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vendredi 11 février 2011

on peut lire Céline sans être antisémite comme on peut lire Proust sans être homosexuel : NOTRE GRAND CONCOURS.

on peut lire Céline sans être antisémite   ...
comme on peut lire Proust sans être homosexuel 

  NOTRE GRAND CONCOURS  !

Nicolas Sarkozy s’est dernièrement mêlé, dans le registre du péremptoire où il est incomparable, à la controverse sur la commémoration de L-F Céline dans l’inventaire des célébrations nationales inscrites pour l’année 2011.

L’étonnant - pour autant qu’il puisse rester une place pour l’étonnement dans ses dires et dans ses faits - n’est pas qu’il se soit institué en arbitre des hommages dus par la patrie reconnaissante aux écrivains des siècles passés : n’avait-il pas déjà rayé Mme de La Fayette de la liste des auteurs à connaître et à considérer ?

Et ce n’est pas davantage que la position qu’il a affirmée balayait d’un revers de manche l’opprobre qui pèse sur l’auteur, entre autres ignominies, de Bagatelles pour un massacre.

L’insolite, ou l’ahurissant, dans le non-lieu ainsi rendu tient à ce que les attendus de celui-ci, embrouillant des considérations d’histoire politique et d’histoire de la littérature, aient appelé à la cause un Marcel Proust qui ne demandait rien, et qu’on pouvait a priori regarder comme tout à fait étranger au débat.

Sans doute a-t-il voulu par là démontrer une capacité à dominer aussi bien sujets historiques que thèmes de causeries littéraires, et une égale maîtrise des domaines de l’histoire et de la culture.

Or, s'il est deux matières que Nicolas Sarkozy devrait se garder d'aborder, ce sont bien précisément l'histoire et la culture.

Pour la première, sur la simple raison que l'intelligence du sujet lui échappe. Il n'entre aucune critique dans cette affirmation, tout bonnement le constat d'un handicap intellectuel très probablement sans exemple parmi tous les hommes publics qui ont gouverné ou aspiré à gouverner la France depuis cinquante ans.

Handicap d'autant plus flagrant que parmi ces hommes publics, nombreux furent ceux qui manifestèrent une familiarité personnelle avec la matière historique, familiarité si partagée d'ailleurs qu'elle forme probablement un caractère commun et spécifique au personnel politique français. Quelques-uns ont même associé à la mémoire qu'ils ont laissée une sorte de communion intime de leur personnage avec l'Histoire - dont leur pensée s'est constamment nourrie et à laquelle ils n'ont cessé de confronter leur destin.

L'inintelligence de l'Histoire dont Nicolas Sarkozy est affligée l'a exposé au contresens - la lettre de Guy Môquet pour émouvante qu'elle soit, n'est en rien représentative et ne témoigne pas de ce que fut le sacrifice des résistants capturés, torturés et tués par l'occupant nazi ou ses complices français - ou à des embardées médiatiques du plus mauvais goût - l'idée mortifère et absurde de faire parrainer par des écoliers d'aujourd'hui les enfants juifs assassinés par les génocidaires hitlériens.

Il y a une dimension si forte dans ce qui rend Nicolas Sarkozy étranger à l'Histoire que sa présence physique dans les lieux de mémoire, fussent-ils les plus poignants, affaiblit cette mémoire et fait s'évanouir l'émotion.

Se rend-il ainsi à la commémoration annuelle de l'écrasement du maquis des Glières et le personnage qu'il y figure dans la neige, loin de susciter recueillement et fierté patriotiques - n'est pas Malraux qui veut, il est vrai - rappelle d'abord les approximations, les contre-vérités, les outrances et les partis-pris qu'il a fait rebondir depuis dix ans de discours en discours.

Ce n’est pas tout : s'être réclamé de Blum et de Jaurès pour se faire ensuite prêter, en guise de villégiature de repos d'après-campagne, et en lieu et place du monastère où il avait annoncé qu’il irait méditer sur la fonction présidentielle (méditation assez peu laïque en vérité), le yacht d'un milliardaire investi dans la Françafrique, prêt assorti de l'usage de l'avion privé du même bienfaiteur, fait que ce déplacement aux Glières, par un détours d’incrédulité, n’impose à l'esprit, tout tourné qu'il soit a priori vers l'hommage aux combattants de la résistance intérieure, que la puissance d’un doute : sa présence à la cérémonie du plateau des Glières tiendrait-elle à ce que Nicolas Sarkozy, entre autres lacunes historiques, n’a jamais entendu parler des maquis du Vercors ou du Mont Mouchet et de leur fin également tragique ?

