Au lecteur de distribuer les portefeuilles …
Quand les copier-coller du Bolsonarisme étendent leur influence, les
classifications qui délimitent les activismes politiques les plus abjects
tendent à devenir poreuses, et le contour du cimetière des valeurs où ces
activismes se goinfrent des décompositions de l’intelligence, en vient à se
faire incertain.
Dès lors, l’énumération, dans les composantes de l’ultra-droite,
des mouvances les plus sûrement classables comme identitaires, nationalistes,
xénophobes, racistes, peut-elle encore se borner à la citation des groupes ou
groupuscules qui perpétuent l’Action française, ou qui se réclament du
catholicisme intégriste, ou qui se désignent comme néo-fascistes ou néo-nazis ?
Toutes les
exploitations nauséeuses du meurtre sauvage d’une gamine de 12 ans qui
déferlent sur les réseaux numériques, et qui ont très largement débordé sur le
champ médiatique des prises de position politiques, n’ont-elles pas en commun
de puiser dans le bréviaire de la haine où, depuis près d’un siècle et demie,
se nourrit chacune des nuances de l’extrême-droite ?
Un bréviaire
dont les auteurs ne se distinguent que par le type de la perversion dont ils
sont possédés, par la nature de la pathologie cérébrale qui les dirige. De la
paranoïa aigue d’un Maurras, dont les délires trouveront en l’Etat français
maréchaliste la ‘’divine surprise’’ qui leur donnera force de loi, aux
représentations mentales ancrées pareillement dans le racisme et l’antisémitisme
qui ont configuré l’idéologie et le discours d’un J-M Le Pen ou, avant lui, les
phobies et les crimes d’un Darquier ‘’de’’ Pellepoix ou la collaboration avec
l’Occupant du Brasillach anti-juif de Je
Suis Partout.
Quant aux lecteurs
convaincus de ce bréviaire, leur adhésion se détermine d’abord par leur niveau
d’ignorance et leur degré d’imbécilité qui, à leur plus profond et conjugués à l’emprise
d’arriérations indéracinables, les rallieront à l’argumentaire discriminatoire
ou ostracisant le plus obsessionnel : sans ce cumul d’infirmités du
jugement, à qui ferait-on croire que la
nationalité algérienne et la désobéissance (d’une semaine) à une OQTF, font
d’une jeune femme une tueuse d’enfants, que ce soit sous l’effet d’une pulsion
atroce ou d’une maladie psychiatrique ?
¤ La fin du cordon sanitaire
Longtemps après
la Libération, et en particulier pendant les deux décennies qui suivent la
défaite de l’OAS, le cordon sanitaire auquel l’ultra-droite se heurtait a
confiné ses miasmes - qu’elles qu’aient pu être les dérives vers
l’autoritarisme droitier dont a fait montre l’aile dure du gaullisme politique.
Une écrasante majorité de la droite n’a ensuite rien concédé au Front national
pendant toute la période de l’ascension du lepénisme originel. En 2002, la
victoire écrasante de Jacques Chirac a ainsi été celle du candidat de tous les
républicains. Plus tard, les lignes de différenciation entre la droite et
l’extrême-droite sont progressivement devenues moins nettes : sous la
direction de Marine Le Pen, le Rassemblement national a réussi à pratiquer un habile
chevauchement de la frontière entre la République et son contraire en termes
d’idées et de principes.
L’élection
présidentielle de 2022 a fait voler en éclat les barrières posées par la droite
pour prévenir une contamination idéologique de ses rangs par l’extrême-droite.
Non directement du fait du parti de Marine Le Pen qui, sans rien renier de la
xénophobie qui est dans gènes, a opté pour une ligne populiste englobant tous
les autres ressorts de la démagogie droitière. C’est de la résurgence publique du bréviaire de la haine, dans sa
reformulation zemmourienne, que tout a basculé, et à l’instant où l’incarnation de la ligne la plus sécuritaire (et
majoritaire) de LR a déclaré qu’à un tour final départageant le président
sortant et Éric Zemmour, il voterait sans hésiter pour le second.
Quoiqu’il soit
advenu, au final, s’agissant des scores électoraux (pour la séquence présidentielle
et pour celle des législatives) des parties prenantes à cette main tendue, et
donc très au-delà des soutiens affirmés du polémiste hier appointé par les
médias de M. Bolloré, c’est une
ultra-droite en réseau, d’autant plus invasive que le bornage qui la
circonscrivait est devenu inexistant ou intraçable, qui postule la première
place dans notre vie politique. Electoralement, le RN a certes acquis une
position prépondérante à droite, mais
c’est la force d’influence et d’entraînement de cette ultra-droite, capable
au reste d’opérer une OPA sur l’ancien parti frontiste où elle possède de
larges entrées, qui est à même d’amener
au pouvoir une subversion idéologique du régime républicain – ou de ce
qu’il en reste après six décennies de monarchie élective et de pratique quasi
permanente (hors ‘’cohabitations’’) d’une gouvernance de pouvoir personnel.
