« Plus il se confirme
que je suis un ‘’sale type’’, et plus l’impunité m’est due ». Principe qui n’a pour lui que la règle posée dans toutes les
constitutions de la monarchie française : « LA PERSONNE DU ROI EST INVIOLABLE ET SACRÉE ».
‘’L’honneur perdu’’ de Nicolas SARKOZY ... Peut-on perdre
ce qu’on n’a jamais possédé ?
Un renvoi en correctionnelle et une mise en examen,
respectivement, pour le financement illégal de deux campagnes présidentielles
(2007 et 2012), une évidente implication personnelle dans l’attribution
frauduleuse des marchés de sondages commandés (en quantité effarante) par
l’Elysée sous son mandat, l’instigation et la mise en œuvre – avec une
implication personnelle encore plus évidente – de l’arbitrage ‘’bidonné’’ en
faveur du sieur Tapie … l’ancien président de la République est devenu un cas
d’école en matière de violation du devoir de probité attaché à l’exercice de la
plus haute fonction d’un Etat.
Au
point que l’affaire des écoutes ‘’bismuthiennes’’ - une tentative de corruption
entreprise (excusez du peu !) sur la personne d’un magistrat de la Cour de
cassation qui vaut à Nicolas Sarkozy d’être pour la seconde fois renvoyé en
correctionnelle -, apparaîtrait presque comme une gaminerie de sa part. Pour
peu qu’on se résignerait à relativiser les choses le concernant, cette affaire,
de même d’ailleurs que l'affaire Bygmalion,
n’évoquerait que des péchés presque véniels, et appartiendrait davantage à un affligeant
folklore politique, où l’on est jamais très éloigné de Clochemerle, qu’au
registre de la comparution devant la Haute Cour …
Sur la dernière en date des mises en examen de Nicolas
Sarkozy, à peu près tous les éditoriaux, tous les débats en plateaux et tous
les commentaires et points de vue qu'on nous y a donnés pour autorisés – que
ces derniers eussent été catégoriques (en défense) ou prudents (i.e. ménageant la chèvre et le chou) – ont
fait d’une banalité un événement.
Banalité
en ce que le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy n’a fait, en matière d’abus
de pouvoir corrélés à de ‘’sales affaires’’ financières, que pousser à leurs
plus extrêmes limites – un développement jusque là inenvisageable, il est vrai
- les caractères que le système de la
Vème république possède en commun avec les républiques bananières. Ou pour
tirer une comparaison plus parlante, avec les modes de gouvernance en vigueur
au Gabon, au Congo-Brazzaville ou au Cameroun (liste non limitative et centrée
sur le pré-carré de la Françafrique).
Banalité
surtout pour qui se donne la peine de passer en revue (comme on a commencé par
le faire - succinctement) les comptes que Nicolas Sarkozy est commis de rendre
à la justice pour les manquements qui se sont accumulés, à sa charge, durant le
temps de son mandat.
Le
financement libyen imputé à sa première candidature présidentielle se situant à
l’évidence dans l’attraction la plus directe de cette capitalisation de fautes
et d’inconduites..
Que
Nicolas Sarkozy soit aujourd’hui mis en examen pour ce financement ne devrait
appeler en réaction qu'un ‘’ENFIN !’’. Ce qui vaut, hélas, au demeurant pour
toutes les affaires où l'intéressé n’a pas encore été mis en examen. Et ce,
plus de cinq ans après avoir perdu l'immunité judiciaire attachée à la fonction
présidentielle.
Une
survivance monarchique qui n'était pas trop choquante quand elle protégeait les
présidents-arbitres de la III ème république (à compter de Jules Grévy) et de
la IV ème république. Mais une survivance qui dès lors qu’elle bénéficie à un
président du modèle Vème république, un ‘’chef de l’Etat’’ qui, exceptées les
périodes de cohabitation, a confisqué à son avantage le pouvoir exécutif en son
entier (par ce qui n'est rien d'autre – personne
ne s’en souciant, il est vrai - qu'une violation continue de la Constitution),
range le système de pouvoir de la France dans la même catégorie que les
royaumes de Jordanie et du Maroc. Monarchie héréditaire et monarchie
plébiscitaire consacrant dans la même prééminence et dans la même majesté intouchable
celui qui incarne la clé de voute du système…
Restent une
surprise, une confirmation et un étonnement.
