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jeudi 18 avril 2024

¤ L'ETRANGER LEUR ENNEMI : APRES LECTURE DE L’ARTICLE « ON EST CHEZ NOUS ».

 


OU : LES MIGRANTS ET L’IMAGINAIRE DE LA CONQUETE :

(Une réflexion théologico-politique sur le monde présent à partir du livre biblique de Josué)

 

 Publiée le 15 avril 2024 par ‘’Garrigues et Sentiers’’

http://www.garriguesetsentiers.org/2024/03/on-est-chez-nous.une-reflexion-theologico-politique-sur-le-monde-present-a-partir-du-livre-biblique-de-josue.html

 

… APRES LECTURE DE CET ARTICLE TITRÉ « ON EST CHEZ NOUS »

 

Le blogue ‘’Garrigues et Sentiers’ publie une réflexion, oh combien profonde et éclairante, sur l’une des plus anciennes contaminations auquel est exposé l’esprit humain et qui agit par réactivations inépuisables, brutales et presque irrésistibles.

 

Une réflexion particulièrement salutaire sur les origines et la nature de ce « On est chez nous » qui se crie dans « (les) états de transe qui (…) font oublier la Loi, et commettre les pires horreurs ». Et qu’on n’avait pas entendu crier si fort, en Europe au moins, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Une mobilisation de la peur et de la haine dont l’appel se hurle actuellement en tant de points du monde. Pour que les abandonnés le soient jusqu’à ce que leur mort s’en suive, et pour que leur sang soit versé si la faim ou la maladie, le froid ou la noyade, les précipices ou les bombes ne pourvoient pas assez vite à leur disparition.

 

De Calais à Jéricho, et de la ville antique d’Aï à - de nouveau - Calais, se confirme qu’on ne voue à ce genre d’anathème que par ignorance de l’altérité – l’ignorance la plus crasse qui éteint, qu’importe le nom donné à la sollicitude pour le prochain, la charité ou à la fraternité, et qui s’entête par ce qu’elle comporte de volontaire ; et cet anathème est toujours énoncé par une ‘’tête mal faite’’, le plus souvent au nom de la vénération fanatique d’un littéralisme religieux, ou sous les formes appelées à se conjoindre de l’identitarisme, de la xénophobie et du racisme.

 

‘’Têtes mal faites’’ ? Est-il plus indulgente imputation s’agissant des politiques qui mettent en avant leur foi catholique, affirment combattre pour les ‘’valeurs chrétiennes’’, ou appellent à inscrire nos ‘’racines chrétiennes’’ dans la Constitution d’une république laïque, tout en ne cessant pas de proposer des lois ou de défendre des amendements dans le but invariable de rejeter davantage de migrants ?

 

Que ceux-ci, avec femmes et enfants, tentent de fuir la famine, le plus profond de la misère, une tyrannie de la plus terrible cruauté, ou les déchainements d’une guerre qui rend leur pays invivable. D’autres imputations, incluses la schizophrénie et la mauvaise foi la plus insigne, viennent plus spontanément à l’esprit lorsque ces politiques défilent à la ‘’Manif’ pour tous’’, ou s’indignent du déplacement de la statue d’un saint hors d’une place publique, alors qu’aucun scrupule ne parait effleurer leur conscience quand leurs lois font se noyer en Méditerranée des milliers et des milliers de leurs ‘’prochains’’, auxquels s’ajoutent les victimes de la Manche, plus les centaines d’autres migrants qui trouvent la mort dans les précipices de nos frontières alpines.

 

De la Logan qui transporte nos « trois intrigants » à la cachette qui s’est vue offerte aux espions de Jéricho, une conviction se forme : « les trois acolytes de Calais (…), le sourire aux lèvres » d’avoir affublé d’un ‘’smiley’’ les roches disposées par des indifférences faites d’une pierre encore plus dure, et la très lucide et secourable prostituée Rahab ont leur place parmi les Justes – une place peut-être désignée par le même ‘’ruban rouge’’.

 

Pour faire prévaloir l’espérance du Bien, l’inépuisable exégèse de la numérologie du judaïsme ne fige pas à dix le nombre minimal requis de ces Justes. Et, pour la lointaine descendance de Rahab qui peint ces ‘’smiley’’, le chiffre de 3 suffit à valider leur salutaire provocation face au crétinisme qui éructe le rejet, le mépris et l’exécration – d’autant que pour les chrétiens qu’ils sont, ce ‘’3’’ s’accorde à des symboliques mêlées qui résonnent en leur cœur.

 

On ne donne pas une conclusion à une lecture comme celle-ci. Comme on n’en trouve pas à la colère trop vive, ni à la compassion pénétrante. Mais on peut retenir de ce qu’on a lu le renfort d’une ligne de conduite : « … faire apparaître les aveuglements, (…) c’est donn(er) à voir, juste là, sous nos yeux, si ordinaire et si quotidien, le péché du monde ». 

Le « On est chez nous », qui récuse l’altérité, montre chaque jour, et à tous nos alentours, comme il l’a fait si répétitivement au long des Histoires, qu’il est affiché au centre de ce « péché du monde ».

 

> Un article suivant de ‘’Garrigues et Sentiers’’ résume magnifiquement l’inspiration de la ligne de conduite qu’on a vu ainsi se dessiner. En formulant la raison en laquelle se reconnait L’Évangile : « le prochain est l’étrange ou l’étranger, celui qui ne me ressemble pas, qui s’approche de moi et en appelle à ma responsabilité ».

 

Didier LEVY – 18 avril 2024

¤ EXCISION : APPEL EN SOUTIEN À UNE PÉTITION.

 

 CONTRE LE RETOUR DE L’EXCISION EN GAMBIE

 https://secure.avaaz.org/campaign/fr/fgm_gambia_fr_llc_a/?copy

 

¤ L’EXCISION EST LA PIRE DES PIRES ABOMINATIONS

       INVENTÉES PAR LE CERVEAU HUMAIN.

 

 De ces abominations contre lesquelles toutes les ressources de l’intelligence et de la fraternité doivent sans répit se mobiliser.

 

OUI toutes,  car elles ne sont pas de trop - LES VOTRES NE SONT PAS DE TROP - pour parvenir à éradiquer à jamais, et partout, l’horreur des mutilations sexuelles féminines.