Pour la culture, chaque occasion qu'il croit pouvoir saisir de s'y risquer montre davantage qu'il s'aventure là sur un terrain pour lui des plus incertains. Une inclination de longue date pour les séries américaines à laquelle il a été sûrement trop cédé, un parcours hâtif du Lagarde et Michard en guise de viatique pour ne pas perdre un excès de points à l'épreuve de français du bac, et une lecture des classiques dont on imagine facilement qu'elle s'est longtemps bornée aux albums d'Astérix et de Lucky Luke (les clins d'œil à la culture générale et autres citations latines détournées dont les dialogues de René Goscinny ont été si friands passant plus que vraisemblablement inaperçus au lecteur Nicolas Sarkozy faute pour celui-ci de posséder l’acquis des savoirs nécessaires à leur décodage), sont autant d'indices d'une appétence très parcimonieuse pour les œuvres et leurs auteurs.

Tout n'est-il pas dit en la matière dans le cas de Nicolas Sarkozy par sa complaisante familiarité avec TF1, par les personnages du show business dont il a réuni les soutiens, et par son intérêt revendiqué pour le football et le cyclisme professionnels qui cible avec fascination les incarnations de ce qu'ils ont respectivement de plus vulgaire - l'argent - et de plus glauque - le dopage.

Nicolas Sarkozy allant à la rencontre de la culture n'est assurément pas un fait d'actualité courant, mais l'évènement quand il se produit laisse toujours percevoir quelque chose d'absolument incongru : le Général de Gaulle pouvait assister à la finale de la Coupe de France de football, on n'y voyait que la simplicité bonhomme du monarque au milieu de son bon peuple ; Nicolas Sarkozy, qu’il parcoure une cathédrale ou qu’il visite, par privilège éminemment dommageable, les peintures des grotte de Lascaux, ou encore qu’il prononce l’éloge que la note secourable d’un conseiller a consacré à tel créateur, fera toujours venir immanquablement à l'idée que son inclination véritable va aux modernes jeux du cirque, que son enthousiasme le plus spontané se porte sur leurs stars cousues d’or, et qu’il ne trouve nulle part ailleurs mieux sa place naturelle que dans la voiture d’un directeur du Tour de France.

Le pire se présente quand il mobilise conjointement l’histoire et la culture au service d’un exercice programmé de son agenda des postures de communication, ou quand il les enrôle dans l’accomplissement d’une idée-fixe ou d’une lubie. Cela nous a donné l'invention d'un musée de l'Histoire de France - dont on peut s'attendre à ce qu'il soit aussi étranger à l'Histoire, qui n’est narration qu’en ce qu’elle est recherche et remise en cause, que peut l’être à la citoyenneté républicaine la mise en débat de la métaphore nauséeuse de l'identité nationale.

Pour remonter un peu plus haut dans le temps, et pour y trouver le modèle quasi indépassable du non sens revendiqué comme pensée politique, cela a produit - et qu'importe la main qui a tenu la plume puisqu'en l'espèce, la plume était serve et la parole était libre - le consternant discours sur ‘’l'homme africain’’ dont l'Afrique n'est pas près d’excuser les ignorances sur lesquelles il s’est bâti, ni d’oublier les préjugés qui sont à sa source.

C’est dans le même ordre d’idées que mérite un sort particulier la formule suivant laquelle on peut lire Céline sans être antisémite comme on peut lire Proust sans être homosexuel - toute dernière en date de celles que le discours sarkozien nous a asséné avec la fausse candeur si singulièrement niaise qui lui est propre dans l’expression d’une certitude inepte.

Elle le mérite pour l’énormité de l’erreur de raisonnement qu’elle renferme, erreur tenant à ce que la proposition est construite sur l’association deux notions - l’antisémitisme et l’homosexualité - et à ce que sa démonstration s’étaye sur leur mise en rapport ; or celle-ci n’aurait de sens que si entre ces deux notions existait une relation d’équivalence, d’analogie ou de similitude.

Tel n’est évidemment pas le cas - car entériner ce type de lien pour expliquer qu’on mette en parallèle l’antisémite et l’homosexuel reviendrait à confondre la catégorie des bourreaux et celle des victimes (ce que l’on n’aura pas l’idée d’imputer à Nicolas Sarkozy) - et c’est là que se situe l’attentat aux règles de la logique.

