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samedi 31 mars 2018

¤ LE ‘’PRINCIPE DE SARKOZY’’.


 « Plus il se confirme que je suis un ‘’sale type’’, et plus l’impunité m’est due ». Principe qui n’a pour lui que la règle posée dans toutes les constitutions de la monarchie française : « LA PERSONNE DU ROI EST INVIOLABLE ET SACRÉE ». 


‘’L’honneur perdu’’ de Nicolas SARKOZY ... Peut-on perdre ce qu’on n’a jamais possédé ?

Un renvoi en correctionnelle et une mise en examen, respectivement, pour le financement illégal de deux campagnes présidentielles (2007 et 2012), une évidente implication personnelle dans l’attribution frauduleuse des marchés de sondages commandés (en quantité effarante) par l’Elysée sous son mandat, l’instigation et la mise en œuvre – avec une implication personnelle encore plus évidente – de l’arbitrage ‘’bidonné’’ en faveur du sieur Tapie … l’ancien président de la République est devenu un cas d’école en matière de violation du devoir de probité attaché à l’exercice de la plus haute fonction d’un Etat.

Au point que l’affaire des écoutes ‘’bismuthiennes’’ - une tentative de corruption entreprise (excusez du peu !) sur la personne d’un magistrat de la Cour de cassation qui vaut à Nicolas Sarkozy d’être pour la seconde fois renvoyé en correctionnelle -, apparaîtrait presque comme une gaminerie de sa part. Pour peu qu’on se résignerait à relativiser les choses le concernant, cette affaire, de même d’ailleurs que l'affaire Bygmalion, n’évoquerait que des péchés presque véniels, et appartiendrait davantage à un affligeant folklore politique, où l’on est jamais très éloigné de Clochemerle, qu’au registre de la comparution devant la Haute Cour …


Sur la dernière en date des mises en examen de Nicolas Sarkozy, à peu près tous les éditoriaux, tous les débats en plateaux et tous les commentaires et points de vue qu'on nous y a donnés pour autorisés – que ces derniers eussent été catégoriques (en défense) ou prudents (i.e. ménageant la chèvre et le chou) – ont fait d’une banalité un événement.

Banalité en ce que le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy n’a fait, en matière d’abus de pouvoir corrélés à de ‘’sales affaires’’ financières, que pousser à leurs plus extrêmes limites – un développement jusque là inenvisageable, il est vrai -  les caractères que le système de la Vème république possède en commun avec les républiques bananières. Ou pour tirer une comparaison plus parlante, avec les modes de gouvernance en vigueur au Gabon, au Congo-Brazzaville ou au Cameroun (liste non limitative et centrée sur le pré-carré de la Françafrique).  

Banalité surtout pour qui se donne la peine de passer en revue (comme on a commencé par le faire - succinctement) les comptes que Nicolas Sarkozy est commis de rendre à la justice pour les manquements qui se sont accumulés, à sa charge, durant le temps de son mandat.

Le financement libyen imputé à sa première candidature présidentielle se situant à l’évidence dans l’attraction la plus directe de cette capitalisation de fautes et d’inconduites..

Que Nicolas Sarkozy soit aujourd’hui mis en examen pour ce financement ne devrait appeler en réaction qu'un ‘’ENFIN !’’. Ce qui vaut, hélas, au demeurant pour toutes les affaires où l'intéressé n’a pas encore été mis en examen. Et ce, plus de cinq ans après avoir perdu l'immunité judiciaire attachée à la fonction présidentielle.