 

Et avec elles, toutes les indignités, cruautés, outrages et autres violences physiques et morales perpétrées depuis des millénaires à l’encontre des femmes de par les prescriptions délirantes de sorciers, de religieux en tous genres, de législateurs ancrés dans leurs arriérations. Tous  en proie à la démence de leurs obsessions.

 

OUI, avec ces mutilations abominables, et avec les souffrances indicibles qu'elles provoquent et toutes les suites qu'elles entrainent, doivent disparaître ces autres crimes contre l’humanité – contre l’humanité qui est digne de ce nom – que sont toutes les hontes et toutes les relégations, toutes les déchéances de leurs droits, et tous les traitements de brutes ou de fous qui frappent les femmes.

 

En font partie les édictions qui prononcent la sacralisation inepte et mortifère de la virginité, la somme des délires pathologiques dont ressortent les impureté imputées au féminin, et tous les codes et commandements par lesquels les superstitions entendent discriminer et enfermer les femmes, et violenter leur corps interdit de liberté.

 

> Avec, en éclairage complémentaire, cette contribution d'une signataire de la pétition :

 

 ILS VEULENT LÉGALISER LE RETOUR DE CETTE HORREUR

 

>>> De courageuses Gambiennes ayant subi des mutilations génitales se mobilisent pour éviter que leurs filles et petites-filles ne vivent à nouveau cet enfer.

 

Près d’un million de jeunes Gambiennes ont subi une mutilation du clitoris ou parfois du vagin. La Gambie avait interdit de les pratiquer en 2015.

 

                    VOUS JOINDREZ-VOUS À ELLES ?


                       ALORS SIGNEZ !

 

 Didier LEVY – 17 avril 2024

mardi 19 septembre 2023

L'impôt fait la Nation

 

 Publié le 18 septembre 2023 

par le blogue  Garrigues et Sentiers

Lire Thomas Piketty – et en particulier pour son article La France et ses fractures territoriales – est toujours une très tonique confrontation avec le sujet de l’inégalité.

Sujet redevenu le plus central après les décennies de cette dérégulation financière et de cette libéralisation commerciale vécues depuis les années 1980-1990 sous l’empire du business et de la sujétion au culte du marché.

Inégalité qui se décrit au pluriel, et l’article met en évidence l’une de ses formes les plus délétères pour une nation. Des inégalités qui, toujours davantage, impriment précarité, pauvreté, discrimination, ségrégation et exclusion. Et au vu de ce tableau, on s’étonnerait que le corps social n’en puisse plus, qu’il se défasse, qu’il se fractionne et se fracture ? Que chaque ligne de clivage devienne une frontière intérieure – territoriale, sociale, éducative, culturelle et communautaire.

Là où le marché (syn. l’argent, le profit, la concurrence, les « investisseurs »…) est roi, l’impôt et ses emplois sont mis au pilori. Écouter le discours à prétention moralisatrice qui depuis 2017 fustige la dépense publique et la range au nombre des sales manies auxquelles la France s’adonne depuis toujours, laisse plus que sidéré : tout bonnement terrifié par la méconnaissance ou l’inintelligence de l’Histoire qui s’expose à chaque certitude, à chaque article de foi énoncés. De l’Histoire dont est sortie – non le mirage d’une identité collective bricolée sur des préconçus et des phantasmes religieux ou ethniques –, mais la nation à laquelle les Français se sont fait à l’idée d’appartenir.

Une singularité française ?

Une nation que l’impôt à fait naitre. Si elle s’est constituée autour de l’État – singularité française ? –, autour de l’état royal et de la monarchie capétienne, c’est pour la raison que le pouvoir qui s’y élevait est peu à peu apparu, et de fait très tôt dans son esquisse, comme le seul véritable protecteur sur lequel pouvaient compter les sujets du Roi et ceux qui le devenaient au fil des siècles et des agrandissements du royaume. Protecteur vis-à-vis des ennemis de l’extérieur ainsi que des prédateurs de l’intérieur – pour ceux-ci que ce soit à travers les guerres et autres violences et exactions féodales, les pillages, dévastations et mises à sacs des bandes de brigands, ou la permanence des menaces en tous genres émanant de seigneuries et d’usurpations locales. Protecteur également des chartes concédées aux villes et aux corporations, préfiguration d’un état de droit.

L’exercice de cette protection a exigé toujours davantage de ressources, excédant bientôt celles tirées du domaine royal. Le recours à l’impôt s’est ainsi imposé et ses conséquences ont façonné à bien des titres la nation qui se formait. Parce que l’impôt d’Ancien Régime était injuste et brutal, une propension à la résistance et à la révolte fiscale s’est nourrie et ancrée de siècle en siècle – le poujadisme des années 1950, entre autres exemples, n’en a-t-il pas été une résurgence contemporaine ? Parce que le pouvoir du Roi n’était pas conçu comme absolu, la question s’est posée dès Charles V – les dépenses militaires de la guerre de Cent ans lui donnant une acuité particulière – de savoir si les États généraux avaient à autoriser la levée de l’impôt, ou seulement la création d’impôts nouveaux. Parce que la monarchie administrative instaurée par Louis XIV, elle aussi exposée à un poids écrasant de dépenses militaires, a écarté sur une longue durée la délibération fiscale des États généraux, la convocation de ceux-ci par Louis XVI – dictée par l’état des finances publiques, sinistrées après la guerre d’indépendance de l’Amérique et l’échec de la politique de Necker – a tout eu d’un anachronisme (on ne savait même plus vraiment comment procéder à leur élection). Et cet anachronisme a enfanté d’une Révolution.

Révolution qui, par la Déclaration des droits de 1789, a établi deux principes qui ont régi l’impôt sous les régimes qui lui ont fait suite :

Art. 13. Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Art. 14. Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. 

La IIIe république ajoutant à ces bases démocratiques de la contribution publique l’instauration, le 15 juillet 1914, de l’impôt progressif sur le revenu. Là encore le financement des dépenses d’armement figure à l’arrière-plan, tant du vote des Chambres que de la levée, les années suivantes, des limitations mises au nouvel impôt.

Le parti-pris de désarmer l’État

En regard de ce survol schématique, qui renvoie à « une certaine idée de la France » dont l’amorce d’une prise de conscience se profile dès la bataille de Bouvines, l’assimilation de la dépense publique à une drogue et, par voie de conséquence, l’anathème politique lancé contre l’impôt – et d’autant plus si cet impôt demande davantage aux plus riches – se retrouvent à leur juste place : celle du non-sens. Ou plutôt d’un cumul de non–sens : non seulement celui qui consiste à prétendre gouverner une démocratie sur la consécration d’injustices et de privilèges, mais plus que tout autre le parti-pris de désarmer l’État.

