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mercredi 9 novembre 2022

L’ULTRA DROITE APPROCHE-T-ELLE DU POUVOIR ?

 

Au lecteur de distribuer les portefeuilles …

 

Quand les copier-coller du Bolsonarisme étendent leur influence, les classifications qui délimitent les activismes politiques les plus abjects tendent à devenir poreuses, et le contour du cimetière des valeurs où ces activismes se goinfrent des décompositions de l’intelligence, en vient à se faire incertain.

 

Dès lors, l’énumération, dans les composantes de l’ultra-droite, des mouvances les plus sûrement classables comme identitaires, nationalistes, xénophobes, racistes, peut-elle encore se borner à la citation des groupes ou groupuscules qui perpétuent l’Action française, ou qui se réclament du catholicisme intégriste, ou qui se désignent comme néo-fascistes ou néo-nazis ?

 

Toutes les exploitations nauséeuses du meurtre sauvage d’une gamine de 12 ans qui déferlent sur les réseaux numériques, et qui ont très largement débordé sur le champ médiatique des prises de position politiques, n’ont-elles pas en commun de puiser dans le bréviaire de la haine où, depuis près d’un siècle et demie, se nourrit chacune des nuances de l’extrême-droite ?

 

Un bréviaire dont les auteurs ne se distinguent que par le type de la perversion dont ils sont possédés, par la nature de la pathologie cérébrale qui les dirige. De la paranoïa aigue d’un Maurras, dont les délires trouveront en l’Etat français maréchaliste la ‘’divine surprise’’ qui leur donnera force de loi, aux représentations mentales ancrées pareillement dans le racisme et l’antisémitisme qui ont configuré l’idéologie et le discours d’un J-M Le Pen ou, avant lui, les phobies et les crimes d’un Darquier ‘’de’’ Pellepoix ou la collaboration avec l’Occupant du Brasillach anti-juif de Je Suis Partout.

 

Quant aux lecteurs convaincus de ce bréviaire, leur adhésion se détermine d’abord par leur niveau d’ignorance et leur degré d’imbécilité qui, à leur plus profond et conjugués à l’emprise d’arriérations indéracinables, les rallieront à l’argumentaire discriminatoire ou ostracisant le plus obsessionnel : sans ce cumul d’infirmités du jugement, à qui ferait-on croire que la nationalité algérienne et la désobéissance (d’une semaine) à une OQTF, font d’une jeune femme une tueuse d’enfants, que ce soit sous l’effet d’une pulsion atroce ou d’une maladie psychiatrique ?

 

 

¤ La fin du cordon sanitaire

 

Longtemps après la Libération, et en particulier pendant les deux décennies qui suivent la défaite de l’OAS, le cordon sanitaire auquel l’ultra-droite se heurtait a confiné ses miasmes - qu’elles qu’aient pu être les dérives vers l’autoritarisme droitier dont a fait montre l’aile dure du gaullisme politique. Une écrasante majorité de la droite n’a ensuite rien concédé au Front national pendant toute la période de l’ascension du lepénisme originel. En 2002, la victoire écrasante de Jacques Chirac a ainsi été celle du candidat de tous les républicains. Plus tard, les lignes de différenciation entre la droite et l’extrême-droite sont progressivement devenues moins nettes : sous la direction de Marine Le Pen, le Rassemblement national a réussi à pratiquer un habile chevauchement de la frontière entre la République et son contraire en termes d’idées et de principes.

 

L’élection présidentielle de 2022 a fait voler en éclat les barrières posées par la droite pour prévenir une contamination idéologique de ses rangs par l’extrême-droite. Non directement du fait du parti de Marine Le Pen qui, sans rien renier de la xénophobie qui est dans gènes, a opté pour une ligne populiste englobant tous les autres ressorts de la démagogie droitière. C’est de la résurgence publique du bréviaire de la haine, dans sa reformulation zemmourienne, que tout a basculé, et à l’instant où l’incarnation de la ligne la plus sécuritaire (et majoritaire) de LR a déclaré qu’à un tour final départageant le président sortant et Éric Zemmour, il voterait sans hésiter pour le second.