La surprise tient à ce que l'obstination, et la
méticulosité, d'un juge auront pu aboutir à reconstituer assez de liens
probants pour que soit retenue l'existence d'indices graves et concordants
s'agissant du financement par le régime de Kadhafi de la campagne
présidentielle sakoziste de 2007.
Notre
expédition militaire sur le sol libyen n'aura donc pas suffi pour prévenir une
mise au jour inopportunément et fâcheusement étayée de ce financement ? Pour
mettre hors d’état de nuire les pourvoyeurs de fonds – tandis que nos forces
spéciales, à ce qui se dit, prenait leur part dans l’élimination physique du
tyran à demi-fou désigné dans le rôle du donateur -, et pour faire taire les
autres témoins ? Et pour faire disparaître les preuves archivées à
Tripoli, ou pour rendre improductives celles conservées dans quelques très
discrets coffres forts de nos banques, françaises ou européennes ?
Identiquement vaines auraient été ensuite des ‘’opérations spéciales’’ qu’on
imagine dédiées à des acteurs survivants aux écrits trop prolixes ou trop
précis - des survivants en sursis, personne chez ces gens-là n’étant,
semble-t-il, à l’abri d’une noyade hasardeuse dans les eaux froides et qui sait
torrentueuses du Danube …
La confirmation se trouve dans la réflexion qui comme
toujours, à propos du personnage en cause, vient spontanément à l'esprit de
l'observateur un tant soit peu réfléchi : quoiqu'il soit révélé des agissements
de Nicolas Sarkozy, quoiqu'il lui soit imputé, quoique la justice retienne à
son encontre, la question ne se pose pas vraiment de savoir s'il est, ou s'il
peut être, coupable ou non des faits qui lui sont reprochés.
Le
mouvement immédiat de la raison conduit à se dire que ces révélations, ces
imputations et ces mises en cause ciblent des actes que l'ancien président de
la République a pu, ou a dû, avoir commis parce qu'il était dans le propre de
sa nature de les commettre. Et plus encore, que tout ce que l'on sait, et tout
ce que l'on a vu de sa nature, tout ce qu'il a exposé en paroles et en actions
de cette nature, commandent la conviction, et jusque la certitude, de ce que sa
propension à commettre des actes entachés de bassesse et d’indignité a été, cas
par cas, invincible.
A
l'instar d'un parrain de la mafia ou
d’un très gros bonnet de la drogue,
la présomption de son innocence - qui s'impose certes indéfectiblement au juge
pénal - ne trace pas de chemin praticable pour l'esprit du public avisé.
Nicolas Sarkozy est de ces gens qui, dans leur registre, en ont trop fait pour
ne pas tomber sous le coup de la présomption de culpabilité. Cette présomption
à son endroit étant, pour tout dire, d'autant plus forte, eu égard à sa
personnalité, que les faits qui lui sont reprochés emportent disqualification
civique et déshonneur personnel.
Rapport
compulsif et obsessionnel à l’argent, relation pathologique à la vérité,
absence de sens moral poussée au degré de l’infirmité – un défaut absolu d’éthique
qui trouve son support dans une vulgarité d’âme répétitivement démontrée sur
trois décennies de carrière -, autant de tares qui se concentrent en cette
interpellation : quelle assurance d’honorabilité et de droiture pourrait
être recevable, fût-ce à fin d’inventaire, venant d’un homme public de cet
acabit, ou quelle caution donnée de son honnêteté ? En dehors bien sûr du
crédit inentamable que lui accorde, envers et contre tout, le camp de ses admirateurs
et particulièrement la phalange des zélotes qui se sont voués au culte de sa
personne et à la défense de sa cause.