Pendant des siècles, la monarchie n’a cessé de conforter et d’agrandir l’État au prix d’une tension permanente ou d’une crise de ses finances, parce que les enjeux et les défis auxquels le royaume faisait successivement face, guerres extérieures ou intérieures, ne lui laissaient pas d’autre choix que de les relever. Philippe le Bel recourut à la dévaluation sinon à la fausse monnaie, Louis XIV, outre de faire fondre sa vaisselle et de devoir en appeler aux banquiers, dut alourdir et élargir la pression fiscale jusqu’au-delà du soutenable, et, après lui, les guerres ne cesseront plus d’augmenter le déficit et de creuser la dette. Ses successeurs feront face aux défauts de la confiance publique et à une insolvabilité gouvernementale chronique due à l’archaïsme du système fiscal. Le tout jusqu’à la quasi cessation de paiement de 1789.  Et, face à la coalition des Rois, la Première république – autre continuité entre l’Ancien régime et la Révolution – finança la guerre avec l’inflation des assignats. Trois républiques plus tard, six dévaluations concourront à la Reconstruction.

Eût-elle tout sacrifié à l’équilibre budgétaire, il y a fort à parier que la France de la guerre de Cent Ans aurait intégré un précoce Royaume-Uni, que les possessions de Charles Le Téméraire seraient devenues un état plus puissant qu’elle, et que les puissances européennes ennemies auraient remporté la Guerre de Succession au trône d'Espagne et assuré leur domination en Europe.

Ce qui précède n’est en en rien, bien sûr, un plaidoyer pour le déficit, l’endettement et, plus largement, pour le laxisme financier. La gestion de la ressource publique ne se réfère qu’au Bien commun, et comme telle implique une constance de rigueur et de vigilance. La proscription des gaspillages et des emplois fautifs est commandée, en tout premier lieu, par le respect qui est dû aux contributions citoyennes qui ont constitué cette ressource – ce qui s’oublie trop souvent au vu du constat des avantages personnels octroyés, entre reproduction historique et attraction du monde des affaires privées, aux hiérarques à de multiples niveaux de l’appareil d’État et de son attenant (pour le plus immédiatement visible, on se reportera aux véhicules « de fonction » et autres « frais de représentation »).  

Le refus de l’impôt est celui de l’impôt injuste

Les considérations ci-avant énoncées tendent à récuser l’idée que la main de l’État doit trembler avant de signer une mesure fiscale, celle-ci étant vouée à provoquer une explosion de colère chez un peuple accablé d’impôts où chacun s’attend à une nouvelle jacquerie nationale, ou se prépare à y prendre part.

Une récusation qui argue de ce que le refus de l’impôt est celui de l’impôt injuste. De l’impôt qui ne démontre pas que les citoyens y concourent « en raison de leurs facultés », et avec une progressivité qui réduit les inégalités au niveau où les écarts de ressources sont compatibles avec l’égalité des droits promise par la démocratie et, dans la conscience du citoyen, inséparable de celle-ci. Une compatibilité dont la Finlande propose aujourd’hui le meilleur exemple, sans pour autant faire renoncer à l’objectif d’un optimum social : celui, à terme, d’une échelle des revenus consensuellement bornée à un rapport de 1 à 10.

Est rejeté l’impôt que réclame un État qui a rompu avec le contrat social réécrit à la Libération et développé sur les décennies suivantes. Un État qui a régressé, dans les obligations auxquelles il avait à se conformer, jusqu’à consentir à la restauration d’une féodalité – alors même qu’à la base de sa légitimité résidait le combat contre tout forme de féodalité dont il était investi –, et avec la circonstance des plus aggravantes que la nouvelle Noblesse qui venait lui dicter ses volontés, était cette fois financière, transnationale et mondialisée. Et jusqu’à se soumettre à un Clergé nouvelle manière, aux ministres du culte de la sainte économie de marché, dont les Congrégations pour la doctrine de la Foi – agences de notation, cabinets internationaux de « conseil », autorités de contrôle et de contrainte installées par la Curie bruxelloise … – ont érigé le « néolibéralisme » (si tant est qu’un rapprochement terminologique entre l’ultima ratio des dividendes et les idées de liberté et de libéralisme soit autre chose qu’un blasphème conceptuel) en religion des États.

Lorsque le peuple – et pour le pire impact en termes de dégâts et d’humiliations, la section du peuple déjà la moins nantie qui, plus les commandements de cette religion sont obéis, s’enfonce dans toujours davantage de précarité, de restriction et de privation – constate que l’État républicain a cessé d’être ce pourquoi il était fait, rien ne l’attache plus à la République, à celle dont les gouvernants ont révoqué le pacte social. Il se replie, entre accablement et colère, et il s’abstient (ou, de rage, vote pour le pire démagogue venu).  

Car c’est bien là ce que signifie la remise des clefs de l’intérêt général à des entreprises privées : la substitution de logiques commerciales, et de la course aux profits en découlant, à la vocation hier assignée à la charpente de services publics et d’entités publiques qui avaient en charge les Biens communs. Qu’on soit revenu sur l’appropriation collective de biens et de services à l’accès desquels est conditionnée la dignité de chaque citoyen, que la nation ait vu le crédit et la monnaie cesser d’être de son ressort, que la concurrence ait été appelée à régir les énergies d‘hier et de demain, les transports ferroviaires et aériens et les autoroutes, qu’au nom de la réduction de la dépense publique, les missions et les responsabilités de l’État parmi les plus prioritaires (santé, instruction, justice, moyens de la sûreté publique …) aient été abandonnées à une paupérisation insoutenable… le tout forme un tableau d’aberrations qui en appelle au trop bien connu, et trop constamment vérifié : « Ceux que Jupiter veut perdre, il commence par leur ôter la raison.».

Quand la pauvreté fait un retour en force, et – pour ne prendre que ces seuls exemples – affiche un nombre croissant de familles revenues à des restrictions alimentaires ou d’enfants élevés dans la rue (dans l’un des pays les plus riches du monde !), quel gouvernant censé peut-il détourner le regard des inégalités et des défections sociales de l’État (déserts médicaux, saturation des services d’urgence, exclusions dues au coût du logement, enseignants abandonnés, justice inaccessible aux plus modestes …) ?

