - pas plus qu'ailleurs sur tout le territoire de la République française. Une récusation dont le principe est de portée constitutionnelle, et dont le pendant consacre une République « Une et Indivisible ».

Un principe qui s’enracine depuis la Révolution dans la conception française de la Nation. Une conception que la République a fait sienne et dont elle n’a jamais rien retiré.

Et qui a été formulée dès les débats de l’Assemblée Constituante de décembre 1789 : tous les individus, quelle que soit leur croyance, sont des citoyens égaux, mais rien ne doit faire écran entre les individus et la Nation - aucune ‘’nation particulière’’, et en particulier se référant à une appartenance religieuse, ne peut se constituer au sein de la ’’grande Nation’.’

L’énoncé de cette conception sans doute le plus clair a été, au reste, fourni par un très éminent rabbin : « En France, il n’y a qu’une communauté, la nation ».

4 - que la violation de la législation relative à la laïcité qui fait l’objet du présent signalement a connu en 2018 un précédent qui peut être considéré comme tout aussi grave et tout aussi exemplaire.

La même place de la ville de Neuilly-sur-Seine qui vient d’être réservée à une manifestation cultuelle a en effet vu son nom d'origine - "Place Beffroy" - être changé l'an dernier en celui de "Place Joseph Sitruk, Grand Rabbin de France". La proposition en ce sens du maire ayant été approuvée – sans vote - par le conseil municipal le 28 juin 2018 (postérieurement à l’inauguration de la place sous sa nouvelle dénomination, intervenue, elle, en date du 13 mai 2018[1]).

C’était bien là une première violation, et tout aussi flagrante, des dispositions précitées de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.   

Les interpellations publiques faites alors en vain de ma part à son sujet – en direction des autorités publiques et des médias, ainsi entre autres que sur les réseaux numériques) ont notamment mis en avant ce rappel d’une notion républicaine tout à fait élémentaire : si tout justifie assurément qu'on attribue le nom de l'abbé Pierre à une rue ou autre voie ou emplacement publics, au regard de l'action sociale et humaine et des combats politiques correspondants que celui-ci a menés sa vie durant, en revanche, les principes et les règles qui entourent la séparation de l'Etat républicain d'avec les cultes, excluent qu'on puisse donner, par exemple, au parvis de Notre-Dame l'appellation de "Place du cardinal Lustiger".

Une position explicitée dans mon intervention auprès du préfet des Hauts-de-Seine, par LRAR du 20 juin 2018, qui outre la démonstration du manquement aux dispositions de l‘article 28  de la loi de 1905, faisait grief à la décision de donner à la place en cause le nom de Joseph Sitruk :

‘’ (…) eu égard au fait que celui-ci n’est cité dans cette distinction qu’au seul titre de ses mandats successifs de Grand Rabbin de France.

‘’Ce qu’expose, mot pour mot, la plaque à son nom apposée en l'ex-place Beffroy. Consacrant de la part de la mairie de Neuilly-sur-Seine une reconnaissance publique d’un mérite attaché à l’exercice de fonctions et de dignités strictement confessionnelles.

‘’Cette reconnaissance contredit manifestement l’intention de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 qui a posé que « La République ne reconnaît, (…) aucun culte »’’.

Pour illustrer mon argumentaire d’un contre-exemple, je signalais aux autorités publiques deux dénominations substitutives qu’il serait convenable de retenir si l’on voulait que l’appellation de la ci-devant place Beffroy comportât une connotation de reconnaissance et d’hommage :

·       soit vis-à-vis de la citoyenneté des Français de confession, de culture ou d’origine juive,

·       soit quant aux persécutions ayant frappé ceux-ci et à l’aide qu’ils avaient alors reçue de leurs concitoyens,

> c'est-à-dire, respectivement, « PLACE DE L’ABBÉ GRÉGOIRE » et « PLACE DE L'HOMMAGE DE LA NATION AUX JUSTES DE FRANCE [2]».

5 – que l’atteinte portée à la laïcité qui se trouve constituée dans les deux décisions prises par le maire de Neuilly-sur-Seine et analysées ci-avant, voit sa gravité singulièrement accrue par le contexte de communautarisation confessionnelle qui particularise le périmètre de rues alentour de l’ex-place Beffroy, siège de chacun de ces manquements à la laïcité et de leur répétition à un peu plus d’un an d’intervalle. 

