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samedi 12 octobre 2024

¤ SOMMES-NOUS EN 1789 ?


                Des Etats Généraux de 1789 a surgi un nouveau monde politique.

           Qu’en sera-t-il de la dissolution que nous venons de vivre ?


I – INTERROGER L’HISTOIRE SUR LES RESSEMBLANCES QU’ELLE SUGGÈRE.

Le rapprochement, à 235 ans de distance, a tout a priori pour paraitre incongru. Quel point commun entre la réunion de l’assemblée des Trois Ordres du royaume - institution dont l’archaïsme éclatera au grand jour quasiment dès sa convocation et, on ne peut plus visiblement, dans les péripéties et désordres qui entourent son élection -, et la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par le président de la République au soir d’élections européennes défavorables à son camp ?

A coup sûr aucune similitude. L’Histoire, au demeurant, en connait-elle jamais d’une époque à une autre ? Mais sa réponse sera moins tranchée si on l’interroge sur des ressemblances.

A cet égard, la lecture de l’ouvrage d’Emmanuel de Waresquiel sur les sept jours (17-23 juin 1789) qu’il dépeint comme ceux où ‘’la France entre en révolution’’ [1] offre, dès ses premières pages, un tableau de la France sur laquelle règne Louis XVI où prennent place toutes les divisions, antagonismes et colères qui, par leur nombre, leurs diversités et leurs enracinements, démontrent que la monarchie et l’Ancien régime ne pouvaient plus se réformer. Le royaume n’en était plus au temps de la révision de ses règles, à la modernisation de ses formes de gouvernance par trop vétustes. Autrement dit, le système en place avait ‘’fait son temps’’.

Un tableau qui s’aggrave encore au fil des chapitres. Archaïsme du corpus de l’architecture sociale, dénoncé d’un bout à l’autre du royaume, frustrations et ressentiments accumulés, et visant d’abord l’emprise des privilèges, iniquité et impuissance des modes de fiscalité sur fond d’une dette publique d’un niveau jamais encore atteint (et lié aux dépenses pour la guerre d’Indépendance américaine), conjonction de la pénurie de pain, de l’inflation et des misères, obstructions récidivantes des Parlements - qui s’avèreront cette fois vraiment irréductibles -, addition des rancœurs propres à chaque composante d’une société d’ordres et de cloisonnements, et cumul des exaspérations qui vont des curés, dressés contre la noblesse d’Eglise, aux paysans n’en pouvant plus des droits seigneuriaux … Plus l’extension d’influence de l’esprit des Lumières qui, à travers ses académies, ses sociétés et les loges maçonniques, a dispensé l’intellection d’un avenir où ni une monarchie se réclamant de droit divin ni ses antiques lois n’ont plus leur place. Une intellection qui, outre la proximité de  quelques prélats députés de leur ordre aux Etats-Généraux, rencontre l’adhésion de membres éminents de la Noblesse qui compteront dans les débats et décisions de l’Assemblée nationale devenue constituante.

Au long des sept jours dont l’auteur explore le sens et fait percevoir la densité, se déroule un magistral démêlement des crises, des contradictions et des dissociations qui composent l’état du royaume à l’approche de l’été 1789. Eclairé, pour le lecteur, par le recul qui est apporté sur les contradictions insolubles qui se sont enchainées des années 1785 à 1788.

S’y ajoutant la mise en perspective de la séquence qui s’engage, irréversiblement, et qui est régulièrement portée, par un regard en quelque sorte rétrospectif, depuis les développements ou les reculs ultérieurs de la Révolution.

Et dans ce qui donne à penser, au fil de ces sept journées, que le régime – la monarchie qui sera désormais celle de l’Ancien régime - avait ‘’fait son temps’’, entre une raison circonstancielle attachée à la conduite du roi à chaque étape de sa confrontation avec le ‘’coup d’Etat’’ des députés du Tiers. Sur ce point, l’auteur propose une très convaincante évaluation de la part qui revient à Louis XVI, qu’il prenne en compte le caractère et l’éducation du personnage, ou la place que tiennent ses conceptions de l’ordre politique dans sa vision et son appréhension de la situation impensable à laquelle il fait face.