Entre le juif et l’homosexuel, en revanche, existe l’équivalence qui procède de ce que les infamies et les crimes qui les frappent ont des causes qui s’entremêlent et des cheminements partagés, et qu’ils relèvent ainsi du même ordre d’abaissement et de dégradation de l'entendement humain.

Ce sont bien en effet les mêmes structures du cerveau archaïque, des pulsions hideuses de même type, des superstitions voisines ou associées et une égale stupidité dans l'abjection qui produisent antisémitisme et homophobie.

Pendant des siècles dans tout l’occident chrétien, Juifs et homosexuels sont morts identiquement sur les bûchers quand leurs persécuteurs ne trouvaient pas de fin plus expéditive ni surtout de supplices plus atroces à leur réserver. Au siècle passé, où la raison et le progrès s’attendaient à l’emporter et qui fut avant tout celui des totalitarismes dominateurs, chacun d’entre eux à sa manière les a traqués, les regardant les uns et les autres, et pour ce qu’ils étaient spécifiquement, comme des corrupteurs à éliminer du corps national et social.

Seuls le chiffrage quantitatif final des victimes et le degré atteint dans l’horreur commise à leur encontre distinguent dans ses modalités l’exécration vouée, pays par pays et travers le temps, à l’israélite et à l’inverti.

Leur plus grande visibilité et donc leur plus grand vulnérabilité dans les sociétés chrétiennes, puis le poids abominable de leur extermination génocidaire par les nazis, font des Juifs les victimes exemplaires de la démence humaine portée à ses dernières extrémités ; mais, pour l’Europe, les près de deux mille ans qu’a duré la répression de l’homosexualité inscrivent également ses victimes au martyrologue des persécutés : le temps est court depuis qu’a commencé d’être démantelée la généralité des lois qui réprimait ce qui était vu comme un outrage à la fois à la loi divine et à la loi naturelle, et donc comme une abomination justiciable de châtiments dont la cruauté ne faisait qu’anticiper sur la damnation à venir.

A l’arrière-plan de l’insurmontable séparation entre victimes et bourreaux sur laquelle trébuche la démonstration où s’est aventurée Nicolas Sarkozy, un autre genre de confusion frappe de nullité le rapprochement dans le même argumentaire de l’antisémite et de l’homosexuel : elle tient à ce que si l’antisémitisme porte en lui par essence l’incitation à haïr et la propagation de la haine, l’homosexualité ne se détermine pas par l’effet d’un prosélytisme activiste ou insinuant, ou même seulement côtoyé - et encore moins d’un prosélytisme mû par le fanatisme et le mépris du dissemblable.

C’est en l’espèce, l’exemplaire propension du système de pensée sarkozien à raisonner faux qui par le vice qui affecte l’architecture de la démonstration, donne à sous-entendre qu’on pourrait raisonnablement imputer à l’homosexuel d’agir par corruption et contamination.

Il est heureusement bien peu d’esprits un tant soit peu éclairés pour penser aujourd’hui que l’homosexualité est une perversion qu’on contracte au contact des gays, et sûrement bien moins encore à y voir les effets pervers d’une propagande des milieux homosexuels voire à la contagion produite par les œuvres d’un écrivain ‘’de ce bord-là’’.

Mais le démenti le plus cinglant au rapprochement fautif de Nicolas Sarkozy procède de la considération que l’antisémitisme a pour seul aliment la haine, et la plus invincible, et que ce qui à travers les âges réunit Juifs et homosexuels est d’être, en Occident, les victimes les plus désignées de celle-ci.

La haine militante, éructante et meurtrière ne s’est pas partagée en deux camps ; les assassins de youtres et de sodomites en ont gardé et en gardent, vis à vis de leurs victimes, le monopole absolu.

A-t-on en Europe, des villes de l’Alsace médiévale aux immensités de l’empire russe, la mémoire de pogromes perpétrés par les juifs et, du temps historique où rayonnaient nos racines chrétiennes jusqu’au temps resté si proche du régime de Vichy, l’exemple de lois qu’ils auraient conçues en vue d’enfermer les goys dans des ghettos ou dans le statut de sujets rejetés, privés de droits et spoliés de leurs biens ?

Si les juifs de la diaspora n’ont jamais songé à stigmatiser quiconque d’une autre origine en lui imposant le port de quelle couleur d’étoile que ce soit, les homosexuels n’ont pas plus qu’eux projeté d’enfermer une catégorie spécifique d’êtres humains dans des camps pour les y faire mourir de privations, sous les coups ou au terme de traitements atroces - et finalement dans l’accomplissement du projet innommable d’éradiquer la terre de leur présence.