Une communautarisation que le même maire a laissé se développer, sinon soutenue, en donnant à penser qu’il la validait en tant que revendication religieuse identitaire. Un développement qui, au fil des ans, a impacté le quartier concerné de façon de plus en plus étendue et ostensible au point d’en modifier profondément la physionomie - par la concentration de plusieurs lieux de culte (à deux rues d’écart) ainsi que d’établissements scolaires pratiquant un confessionnalisme exclusif[3] et, en quelque sorte par voie de conséquence, de multiples commerces en lien direct avec la pratique cultuelle.

Un processus qui appelle les observations et mises en garde suivantes[4] :

> Il suffit, pour mesurer les risques afférents à l’exposition d’un phénomène de communautarisation - et spécialement si celle-ci se revendique de telle croyance ou observance - d'avoir interrogé les réactions des riverains et passants découvrant que la "Place Beffroy" était devenue la "Place Joseph Sitruk". Puis leur sentiment à la vue de cette même place réservée, plusieurs jours durant, à une célébration de juifs ‘’religieux’’.

> Les critiques entendues donnent à surprendre dans un grand nombre de cas (hors réactions foncièrement antisémites très isolées), une ‘’remontée’’ spontanée de préjugés, ordinairement inertes ou enfouis chez de braves gens, visant les juifs et se référant à leur emprise sur la société ou les considérant comme un corps étranger.

> En un moment où le débat public agite ses passions, dont les pires, sur le sujet du communautarisme religieux, et sur les questions connexes – dont celle de la neutralité confessionnelle dans l’espace public, convoquée à plus ou moins bon escient, ou clairement à contresens -, rien n’est assurément plus imprudent, sinon plus irresponsable, que de délibérer le choix de transgresser les règles sur lesquelles repose la laïcité.

Outre la commission d’actes arrêtés sur ce parti que leur illégalité voue à invalidation, cette transgression comporte la méconnaissance de ce que la laïcité, dans son principe, constitue le premier barrage aux revendications ou aux prétentions identitaires qui sont sourcées dans des séparatismes de référence confessionnaliste. Garantissant conjointement la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, elle dresse ce barrage en s’adossant à l’affirmation de l’égalité des droits et à la notion républicaine sur laquelle se définit la nation.

Le cas d’espèce qui s’est fait à jour dans la ville de Neuilly-sur-Seine confirme cette constante qui veut qui tout groupe qui est porté, ou poussé, à apparaître sociétalement distinctif par l’exposition d’un différencialisme sur lequel il se réunit et tend à s’identifier, se voit imputer un communautarisme séparatif. Tout spécialement si ce différencialisme est de nature cultuelle, et que cette nature soit de manifestation ostensible ou ostentatoire.

> Par là, la double violation perpétrée par le maire de Neuilly-sur-Seine à l’encontre de la législation qui consacre le caractère laïque de la République, revêt une dimension évidente de risque social : le risque de voir les composantes du judaïsme qui, dans la Ville,  bénéficient des complaisances que le dit maire leur dispense illégalement, être irrémédiablement tenues, et en cela suivant la terminologie utilisée par l’intéressé, pour une communauté tout à fait ‘’à part ‘’.

Et partant d’être l’objet, avec en toile de fond une résurgence de l’antisémitisme tel que celui-ci a été nourri au long des siècles, de réactions instinctives de rejet et de manifestations croissantes d’hostilité. Les unes et les autres pouvant devenir de plus en plus agressives et extrémisées dans leurs formulations – et s’agissant de ces formulations, voisines de celles qu’empruntent les théories et les discours poussant actuellement à l’exclusion des Français musulmans, ciblés pour cette qualité à travers la visibilité spécifique de leur croyance (dont, à l’instar de toutes les autres, la République s’est donné l’obligation constitutionnelle de veiller au respect).

Les complaisances susvisées du maire de Neuilly-sur-Seine possédant ce facteur très aggravant que l’encouragement à des pratiques cultuelles communautaires qu’elles activent s’adresse à des familles du judaïsme, ou à des sensibilités, qui ne s’intègrent pas dans la conception de la Nation que la République a fait sienne.

Se distinguant ainsi des juifs entrés dans la citoyenneté française en 1791, ou ayant rejoint celle-ci de la fin du XIX ème siècle aux premières décennies du XX ème - après avoir fui les pogroms et les persécutions sévissant respectivement de la Russie tsariste à l’Europe centrale et orientale, ou pour avoir espéré en son refuge contre l’hitlérisme -, qui dans leur diversité ont globalement adhéré, en matière civique et du point de vue d’une civilité républicaine, à une démarche assimilationniste.  