Cette évaluation, posée devant l’état de désagrégation de l’ordre social du royaume, renvoie aussi des constats factuels qui attestent, dans la répétition des séquences de désordre, de subversion ou de violence meurtrière à travers le royaume, de la diminution progressive, rapide et irréversible des moyens de rétablir l’autorité - si le choix avait été fait de la répression par la dissolution des Etats-Généraux et l’écrasement des émeutes et autres mutineries. Il en ressort que les inactions, les maladresses et contretemps du monarque n’ont, le plus probablement, rien changé au cours de l’Histoire qui s’écrivait et qui était, par une conjonction de facteurs irréductibles, celle de la fin d’un monde. La part étant faite à la tentation de tenir l’Histoire pour déterminée – et en l’espèce, par le récit que nous en avons, exclusif de tout autre déroulement.

Que vient faire ici la dissolution du 9 juin 2024 ?

Le décret du 9 juin 2024 portant dissolution de l'Assemblée nationale soulève, et a soulevé, des questions si nombreuses et si engageantes pour le devenir des institutions de la Vème république (pour ce qu’on désigne ainsi), et a provoqué une impasse politique si prolongée, et par là sans exemple, qu’on s’attendrait à en voir le sujet traité dans son seul contexte – éventuellement étendu à la pratique présidentielle en place depuis 2017.

Mais le rapprochement ici abordé se défend si l’on admet qu’il interroge une comparaison des figures qui composent deux tableaux politiques : celui qui entoure la réunion des Etats-Généraux le 5 mai 1789 et, en vis-à-vis plus obscur, celui de la réunion le 18 juillet 2024 de l’Assemblée nationale élue les 30 juin et 7 juillet précédant. Et plus précisément, ce que ce que l’un et l’autre disent, respectivement, de l’état du royaume et de l’état de la nation.

Redisons bien qu’il n’existe aucune similitude concevable entre les deux tableaux distants de plus de deux siècles. Mais que se distingue entre eux, dans le dessin général de leur composition, au moins un air de ressemblance, et suffisamment insistant pour qu’on envisage de leur reconnaitre des traits communs. Ne suffit-il pas pour cela qu’on retire de l’ouvrage d’Emmanuel de Waresquiel l’opinion que la monarchie et l’Ancien régime n’étaient plus en capacité se réformer : trop de contradictions et trop d’obstacles accumulés – et gigantesques : économiques, financiers, sociaux et sociétaux, idéologiques … -, trop d’archaïsmes et trop de dissensions enracinés, et trop de frustrations, de réfutations et de séparations creusées face les unes aux autres.

Une société politique attendait avec impatience de s’inventer et de naître, et sur les trois dernières années d’enlisement du régime, puis dans l’accélération des mois de préparation et d’élections menant à la réunion des Etats-Généraux, toutes les démonstrations de l’inclusion de l’Etat monarchique et de son système organique dans un passé voué à disparaitre s’étaient additionnées et développées comme les attendus d’un arrêt sans appel.

Les sept jours de ‘’l’entrée en révolution’’ en dressent la conclusion dans le constat de l’impuissance du roi, de l’appareil étatique et de la Noblesse, qui ne peuvent ni comprendre ni maitriser ce dont est fait le temps prochain de leur disparition. Plus qu’une incompréhension : un exil intérieur qui rend ces trois acteurs (hors une part de l’administration étatique) totalement étrangers au changement qui les emporte. Le roi déclare que « les Français n’ont pas changé », mais cet aveuglement précipite sa perte. Des concessions, en séance royale, sont faites au Tiers état, et qui pouvaient, par leur portée, paraitre répondre aux attentes ‘’progressistes’’ déjà exprimées dans les cahiers de doléances : représentation élue votant l’impôt et les lois et établissant l’état des dépenses et recettes de l’Etat, suppression d’iniquités fiscales parmi les plus fortes, liberté d’opinion (sauf atteinte à la religion) et de la presse, substitution plénière d’un nouvel état de droit aux pratiques apparentées à l’arbitraires …

Mais ces concessions s’effacent sur le champ aux yeux des députés du tiers qui ne retiennent que la perpétuation des fondements et du référentiel de l’ancienne monarchie dont le roi écarte toute révision : principalement le maintien des trois Ordres et des privilèges des deux premiers, pourtant si manifestement haïs, et la sanction royale des mesures approuvées par les représentants de ces ordres. Des députés qui reçoivent le discours de Louis XVI comme un outrage à l’Assemblée nationale qu’ils ont instituée et dont les décrets qu’ils y ont votés sont écartés au motif qu’ils sont contraires aux lois du royaume. Et comme l’expression provocatrice, tant sur le fond des déclarations conservatrices du roi que dans la forme du cérémonial de cette séance royale, de la somme des archaïsmes qu’ils sont décidés à effacer à tout jamais.