Un
homme public qui dans toutes les déclinaisons possibles de la probité, n'a
jamais démontré que le vide abyssal auquel celle-ci se résumait chez lui. Le
réduisant à un personnage si manifestement invalide sur le terrain des facultés
morales qu'on se demande par quelle inconscience ou impudence il se risque une
nouvelle fois dans un plaidoyer pro domo
– exercice où il outrage l’intelligence citoyenne en lui prêtant d’être
accessible à d’intenables dénis.
Et quant à l'étonnement, on l’éprouve sous la forme de la
perplexité que suscite cette interrogation : pourquoi la justice s'attaque-t-elle en priorité à une instruction
aussi complexe et aussi ardue que celle du financement libyen de la candidature
sakoziste de 2007 ? Sachant combien s'avèrent immanquablement difficiles et
périlleuses, y compris dans les états de droit les plus indiscutables (et la justice y disposerait-elle de moyens
moins scandaleusement misérables que chez nous), les instructions qui entreprennent
de mettre à jour des circuits de financement politiques occultes, délictuels ou
criminels, et d'en identifier les auteurs et les bénéficiaires, les complices
et les intermédiaires ?
Une
interrogation qui se garde de faire trop peu de cas de la conscience
professionnelle et du sens du devoir dont les juges font montre en l’espèce.
Dans le droit fil du courage qui a gagné la profession, depuis quelques
récentes décennies, face aux affaires politiques. Un courage, et donc une
indépendance, qui font un contraste saisissant avec les pratiques qui sur ces
dossiers, ont antérieurement prévalu.
On
renvoie bien sûr ici plus spécialement, car elles sont sinistrement emblématiques;
à celles auxquelles des magistrats haut placés se sont abandonnées pour aider à
enfouir dans le plus durable secret la réalité de l'assassinat commis sur la personne d'un
ministre en exercice de la république. Des magistrats qui en réussissant – secondés
par leurs auxiliaires enquêteurs et aidés par la négligence, ou la complaisance,
des médecins légistes - à faire entériner la thèse invraisemblable d’un suicide
de ce ministre, ont été complices d’un double crime d’Etat : une qualification qui vaut pour l’élimination
d’un membre éminent du gouvernement des mains d’une milice privée agissant au
service d’un parti associé au pouvoir et menacé de voir révélées ses sources crapuleuses
de financement ; et tout autant, au minimum, pour l’impunité octroyée, du
plus haut niveau de la République, à cette milice privée et à ses
commanditaires.
Oui,
en ce temps là, des membres de la magistrature secondaient – connivence
partisane, ambition de carrière, habitude indurée de subordination à l’autorité
politique ? – une violation caractérisée et spectaculaire de la loi
pénale, et se faisaient partie prenante, à travers la dissimulation d’un crime,
d’une atteinte gravissime à l’état de droit délibérée par le pouvoir exécutif
et perpétrée sur ses ordres.
Ceci
étant rappelé – à savoir la très longue
éclipse vécue depuis le temps où du sein de la plus haute juridiction, était
notifié l’avertissement que « la Cour rend des arrêts et non des
services » – demeure que ce qui surprend dans la priorité qui échoit présentement
à l’instruction du financement libyen en dépit des aléas qu’elle comporte, c'est cette évidence que la justice a entre
les mains de quoi confondre sans embarras, et pouvoir punir sans délais
excessifs, l’ancien président de la république. Que dans au moins une incrimination
afférente à l’exercice de son mandat, et dans l’incrimination la plus inaccessible
au doute et la plus transparente, elle a matière à juger que Nicolas Sarkozy n'a
pas fait moins que de trahir les devoirs de sa charge - définition, faut-il le
rappeler, du crime de forfaiture.
La matière dont il s'agit est bien évidemment celle de
l'organisation, de l'orchestration et de la commission du vol pur et simple de
l'Etat dont a été constitutif le fallacieux arbitrage monté au bénéfice du
sieur Tapie. La démonstration judiciaire de ce
caractère fallacieux est acquise, et elle a été actée par une décision de
justice rendue au plus haut niveau juridictionnel (étant évidemment entendu que l’annulation de cet arbitrage ne préjuge
en rien ce qu’aurait été la décision d’un tribunal régulièrement saisi).