¤ Une impasse que
l’ultra-droite transforme en autoroute
Et ce d’autant plus que « l’impasse
de la nation » offre toutes ses chances à un autoritarisme
réactionnaire et récusateur par nature des droits humains qu’institue une
démocratie. Une impasse telle que la
découvrent les multiples fractures sociétales, sans cesse plus étendues et plus
profondes et, partant, de moins en moins
réductibles, la crise du système démocratique corrélée à l’inaccessibilité du
consensus et à la dévaluation de la représentativité, la perte de la notion de
Bien commun sous l’effet dévastateur des ressentis de privilèges scandaleux et
d’inégalités insoutenables, avec en surplomb les défis écologiques et
climatiques, de plus en plus perçus en ce qu’ils ont d’inouïs de par leur
nombre et leur ampleur, et de par l’obscurcissement des perspectives
économiques et sociales qui accable la période en laquelle il en est si tardivement
pris conscience.
La réapparition,
pour la nation, du risque d’être projetée dans une guerre à ses frontières venant
de plus signifier qu’un déclencheur géopolitique peut s’ajouter à ce que
l’improbabilité ou l’incapacité de sortir de cette impasse comporte comme
perches tendues à l’ultra droite. Autrement
dit, comme opportunités offertes à un ‘’bolsonarisme à
la française’’ de se voir livrer la conduite de l’Etat (que le modèle original connaisse un échec
électoral dans le pays où il a sévi pendant un mandat présidentiel, ne retire
rien à la possibilité de son rebond en Europe où tant de régimes d’une nature
voisine, ou quasi identique, ont déjà tenu toutes les rênes du pouvoir pendant
des décennies – l’Espagne franquiste ou le Portugal de Salazar entre autres).
¤ A qui se fier pour la
construction d’un rempart ?
Qui, alors, pour faire barrage à une subversion de la République – celle de Condorcet, de Victor Hugo et de Jean Jaurès, celle de
‘’J’Accuse’’ et du programme du CNR - par
l’ultra-droite ?
Est-il besoin
d’argumenter que ce ne saurait être du côté de la
Macronie que se forme ce rempart ? D’abord parce qu’il est improbable
qu’elle se prolonge en tant que telle au-delà du second et dernier mandat de
son inventeur et maitre d’œuvre. Ensuite, et avant tout, parce que ce dernier y
a tout mis de son inclusion intellectuelle dans l’univers conceptuel du
néocapitalisme - tel que celui-ci, depuis le début de la décennie 1980, en a idéologiquement
armé sa reconquête des positions perdues par le capital du New Deal à l’éclosion du Welfare
State.
Toutefois, l’intégration
totale d’une pensée et d’une action politiques – hors concessions
circonstancielles devant la menace d’une perte de pouvoir - dans une doctrine
économique que l’ultra-libéralisme a ressorti du XIX ème siècle pour nous
ramener aux ukases du tout-marché et au culte de la concurrence, sous le mirage
(enfin dissipé) d’une ‘’mondialisation heureuse’’, ne suffit pas pour tirer le
bilan de la démarche qui est allée de pair. Il
faut alourdir ce bilan de ce qui revient à une méconnaissance ou à un déni de
l’histoire, si ce n’est à un dépérissement de l’intelligence de l’histoire.
Ainsi, fustiger
la dépense publique en l’assimilant à un gaspillage (doublé d’une ‘’sale
manie’’ - cf. « les cocaïnomanes de
la dépense publique »), ce
qu’elle est, bien sûr, si l’on tient que la plus grande part de la richesse
nationale doit aller aux placements en tous genres des intérêts privés –
n’est-il rien d’autre que l’oubli ou le
déni d’une constante de notre histoire : la dépense publique a été et
demeure ce qui forme l’assise et assure le maintien de la nation, en ce qu’elle
se confond avec les moyens dont dispose l’Etat pour remplir ses missions.
Des missions et des moyens qui ont fait que la nation, depuis
son origine, s’est réunie autour de l’Etat. A charge
pour l’Etat, quelque en ait été la forme, de protégeer ses membres autant que
ceux-ci l’attendaient de sa part.