Là se trouve la première ressemblance avec notre présent. Elle est suggérée par l’affrontement entre les trois Ordres qui s’instaure dans le cadre des Etats-Généraux convoqués en 1789, avec les députés du tiers qui récusent la légitimité des députations de la Noblesse et du haut Clergé. Trois ordres qui se figent sur des clivages et des rejets et qui ne sont pas sans donner à penser aux trois blocs qui se partagent la composition de l’Assemblée nationale issue de la dissolution du 9 juin 2024 et qui déclarent exclure a priori tout compromis entre eux. Avec cette différence que parmi les représentants de la Noblesse et du Clergé, les transfuges acquis aux vues du tiers ne tarderont pas à se manifester et pèseront par la suite d’un grand poids personnel.

L’autre ressemblance tient à ce que les deux situations conflictuelles, et les oppositions irréductibles qui ne cessent de s’y creuser, ont pour enjeu un ordre économique, social et sociétal vomi par la coalition des mécontentements et rejeté au nom des aspirations égalitaires, mais déclaré intangible par les mouvances conservatrices ou réactionnaires. Sans pour autant qu’on s’aventure dans une comparaison entre un roi à qui ne peut même pas venir à l’esprit que les lois antiques et les ordres constitutifs de son royaume puissent être remis en cause et, encore moins, un jour effacés, et un président qui se voit comme l’incarnation de la modernité, et l’infaillible traducteur des commandements que celle-ci dicte à son pays et à son époque.

Etrange modernité au demeurant qui n’est que la conquête du monde par les postulats d’un capitalisme conceptualisé et systématisé dans sa forme moderne aux abords du règne de Louis XVI, et dont une formidable multiplication de moyens – dans tous les négoces et dans tous les modes de production, d’échanges et de communications – a fait une encore plus formidable fabrique de profits. Financiarisation, mondialisation, numérisations et domination des réseaux, exploitation à outrance des ressources et des hommes, sur fond de dévotion obligée au tout-marché et au culte de la concurrence, nous ont bâti ces dernières décennies des sociétés socialement régressives où après le temps des victoires politiques du reaganisme et du thatchérisme, nos subordinations aux directives d’une Europe de Bruxelles devenue le Saint-Siège continental de la religion ‘’néo-libérale’’, ont soit aboli, soit amputé les apports historiques du Welfare state.

Mais, quoiqu’il en soit, cette ressemblance s’étaye au moins sur un fait partagé. L’Ancien régime est mort en quelques mois de l’impossibilité de répondre à deux alarmes que la vétusté de son système le privait des moyens de conjurer : la menace de la banqueroute et la détestation suscitée par les privilèges en place. La France de 2024 n’est-elle pas comme immobilisée devant deux murs qui lui bouchent la vue sur son avenir : le grossissement continu du déficit public – sur-argumenté par les nantis pour exclure toute priorité de préservation ou de réparation des conditions de vie du plus grand nombre – et les fracturations sociales et sociétales qui se rapprochent d’une dislocation de la nation. La monarchie a méconnu, ou cessé de connaitre, les attentes et les besoins de ses sujets, et la Vème république s’est installée dans une méconnaissance du même ordre. A la première, a échappé que les inégalités forgées par et sur son histoire étaient devenues insoutenables, et la seconde en est venue à faire le choix de creuser toujours davantage les inégalités contemporaines en cachant de moins en moins son mépris pour ceux qui les enduraient et s’en indignaient.

 

II –LES RESSEMBLANCES HISTORIQUES SONT DE LIBRE PARCOURS.

Ces ressemblances ne tracent pas des futurs identiques.

D’abord, parce que sous la forme des airs de ressemblance, elles inclinent à l’erreur, par le grossissement des faits rapprochés d’une époque à une autre. Ainsi en a-t-il été du « Nous sommes en 1788 » employé par Pierre Mendès France devant le congrès du parti radical en septembre 1953. Le parallèle alors dressé par celui que sa dimension d’homme d’Etat allait statufier en ‘’PMF’’, n’a pas été validé par les événements qui suivirent : la IVème république finit certes en 1958 au bord de la guerre civile, mais celle-ci fut évitée par le retour in extremis aux affaires du général de Gaulle – seul personnage en capacité de sortir le pays de la folie qu’avait été la colonisation de l’Algérie dans sa visée annexionniste, et de la guerre de terreur sans issue qui la concluait. Pour le reste, il n’y eut pas de révolution, mais seulement un changement du tout au tout des institutions de la France - lequel allait substituer à une république conformée depuis toujours en régime d’assemblée, une monarchie élective fondée sur l’improbable conjonction d’une gouvernance de type orléaniste et du césarisme plébiscitaire du Second empire.