Une survivance monarchique qui n'était pas trop choquante quand elle protégeait les présidents-arbitres de la III ème république (à compter de Jules Grévy) et de la IV ème république. Mais une survivance qui dès lors qu’elle bénéficie à un président du modèle Vème république, un ‘’chef de l’Etat’’ qui, exceptées les périodes de cohabitation, a confisqué à son avantage le pouvoir exécutif en son entier (par ce qui n'est rien d'autre – personne ne s’en souciant, il est vrai - qu'une violation continue de la Constitution), range le système de pouvoir de la France dans la même catégorie que les royaumes de Jordanie et du Maroc. Monarchie héréditaire et monarchie plébiscitaire consacrant dans la même prééminence et dans la même majesté intouchable celui qui incarne la clé de voute du système…


Restent une surprise, une confirmation et un étonnement.

La surprise tient à ce que l'obstination, et la méticulosité, d'un juge auront pu aboutir à reconstituer assez de liens probants pour que soit retenue l'existence d'indices graves et concordants s'agissant du financement par le régime de Kadhafi de la campagne présidentielle sakoziste de 2007.

Notre expédition militaire sur le sol libyen n'aura donc pas suffi pour prévenir une mise au jour inopportunément et fâcheusement étayée de ce financement ? Pour mettre hors d’état de nuire les pourvoyeurs de fonds – tandis que nos forces spéciales, à ce qui se dit, prenait leur part dans l’élimination physique du tyran à demi-fou désigné dans le rôle du donateur -, et pour faire taire les autres témoins ? Et pour faire disparaître les preuves archivées à Tripoli, ou pour rendre improductives celles conservées dans quelques très discrets coffres forts de nos banques, françaises ou européennes ? Identiquement vaines auraient été ensuite des ‘’opérations spéciales’’ qu’on imagine dédiées à des acteurs survivants aux écrits trop prolixes ou trop précis - des survivants en sursis, personne chez ces gens-là n’étant, semble-t-il, à l’abri d’une noyade hasardeuse dans les eaux froides et qui sait torrentueuses du Danube …

La confirmation se trouve dans la réflexion qui comme toujours, à propos du personnage en cause, vient spontanément à l'esprit de l'observateur un tant soit peu réfléchi : quoiqu'il soit révélé des agissements de Nicolas Sarkozy, quoiqu'il lui soit imputé, quoique la justice retienne à son encontre, la question ne se pose pas vraiment de savoir s'il est, ou s'il peut être, coupable ou non des faits qui lui sont reprochés.

Le mouvement immédiat de la raison conduit à se dire que ces révélations, ces imputations et ces mises en cause ciblent des actes que l'ancien président de la République a pu, ou a dû, avoir commis parce qu'il était dans le propre de sa nature de les commettre. Et plus encore, que tout ce que l'on sait, et tout ce que l'on a vu de sa nature, tout ce qu'il a exposé en paroles et en actions de cette nature, commandent la conviction, et jusque la certitude, de ce que sa propension à commettre des actes entachés de bassesse et d’indignité a été, cas par cas, invincible.

A l'instar d'un parrain de la mafia ou d’un très gros bonnet de la drogue, la présomption de son innocence - qui s'impose certes indéfectiblement au juge pénal - ne trace pas de chemin praticable pour l'esprit du public avisé. Nicolas Sarkozy est de ces gens qui, dans leur registre, en ont trop fait pour ne pas tomber sous le coup de la présomption de culpabilité. Cette présomption à son endroit étant, pour tout dire, d'autant plus forte, eu égard à sa personnalité, que les faits qui lui sont reprochés emportent disqualification civique et déshonneur personnel.

Rapport compulsif et obsessionnel à l’argent, relation pathologique à la vérité, absence de sens moral poussée au degré de l’infirmité – un défaut absolu d’éthique qui trouve son support dans une vulgarité d’âme répétitivement démontrée sur trois décennies de carrière -, autant de tares qui se concentrent en cette interpellation : quelle assurance d’honorabilité et de droiture pourrait être recevable, fût-ce à fin d’inventaire, venant d’un homme public de cet acabit, ou quelle caution donnée de son honnêteté ? En dehors bien sûr du crédit inentamable que lui accorde, envers et contre tout, le camp de ses admirateurs et particulièrement la phalange des zélotes qui se sont voués au culte de sa personne et à la défense de sa cause.