A
qui viendrait un atome de questionnement quant à l'implication directe et
décisionnelle de Nicolas Sarkozy dans le montage et l'exécution de cette
escroquerie commise aux dépens de la République, toutes les réponses du monde,
toutes les réponses factuelles, sont là pour rendre dérisoire son scrupule -
sincère ou partisan. Pour étayer tant la réalité que la gravité exceptionnelle
de cette implication.
Si
l’on considère ce que la forfaiture contient comme charge intrinsèque de
flétrissure, on peut se dire qu’il y aurait assez peu de sens à en différencier
les formes et les natures par les degrés respectifs d’opprobre qui s’y attacheraient.
En revanche, l’exaction découverte sous l’arbitrage dévoyé dont a bénéficié le sieur
Tapie, attribue à coup sûr à son promoteur présidentiel une forfaiture d'un
type sans précédent : en ce qu’il n'est pas d'exemple dans notre histoire,
dans la plus longue durée sous laquelle on l’envisage et sous aucun régime,
qu’un chef de l'Etat, l’un quelconque de ceux qui se sont succédé, ait été
convaincu de l’intention et de la
commission d’un vol caractérisé aux dépens de l’Etat. Remonterait-on pour en trouver la trace jusqu’à la
dynastie carolingienne.
Imagine-t-on
d’autre part qu'aucun des agents publics poursuivis, ou déjà jugés (et au demeurant avec quelle indulgence !),
pour s’être associée à cet arbitrage - dont il était clair dès le départ qu'il
avait été détourné des règles de droit régissant l’arbitrage - se serait
compromis d'une façon ou d'une autre s'il n'avait eu l'assurance d'exécuter en
l'espèce la volonté présidentielle ?
De
se ranger à une décision mûrie et configurée au "Château", et arrêtée
par Nicolas Sarkozy en personne. Une considération qui, vraisemblablement, peut
s’appliquer également au rédacteur de la sentence arbitrale, au regard des
risques personnels que sa compromission faisait courir à celui-ci.
Une faute aussi extraordinairement grave - voler
délibérément et astucieusement la République au profit d'un copain et coquin - ne saurait avoir été
instrumentée et avoir trouvé des exécutants dans les rouages les plus importants
de l'Etat - et des exécutants parmi les
moins susceptibles a priori de faillir à la probité et à l'honneur - que
comme un ordre discrétionnaire du président de la République. Que couverte par
l’autorité sans partage – et exempte du contrôle et des contrepoids qu’aménage un
Etat de droit démocratique – du détenteur d’un pouvoir personnel.
Après
tout, la faculté laissée à celui-ci d’agir comme un faussaire en mettant au
service de son caprice la garantie d’une impunité judiciaire pro temporis, doublée d’une impunité
plus étendue encore dont il devait présumer qu’elle participait de son
irresponsabilité politique perpétuelle, dessine assez bien la ‘’face noire’’ du pouvoir présidentiel qui caractérise notre étrange
république.
Une
république consulaire, une république césariste. L’exact contraire du système
politique que l’esprit républicain a conçu. Et dont le parti républicain s’est d’autant
plus forgé la conviction de l’éminence démocratique, et de la modernité, qu’il
l’a incarné dans une incessante confrontation avec les restaurations, ou les sursauts
ou soubresauts, du régime monarchique.
Et
plus encore dans son opposition irréductible aux modes plébiscitaires de
confiscation et de dénaturation de l’expression de la volonté populaire.