Le modèle social ne fut aucunement remis cause : le pacte de solidarité sociale et, à sa base, l’intervention économique de l’Etat, issus des idées politiques de la Résistance (actées par le programme du CNR) et mis en place à la Libération dès les gouvernements présidés par général de Gaulle, ne cessèrent pas de se déployer.

Les vraies ressemblances, elles, sont bien en mesure d’identifier des causes, sinon identiques, du moins voisines qui s’offrent à être discernables dans les crises successives d’une Histoire – une identification qu’on a ici tenté en esquissant des diagnostics comparables quant à l’origine de deux séquences de convulsion politique se présentant à 235 ans de distance. Ce qui a été emprunté à l’ouvrage d’Emmanuel de Waresquiel sur le processus historique conduisant aux sept jours de juin 1789 où la France a basculé dans la Révolution, sur l’état du royaume qui a rendu celle-ci inarrêtable et, en particulier, sur les désagrégations irréversibles de l’ordre social de l’Ancien régime et sur l’impuissance flagrante de la monarchie en ses dernières années, ne valide-t-il pas un rapprochement avec les deux décennies passées (proposons le repère de 2005) qui ont été celles des régressions et des amputations les plus destructrices infligées au contrat social qui régissait notre République ? Ces décennies où l’avenir commun dont on prétendait fixer les destinations qu’il aurait à suivre était fait d’autant d’impasses pour la nation, majoritairement ressenties et vécues comme telles, et débouchant sur la remise en question du pacte constitutif de la cité sous lequel se range ce que l’on désigne par le vivre ensemble.

Ce processus d'invalidation s’est composé à chaque élargissement des inégalités de statut et de conditions de vie, et à chaque dépréciation d’un niveau de ressources, de protection et de considération, et il s’est façonné sous les traits que lui ont imprimés les catégories sociales qui, dans leur diversité, avaient à subir l’enchainement des relégations : autour d’une mise en doute grandissante de la démocratie représentative et de son corpus référentiel, n’ont cessé de s’étendre les expressions multiples d’un ‘’rejet du système’’, allant des différentes formes d’abstention individuelle ou collective aux explosions d’émeutes urbaines. Les replis - en premier lieu catégoriels, professionnels, sociaux, géographiques … -, et les renfermements de plus en plus agressifs sur les rancunes et les aversions se sont additionnés et fortifiés à chaque étape d’abandon d’un territoire ou d’une population, avec pour effet, moins surprenant qu’il n’y paraissait de prime abord, d’investir l’extrémisation droitière de la fonction tribunicienne puis de la pousser aux portes du pouvoir : la disparition ou la rétraction de protections jugées essentielles, et qui avaient été regardées comme assurées, entraine une société dans la sur-réaction qui rend audibles les dénonciation de brebis galeuses et les désignations de boucs émissaires, les unes et les autres appartenant au magasin - de nouveau grand ouvert - des cibles haïes par les partis d’extrême droite.

Cibles consignées dans la nomenclature des proscriptions dressées par la xénophobie et le racisme. La proscription du musulman ayant  pris la première place sur le catalogue des périls désignés aux ‘’On est chez nous’’ - et celle du juif passant à un second plan ou recourant au registre de l’allusif (et, pour d’autres bords et d’autres formes, s’alimentant des conflictualités proche orientales).  

Les fureurs et les insurrections 

       qui ne mènent pas à des révolutions porteuses d’espoir.

Les directions ainsi prises dans ce processus interrompent – brutalement – la recension des traits communs entre les paysages politiques de la fin de l’Ancien régime et ceux de l’épuisement de la V ème république. Dans la première configuration, le mouvement qui emporte la monarchie de droit divin est animé - quoiqu’on pense des suites vers lesquelles se dirigera la Révolution avec la période de la Terreur – par un esprit de progrès qui mérite d’être qualifié d’indéniable malgré la confiscation bourgeoise de ses fruits.