 

Quoiqu’il soit advenu, au final, s’agissant des scores électoraux (pour la séquence présidentielle et pour celle des législatives) des parties prenantes à cette main tendue, et donc très au-delà des soutiens affirmés du polémiste hier appointé par les médias de M. Bolloré, c’est une ultra-droite en réseau, d’autant plus invasive que le bornage qui la circonscrivait est devenu inexistant ou intraçable, qui postule la première place dans notre vie politique. Electoralement, le RN a certes acquis une position prépondérante à droite, mais c’est la force d’influence et d’entraînement de cette ultra-droite, capable au reste d’opérer une OPA sur l’ancien parti frontiste où elle possède de larges entrées, qui est à même d’amener au pouvoir une subversion idéologique du régime républicain – ou de ce qu’il en reste après six décennies de monarchie élective et de pratique quasi permanente (hors ‘’cohabitations’’) d’une gouvernance de pouvoir personnel.

 

 

¤ Une impasse que l’ultra-droite transforme en autoroute

 

Et ce d’autant plus que « l’impasse de la nation » offre toutes ses chances à un autoritarisme réactionnaire et récusateur par nature des droits humains qu’institue une démocratie. Une impasse telle que la découvrent les multiples fractures sociétales, sans cesse plus étendues et plus profondes et, partant, de moins en moins réductibles, la crise du système démocratique corrélée à l’inaccessibilité du consensus et à la dévaluation de la représentativité, la perte de la notion de Bien commun sous l’effet dévastateur des ressentis de privilèges scandaleux et d’inégalités insoutenables, avec en surplomb les défis écologiques et climatiques, de plus en plus perçus en ce qu’ils ont d’inouïs de par leur nombre et leur ampleur, et de par l’obscurcissement des perspectives économiques et sociales qui accable la période en laquelle il en est si tardivement pris conscience.

 

La réapparition, pour la nation, du risque d’être projetée dans une guerre à ses frontières venant de plus signifier qu’un déclencheur géopolitique peut s’ajouter à ce que l’improbabilité ou l’incapacité de sortir de cette impasse comporte comme perches tendues à l’ultra droite. Autrement dit, comme opportunités offertes à un ‘’bolsonarisme à la française’’ de se voir livrer la conduite de l’Etat (que le modèle original connaisse un échec électoral dans le pays où il a sévi pendant un mandat présidentiel, ne retire rien à la possibilité de son rebond en Europe où tant de régimes d’une nature voisine, ou quasi identique, ont déjà tenu toutes les rênes du pouvoir pendant des décennies – l’Espagne franquiste ou le Portugal de Salazar entre autres). 

 

 

¤ A qui se fier pour la construction d’un rempart ?

 

Qui, alors, pour faire barrage à une subversion de la République – celle de Condorcet, de Victor Hugo et de Jean Jaurès, celle de ‘’J’Accuse’’ et du programme du CNR - par l’ultra-droite ?

 

Est-il besoin d’argumenter que ce ne saurait être du côté de la Macronie que se forme ce rempart ? D’abord parce qu’il est improbable qu’elle se prolonge en tant que telle au-delà du second et dernier mandat de son inventeur et maitre d’œuvre. Ensuite, et avant tout, parce que ce dernier y a tout mis de son inclusion intellectuelle dans l’univers conceptuel du néocapitalisme - tel que celui-ci, depuis le début de la décennie 1980, en a idéologiquement armé sa reconquête des positions perdues par le capital du New Deal à l’éclosion du Welfare State.

 

Toutefois, l’intégration totale d’une pensée et d’une action politiques – hors concessions circonstancielles devant la menace d’une perte de pouvoir - dans une doctrine économique que l’ultra-libéralisme a ressorti du XIX ème siècle pour nous ramener aux ukases du tout-marché et au culte de la concurrence, sous le mirage (enfin dissipé) d’une ‘’mondialisation heureuse’’, ne suffit pas pour tirer le bilan de la démarche qui est allée de pair. Il faut alourdir ce bilan de ce qui revient à une méconnaissance ou à un déni de l’histoire, si ce n’est à un dépérissement de l’intelligence de l’histoire.

 

Ainsi, fustiger la dépense publique en l’assimilant à un gaspillage (doublé d’une ‘’sale manie’’ - cf. « les cocaïnomanes de la dépense publique »),  ce qu’elle est, bien sûr, si l’on tient que la plus grande part de la richesse nationale doit aller aux placements en tous genres des intérêts privés – n’est-il rien d’autre que l’oubli ou le déni d’une constante de notre histoire : la dépense publique a été et demeure ce qui forme l’assise et assure le maintien de la nation, en ce qu’elle se confond avec les moyens dont dispose l’Etat pour remplir ses missions.

 

Des missions et des moyens qui ont fait que la nation, depuis son origine, s’est réunie autour de l’Etat. A charge pour l’Etat, quelque en ait été la forme, de protégeer ses membres autant que ceux-ci l’attendaient de sa part.