Des états démocratiques qui renouent avec la fonction de protection ?

Et à considérer l’avenir que rien n’annonce autrement que fait de défis inouïs, voire déjà perdus d’avance, la confrontation entre l’espèce humaine et la planète qu’elle a sinistrée, celle entre nos sociétés jusqu’ici privilégiées et les chaos climatiques qui se font de plus en plus proches, avec toute la somme des enjeux environnementaux et des périls pour le vivant qui s’y adjoignent, peuvent-elles être déléguées aux actionnaires des multinationales à travers lesquelles le capitalisme financier mondialise ses intérêts ?

On plaidera que la question qui fait sens est plutôt de se demander s’il existe une chance, avant que l’irréversible ne soit atteint, pour que les États – i.e. les états démocratiques, seuls à donner aux citoyens la faculté de se faire entendre, d’agir dans la décision et de sanctionner les erreurs et les carences – se déterminent à se réarmer. Pour qu’ils soient suffisamment nombreux à renouer avec l’idée et avec l’intelligence de la fonction de protection qui les a fait concevoir et exister. Et à décider d’engager la totalité des ressources et des moyens qu’exige la sauvegarde de nos Communs et de nos conditions d’existence.

Pour l’autre terme de l’alternative, on renverra à l’absurdité du monde qui aura préexisté à ce réarmement. Ce monde où le marché aura été roi, où les plus riches auront pris une part si infime aux contributions publiques, et où les inégalités auront moins que jamais gêné ni même soucié les élites.

Un monde qui se profile dans l’image virtuelle de dizaines de lignes de TGV, ou de dizaines de chaussées d’autoroutes, tracées, sur toute leur longueur, en parallèles les unes avec les autres dans l’agencement le plus conforme aux lois de l’économie classique. Dans la configuration de la plus parfaite mise en concurrence de leurs « opérateurs » privés respectifs.

Didier Levy

4 septembre 2023

(Date qui tient à un hasard de l’agenda, et non à une intention de rappel  historique – encore que, par ce qu’il a eu d’emblématique, celui-ci ne soit au fond pas si malvenu)

Publié par Garrigues et Sentiers dans Réflexions en chemin  

mercredi 23 août 2023

¤ DE MAC MAHON À EMMANUEL MACRON : LE PARCOURS D’UNE FONCTION QUI N’A PAS SA PLACE DANS LA REPUBLIQUE.

        

Le 5 août dernier est paru un manifeste :

 

https://www.facebook.com/groups/306010158461093/permalink/306024255126350/

 

> Il appelle avec raison à ce que LA PÉTITION QUI'L PROPOSE SOIT SIGNÉE par celles et ceux qui entendent se situer dans la gauche authentique. Extrait :

 

PÉTITION POUR UNE CANDIDATURE UNIQUE DE LA GAUCHE

AUX PRÉSIDENTIELLES DE 2027’’.

 

 ‘’ A tous ceux qui souhaitent empêcher l’élection d’une ou d’un candidat de l’extrême droite à la présidence de la république en 2027, merci de lire attentivement cette pétition, de la signer et de suivre les propositions qui vous sont faites afin de mettre en place une organisation citoyenne contraignant l’ensemble des partis de la gauche non libérale à participer à des élections primaires qui désigneront le candidat unique de la gauche, seule chance de participer au second tour.

 

‘’ Ces élections primaires seront réalisées par les organisations citoyennes réparties sur l’ensemble du territoire ‘’ (…). 

 

. Un ‘’préalable républicain’’ pour compléter ce manifeste.

J’ajouterai, à titre de contribution personnelle, que la charte appelée à fédérer les sensibilités composant l’organisation citoyenne prévue par la pétition, devra comporter en tête de ses principes et de son projet – et précisément parce que l’enjeu sera l’élection présidentielle – que sa priorité est bien L’ABOLITION DE LA MONARCHIE ELECTIVE qui nous gouverne depuis plus d’un demi-siècle.

Et donc le RETABLISSEMENT (peut-être est-il plus juste, au regard de notre histoire politique, de parler d’une INSTAURATION) de la République. S’entend d’une république de plein exercice, authentiquement démocratique, sociale et laïque.

Démocratique par l’ajustement, assurément incontournable au XXI ème siècle, de la bonne conjonction entre régime parlementaire moderne et inclusion d’une participation citoyenne.

Sociale par l’inscription au fronton de l’édifice du nouveau pacte républicain que l’égalité des droits ne saurait avoir de réalité sans égalité des ressources et sans égalité d’accès à l’instruction, que l’Etat n’a de légitimité qu’à la hauteur de la protection qu’il garantit aux citoyens, et que la nation ne démontre son existence que par les moyens publics qu’elle met en œuvre au service du Bien commun.

Laïque en ne cédant jamais rien sur la liberté de conscience, sur l‘exercice de toutes les libertés de la pensée, de la parole et de la publication qui en procèdent. Et en protégeant chacune de ces libertés par l’enseignement et la pratique de la première des lois qui régissent le droit des libertés démocratiques, et qui veut que la liberté de chacun ne s’arrête que là où s’ouvre le champ de la liberté d’autrui.

La liberté étant la seule notion qui se définit par sa limite. Quand cette limite est fondée sur la raison. Cette raison dont une démocratie a la prudence de publier les enseignements intangibles qu’elle en tire, en adossant sa constitution à UNE DÉCLARATION DES DROITS.

 

> Mais avant l’énoncé des bases d’une nouvelle activation de l’idée de République, c’est bien un préambule qui doit prendre place POUR SIGNIFIER QU’IL N’Y AURA PAS DE RETOUR A UN POUVOIR PERSONNEL. Ce pouvoir qui se confond avec l’irréductible exécration que tout républicain spontanément lui destine et qu’il porte en toutes les fibres de son être.

Ce qui implique que les attributions du président de la République, et toutes les conditions de leur exercice, soient consignées et verrouillées par la Constitution sur les bornes du seul rôle qui peut incomber au titulaire de cette fonction, ou plus exactement de cette magistrature : celui d’arbitre du jeu des institutions et d’ultime garant des intérêts fondamentaux de la nation, et, dans les deux situations, sous le strict et effectif contrôle d’un Cour constitutionnelle.