Au
nombre des Ultima verba hugoliens, la
radicalité du « s’il n’en reste
qu’un, je serai celui-là » restitue, en un dernier et énoncé sans
appel, la résolution de la résistance républicaine face aux subversions
récurrentes qui sont venues substituer à un gouvernement républicain un pouvoir
de type bonapartiste. Un pouvoir façonné à partir d’une confusion monarcho-plébiscitaire -
la contradiction entre les sources de légitimité propres à chaque référent
trouvant son dépassement dans la dévolution à l’exécutif d’une majesté aussi
irréfutable pour Napoléon III qu’elle était ‘’inviolable et sacrée’’ pour Louis
XVIII. Ou dans la réunion des caractères des deux majestés sur la personne d’un
‘’sauveur de la France’’ plébiscité
hors des urnes par un abandon collectif, par l’expression d’un accablement de
la nation dirigé contre elle-même.
Cet
esprit républicain qui récuse le système plébiscitaire en son entier - et dont,
dans sa dénonciation inflexible de la V ème république, Pierre Mendès France a
été sur des décennies, et au-delà de sa mort, la plus admirable incarnation - ne porte pas à
méconnaître que les gouvernements républicains défaits l’ont été par le défaut
de caractère, de conviction et de volonté d’agir du personnel politique de leur
époque.
Mais
il peut faire valoir ce qui dans les ‘’affaires Sarkozy’’, ravive la
philosophie politique dont il est porteur. En ce que parmi ces affaires, les
plus exemplaires, et en tout cas celles qui donnaient le plus de prise
immédiate à la justice, ont été empêchées de suivre leur cours normal – celui
d’un crime ou d’un délit reproché à un justiciable –par le jeu conjugué de l’immunité
judiciaire accordée au premier magistrat de la République pendant la durée de
son mandat, et de l’irresponsabilité politique dont le même est protégé à vie.
Deux
privilèges qui bénéficiant au chef du pouvoir exécutif, ou plus exactement au
détenteur exclusif de ce pouvoir, confortent, très puissamment pour le premier
et invinciblement pour le second, un pouvoir personnel assorti d’un exercice
solitaire. Des caractères conjugués et indissociables qui résument
présentement, de fait, la nature de la fonction présidentielle, sous la forme
d’une autorité politique (et de la seule autorité politique à pouvoir être tenu
stricto sensu pour telle) qui n’a de
compte à rendre à aucun autre pouvoir de la République. L’immunité judiciaire désarme le pouvoir des juges pendant cinq
ans ; l’irresponsabilité politique désarme le Parlement, la justice
et le peuple ; et ce désarmement est perpétuel.
La
conséquence qui ressort de ce double constat tient en ceci : l’abolition simultanée de cette immunité et de cette irresponsabilité désarmerait,
elle, et dans une mesure significative, le pouvoir personnel capté par le
président de la V ème république.
La disparition de l’impunité judiciaire ne demande pas d’autre effort que celui nécessaire à la
conception d’un ‘’filtre’’ – au niveau de la Cour de cassation – destiné à
éviter que le président de la République soit visé par des actions en justice
dérisoires, ou dont un calcul politicien serait l’unique ressort. Avec au
total, une régulation de leur nombre à un niveau compatible avec le
fonctionnement normal de l’institution présidentielle.
Celle de l’irresponsabilité politique est déjà acquise. La loi constitutionnelle de février 2007 a en effet
disposé (article 68) que « Le Président
de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs
manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Le législateur
constitutionnel a certes retenu une formulation restrictive, mais celle-ci ne laisse évidemment place à aucune
ambiguïté.
En
théorie, donc, la procédure prévue pour la mise en cause du président de la
République au titre article 68, aurait pu être engagée à l’encontre de Nicolas
Sarkozy, avant le terme de son mandat, sur l’imputation d’avoir commis dans l’arrangement
de ‘’l’arbitrage Tapie’’ un « manquement à ses devoirs manifestement
incompatible » avec la poursuite de l’exercice de sa fonction.