Dans la seconde, se discerneraient difficilement une inspiration du même ordre et une perspective de changement bénéfique. Les Gilets jaunes, de l’occupation initiale des ronds-points aux batailles de rue et aux déprédations les accompagnant, et la Grande Peur de 1789, avec les paysans marchant sur les châteaux pour y bruler les titres représentatifs des droits seigneuriaux – voire pour bruler également les dits châteaux – ne projettent manifestement pas la même sorte de futur. La Grande Peur est immédiatement suivie par une séquence de triomphe pour l’esprit des Lumières, où se succèdent l’abolition des privilèges de la nuit du 4 août et notre première Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. L’explosion de colère, d’une dimension historique, dont part le soulèvement des Gilets jaunes donnera lieu, après coup, à un grand débat national : les délibérations auxquelles celui-ci donnera lieu, les préconisations qui en sortiront, se verront reconnaitre sérieux et pertinence, mais pratiquement aucune suite concrète ne leur sera donnée au niveau où se dirige l’Etat dans la Vème république.

La traduction politique de l’insurrection populaire de 2018-2019 et, en même temps, l’exposition des composants économiques et sociaux de cette subversion et de l’étendue de son enracinement sociologique dans la ‘’France périphérique’’, se liront en fin de compte dans la progression sidérante du nombre des députés du Rassemblement national (ou du ‘‘Front national’’ jusqu'en 2018) à l’Assemblée nationale : de 8 élus en 2017, ils passent à 89 élus en 2022 puis, malgré l’efficience électorale du front républicain qui fait barrage au second tour des législatives à l’arrivée du postulant RN au poste de Premier ministre, à 126 sièges en 2024 –représentation qui, majorée des députés ciottistes ‘’À droite’’, atteint 143 sièges sur les 577 que compte l’Assemblée. Une progression qui est éclairée par trois constats factuels qui s’échelonnent sur les sept dernières années : 2017 voit le scrutin législatif marqué par un taux d'abstention au second tour jamais atteint en France pour cette élection (57,4 %) ; en 2022, avec 89 sièges, le RN réalise déjà une percée historique et, en 2024, ses 126 sièges obtenus lui valent un effectif de députés que, quelques années en arrière, les observateurs les plus alarmistes auraient très vraisemblablement tenu pour invraisemblable.

A cette amplification des forces de l’extrême droite s’est conjuguée la droitisation de l’opinion sur les thèmes sur-exploités, et toujours plus abusivement corrélés, de l’immigration et de l’insécurité. Les dénonciations invariables des FN et RN ont été trouvé écho dans les partis conservateurs, ces derniers occultant leur responsabilité – partagée avec la sociale démocratie - dans les carences en moyens publics qui ont fait échec tant à l’intégration des générations issues des primo-arrivants qu’à l’accomplissement par l’Etat de ses missions de justice et de protection de l’ordre républicain.   

En cette fin de 2024, année politiquement confuse et incohérente entre toutes, les lendemains qui se positionnent devant nous ne renvoient pas à un retour sur des épisodes antérieurs de notre Histoire. Ni pour conforter ni pour démentir un présage favorable. Les mois qui nous séparent de l’échéance institutionnelle de 2027 ne s’appréhendent pas non plus dans la seule alternative d’une prise pouvoir par l’extrême droite et ses alliés ou d’une nouvelle contre-offensive d’un front républicain y faisant barrage – en dépit du souvenir laissée par l’impuissance de ce front dès après les résultats du second tour des législatives de 2024.

Dans la faible capacité où l’on est d’évaluer les risques, et de se représenter les dommages et les convulsions qui, pour les différentes configurations que pourraient prendre les concrétisations de ces risques, sont susceptibles d’en ressortir, la probabilité qui parait la plus forte se dessine sur le terrain du social et des conditions de vie. A cet égard, le peu de vue qui s’offre sur la fin du septennat en cours semble entièrement occupé par la cure d’austérité, sans précédent de pareille ampleur, qu’annonce la crise des déficits publics, tardivement chiffrée devant l’opinion et d’abord entourée de déclarations à visée rassurante quant aux mesures qui en découleront.

Qui  peut encore, en effet, se représenter que ces mesures se cantonneront à ’’un effort temporaire et limité’’ demandé aux 0,3 % ‘’des plus fortunés’’ et aux 300 très grandes entreprises productrices d’énormes profits ?  Dans une économie entièrement gouvernée par la pensée unique qui s’auto désigne comme néo-libérale et dont l’emprise est planétaire, tout donne à s’attendre à ce que les dispositions à venir s’inscrivent dans la continuité des précédentes ‘’politiques de rigueur’’, avec un impact sociétal d’abandons, de paupérisations et d’injustices bien plus cruellement vécu.