 

Faute d’assurer cette protection, l’Etat perd sa légitimité en tant que détenteur de l’autorité que la nation lui a confiée, tandis que le défaut de protection prive in fine la nation de sa raison d’être.

 

De la désertification médicale à la paupérisation de l’hôpital – aussi scandaleusement impensables l’une que l’autre -, de la perte de confiance en la justice, rendue sourde ou tardive à l’extrême pour avoir été privée d’effectifs et de moyens, à la disparition des services publics dont la proximité entérinait la présence de la République dans l’étendue de son territoire, inclus dans celle de la France dite périphérique et rurale, de la privatisation des grands moyens publics, qui constituaient des leviers primordiaux pour garantir et activer la primauté de l’intérêt général, à la dénaturation en entreprises marchandes de ceux de ces moyens publics qui n’étaient pas assez rentables pour être vendus à l’encan (énumération bien évidemment non limitative, et notamment si le diagnostic se poursuit, allant de l’école aux EHPAD), l’Etat républicain s’est ainsi placé à la première place des fauteurs de l’impasse de la nation ci-avant dénoncée. En la matière, la gouvernance macronienne a plus clairement affiché que ses devancières la part que son idéologie occupait dans ces désastres civiques et sociétaux.

 

 

¤ Discerner dès aujourd’hui les termes de l’alternative ?

 

Récuser ainsi la Macronie, revient à énoncer une alternative. Si évidente qu’un résumé schématique suffit à rendre compte de la confrontation à laquelle elle se réduit.

Dans un cas, une coalition de gauche s’entend sur un projet de nouvelle société, projet à la fois de rupture par son ambition de réanimation de la démocratie – sous les traits d’une démocratie participative, effectivement égalitaire et pleinement solidaire -, et d’insertion de la vie nationale dans la révolution écologique (et non la « « transition », ce faux-semblant). Et cette coalition entraîne la conviction de la majorité des citoyens en faveur d’une somme de changements qui seraient encore bien plus massifs, et bien plus radicaux, que ceux mis en place par les gouvernements de la Libération pour fonder une République sociale dessinée par la Résistance, tout en relevant l’immense défi de la reconstruction de l’après-guerre.

 

Dans l’autre, l’ultra-droite, prospérant sur les peurs les plus irraisonnées et sur les frustrations restées sans réponse, capitalise les suffrages en sa faveur conjointement sur le ressenti d’un mépris immuable à l’endroit du peuple, et sur toutes les nuances de haine que ses composantes ont propagées.

 

Et elle amène au pouvoir ce bolsonarisme à la française dont les promoteurs ne cessent de décliner les thématiques et les têtes de chapitre de son programme. A coup de déclarations devant les médias calculées au point idéal de combinaison de leurs deux ingrédients : le sous-entendu ignoble calibré pour les militants, et la provocation démagogique accommodée au racolage de nouveaux adhérents.

 

 

¤ Le pire n’est pas toujours le plus sûr,

mais il s’imagine facilement

 

La distribution des places et des rôles se devine aisément.si l’ultra-droite draine vers elle une part assez large de l’électorat droitier d’inclination autoritaire et l’emporte aux échéances politiques de 2027 (si tant est - entre bien d’autres causes possibles -, que crise énergétique, inflation, sur-extrémisation des conflictualités autour de la sécurité, de l’immigration, des ‘’quartiers’’ et autres ‘’territoires perdus’’, plus l’immaturité politique dans le maniement du régime parlementaire hors l’existence d’une majorité absolue, n’avancent pas de plusieurs années les ’échéance électorales).

 

Au sommet de l’Etat – puisque dans notre monarchie, l’Etat se flatte d’en compter un, protégé par son intouchabilité politique et de surcroît rendu inaccessible à coup d’impunités – les trépignements d’impatience de Laurent Wauquiez retentissent trop fortement pour qu’une place soit ménagée au plus infime suspens.

 

De très longue date, on prête au reste à l’intéressé une ambition personnelle si démesurée qu’elle le rendrait capable de rayer le parquet avec ses dents sans avoi besoin si peu que ce soit de se pencher. Et, de façon plus matériellement étayée, de n’écarter jamais - et fût-ce au détriment de son propre camp - aucun coup bas, aucune vilénie, aucune perfidie susceptibles de servir cette ambition.