Le cumul, à l’œuvre dès 1959 et devenu la norme à compter de 1962 (avec la fin de la situation d’exception imputable à la guerre d’Algérie), de la fonction de premier magistrat de la République et de la direction, usurpée et solitaire, des commandes du pouvoir exécutif a configuré le régime de « COUP D’ETAT PERMANENT » dont la première dénonciation en mai 1964, aussi forte qu’aiguisée, n’a pas empêché qu’il perdure et qu’il empire.

 

. Un préalable minimal car peut se concevoir une option républicaine plus radicale.

        Il est une autre réponse à la dérive monarcho-présidentialiste imputable aux institutions de 1958, et dont presque chaque président a aggravé les traits : une réponse plus imaginative consistant en UNE SUPPRESSION PURE ET SIMPLE DE LA FONCTION DE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE. Une Cour constitutionnelle, après tout, peut exercer la magistrature arbitrale nécessaire au fonctionnement d’une démocratie. 

Il n’est pas inutile, en regard de cette solution, de rappeler que la République française, entre juin 1944 et janvier 1947, a réuni sur le président du Gouvernement provisoire - successivement le général de Gaulle, Félix Gouin, Georges Bidault et enfin Léon Blum - les fonctions de chef de l’Etat et de chef du gouvernement : des charges qui resteront de fait confondues jusqu'à ce que la fonction de président de la République soit recréée par la Constitution de la IVème république, et que Vincent Auriol y soit élu le 16 janvier 1947.

Pour mémoire, figurent notamment à l’actif de ce régime transitoire, la conduite de l’effort de guerre jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale (qui voit la présence, longtemps improbable, de la France à la table des vainqueurs), la gouvernance républicaine de la Libération et du retour à la souveraineté, la restauration des libertés et des droits abolis par Vichy (dont les actes sont annulés), la confirmation du droit de vote des femmes, et l’engagement de la période de reconstruction du pays - hier vaincu, occupé, humilié, pillé et martyrisé - et du processus de rétablissement d’institutions démocratiques. 

Un actif où prend éminemment place la réalisation de réformes fondamentales : instauration du régime général de la sécurité sociale et du réseau des caisses d'allocations familiales, nationalisations des secteurs-clés de l’économie nationale (charbonnages, électricité, gaz, grandes banques et compagnies d’assurances), création des comités d’entreprise, rétablissement des délégués du personnel …

 

> De par la suppression ici proposée, un ‘’président du gouvernement de la République‘’ pourra désormais se substituer à un président de la République aujourd’hui campé de fait en chef autocratique du pouvoir exécutif – et qui n’a pu le devenir qu’en ayant capté et confisqué, hors période dite de cohabitation, les pouvoirs constitutionnels du gouvernement (art. 20 : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation », et du Premier ministre (art. 21 : « Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement ».  

Un président du gouvernement de la République, placé de droit à la tête de l’Exécutif, élu par l’Assemblée nationale et responsable devant elle suivant la procédure de la ‘’motion de censure constructive’’ (la mieux à même de prévenir une récidive de l’instabilité ministérielle) - n’offre-t-il pas la meilleure des garanties pour assoir l’abolition de notre monarchie plébiscitaire, héritière d’une improbable combinaison des mémoires orléanistes et bonapartistes ? Et à cet égard, la mise en jeu, devant les représentants de la nation, de la responsabilité des titulaires du pouvoir exécutif, pendant le cours de leur mandat, constitue à elle seule un pas décisif, prenant au reste appui sur l’un des principes majeurs de la Déclaration des droits de 1789.

 

. Une option qui fait disparaître une fonction qui n’a pas sa place dans la République.

        Rappel étant fait de ce que l’institution d’un président de la République a été répétée par deux fois au début de la III ème République (après une première expérience sous la II ème République qui se solda par le coup d’Etat du Prince-président – ce qui avait tout a priori pour l’invalider sans appel …). D’abord pour satisfaire à la vanité d’Adolphe Thiers, incommodé par son titre – pourtant politiquement irréprochable - de « Chef du pouvoir exécutif » de la République.

Ensuite - et pour garder son appellation jusqu’à ce jour - par les Lois constitutionnelles de 1875 : votées sur un compromis entre orléanistes et républicains modérés. Et qui permirent aux premiers, partant de l’adoption du septennat en 1873, de configurer le rôle de ce ‘’chef de l’Etat’’ sur celui qu’ils destinaient, la monarchie restaurée - i.e. après le départ pour un monde meilleur du comte de Chambord, prétendant en titre mais indéfendable dinosaure politique - au chef de la branche d’Orléans, devenu seul héritier du trône.

Peu d’années plus tard, les victoires électorales des républicains engagèrent un processus d’accommodation de la fonction du président de la République à un régime républicain désormais durablement établi. Cependant, jusqu’en 1917 et au retour de Clémenceau comme président du conseil à la tête d’un cabinet de guerre, se maintinrent, de Jules Grévy à Raymond Poincaré, bien des traits ou références monarchiques initialement imprimées par les orléanistes : de la position interventionniste, et parfois manœuvrière, du président de la République dans les nombreuses crises ministérielles (Grévy) à un exercice de la fonction inspiré par un dessein de prestige personnel (Félix Faure), ou par une aspiration à davantage de pouvoir (Casimir Périer – en y ajoutant ultérieurement Alexandre Millerand).

 

> La plus significative empreinte de la vision royaliste dans la co-construction des lois constitutionnelles de 1875 tient cependant en la place prééminente qui revint, jusqu’au second ministère Clémenceau de 1917, aux présidents de la République dans le domaine de la politique étrangère. Non sans ressemblances à cet égard avec le régime de la Vème république.

En sorte que Félix Faure et Emile Loubet s’associent respectivement à l’alliance franco-russe et à l’Entente cordiale - engagements diplomatiques poursuivis par leurs successeurs, et auxquels sont quasi exclusivement associés les ministres des affaires étrangères (Delcassé en particulier).

Vis-à-vis de cette prééminence du président de la République dans le champ de la politique étrangère, l’exception se limite à Joseph Caillaux, président du conseil en 1911, dont l’intervention fut déterminante pour prévenir in extremis, par sa prise en mains de la négociation, un conflit avec l’Allemagne sur le Maroc.