Les homosexuels ne se réunissent pas non plus en petites bandes de nazillons alcoolisés, d’attardés mentaux et de brutes sadiques pour régler le rapt de voisins ou d’inconnus qu’ils soupçonneraient de ne pas partager leur orientation sexuelle, dans le but prémédité de les conduire sur le terrain vague isolé, ou dans la cave choisie avec soin, où ils trouveraient toute la commodité nécessaire pour les rouer de coups, pour les torturer, les mutiler et les mettre à mort.

On n’a pas davantage trace d’une législation imaginée par des homosexuels dont l’objet serait de priver les hétérosexuels, en vertu de leur état, du droit naturel de se marier ou de celui, tout aussi fondamental, d’adopter un enfant ou d’accéder à la procréation assistée - sauf à dissimuler, pour ce qui est de satisfaire leur désir d’enfant, à la fois ce qu’ils sont et le couple qu’ils forment, et à devoir le faire jusqu’à l’extrême limite de ce qu’il est possible de garder secret dans une vie sociale.

Si demain d’ailleurs, il se trouvait que les homosexuels deviennent majoritaires dans tel pays, ou qu’ils doivent assurer leur liberté et leur sécurité par la création, dans la contrée qui s’y prêterait, d’un état qui leur soit propre, de quelle condamnation ne fulmineraient pas les instances internationales et les défenseurs des droits humains si une législation de ce genre, aussi discriminatoire envers les hétérosexuels, y était d’aventure promulguée ?

On concevra bien que tout ce qui précède n’a été développé que pour pousser au plus vif degré de clarté et d’évidence le fourvoiement où est tombée la démonstration qu’a risquée Nicolas Sarkozy en voulant justifier que le personnage de L-F Céline ait figuré au recueil des célébrations nationales.

On en conclura aussi qu’à raisonner faux, on risque de raisonner odieux - ce qui, dans la mise en parallèle de L-F Céline et de Marcel Proust, et dans celle de l’antisémite et de l’homosexuel, a assurément été le cas.

Ceci étant, si la colère répond légitimement à l’odieux, rien n’interdit de la colorer de cette sorte d’humour qui dans la confrontation des sujets les plus accablants participe d’une salutaire hygiène mentale. Dans le champ du politique où l’ironie est le sel de l’opposition, comme elle constitue l’arme première de toute entreprise de subversion, cette coloration empruntera beaucoup à la dérision.

Dérision qui s’apparente à un exercice spirituel (et qui comporte la même exigence d’une pratique régulière) dans un système qui affiche qu’un PDG du CAC 40 peut, dans la norme pratiquée, se faire payer 10 millions d’euros par an et où le bonus d’un trader s’apprécie, on ne sait même plus à quelle échelle de temps, en années de salariat d’un smicard ; et dans une société qui marche suffisamment sur la tête pour rémunérer incomparablement mieux - et jusqu’au degré de l’obscène - un joueur de football qu’un professeur au Collège de France, ou pour s’accommoder de ce que la rémunération d’un animateur de télévision soit à ce point supérieure à celle d’une infirmière ou d’un instituteur qu’elle rende vaine toute interprétation comparative des positionnements de leurs bulletins de paie respectifs.

Dérision qui s’impose encore plus dans un pays qui a élu qui l’on sait en 2007 et qui depuis, stupéfait ou accablé, est le spectateur d’un règne qui agrandit jour après jour l’étendue des injustices et des inégalités et qui piétine sans retenue les bornes de la décence civique.

C’est bien pourquoi le choix sera fait de traiter sur un ton un peu moins grave de l’idée saugrenue, indirectement posée dans la démonstration de Nicolas Sarkozy, que la lecture des œuvres de Marcel Proust pourrait mener à l’homosexualité, et de passer in fine la concernant dans le registre du caustique.

Lire Céline peut rendre antisémite parce que l’antisémitisme se propage par contact et qu’il s’exposerait à dépérir s’il entrait dans l’ordre du monde que cette propagation pût durablement s’interrompre. En revanche, s’il n’est pas rare que la révélation à soi-même d’une orientation sexuelle, ou de toute autre sensibilité, naisse d’un livre comme elle le ferait d’une situation vécue, il n’est évidemment pas un volume, pas une phrase, pas une ligne de Proust à qui il soit imputable d’avoir rendu son lecteur homosexuel.