Pour toutes ces raisons, les manquements à la laïcité qui sont portés par mon signalement soulignent que leur auteur a voulu ignorer les conséquences potentielles qui s’y attachent : le concours apporté localement à l’affaiblissement du corpus républicain et, corrélativement, la probabilité, ou la perspective, de fracturations communautaristes et d’exclusions sociétales dans la ville dont il est le premier magistrat.

Quelles que soient les motivations de cette ignorance, il paraîtrait plus qu’inconséquent  de laisser le détenteur d’une autorité publique ajouter dans son ressort des différencialismes séparatifs, et par conséquent de prédictibilité conflictuelle, à ceux déjà issus des divers référentiels religieux ; et en premier lieur de ceux qui prétendent modeler et forger des identités collectives - qu’ils viennent d’un islam fondamentaliste ou d’un ségrégationnisme historicisé qui s’invente pour racines la  filiation de ses adeptes avec le baptême de Clovis … 

C’est sur ces considérations que peut se justifier un rappel à la loi de nature à dissuader le maire de Neuilly-sur-Seine de récidiver dans ses violations de la législation relative à la laïcité. Des violations dont j’ai tenu, monsieur le Procureur de la République, à vous informer des conditions dans lesquelles elles ont été commises, ainsi que des effets qu’elles sont tout à fait susceptibles de produire.

Des effets à ce point dommageables à la tranquillité publique – dans les acceptions les plus signifiantes de notion -, qu’ils appellent à mon sens l’attention du ministère public au titre de la mission générale dont celui-ci est chargé de défendre les intérêts de la collectivité nationale.

Au vu des mêmes effets, il me semblerait profitable - et d’abord vis-à-vis des riverains et des passants dont j’ai parlé ci-avant -, que ce rappel à la loi soit affiché pendant une durée suffisante, à la charge et sous la responsabilité de la municipalité de Neuilly-sur-Seine, sur le lieu même où les dispositions illégales prises par le maire de Neuilly-sur-Seine ont été publiquement exposées.

Je joins à ce courrier le texte intégral de l’interpellation publique dont j’ai tout récemment pris l’initiative sur le sujet de mon signalement, tant en direction de concitoyens dont je connaissais l’attachement aux principes républicains et au respect de la loi, que sur les réseaux numériques. Le maire de Neuilly-sur-Seine en étant destinataire en copie.

Cette interpellation se compose d’une « LETTRE OUVERTE À M. LE MAIRE DE NEUILLY SUR SEINE », sous-titrée « EN FRANCE, IL N’Y A  QU’UNE COMMUNAUTÉ, LA NATION », et, dans un format plus resserré, d’une « ADRESSE au (…) maire de Neuilly-sur-Seine, au nom du refus du communautarisme et de la défense de la laïcité ».

Je donne également le ‘’lien’’ qui donne accès à ce texte en sa forme de pétition que je lui par ailleurs donnée. Sous cette forme, figure une vue photographique qui rend exactement compte de l'impact in situ du manquement du maire de Neuilly-sur-Seine à l’obligation de respecter la laïcité de l’espace public :



Je vous suis par avance obligé de l’attention et de la suite que vous pourrez réserver à la présente lettre porteuse de mon signalement à votre intention, et je vous prie de recevoir, monsieur le Procureur de la République, l’expression de mes salutations très respectueuses.


Didier Lévy


Copie : monsieur le maire de Neuilly-sur-Seine


P.J. :
- LETTRE OUVERTE À M. LE MAIRE DE NEUILLY SUR SEINE
- ADRESSE au  maire de Neuilly-sur-Seine





[1] Une inauguration effectuée dans des conditions rendant encore plus insigne l’atteinte qui était portée à la laïcité, puisqu’elle s'est déroulée en présence d'une ministre de la République en exercice accompagnée du préfet des Hauts-de-Seine.
[2] Cf. le texte de l’inscription inaugurée dans la crypte du Panthéon, le 18 janvier 2007, par Jacques Chirac, Président de la République, et Simone Veil, présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
[3] Lieu de culte et écoles présentement fermés pour des travaux de reconstruction qui sont engagés depuis ces derniers mois.
[4] Sans insister sur le constat d’une discrimination qui s’y ajoute : en renvoyant aux réactions qui se feraient jour si l’exposition communautaire ici décrite était le fait de Français musulmans - hypothèse qui, à l'identique, se désignerait comme radicalement contraire à la conception républicaine de la nation.