Un homme public qui dans toutes les déclinaisons possibles de la probité, n'a jamais démontré que le vide abyssal auquel celle-ci se résumait chez lui. Le réduisant à un personnage si manifestement invalide sur le terrain des facultés morales qu'on se demande par quelle inconscience ou impudence il se risque une nouvelle fois dans un plaidoyer pro domo – exercice où il outrage l’intelligence citoyenne en lui prêtant d’être accessible à d’intenables dénis.


Et quant à l'étonnement, on l’éprouve sous la forme de la perplexité que suscite cette interrogation : pourquoi la justice s'attaque-t-elle en priorité à une instruction aussi complexe et aussi ardue que celle du financement libyen de la candidature sakoziste de 2007 ? Sachant combien s'avèrent immanquablement difficiles et périlleuses, y compris dans les états de droit les plus indiscutables (et la justice y disposerait-elle de moyens moins scandaleusement misérables que chez nous), les instructions qui entreprennent de mettre à jour des circuits de financement politiques occultes, délictuels ou criminels, et d'en identifier les auteurs et les bénéficiaires, les complices et les intermédiaires ?

Une interrogation qui se garde de faire trop peu de cas de la conscience professionnelle et du sens du devoir dont les juges font montre en l’espèce. Dans le droit fil du courage qui a gagné la profession, depuis quelques récentes décennies, face aux affaires politiques. Un courage, et donc une indépendance, qui font un contraste saisissant avec les pratiques qui sur ces dossiers, ont antérieurement prévalu.

On renvoie bien sûr ici plus spécialement, car elles sont sinistrement emblématiques; à celles auxquelles des magistrats haut placés se sont abandonnées pour aider à enfouir dans le plus durable secret la réalité de  l'assassinat commis sur la personne d'un ministre en exercice de la république. Des magistrats qui en réussissant – secondés par leurs auxiliaires enquêteurs et aidés par la négligence, ou la complaisance, des médecins légistes - à faire entériner la thèse invraisemblable d’un suicide de ce ministre, ont été complices d’un double crime d’Etat :  une qualification qui vaut pour l’élimination d’un membre éminent du gouvernement des mains d’une milice privée agissant au service d’un parti associé au pouvoir et menacé de voir révélées ses sources crapuleuses de financement ; et tout autant, au minimum, pour l’impunité octroyée, du plus haut niveau de la République, à cette milice privée et à ses commanditaires.

Oui, en ce temps là, des membres de la magistrature secondaient – connivence partisane, ambition de carrière, habitude indurée de subordination à l’autorité politique ? – une violation caractérisée et spectaculaire de la loi pénale, et se faisaient partie prenante, à travers la dissimulation d’un crime, d’une atteinte gravissime à l’état de droit délibérée par le pouvoir exécutif et perpétrée sur ses ordres.     

Ceci étant rappelé – à savoir la très longue éclipse vécue depuis le temps où du sein de la plus haute juridiction, était notifié l’avertissement que « la Cour rend des arrêts et non des services » – demeure que ce qui surprend dans la priorité qui échoit présentement à l’instruction du financement libyen en dépit des aléas qu’elle comporte, c'est cette évidence que la justice a entre les mains de quoi confondre sans embarras, et pouvoir punir sans délais excessifs, l’ancien président de la république. Que dans au moins une incrimination afférente à l’exercice de son mandat, et dans l’incrimination la plus inaccessible au doute et la plus transparente, elle a matière à juger que Nicolas Sarkozy n'a pas fait moins que de trahir les devoirs de sa charge - définition, faut-il le rappeler, du crime de forfaiture.