Faute d’assurer
cette protection, l’Etat perd sa légitimité en tant que détenteur de l’autorité
que la nation lui a confiée, tandis que le défaut de protection prive in fine la nation de sa raison d’être.
De la
désertification médicale à la paupérisation de l’hôpital – aussi
scandaleusement impensables l’une que l’autre -, de la perte de confiance en la
justice, rendue sourde ou tardive à l’extrême pour avoir été privée d’effectifs
et de moyens, à la disparition des services publics dont la proximité
entérinait la présence de la République dans l’étendue de son territoire, inclus
dans celle de la France dite périphérique et rurale, de la privatisation des grands
moyens publics, qui constituaient des leviers primordiaux pour garantir et
activer la primauté de l’intérêt général, à la dénaturation en entreprises
marchandes de ceux de ces moyens publics qui n’étaient pas assez rentables pour
être vendus à l’encan (énumération bien évidemment non limitative, et notamment
si le diagnostic se poursuit, allant de l’école aux EHPAD), l’Etat républicain s’est ainsi placé à la
première place des fauteurs de l’impasse de la nation ci-avant dénoncée. En la matière, la gouvernance macronienne a
plus clairement affiché que ses devancières la part que son idéologie occupait
dans ces désastres civiques et sociétaux.
¤ Discerner dès aujourd’hui
les termes de l’alternative ?
Récuser ainsi la
Macronie, revient à énoncer une alternative. Si évidente qu’un résumé
schématique suffit à rendre compte de la confrontation à laquelle elle se
réduit.
Dans un cas, une coalition de gauche s’entend
sur un projet de nouvelle société,
projet à la fois de rupture par son ambition de réanimation de la démocratie –
sous les traits d’une démocratie participative, effectivement égalitaire et
pleinement solidaire -, et d’insertion de la vie nationale dans la révolution
écologique (et non la « « transition »,
ce faux-semblant). Et cette coalition entraîne la conviction de la majorité des
citoyens en faveur d’une somme de changements qui seraient encore bien plus
massifs, et bien plus radicaux, que ceux mis en place par les gouvernements de
la Libération pour fonder une République sociale dessinée par la Résistance, tout
en relevant l’immense défi de la reconstruction de l’après-guerre.
Dans l’autre, l’ultra-droite, prospérant
sur les peurs les plus irraisonnées et sur les frustrations restées sans
réponse, capitalise les suffrages en sa faveur conjointement sur le ressenti
d’un mépris immuable à l’endroit du peuple, et sur toutes les nuances de haine
que ses composantes ont propagées.
Et elle amène au
pouvoir ce bolsonarisme à la française
dont les promoteurs ne cessent de décliner les thématiques et les têtes de
chapitre de son programme. A coup de déclarations devant les médias calculées
au point idéal de combinaison de leurs deux ingrédients : le sous-entendu
ignoble calibré pour les militants, et la provocation démagogique accommodée au
racolage de nouveaux adhérents.
¤ Le pire n’est pas toujours
le plus sûr,
mais il
s’imagine facilement
La distribution
des places et des rôles se devine aisément.si l’ultra-droite draine vers elle
une part assez large de l’électorat droitier d’inclination autoritaire et
l’emporte aux échéances politiques de 2027 (si
tant est - entre bien d’autres causes possibles -, que crise énergétique, inflation, sur-extrémisation des conflictualités
autour de la sécurité, de l’immigration, des ‘’quartiers’’ et autres
‘’territoires perdus’’, plus l’immaturité politique dans le maniement du régime
parlementaire hors l’existence d’une majorité absolue, n’avancent pas de
plusieurs années les ’échéance électorales).
Au sommet de
l’Etat – puisque dans notre monarchie, l’Etat se flatte d’en compter un, protégé
par son intouchabilité politique et de surcroît rendu inaccessible à coup
d’impunités – les trépignements d’impatience de Laurent
Wauquiez retentissent trop fortement pour qu’une place soit ménagée au plus
infime suspens.
De très longue
date, on prête au reste à l’intéressé une ambition personnelle si démesurée qu’elle
le rendrait capable de rayer le parquet avec ses dents sans avoi besoin si peu
que ce soit de se pencher. Et, de façon plus matériellement étayée, de
n’écarter jamais - et fût-ce au détriment de son propre camp - aucun coup bas,
aucune vilénie, aucune perfidie susceptibles de servir cette ambition.