Ce ‘’domaine réservé’ des présidents de la République, sur la même période, englobe également la défense nationale et les choix militaires les plus importants à travers une lecture d’inspiration monarcho-césariste de la constitution - « Il dispose de la force armée » - (et par ce qui découle de la conception originelle de sa fonction quant aux enjeux de souveraineté et de sécurité extérieure) : c’est à Raymond Poincaré, élu président en 1913, que revient ainsi le vote de la loi portant le service militaire à 3 ans. Dans un autre registre, la position des présidents vis à vis des armées se traduit par leur implication dans l’Affaire Dreyfus : favorable à l’Etat-major (Félix Faure) ou révisionniste (Emile Loubet et Armand Fallières).

 

> Pour la période de la IIIème république qui suit la fin de la première guerre mondiale et pour la IVème république, l’exercice de la présidence de la République, malgré le significatif amoindrissement de la place politique dévolue au titulaire de la fonction, n’apporte pas d’arguments en faveur de celle-ci. Quand bien même l’histoire parlementaire fait apparaître, après l’échec de la tentative de restauration présidentialiste de d’Alexandre Millerand, une prudence avertie et constante dans le choix des personnalités successivement élues par les députés et les sénateurs.

Sans s’arrêter aux troubles neuro-psychiatriques qui obligent Paul Deschanel à démissionner, le revers de la médaille sera en effet, sur ces presque trois décennies, que seul Vincent Auriol démontrera qu’il possède, dans la conception et dans la tenue de son rôle, la hauteur de vues et la fermeté agissante indispensables au premier magistrat de la République. A l’exact inverse, Albert Lebrun incarnera devant l’Histoire l’impuissance de cette magistrature au moment du plus terrible désastre national.

 

 . Une fonction que la Vème république a ramené à ses attaches contre-républicaines.

> La composante plébiscitaire du régime, le retour au mode de légitimation pratiquée par la gouvernance bonapartiste de Napoléon III, s’efface en partie après le départ du général de Gaulle consécutif à la victoire du ‘’Non’’ au référendum de 1969. En effet, le recours au référendum, privilégié par le premier président de la Vème république en tant qu’expression de la confiance populaire en la personne et la politique du ‘’Chef de l’Etat’’, s’espacera considérablement et n’interviendra plus que pour faire acter des novations politiques d’une ampleur jugée exceptionnelle : élargissement au Royaume-Uni de la CCE, traité ou projet européen de constitution, révision constitutionnelle de la durée du mandat présidentiel par la substitution du quinquennat au septennat. 

Et les présidents de la République qui en prendront l’initiative n’auront pas oublié la conséquence de l’échec du référendum de 1969, et se garderont bien de conditionner la poursuite de leur mandat à une réponse affirmative du suffrage universel.

L’élection présidentielle, censée donner lieu à la rencontre providentielle entre ‘’un homme et la nation’’, continuera en revanche à exprimer la conception plébiscitaire sur laquelle elle a été instituée. Et qui entraîne la récusation républicaine dont, par principe, elle doit être l’objet : une récusation à laquelle ont renoncé les partis politiques les plus fondés à se réclamer de l’idéal républicain – contraints sans doute à ce renoncement par l’enjeu de l’élection présidentielle de 1965, puis, pour des raisons et dans des conditions identiques ou très voisines, à chaque autre échéance du scrutin principal de la Vème république.

Un renoncement qui, pour historiquement explicable qu’il soit, ne peut plus être regardé, à considérer les élections présidentielles qui se sont enchaînées depuis 2002, que sous l’angle des catastrophes politiques qu’ont produites ces élections, soit par les confrontations auxquelles elles ont donné lieu, soit par les choix qui les ont conclues, soit déjà par la personnalité des candidats qui y ont concouru.

La prosternation devant le sacre auquel pourvoit le plébiscite présidentiel a même empêché qu’en soit écarté un candidat convaincu à peu de choses près d’avoir volé la République pendant dix ans – cas de figure impensable dans toutes les démocraties modernes, de l’Islande ou de la Finlande à la Nouvelle-Zélande et au Canada, qui au regard de l’occupation d’une fonction publique, ne connaissent aucun accommodement avec l’exigence de probité (et même d’insoupçonnabilité).

 

> La composante orléaniste, en revanche, demeure profondément enracinée. En 1830, la monarchie a, pour la troisième fois, concédé l’institution d’une représentation des Français – en lieu et place des très intermittentes réunions des Etats généraux, de caractère organique, de jadis ; devant cette représentation, les ministres nommés par le roi figurent le pouvoir exécutif. Et si les Chambres détiennent le pouvoir législatif, c’est en partage avec le monarque qui peut à tout moment renvoyer la chambre élue devant le corps électoral. 

On est certes très éloigné de la monarchie absolue de la fin de l’Ancien régime – devenue telle dans les limites de la soumission qu’elle a fini par obtenir des corps intermédiaires (notamment celle, précaire, des Parlements), de la Noblesse, voire de l’Eglise : mais l’essentiel de la royauté demeure, et il tient, à l’opposé de la conception défendue par d’Adolphe Thiers à la toute fin du règne du roi Charles X, en ce que le Roi gouverne et ne se contente pas de régner. 

Entre la Charte de 1830 et les institutions de la Vème république, le dessin et la pratique sont foncièrement les mêmes : on a affaire à une monarchie (qu’elle soit héréditaire ou élective) catégorisée comme constitutionnelle. Mais là où Louis-Philippe est explicitement investi en tant que chef de l’Exécutif, les présidents qui se succèdent depuis 1959 ne tiennent, ou ne revendiquent, cette place que de par la captation usurpatoire qu’ils en ont d’emblée faite et qu’on a rappelé ci-avant. 

Une captation dont il résulte que le président de la République profite d’un ‘’dédoublement fonctionnel’’ qui est, à la fois, un non-sens politique et un déni de l’architecture fonctionnelle d’un régime démocratiqueEt qui consiste en un effacement complet de la frontière normative que le régime républicain avait tracée entre autorité d’arbitrage et autorité de gouvernement. 

Héritier, aux termes de la Constitution, de la fonction arbitrale – à laquelle la III ème et la IV ème républiques avaient ramené la configuration présidentielle de 1873 et de 1875 -, et d’une fonction arbitrale considérablement élargie par rapport à ce qu’elle était dans cette redéfinition républicaine de la présidence de la République, le ‘’Chef de l’Etat’’, à ce rôle d’arbitre (majoré de celui de garant), ajoute de fait la possession du pouvoir exécutif : sauf pour les années de cohabitation, il n’existe pas de politique du gouvernement en dehors de ce qu’il décide, ni d’action de celui-ci qui échappe à ce qu’il détermine et à ce qu’il contrôle.