La matière dont il s'agit est bien évidemment celle de l'organisation, de l'orchestration et de la commission du vol pur et simple de l'Etat dont a été constitutif le fallacieux arbitrage monté au bénéfice du sieur Tapie. La démonstration judiciaire de ce caractère fallacieux est acquise, et elle a été actée par une décision de justice rendue au plus haut niveau juridictionnel (étant évidemment entendu que l’annulation de cet arbitrage ne préjuge en rien ce qu’aurait été la décision d’un tribunal régulièrement saisi).

A qui viendrait un atome de questionnement quant à l'implication directe et décisionnelle de Nicolas Sarkozy dans le montage et l'exécution de cette escroquerie commise aux dépens de la République, toutes les réponses du monde, toutes les réponses factuelles, sont là pour rendre dérisoire son scrupule - sincère ou partisan. Pour étayer tant la réalité que la gravité exceptionnelle de cette implication.

Si l’on considère ce que la forfaiture contient comme charge intrinsèque de flétrissure, on peut se dire qu’il y aurait assez peu de sens à en différencier les formes et les natures par les degrés respectifs d’opprobre qui s’y attacheraient. En revanche, l’exaction découverte sous l’arbitrage dévoyé dont a bénéficié le sieur Tapie, attribue à coup sûr à son promoteur présidentiel une forfaiture d'un type sans précédent : en ce qu’il n'est pas d'exemple dans notre histoire, dans la plus longue durée sous laquelle on l’envisage et sous aucun régime, qu’un chef de l'Etat, l’un quelconque de ceux qui se sont succédé, ait été convaincu  de l’intention et de la commission d’un vol caractérisé aux dépens de l’Etat. Remonterait-on pour en trouver la trace jusqu’à la dynastie carolingienne.

Imagine-t-on d’autre part qu'aucun des agents publics poursuivis, ou déjà jugés (et au demeurant avec quelle indulgence !), pour s’être associée à cet arbitrage - dont il était clair dès le départ qu'il avait été détourné des règles de droit régissant l’arbitrage - se serait compromis d'une façon ou d'une autre s'il n'avait eu l'assurance d'exécuter en l'espèce la volonté présidentielle ?

De se ranger à une décision mûrie et configurée au "Château", et arrêtée par Nicolas Sarkozy en personne. Une considération qui, vraisemblablement, peut s’appliquer également au rédacteur de la sentence arbitrale, au regard des risques personnels que sa compromission faisait courir à celui-ci.


Une faute aussi extraordinairement grave - voler délibérément et astucieusement la République au profit d'un copain et coquin - ne saurait avoir été instrumentée et avoir trouvé des exécutants dans les rouages les plus importants de l'Etat - et des exécutants parmi les moins susceptibles a priori de faillir à la probité et à l'honneur - que comme un ordre discrétionnaire du président de la République. Que couverte par l’autorité sans partage – et exempte du contrôle et des contrepoids qu’aménage un Etat de droit démocratique – du détenteur d’un pouvoir personnel.

Après tout, la faculté laissée à celui-ci d’agir comme un faussaire en mettant au service de son caprice la garantie d’une impunité judiciaire pro temporis, doublée d’une impunité plus étendue encore dont il devait présumer qu’elle participait de son irresponsabilité politique perpétuelle, dessine assez bien la ‘’face noire’’ du pouvoir présidentiel qui caractérise notre étrange république.

Une république consulaire, une république césariste. L’exact contraire du système politique que l’esprit républicain a conçu. Et dont le parti républicain s’est d’autant plus forgé la conviction de l’éminence démocratique, et de la modernité, qu’il l’a incarné dans une incessante confrontation avec les restaurations, ou les sursauts ou soubresauts, du régime monarchique.

Et plus encore dans son opposition irréductible aux modes plébiscitaires de confiscation et de dénaturation de l’expression de la volonté populaire.