En effet, les tout premiers développements judiciaires
relatifs à cet arbitrage, à l’initiative du procureur général près la Cour de
cassation et visant Mme Lagarde, ministre en charge de l’économie, datent du
mois de mai 2011 ; et de septembre 2008, les premières auditions
de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale sur les détails de
l’affaire …
On
peut même se demander, en suivant cette reconstruction historique, si le
soupçon d’un financement libyen en 2007 de la campagne présidentielle de Nicolas
Sarkozy (les premières accusations se
sont faites jour, du côté du régime libyen, en mars et en octobre 2011)
n’aurait pas été de nature à déclencher, au niveau d’une commission d’enquête
parlementaire, une investigation préalable à une éventuelle mise en œuvre de la
procédure constitutionnelle de destitution. Etant entendu qu’il ne saurait être
exclu que le manquement pris en compte et ouvrant la possibilité de cette
destitution ait un caractère rétroactif – la rédaction de l’article 68 ne fait à
cet égard ressortir explicitement aucune condition de non rétroactivité.
Le
bon sens ne commande-t-il pas au demeurant de considérer qu’un acte très
lourdement fautif commis par un président de la République antérieurement à son
mandat en cours, mais dont la conviction de sa commission aurait été établie
pendant ce dernier, justifierait pleinement et commanderait l’ouverture d’une
procédure de destitution ? Et ce, au premier chef, dès lors que cet acte
aurait été constitutif d’une infirmation des garanties de probité personnelle
et de capacité morale à remplir les devoirs de sa charge qui sont exigées d’un chef
de l’Etat. Un acte, pour tout dire, dont la gravité serait incontestablement de
nature à le faire juger incompatible avec le maintien en fonction du président
en cause.
Autant de perspectives ouvertes par la révision constitutionnelle
de février 2007. Sauf que la faculté de mettre
fin au mandat du président de la République introduite par cette révision est
aujourd'hui inopérante, et la sanction de la destitution par conséquent inapplicable,
faute que soit intervenue (depuis 2007!) la loi organique permettant la mise en
application de l’article 68 ...
De
sorte que Nicolas Sarkozy finira
probablement par rendre à la justice les comptes qu’il lui doit – au moins sans
doute pour les incriminations qui se rapportent directement à l’exercice de son
mandat présidentiel. Mais qu’il y
viendra tardivement, et seulement par la résolution que les juges auront mis à
instruire les affaires qui le visent.
Tardivement
et difficilement parce que l’immunité judiciaire bloque les enquêtes et les
instructions pendant cinq années. Quelle entrave ensuite pour les juges quand
la justice recouvre son droit à s’exercer ! Sans compter que
l’irresponsabilité politique offre matière aux extensions les plus abusives.
Nicolas
Sarkozy en a déjà argué pour refuser de se rendre à une convocation des
magistrats. Une prétention dont on n’imagine pas un instant qu’elle puisse
résister sur le terrain du droit, ni d’ailleurs sur celui de la plus
élémentaire logique – comment soutenir
que le favoritisme qui lui est reproché dans l’affaire de l’attribution des
sondages de l’Elysée pourrait rentrer dans le cadre, et donc dans la normalité,
de l’exercice des fonctions présidentielles, et se trouver ainsi couverte par
l’impunité politique perpétuelle attachée à ces fonctions ?
Mais
le dommage qui est causé à la République du fait que la destitution du
président de la République est demeurée une dissuasion impossible à activer,
dépasse de beaucoup la personne de l’avant-dernier titulaire de la fonction.
Qui
ne voit qu’il n’est aucune commune mesure entre une sanction judiciaire
intervenant cinq, sept ou dix ans (ou davantage encore …) après le terme d’un
mandat présidentiel, pour l’un des manquements que désigne l’article 68 de la
loi constitutionnelle de février 2007, et l’opprobre qui accompagne une
destitution prononcée en cours de mandat pour réprimer la commission du même
manquement ?.
Par
là, le cas de Nicolas Sarkozy renvoie à un enjeu capital : la promotion, à travers l’institution d’une
responsabilité pleine et entière du président de la République, d’une pédagogie
permanente au service de la probité dans la vie publique. A l’usage d’un
pays qui n’a pas encore fait, à ce jour, de cette probité la condition première
de l’accomplissement d’un mandat électif et de l’exercice d’une charge
publique.