Et  comment imaginer qu’un pays dépeint, il n’y a pas si longtemps, par un ministre de premier rang passé des LR à la droite macroniste, comme une ‘’marmite sociale qui bout’’, subira en silence des dizaines de milliards d’euros d’amputations dans les budgets de la nation ? Il serait plus que téméraire de compter sur la résignation des catégories sociales qui souffrent depuis des lustres de la détérioration des services publics, et conséquemment de la restriction des accès à l’hôpital et aux soins, à la sureté, à l’instruction ou à la justice. Des catégories soumises à des ségrégations, sociologiques et géographiques qui s’impriment dans leur quotidien jusqu’au degré du non tolérable. Quand ne s’y sont pas ajoutées les relégations dues au retour d’une crise du logement, ou l’appartenance à un monde paysan qui a vu le suicide devenir la réponse à l’impossibilité de vivre de son travail.

Les mêmes qui entendent ministres, dirigeants politiques et économistes, en position de grands inquisiteurs de la religion du tout-marché ou de théologiens adossés à la dogmatique de la libre entreprise, imputer à la protection sociale, pilier du contrat républicain réécrit à la Libération, d’être ‘’archaïque et insoutenable’’ - une protection sociale construite dans les dénuements d’un après-guerre dévasté puis dans les reconstructions menant aux Trente glorieuses, mais soudain devenue non-finançable dans le richissime capitalisme du XXIème siècle.

Les porte-voix politiciens et les doctrinaires du néolibéralisme poussent le mépris envers les moins nantis, dans la forme la plus injurieuse et provocatrice que ce mépris peut revêtir, jusqu’à disqualifier d’un mot l’ensemble des acquis de la sécurité sociale en dépréciant ceux-ci sous la dénomination d’assistanat : le discours qui en ressort vise à dégrader le chômeur en ce fainéant qui n’a pas ‘’traversé la rue’’ pour aller prendre l’un des emplois qui abondent sur le trottoir d’en face (fussent-ils sous-payés et sous-qualifiés), tandis que dans les réquisitoires ciblant le ‘’trou’’ imputé à l’assurance-maladie, ou la pénalisation économique attribuée aux ‘’charges’’ patronales, la personne handicapée, le malade de longue durée, et le simple patient trop à la peine devant ses frais de santé, finissent par être invisibilisés - quand ils ne sont pas catalogués comme aussi ruineux que les fraudeurs à la carte vitale.

La multiplicité des risques VERSUS le « Gouverner, c’est prévoir ».

Même si, dans un premier temps (le réalisme l’emportant sur les annonces en sens contraire destinées à concilier la nouvelle majorité relative), les augmentations d’impôts et autres formes de contributions publiques doivent prendre, dans l’engagement de la réduction des déficits,  une part plus importante que celle des coupes budgétaires – les plus marquantes impliquant des changements structurels, et donc le délai d’études préalable que ceux-ci supposent -, le cumul des deux démarches, sur les trois années à venir, se projette sur fond d’une surabondance de risques sociétaux. Leur inventaire, et encore bien davantage celui des évènements sur lesquels ils sont susceptibles de déboucher – lesquels vont par nature du providentiel au brutalement chaotique -, sortent trop largement du champ ouvert à l’anticipation raisonnée et distancent les prévisions, même court-termistes.

Tout juste a-t-on de prime abord devant nous, d’un côté, l’épuisement du système monarchique de la Vème république qui expose son impuissance à contenir une extrême droite forte de sa confiscation  des colères sociales et multi catégorielles qui fracturent la nation , et de l’autre côté, la résilience démocratique qu’a portée, avec deux fois plus d’électeurs que le RN, le front républicain au second tour des élections législatives de 2024.

Si l’Histoire ne révèle rien des parcours et des accidents qui, d’échéances en échéances, en écriront la suite – qui entrevoyait en 1789 le paysage politique qui se composerait trois années plus tard ? – quelques éléments heureux de mémoire suggèrent que le départage entre alternatives optimistes et pessimistes sollicite toujours, et au minimum à la marge, l’esprit des Lumières en faveur des premières.

Un renfort que d’aucuns trouveront incertain. Mais qui, surtout, est des plus réticents à laisser renseigner ses contours. Tout juste sait-on qu’il associe l’intelligence et la compassion, l’écoute de l’autre et la solidarité qui en découle. 

Didier LEVY – 11 octobre 2024

D’HUMEUR ET DE RAISON

 

 



[1] « Sept jours : 17-23 juin 1789. La France entre en révolution », Tallandier, 2020.

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