Au nombre des Ultima verba hugoliens, la radicalité du « s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là » restitue, en un dernier et énoncé sans appel, la résolution de la résistance républicaine face aux subversions récurrentes qui sont venues substituer à un gouvernement républicain un pouvoir de type bonapartiste. Un pouvoir façonné à partir d’une confusion monarcho-plébiscitaire - la contradiction entre les sources de légitimité propres à chaque référent trouvant son dépassement dans la dévolution à l’exécutif d’une majesté aussi irréfutable pour Napoléon III qu’elle était ‘’inviolable et sacrée’’ pour Louis XVIII. Ou dans la réunion des caractères des deux majestés sur la personne d’un ‘’sauveur de la France’’ plébiscité hors des urnes par un abandon collectif, par l’expression d’un accablement de la nation dirigé contre elle-même.

Cet esprit républicain qui récuse le système plébiscitaire en son entier - et dont, dans sa dénonciation inflexible de la V ème république, Pierre Mendès France a été sur des décennies, et au-delà de sa mort,  la plus admirable incarnation - ne porte pas à méconnaître que les gouvernements républicains défaits l’ont été par le défaut de caractère, de conviction et de volonté d’agir du personnel politique de leur époque.

Mais il peut faire valoir ce qui dans les ‘’affaires Sarkozy’’, ravive la philosophie politique dont il est porteur. En ce que parmi ces affaires, les plus exemplaires, et en tout cas celles qui donnaient le plus de prise immédiate à la justice, ont été empêchées de suivre leur cours normal – celui d’un crime ou d’un délit reproché à un justiciable –par le jeu conjugué de l’immunité judiciaire accordée au premier magistrat de la République pendant la durée de son mandat, et de l’irresponsabilité politique dont le même est protégé à vie.

Deux privilèges qui bénéficiant au chef du pouvoir exécutif, ou plus exactement au détenteur exclusif de ce pouvoir, confortent, très puissamment pour le premier et invinciblement pour le second, un pouvoir personnel assorti d’un exercice solitaire. Des caractères conjugués et indissociables qui résument présentement, de fait, la nature de la fonction présidentielle, sous la forme d’une autorité politique (et de la seule autorité politique à pouvoir être tenu stricto sensu pour telle) qui n’a de compte à rendre à aucun autre pouvoir de la République. L’immunité judiciaire désarme le pouvoir des juges pendant cinq ans ; l’irresponsabilité politique désarme le Parlement,  la justice et le peuple ; et ce désarmement est perpétuel.

La conséquence qui ressort de ce double constat tient en ceci : l’abolition simultanée de cette  immunité et de cette irresponsabilité désarmerait, elle, et dans une mesure significative, le pouvoir personnel capté par le président de la V ème république.

La disparition de l’impunité judiciaire ne demande pas d’autre effort que celui nécessaire à la conception d’un ‘’filtre’’ – au niveau de la Cour de cassation – destiné à éviter que le président de la République soit visé par des actions en justice dérisoires, ou dont un calcul politicien serait l’unique ressort. Avec au total, une régulation de leur nombre à un niveau compatible avec le fonctionnement normal de l’institution présidentielle.

Celle de l’irresponsabilité politique est déjà acquise. La loi constitutionnelle de février 2007 a en effet disposé (article 68) que « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Le législateur constitutionnel a certes retenu une formulation restrictive, mais  celle-ci ne laisse évidemment place à aucune ambiguïté.

En théorie, donc, la procédure prévue pour la mise en cause du président de la République au titre article 68, aurait pu être engagée à l’encontre de Nicolas Sarkozy, avant le terme de son mandat, sur l’imputation d’avoir commis dans l’arrangement de ‘’l’arbitrage Tapie’’ un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible » avec la poursuite de l’exercice de sa fonction.