 

> A travers la séquence de la monarchie de Juillet transite jusqu’aux républiques suivantes un legs de la royauté d’Ancien régime qui fera obstacle à l’instauration d’un pouvoir judiciaire indépendant. Un legs d’une double origine : d’un côté, l’attribution au Roi, exclusive et séculaire, de la légitimité à rendre la justice – les corps judiciaires du royaume n’exercent qu’une justice déléguée - ; et de l’autre, la mémoire laissée par la lutte interminable qu’a menée la monarchie contre la prétention des Parlements à contrôler la promulgation des lois : Louis XIV rend cette prétention inopérante en réduisant strictement les Parlements à leur rôle judiciaire , mais la Régence, qui a besoin du Parlement de Paris pour faire annuler le testament du défunt roi, restitue aux Parlements les prérogatives qu’ils avaient perdues

Les deux règnes suivants verront, pour l’un, la conflictualité entre les deux parties atteindre, au profit du roi, son point d’affrontement le plus extrême, et pour l’autre, une concession irréversible de la monarchie où l’on peut lire, à la fois, la bonne volonté et la prédisposition réformiste – peu connue - de Louis XVI (mais tenter de réformer un régime à bout de souffle, n’est-ce pas accélérer sa disparition ? - ce qui vaudra pour l’URSS de Gorbatchev), et la cause directe de la fin de la royauté – la capacité de blocage restituée aux Parlements aboutissant à la convocation des Etats généraux, a priori archaïque et finalement révolutionnaire. Dès l’Assemblée constituante, la propension à l’opposition et à l’obstruction des Parlements sera présente dans les esprits. Elle y restera sous tous les régimes dont aucun n’inclura un véritable pouvoir judiciaire, sur le modèle, par exemple, de la démocratie américaine – ainsi n’avons-nous aujourd’hui encore qu’une « autorité judiciaire »

Vis-à-vis du Roi choisi par Dieu et titulaire à ce titre du pouvoir judiciaire, l’empreinte de l’Ancien Régime ne s’est pas complètement effacée. Les présidents de la République héritent ainsi du droit de grâce et, en 1946 (pour une longue période), de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature. Se rattache à cet héritage de la monarchie d’avant 1789, qu’il s’agisse des monarchies constitutionnelles ou des républiques, l’irresponsabilité politique des chefs de l’Etat qui se doublera d’une impunité pénale pendant la durée de leur mandat - toutes deux ainsi définie dans l’actuelle constitution : 

‘’Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 (responsabilité devant la Cour pénale internationale) et 68 (destitution du président ‘’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat’’).

‘’Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite’’.

Les constitutions écrites des monarchies d’après 1789, reprennent toutes l’idée de la personne royale telle qu’elle fut représentative de l’Ancien Régime : 

« La personne du roi est inviolable et sacrée ». 

L’abolition de la monarchie sera d’abord une abolition de cette représentation. Mais les immunités et les impunités accordées aux présidents de la République, qui couvrent tout le cadre ordinaire de l’exercice et de l’environnement de leurs fonctions, et le fait que leur responsabilité politique ne puisse être engagée, leur garantissent la plus grande probabilité – sinon la quasi-certitude - d’aller au bout de leur mandat : les mises en accusation dont un président est demeuré susceptible de faire l’objet n’ont trait qu’à des fautes exceptionnellement graves – longtemps réunies sous la qualification de ‘’haute trahison’’.   

Et quant à la destitution prévue par l’article 68, introduite très tardivement dans la constitution de la Vème république, la majorité à réunir dans les deux assemblées pour qu’elle soit votée, la rendent des plus improbables.  

 

. Une fonction qui a restauré la notion de ‘’Chef de l’Etat’’ étrangère à la pensée républicaine. 

        Avec la Vème république, et sous l’action du verbe gaullien, ’Chef de l’Etat’’ devient davantage qu’un synonyme de président de la République : Charles de Gaulle y a vu l’exacte et précise définition de la fonction qui lui a été confiée par le peuple français. Pour celui qui fut l’auteur de l’Appel du 18 juin 1940, l’Etat doit avoir une tête, et l’écroulement vertigineux qui s’était déroulé dans les semaines ayant précédé cet appel, en avait apporté a contrario – et s’il en était besoin – la démonstration la plus définitive. 

La part devant sans doute être faite, dans cette prédilection pour la notion de ‘’chef ‘’, à la formation militaire du fondateur de la Vème république (rapprochement qui ferait le seul point commun de celui-ci avec Philippe Pétain qui, lui, inscrivit et consacra pour lui-même, en tête des institutions de son régime, la dénomination de ‘’Chef de l’Etat’’). 

Quoiqu’il en soit, ce verbe gaullien, accordé à la pratique institutionnelle du régime dont, en dehors des cohabitations, les successeurs du général de Gaulle ne cesseront de confirmer ou d’accentuer les traits originels, a imprimé dans le langage courant – politique et médiatique - l’usage de substituer ‘’Chef de l’Etat’’ à ’’président de la République’’. 

Et avec cet usage, la négation formelle du principe républicain qui, appliqué à une démocratie, énonce que la chose publique appartient, de façon indivise et égalitaire, à la libre association des citoyens qui se constitue et agit en permanence en tant que formateur de l’Etat et de sa gouvernance ; et où chacun en conséquence est partie, de par son adhésion à la nation, au service collectif dont relèvent la marche et la direction de l’Etat républicain.   

Que ce soit en assumant une fonction publique - politique, législative, judiciaire, administrative ou civique -, ou en procédant, vis-à-vis de ces fonctions, à la désignation de leurs titulaires élus ou au contrôle des agents qui y sont nommés.

 

> Un rappel, ou un retour aux sources, qui tendrait à souligner, après six décennies de Vème république, l’éloignement où nous sommes par rapport à une république démocratique. Rien d’autre que la distance entre une monarchie élective, qui affiche de plus en plus de signes d’épuisement – et de périlleuse fragilité face aux avancées des extrêmes droites -, et une république authentique et moderne.

 

CONCLUSION

. Une pétition pour une candidature unique ou sur une objection fédératrice ? 

 

        Cet article s’est ouvert sur l’approbation d’un manifeste publié ‘’en ligne’’, et sur l’invitation à signer la pétition que les auteurs de ce manifeste soumettent aux électeurs de gauche : 

’PÉTITION POUR UNE CANDIDATURE UNIQUE DE LA GAUCHE

AUX PRÉSIDENTIELLES DE 2027’’.