Didier
LEVY - 30 03 2018
"D'HUMEUR ET DE RAISON"
NB : pour qui n’a pas eu l’occasion de lire « Cassandre versus Sarkozy – ou comment mener
‘’le sale type’’ du discrédit à la déchéance, si besoin est »[1], figure, ci-après, un extrait de cet
ouvrage qui approfondit ce qui a été exposé dans le présent article au sujet de
l’immunité judiciaire et de l’irresponsabilité politique du président de la
République. Telles que celles-ci perdurent du fait du non aboutissement, les
concernant, de la révision constitutionnelle de février 2007.
>>> <<<
‘’ Perdure donc, dans les domaines politique
et pénal, une « inviolabilité » présidentielle, qui participe du caractère
monarchique - celui d’une monarchie élective et plébiscitaire - de la Vème
république. Un régime dans lequel le monarque règne et gouverne à la fois, en
disposant de la protection suprême déjà inscrite, suivant la même inspiration
institutionnelle, dans la Constitution de 1791 et reprise dans les Chartes
constitutionnelles de 1814 et 1830 en une formulation identique :
« La personne du roi est inviolable et sacrée
».
‘’ L’acceptation de la perpétuation de cette
immunité, absolue dans le domaine politique ou temporaire en matière pénale,
grâce à laquelle le président de la Vème république n‘a de compte à rendre
respectivement ni la nation et à ses représentants ni à la justice - ou que
tardivement pour celle-ci -, vaut critère de départage par rapport à l’adhésion
à l’esprit républicain et démocratique.
‘’ En effet, si être républicain, c’est
d’abord porter dans toutes les fibres de son être une exécration irréductible
envers toute forme de pouvoir personnel, l’idée même d’une « inviolabilité » du
chef du pouvoir exécutif de la République se trouve nécessairement englobée
dans ce rejet.
‘’ (Deux)
observations confortent ce rejet et l’explicitent :
- il est légitime et nécessaire que le premier magistrat
de la république - en ce qu’il n’est que
ceci (i.e. en ce qu’il est tenu en dehors de la fonction exécutive), ou le
chef de l’Etat dans une monarchie parlementaire, hors faute d’une gravité exceptionnelle
qui viendrait à rendre impossible l’exercice de leur fonction, ou d’une nature
qui les discréditerait personnellement, bénéficient d’une irresponsabilité
politique. Cette irresponsabilité s’accorde sans conteste à leur rôle
d’arbitre, de garant et de conciliateur au point qu’on peut la tenir pour
inséparable de l’accomplissement de chacune de ces trois missions.
- en revanche, un
régime démocratique moderne ne se conçoit pas sans que la responsabilité du
chef du pouvoir exécutif puisse à tout moment être engagée devant le Parlement
- quelles que soient les dispositions introduites dans la constitution d’un
régime parlementaire pour prévenir le risque d’une instabilité gouvernementale
: instauration d’une majorité qualifiée pour le vote d’une motion de censure,
voire d’une motion de censure ‘’constructive’’ incluant/imposant la désignation
du nouveau chef de gouvernement, mise en place d’un droit de dissolution
permettant au suffrage universel de trancher un conflit entre le législatif et
l’exécutif (ou d’une dissolution automatique au bénéfice d’un cabinet censuré),
procédures telles notre « 49.3 » donnant latitude à un gouvernement appuyé sur
une majorité seulement relative de conduire les affaires du pays …).
_________________________
[1] Essai publié sous la
forme d’un livre numérique par Books on
Demand GmbH – BoD France, et mis en vente le 18 novembre
2016, notamment sur les sites de la FNAC, d’Apple et d’Amazon. Corrélativement à la primaire de la droite pour
l’élection présidentielle de 2007, son texte est également paru le 19 octobre
2016 - sous la signature (pseudonyme) de Didier LEUWEN - sur le blogue ‘’ penserlasubversion
’’, avec le même titre et l’ajout du sous-titre « M. Sarkozy candidat, ou l’exemplarité
de l’impuni ».