L’homosexualité ne procède en effet pas davantage de cette forme de contagion que d’aucune autre, mais d’un assemblage de facteurs intimes ; et de la même manière que pour la conformation hétérosexuelle, les apports de l’inné et de l’acquis se combinent sans doute dans cet assemblage suivant l’alchimie secrète qui construit chaque personnalité et qui préside à l’individualité du vivant.

L’antisémitisme ordinaire, et cela vaut pour tous les types de racisme, convertit des esprits faibles, aux capacités intellectuelles réduites, à l’instruction lacunaire et au sens critique insuffisamment formé ou laissé en jachère ; toute lecture où il retrouvera ses parti-pris et ses obsessions, qu’elle soit accidentelle ou délibérée, d’une plume misérable ou d’un auteur illustre, viendra facilement l’exprimer, l’alimenter et le conforter.

Le passage à l’antisémitisme monomaniaque, furieux, fanatique et doctrinaire s’enclenche - c’est au moins la condition la plus courante -  lorsque sur cet antisémitisme primaire vient se greffer une perversion propice ; le malheur veut qu’on en trouve en abondance dans l’humanité toutes les variétés requises.

Vis à vis de l’un et de l’autre état, de la déficience intellectuelle comme de la pathologie antisémite, la lecture de Céline ne produit pas un effet différent de celle d’un Drumont ou d’un Maurras : leurs pages immondes ou sordides, quand elles ne constituent pas la cause originelle ou le fait fondateur de l’antisémitisme du sujet qui les découvre, lui fournissent une sorte de tremplin qui amplifie l’élan et l’allant de son délire et de sa sottise.

Comment donc avoir pu rapprocher les caractères propres à la propagation de l’antisémitisme d’une hypothétique exemplarité de l’homosexualité d’un écrivain ?

Le rapprochement est absurde à un degré tel que le seul intérêt de s’y attarder réside en ce qu’il expose, une fois encore, ces fausses-symétries sur lesquelles fonctionne le mode de raisonnement sarkozien et qui en sont l’identifiant le plus spécifique.

Elles peuvent conférer sur le moment une apparence de logique au discours de Nicolas Sarkozy et un air de pertinence à son argumentaire, mais exactement comme des fausses-fenêtres apportent une illusion d’équilibre architectural à une façade.

Dès qu’on y regarde de plus près, ces fausses-symétries sautent aux yeux, et avec elles l'exposition de ce qui rend immanquablement bancal tout développement d’une argumentation sarkozienne : ce mélange de raisons qui n’en sont pas, de causalités indémontrables, de similitudes alléguées à contresens et de syllogismes boiteux - le tout assemblé sur le principe suivant lequel ’’plus c’est gros et mieux ça passe’’, et pour servir la cause de présupposé hâtifs et de préjugés censés être insusceptibles d’examen critique.

Comment dès lors s’étonner, le vice du raisonnement ajoutant à l’indigence de la réflexion, que le sarkozisme ait pour premier signe distinctif ’qu'il ne manque jamais d'apporter de bonnes réponses à de mauvaises questions’’ ?(voir sur ce blog : « CONCOURIR A UNE DEFINITION DU SARKOZYSME », publication du lundi 11 octobre 2010).

Face au dérèglement de la raison qui se donne à voir en l’espèce, le moyen de réfutation la plus pédagogique est finalement d’en rire - vu le personnage en cause, on n’ira toutefois pas jusqu’à prétendre qu’on puisse en rire de bon cœur ...

   ¨   Mais tel est bien le sens du concours qu’on se propose ici d’ouvrir et qui invite les lecteurs du dazibel « penserlasubversion » à imaginer, dans la même veine que celle de l’impérissable ‘’on peut lire Proust sans être homosexuel’’, leur lot de sentences tout aussi absurdes - et à le faire dans l’abondance que le non sens exemplaire de ce modèle pourra leur inspirer de produire.

Quelques exemples suffiront ci-après à éclairer la méthode et la règle de ce concours, même s’il est très prévisible que ses participants feront preuve d’une capacité d’invention et de rosserie très supérieure à celle dont témoignent ces spécimens, qui donnent tout au plus un simple avant-goût de l’exercice.