En effet, les tout premiers développements judiciaires relatifs à cet arbitrage, à l’initiative du procureur général près la Cour de cassation et visant Mme Lagarde, ministre en charge de l’économie, datent du mois de mai 2011 ; et de septembre 2008, les premières auditions de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale sur les détails de l’affaire …

On peut même se demander, en suivant cette reconstruction historique, si le soupçon d’un financement libyen en 2007 de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy (les premières accusations se sont faites jour, du côté du régime libyen, en mars et en octobre 2011) n’aurait pas été de nature à déclencher, au niveau d’une commission d’enquête parlementaire, une investigation préalable à une éventuelle mise en œuvre de la procédure constitutionnelle de destitution. Etant entendu qu’il ne saurait être exclu que le manquement pris en compte et ouvrant la possibilité de cette destitution ait un caractère rétroactif – la rédaction de l’article 68 ne fait à cet égard ressortir explicitement aucune condition de non rétroactivité.

Le bon sens ne commande-t-il pas au demeurant de considérer qu’un acte très lourdement fautif commis par un président de la République antérieurement à son mandat en cours, mais dont la conviction de sa commission aurait été établie pendant ce dernier, justifierait pleinement et commanderait l’ouverture d’une procédure de destitution ? Et ce, au premier chef, dès lors que cet acte aurait été constitutif d’une infirmation des garanties de probité personnelle et de capacité morale à remplir les devoirs de sa charge qui sont exigées d’un chef de l’Etat. Un acte, pour tout dire, dont la gravité serait incontestablement de nature à le faire juger incompatible avec le maintien en fonction du président en cause.


Autant de perspectives ouvertes par la révision constitutionnelle de février 2007. Sauf que la faculté de mettre fin au mandat du président de la République introduite par cette révision est aujourd'hui inopérante, et la sanction de la destitution par conséquent inapplicable, faute que soit intervenue (depuis 2007!) la loi organique permettant la mise en application de l’article 68  ...

De sorte que Nicolas Sarkozy  finira probablement par rendre à la justice les comptes qu’il lui doit – au moins sans doute pour les incriminations qui se rapportent directement à l’exercice de son mandat présidentiel.  Mais qu’il y viendra tardivement, et seulement par la résolution que les juges auront mis à instruire les affaires qui le visent.

Tardivement et difficilement parce que l’immunité judiciaire bloque les enquêtes et les instructions pendant cinq années. Quelle entrave ensuite pour les juges quand la justice recouvre son droit à s’exercer ! Sans compter que l’irresponsabilité politique offre matière aux extensions les plus abusives.

Nicolas Sarkozy en a déjà argué pour refuser de se rendre à une convocation des magistrats. Une prétention dont on n’imagine pas un instant qu’elle puisse résister sur le terrain du droit, ni d’ailleurs sur celui de la plus élémentaire logique – comment soutenir que le favoritisme qui lui est reproché dans l’affaire de l’attribution des sondages de l’Elysée pourrait rentrer dans le cadre, et donc dans la normalité, de l’exercice des fonctions présidentielles, et se trouver ainsi couverte par l’impunité politique perpétuelle attachée à ces fonctions ?

Mais le dommage qui est causé à la République du fait que la destitution du président de la République est demeurée une dissuasion impossible à activer, dépasse de beaucoup la personne de l’avant-dernier titulaire de la fonction.

Qui ne voit qu’il n’est aucune commune mesure entre une sanction judiciaire intervenant cinq, sept ou dix ans (ou davantage encore …) après le terme d’un mandat présidentiel, pour l’un des manquements que désigne l’article 68 de la loi constitutionnelle de février 2007, et l’opprobre qui accompagne une destitution prononcée en cours de mandat pour réprimer la commission du même manquement ?.

Par là, le cas de Nicolas Sarkozy renvoie à un enjeu capital : la promotion, à travers l’institution d’une responsabilité pleine et entière du président de la République, d’une pédagogie permanente au service de la probité dans la vie publique. A l’usage d’un pays qui n’a pas encore fait, à ce jour, de cette probité la condition première de l’accomplissement d’un mandat électif et de l’exercice d’une charge publique.