A ce soutien, l’article a ajouté des propositions d’amendements incluant dans la démarche pétitionnaire les résolutions nécessaires à l’abolition de toute forme de pouvoir personnel d’évocation césariste et plébiscitaire, au profit du mode collégial de responsabilité gouvernementale attaché à la démocratie parlementaire. 

En son état, la pétition se borne à militer en faveur d’une candidature unique à gauche, en appelant « (…) les citoyens de gauche à (se) mobilise(r) pour convaincre tous les candidats de gauche de participer à des primaires organisées par les citoyens ».  

L’initiative pétitionnaire ainsi exposée se verra objecter le précédent qu’elle a connu lors de l’élection présidentielle de 2022 et qui s’est conclu sur un échec sans appel – malgré une très honorable participation dépassant significativement les prévisions. Echec s’expliquant factuellement, en fin de compte, par le succès aux primaires tenues en fin janvier 2022 d’une personnalité, certes rangée à gauche par un passé ministériel encore relativement récent, mais peu et mal préparée au rôle qui l’attendait, et n’offrant pas l’incarnation d’un projet convaincant, ni même vraiment discernable. 


> Et, surtout, quant au fond, par le constat que l’innovation procédurale d’une primaire populaire est vouée à entrer en conflit avec l’attribution qui revient aux partis politiques de concourir à l'expression du suffrage : une vocation inscrite dans la Constitution que, sous le poids de la mémoire et de la durée de leurs combats historiques pour la démocratie, les partis ne peuvent qu’être portés à assimiler à la dotation d’un monopole. Les appareils partisans ayant pour raison d’être d’assoir et d’augmenter leur capacité à drainer vers eux le plus possible de ce suffrage citoyen, une démarche populaire qui prétend se passer de leurs canaux s’entache a priori de concurrence abusive et déloyale, pour ne pas dire d’hérésie anticivique. Ce qui vaut très spécialement pour l’élection présidentielle, ‘’clé de voute’’ du système politique actuel. 

L’emprise des appareils sur la campagne présidentielle n’a cependant qu’un temps : le parcours des candidatures issues des partis est presque immanquablement pris dans l’attraction du caractère intrinsèquement pervers de l’élection, tel que celui-ci est surexposé par les conditions d’accès, exemplairement plébiscitaires, au second tour binominal du scrutin. Il en a découlé – ce qui, du point de vue philosophique, est particulièrement grave pour les partis de gauche - qu’aucun mode de désignation des candidats n’est parvenu à concilier le requis d’un choix démocratique et l’obligation de résultat. Et dans les cheminements, victorieux ou non, des candidatures présidentielles, le projet ou le programme est fait de ce qu’y met le vainqueur de la compétition sélective interne ou de la négociation inter partisane, et qu’il n’explicite qu’après avoir été investi : ce qui anticipe sur l’exercice solitaire du pouvoir qui lui appartiendra pour la durée de son mandat en cas de succès final.  


>>> Le point de passage, dans cette contradiction française entre démocratie et élection, ne serait-il pas que l’initiative de participation populaire dont on a soutenu l’intention se reporte à trois mois de l’élection présidentielle ? Après que les candidats de gauche se seront prononcés sur le cahier des charges qui leur aura été soumis par l’organisation citoyenne formée à la source de cette initiative. 

Cahier des charges énonçant l’intégralité des principes et des contenus du « PRÉALABLE RÉPUBLICAIN » - au sens de la nouvelle activation de l’idée de République à laquelle le présent article a voulu appeler, avec pour premier impératif l’abolition de la monarchie élective et du pouvoir personnel qui en est la marque. Un ‘PRÉALABLE RÉPUBLICAIN’’ sur lequel il aura donc été intimé aux candidats de gauche de se prononcer et, s’ils y inscrivent leur campagne, de s’engager, en cas d’élection, à le soumettre au corps électoral du peuple dans le préambule de la constitution appelée à instaurer une république véritablement démocratique, sociale et laïque. 


> Au cas où aucun des candidats de gauche n’accepteraient les termes de ce pacte de réinvention de la République, où s’il s’avérait que celui ou ceux qui s’y sont ralliés n’a ou n’ont aucune chance réelle de succès à l’imminente élection présidentielle, les participants à l’initiative de participation populaire possèderont encore une arme : lancer une nouvelle pétition avec, cette fois, pour unique réclamation la suppression de la fonction de président de la République ; et en mettant en avant le seul moyen immédiatement activable à cette fin : l’appel adressé aux citoyens pour qu’ils se refusent à prendre part au scrutin présidentiel.   

La conjugaison de cette objection de conscience démocratique et du délaissement croissant des urnes constaté à tous les derniers scrutins – expression globale d’une perte massive de confiance en la République – laisse attendre que les candidats en lice aux deux tours de 2027 recueilleraient un nombre très faible de suffrages, voire assez proche du dérisoire. 

Et s’il en résultait que le candidat élu au second tour le soit avec moins de 25% des suffrages exprimés, ou même (et peut-être plus vraisemblablement) avec moins de 20% - le dérisoire étant à coup sûr atteint avec un calcul du pourcentage sur le nombre des électeurs inscrits -, de quelle légitimité électorale et de quelle crédibilité politique pourrait-il arguer en tant que président placé à la tête du régime de la Vème république ? 

On aurait ainsi affaire à un désaveu flagrant de ce régime, et le séisme post-électoral serait probablement si considérable, et si dévastateur des fondations monarchiques et plébiscitaire de la Vème république, que se formerait de lui-même le constat majoritaire d’un système arrivé à son point d’épuisement. 

Rien certes n’assure qu’à partir de cet effondrement, un consensus suffisant se dégage pour révoquer à jamais un mode de gouvernement qui, dès son origine, a emprunté tout ce qu’il pouvait à la monarchie orléaniste et au dernier (et bref) avatar du Second Empire - qualifié de ‘’libéral’’ par rapport aux séquences qui l’avaient précédé ; et pour le remplacer par une démocratie républicaine qui redonne espoir à la nation en renouant avec les promesses du programme du Conseil National de la Résistance : autrement dit, une démocratie du Bien commun, de la solidarité et des émancipationsdont celles, partant de réinventions institutionnelles, pour lesquelles on a ici plaidé.

  

Didier LEVY 

« LES COCAÎNOMANES DU BIEN PUBLIC » – 23 08 2023