Concédons qu’en
regard de pays cruellement déshérités pour ce qui est du niveau intellectuel et
culturel de leurs politiciens les plus en vue – tels ceux qui élisent un Trump
ou un Bolsonaro, et où l’on ne parvient pas à faire son deuil de leur
non-réélection -, nous aurons une fois encore en France, avec Laurent Wauquiez, un président ‘’sorti’’ des Grandes écoles. Mais
qui pratiquera tout autant les déclarations les plus immondes ou les plus
fallacieuses, et les prises de position les plus démagogiques et les plus
attentatoires à l’éthique d’une gouvernance démocratique. Tout en sachant, lui,
à quelle limite il convient d’arrêter l’inconvenance et la provocation avant
qu’elles ne deviennent contre-productives.
Une conduite
politique savamment rôdée, qui navigue à coup de revirements d’aubaine ou de
mises à l’abri, en même temps qu’elle affiche tout le catalogue de résolutions
réactionnaires propre à entraîner la majorité sécuritaire, cléricale et
nationaliste qui domine au sein de LR (un ralliement affermi par un contrôle
pré-acquis de l’appareil). Un catalogue qui, dans le contexte présent, a une
vocation considérablement plus étendue que ses promoteurs ont la certitude de
réaliser : réunir tout l’arsenal de
communication et de persuasion nécessaire et suffisant pour qu’à la droite des
néo-conservateurs de LR, il n’existe plus de frontière. Et pour que de la disparition de cette frontière, se forme l’agglomérat
durable de l’ultra-droite.
Concrètement, de quoi réunir sur le candidat
Wauquiez - avançant dans sa campagne, à mots à peine couverts, comme le chef
naturel d’une union de la droite ultracisée promise à la victoire - un nombre assez
conséquent d’électeurs de l’extrême-droite populiste ou identitaire pour
distancer, à un 1er tour d’élection présidentielle, les candidats
‘’classiques’ de ces mouvances. Candidats qui, par leur ralliement, assureront
le succès de leur vainqueur au tour final ; et qui, pour l’une, acceptera
probablement, en prévision de la séquence suivante, le lot de consolation d’une
présidence de l’Assemblée national, et
qui, pour l’autre, se verra promettre le plus formidable accomplissement du
destin providentiel qu’il s’est inventé : être nommé ministre de l’Enracinement
cultuel, de la Fabrication de l’Histoire et de l’Identité française – nouvelle
appellation, on l’aura compris, du ministère de la culture.
¤ Accordons un instant à la
farce
Le scénario est
par trop sinistre, et par trop calamiteuses se projettent les images de la
substitution d’un bolsonaro-trumpisme mâtiné de Manif’ pour tous à une démocratie emportée par ses renoncements et
ses aveuglements suicidaires.
Accordons donc un instant à la farce, avec la raison supplémentaire
que cette farce-ci caricature sans doute à peine la composition, pour les
postes-clés, du premier gouvernement nommé par un président Wauquiez.
Au lecteur de distribuer les nominations – d’abord celle du ou de la
Premier(ère) ministre, puis celles du ministre de
l’intérieur, des OQTF et des Rafles, du ministre de la Marine et de la Guerre
aux migrants, et du ministre de la justice, de l’Ordre Moral et des Racines
chrétiennes. Auxquelles il faut-il ajouter un(e) ministre des affaires étrangères
et de la Coopération avec les sectes fondamentalistes
et extrémistes nord-américaines, et un ministre délégué à l’Entente franco-russe et
aux Amitiés Azerbaïdjano -Bacharistes.
En vérité, dresser
la liste prévisible des attributaires de portefeuilles ministériels s’avérera un
exercice assez facile. Si l’on suit la recommandation de commencer par
départager les postulants qui viennent spontanément à l’esprit pour les
ministères ci-dessus dénommés : Benito Ciotti,
Retailleau-la-Calotte, Marion Maréchal-Nous-Voilà, et Thierry Mariani-des-Causes-à-vomir.
S’agissant du
locataire de l’Hôtel Matignon, il y a lieu de penser que
prévaudra le choix d’un politicien rongé par sa soif de vengeance à l’endroit
de la République, de ses juges et de sa presse libre qui l’ont naguère cloué au
pilori pour ses improbités et ses malversations ; qui ont ruiné sa candidature
et sa carrière en dévoilant ses mensonges et ses gredineries (ce serait offenser le lecteur que de le guider
davantage).
Enfin, pour Alfred Rosenberg-Zemmour, l’option est
déjà prise, parce qu’on ne voyait vraiment pas d’autre poste susceptible de
s’accorder à son délire, à ses haines et à sa folie –, mais il est loisible
d’en accentuer l’infamie et la dérision.
Didier LEVY – 8 novembre 2022