Didier LEVY - 30 03 2018

"D'HUMEUR ET DE RAISON"

NB : pour qui n’a pas eu l’occasion de lire « Cassandre versus Sarkozy – ou comment mener ‘’le sale type’’ du discrédit à la déchéance, si besoin est »[1], figure, ci-après, un extrait de cet ouvrage qui approfondit ce qui a été exposé dans le présent article au sujet de l’immunité judiciaire et de l’irresponsabilité politique du président de la République. Telles que celles-ci perdurent du fait du non aboutissement, les concernant, de la révision constitutionnelle de février 2007.
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‘’ Perdure donc, dans les domaines politique et pénal, une « inviolabilité » présidentielle, qui participe du caractère monarchique - celui d’une monarchie élective et plébiscitaire - de la Vème république. Un régime dans lequel le monarque règne et gouverne à la fois, en disposant de la protection suprême déjà inscrite, suivant la même inspiration institutionnelle, dans la Constitution de 1791 et reprise dans les Chartes constitutionnelles de 1814 et 1830 en une formulation identique :

« La personne du roi est inviolable et sacrée ».

‘’ L’acceptation de la perpétuation de cette immunité, absolue dans le domaine politique ou temporaire en matière pénale, grâce à laquelle le président de la Vème république n‘a de compte à rendre respectivement ni la nation et à ses représentants ni à la justice - ou que tardivement pour celle-ci -, vaut critère de départage par rapport à l’adhésion à l’esprit républicain et démocratique.
‘’ En effet, si être républicain, c’est d’abord porter dans toutes les fibres de son être une exécration irréductible envers toute forme de pouvoir personnel, l’idée même d’une « inviolabilité » du chef du pouvoir exécutif de la République se trouve nécessairement englobée dans ce rejet.

‘’ (Deux) observations confortent ce rejet et l’explicitent :

- il est légitime et nécessaire que le premier magistrat de la république - en ce qu’il n’est que ceci (i.e. en ce qu’il est tenu en dehors de la fonction exécutive), ou le chef de l’Etat dans une monarchie parlementaire, hors faute d’une gravité exceptionnelle qui viendrait à rendre impossible l’exercice de leur fonction, ou d’une nature qui les discréditerait personnellement, bénéficient d’une irresponsabilité politique. Cette irresponsabilité s’accorde sans conteste à leur rôle d’arbitre, de garant et de conciliateur au point qu’on peut la tenir pour inséparable de l’accomplissement de chacune de ces trois missions.
- en revanche, un régime démocratique moderne ne se conçoit pas sans que la responsabilité du chef du pouvoir exécutif puisse à tout moment être engagée devant le Parlement - quelles que soient les dispositions introduites dans la constitution d’un régime parlementaire pour prévenir le risque d’une instabilité gouvernementale : instauration d’une majorité qualifiée pour le vote d’une motion de censure, voire d’une motion de censure ‘’constructive’’ incluant/imposant la désignation du nouveau chef de gouvernement, mise en place d’un droit de dissolution permettant au suffrage universel de trancher un conflit entre le législatif et l’exécutif (ou d’une dissolution automatique au bénéfice d’un cabinet censuré), procédures telles notre « 49.3 » donnant latitude à un gouvernement appuyé sur une majorité seulement relative de conduire les affaires du pays …). 
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[1] Essai publié sous la forme d’un livre numérique par Books on Demand GmbH BoD France, et mis en vente le 18 novembre 2016, notamment sur les sites de la FNAC, d’Apple et d’Amazon. Corrélativement à la primaire de la droite pour l’élection présidentielle de 2007, son texte est également paru le 19 octobre 2016 - sous la signature (pseudonyme) de Didier LEUWEN - sur le blogue ‘’ penserlasubversion ’’, avec le même titre et l’ajout du sous-titre « M. Sarkozy candidat, ou l’exemplarité de l’impuni ».