 

Concédons qu’en regard de pays cruellement déshérités pour ce qui est du niveau intellectuel et culturel de leurs politiciens les plus en vue – tels ceux qui élisent un Trump ou un Bolsonaro, et où l’on ne parvient pas à faire son deuil de leur non-réélection -, nous aurons une fois encore en France, avec Laurent Wauquiez, un président ‘’sorti’’ des Grandes écoles. Mais qui pratiquera tout autant les déclarations les plus immondes ou les plus fallacieuses, et les prises de position les plus démagogiques et les plus attentatoires à l’éthique d’une gouvernance démocratique. Tout en sachant, lui, à quelle limite il convient d’arrêter l’inconvenance et la provocation avant qu’elles ne deviennent contre-productives.

 

Une conduite politique savamment rôdée, qui navigue à coup de revirements d’aubaine ou de mises à l’abri, en même temps qu’elle affiche tout le catalogue de résolutions réactionnaires propre à entraîner la majorité sécuritaire, cléricale et nationaliste qui domine au sein de LR (un ralliement affermi par un contrôle pré-acquis de l’appareil). Un catalogue qui, dans le contexte présent, a une vocation considérablement plus étendue que ses promoteurs ont la certitude de réaliser : réunir tout l’arsenal de communication et de persuasion nécessaire et suffisant pour qu’à la droite des néo-conservateurs de LR, il n’existe plus de frontière. Et pour que de la disparition de cette frontière, se forme l’agglomérat durable de l’ultra-droite.

 

 Concrètement, de quoi réunir sur le candidat Wauquiez - avançant dans sa campagne, à mots à peine couverts, comme le chef naturel d’une union de la droite ultracisée promise à la victoire - un nombre assez conséquent d’électeurs de l’extrême-droite populiste ou identitaire pour distancer, à un 1er tour d’élection présidentielle, les candidats ‘’classiques’ de ces mouvances. Candidats qui, par leur ralliement, assureront le succès de leur vainqueur au tour final ; et qui, pour l’une, acceptera probablement, en prévision de la séquence suivante, le lot de consolation d’une présidence de l’Assemblée national, et qui, pour l’autre, se verra promettre le plus formidable accomplissement du destin providentiel qu’il s’est inventé : être nommé ministre de l’Enracinement cultuel, de la Fabrication de l’Histoire et de l’Identité française – nouvelle appellation, on l’aura compris, du ministère de la culture.

 

 

¤ Accordons un instant à la farce

 

Le scénario est par trop sinistre, et par trop calamiteuses se projettent les images de la substitution d’un bolsonaro-trumpisme mâtiné de Manif’ pour tous à une démocratie emportée par ses renoncements et ses aveuglements suicidaires.

 

Accordons donc un instant à la farce, avec la raison supplémentaire que cette farce-ci caricature sans doute à peine la composition, pour les postes-clés, du premier gouvernement nommé par un président Wauquiez.

 

Au lecteur de distribuer les nominations – d’abord celle du ou de la Premier(ère) ministre, puis celles du ministre de l’intérieur, des OQTF et des Rafles, du ministre de la Marine et de la Guerre aux migrants, et du ministre de la justice, de l’Ordre Moral et des Racines chrétiennes. Auxquelles il faut-il ajouter un(e) ministre des affaires étrangères et de la Coopération avec les sectes fondamentalistes et extrémistes nord-américaines, et un ministre délégué à l’Entente franco-russe et aux Amitiés Azerbaïdjano -Bacharistes.

 

En vérité, dresser la liste prévisible des attributaires de portefeuilles ministériels s’avérera un exercice assez facile. Si l’on suit la recommandation de commencer par départager les postulants qui viennent spontanément à l’esprit pour les ministères ci-dessus dénommés : Benito Ciotti, Retailleau-la-Calotte, Marion Maréchal-Nous-Voilà, et Thierry Mariani-des-Causes-à-vomir.

 

S’agissant du locataire de l’Hôtel Matignon, il y a lieu de penser que prévaudra le choix d’un politicien rongé par sa soif de vengeance à l’endroit de la République, de ses juges et de sa presse libre qui l’ont naguère cloué au pilori pour ses improbités et ses malversations ; qui ont ruiné sa candidature et sa carrière en dévoilant ses mensonges et ses gredineries (ce serait offenser le lecteur que de le guider davantage).

 

Enfin, pour Alfred Rosenberg-Zemmour, l’option est déjà prise, parce qu’on ne voyait vraiment pas d’autre poste susceptible de s’accorder à son délire, à ses haines et à sa folie –, mais il est loisible d’en accentuer l’infamie et la dérision.

 

Didier LEVY – 8 novembre 2022