Il y a certainement beaucoup à attendre, en effet, des ressources mêlées du comique de l’absurde, de la cocasserie surréaliste et de l’appétit de satire que cet appel d’offres a tout pour mobiliser. Les unes et les autres étant dynamisées par l’exaspération suscitée depuis bientôt dix ans par un bonhomme qui, dans les étapes successives de sa calamiteuse ascension, a excité une quantité de détestation dont il est à penser qu’en temps de paix, aucun homme public n’en avait réunie une comparable depuis l’Ancien Régime.

Ces ressources coalisées puiseront sans doute également dans l’inventivité que leur a léguée l’esprit de mai 1968, celui-là même contre lequel Nicolas Sarkozy, certain soir d’élection, entreprit abruptement de partir en croisade.

il trouvait ainsi, il est vrai, une apparence de consistance intellectuelle dont recouvrir la combinaison de compulsif et d’impulsif qui l’agite et, vis à vis cette terre de mission que représentait a priori pour lui le monde des intellectuels, de quoi séduire les clercs les plus notables du parti de l’Ordre - les plus indurés comme les plus récemment convertis.

Pour la suite, il s’offrait là le minimum de référentiel idéologique apte à fournir une cohérence à l’accumulation d’interdictions, de prohibitions et de sanctions que fabriqueront ses édits et ses ukases, et qui est constitutive du système sécuritaire et punitif dont s’accommode si merveilleusement une société déchirée par sa fuite en avant dans la pauvreté, les iniquités et les abus.

L’esprit de mai 68 attend sa revanche : il a beaucoup à espérer des limites où la conjonction du bouffon et du caustique, et les apports des mauvais esprits en tous autres matériaux subversifs, sont susceptibles de porter l’entreprise de dérision qui est ici ouverte.

Si les exemples annoncés sont donc probablement peu de chose au regard des contributions attendues, proposons néanmoins, in fine, ces quelques illustrations du principe du jeu :

-          on peut lire Jean-Jacques Rousseau sans exposer ses enfants à se retrouver à la DASS,

-          on peut tenir Le Rouge et Le Noir pour le plus grand roman jamais écrit sans avoir pour autant à craindre davantage les pannes d’érection,

-          on peut relire avec émotion les poèmes de Nerval sans finir sa vie au petit matin dans une rue du XVI ème arrondissement, suicidé et pendu à un réverbère,

-          on peut voir en Victor Hugo le plus grand des poètes français - et sans ajouter « hélas » - et ne pas en retirer l’assurance d’être capable de trousser sa femme de ménage à quatre-vingt ans passés,

-          on peut admirer Zola sans pour autant négliger dangereusement l’entretien de ses appareils de chauffage,

-          on peut se replonger dans l’œuvre d’André Gide sans éprouver une excitation proche de la folie à la vue de petits Arabes ou une attirance irrépressible en croisant de jeunes vachers du pays cauchois,

-          on peut penser que Camus avait raison contre Sartre et ne pas être promis à compter au nombre des victimes de la route,

-          on peut …


Attendons donc de départager les trouvailles des compétiteurs, et apprêtons-nous à nous réjouir de l’incisif et du corrosif qu’à coup sûr ils y mettront.

Quelque chose nous dit que les contributions à ce concours réuniront tout le nécessaire propre à leur fera revêtir le caractère le plus décoiffant et même le plus férocement scandaleux pour les escadrons cuirassés des bien-pensants d’aujourd’hui.

Car ce sont bien eux l’adversaire, ces escadrons cuirassés qui le sont de leurs certitudes - le marché a toujours raison et il n’est d’autre culture que celle des résultats - et de leur insensibilité au sort des travailleurs pauvres, d’un degré égal à celle qu’ils réservent au destin des poulets élevés en batterie.

Et qui sont par-dessus tout cuirassés d’avoir adhéré sans état d’âme à un darwinisme sociétal qui a posé que la religion de la performance et le culte de l’évaluation commandaient l’élimination sociale des maillons faibles.

Autrement dit, qui épousent en parfaite harmonie le Premier Commandement du personnage qui a imposé le sujet du présent article : on n‘a pas à s’excuser d’être riche.

Qu’on ne pense pas que le rapport est ténu entre cette ultime citation et celle qui titre le texte aujourd’hui proposé sur ce blog - l’une et l’autre rapportent de ce qu’est aujourd’hui l’obscénité en politique, et ne se distinguent que comme le feraient deux cibles voisines exposées au tir des archers.


Vieilles-Maison-s-Joudry, le 11 février 2011


Martin Avaugour - Denis Kaplan - Jacques Langlade