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dimanche 19 février 2017

NOUS, ÉLECTEURS DE GAUCHE, NOUS REFUSONS QUE LA DISPERSION DE NOS CANDIDATS FASSE ÉLIRE M. FILLON OU MME LE PEN !


VOTE UTILE ET VOTE SANCTION

Une pétition adressée à MM Hamon, Jadot et Mélenchon

Nous sommes face à deux candidatures à la présidence de la République aussi répulsives l’une que l’autre.

► Face à deux périls également menaçants qui ne sauraient de surcroît être déjoués que simultanément : d’un côté un néo-thatchérisme animé par une rage destructrice de revanche sociale et associé à une résurgence du cléricalisme et à une réactivation de l’ordre moral, et de l’autre un programme d’extrême-droite négationniste des droits humains et des valeurs les plus constitutives du référentiel républicain.

► Face au constat que si les trois candidats présentement en lice pour les gauches devaient aborder séparément le premier tour, aucun d’entre eux ne se verrait qualifié pour le second.

► Face aux intentions de vote à ce jour prises en compte qui assurent qu’un candidat unique des gauches socialiste, ‘’insoumise’’, communiste et écologique est pratiquement assuré d’accéder au second tour. Voire de ‘’virer en tête’’ au premier.

Et sauf report massif des électeurs de droite sur la présidente du Front national (l’hyper droitisation de l’électorat LR créant un risque réel à cet égard)avec la perspective de concourir au 2nd tour en position de favori.

EN CONSÉQUENCE, NOUS MANIFESTONS NOTRE RÉSOLUTION :

> DE NOUS REFUSER À PARTICIPER, AU SECOND TOUR DU SCRUTIN PRÉSIDENTIEL, À TOUT DÉPARTAGE ENTRE M. FILLON ET MME LE PEN.

Nous opposons à chacune de ces candidatures un veto républicain tout aussi catégorique et tout aussi irréductible.

> DE SANCTIONNER LA DOUBLE DÉFAILLANCE QUI CONDUIRAIT À UNE MULTIPLICITÉ DE CANDIDATURES DE GAUCHE AU PREMIER TOUR DU SCRUTIN PRÉSIDENTIEL.

Une défaillance politique et morale qui serait le fait de ceux dont il dépend aujourd’hui qu’une réponse positive soit apportée dans les tout prochains jours à l'injonction du ‘’peuple de gauche’’ de se voir proposé un candidat unique pour ce premier tour.

UNE SANCTION QUI PRENDRAIT DEUX FORMES ALTERNATIVES : 

¤ Celle d’appeler à UN VOTE UTILE, que nous pratiquerions nous-mêmes à ce tour de qualification, comme la seule issue possible compte tenu de l’élimination certaine à laquelle seraient voués les candidats d’une gauche divisée.

Nos inviterions ainsi nos concitoyen(ne)s à apporter au premier tour leurs suffrages au candidat républicain, quel qu'il soit, qui paraîtrait en mesure d’accéder au tour final.

> ET À EMPÊCHER AINSI QUE CELUI-CI CONFRONTE LES CANDIDATS RESPECTIFS DE LA DROITE RÉACTIONNAIRE ET ULTRA LIBÉRALE ET DE L’EXTRÊME DROITE.

Chacun peut se représenter que ce candidat utile, en l’état actuel des intentions de vote, serait alors M MACRON. Pour toutes celles et tous ceux qui ne partagent aucunement le projet qui fait l’arrière-plan de la candidature de l’intéressé, aucune des divergences qu’ils auraient à faire valoir ne pourrait être susceptible d’occulter la priorité absolue qui en 2 temps successifs, régit la prochaine élection présidentielle :

- FAIRE BATTRE M. FILLON AU PREMIER TOUR,
- FAIRE BARRAGE À MME LE PEN AU SECOND.

¤ Celle de susciter UN VOTE SANCTION dans l’hypothèse où les projections électorales ne laisseraient pas entrevoir qu’il existe une candidature capable de devancer celle de M. FILLON au 1er tour. Et d’incarner la défense de la République au second dans la confrontation finale avec la présidente du Front national.

Faute qu’un candidat puisse représenter le VOTE UTILE du tour de qualification, nous nous déterminerons, et nous appellerons nos concitoyen(ne)s à se déterminer, en faveur d'une candidature symbolique choisie EN DEHORS DU (ou DES) CANDIDAT(S) DE GAUCHE RESPONSABLE(S) DE LA DIVISION DE SON (DE LEUR) CAMP, et pleinement représentative des principes républicains et de la ‘’vertu républicaine’’. 

La démarche unitaire que vient d’entreprendre EELV par un vote interne ultra majoritaire, et quelques frémissements ici ou là, laissent peut-être espérer que le sens des responsabilités va prévaloir entre les gauches. Reste que pour ce faire, le temps est compté avant le dépôt officiel des candidatures.

◄◄◄ ►►►

Cette pétition se veut un appel. Elle entend signifier à quiconque à gauche se maintiendrait envers et contre tout dans une candidature de division, que notre réponse à son inconscience du double péril qui est devant nous serait d’abord de faire tomber le nombre des suffrages portés sur son nom au niveau le plus faible, et si possible à un pourcentage dérisoire.

Et bien entendu l’avertir qu’offrir la présidence de la République à M. FILLON ou à Mme LE PEN, en ayant empêché la désignation d’un candidat unique à gauche, serait tenu par le peuple de gauche et devant l’Histoire pour une faute inexpiable. Qui lui vaudrait, à l’instant même du dépôt de sa candidature, une disqualification morale sans recours.

> AUTREMENT DIT, MM. LES CANDIDATS PLURIELS DE LA GAUCHE :
 ‘’A BON ENTENDEUR, SALUT !"


Didier LEVY -17 02 2017

Publié sur Facebook ce même jour

 Une publication du site ‘’penserlasubversion’’

samedi 11 février 2017

UNE SOLUTION RÉPUBLICAINE POUR UNE ÉLECTION QUI NE L’EST PAS, ET QUI EN AFFICHE LES CONSÉQUENCES COMME JAMAIS AUPARAVANT.

À UNE AMIE QUI SUGGÈRE LE NOM DE M. BAYROU POUR UNE CANDIDATURE DE ‘’RASSEMBLEMENT RÉPUBLICAIN’’.

Une candidature visant à exclure M. Fillon du second tour de l’élection présidentielle, puis à rassembler une forte majorité des suffrages contre Mme Le Pen - une majorité pas loin d’être aussi massive que celle qui a rejeté le candidat du FN en 2002.

A écarter l’un par un vote sanction sans appel, et à infliger à la seconde un rejet significatif manifestant l’attachement républicain des électeurs. En réunissant dans les deux cas des chances de succès supérieures à celles que comportent les autres candidatures déclarées à ce jour.

Si je suis bien sa suggestion, une candidature Bayrou réunirait ces deux critères d’efficacité face aux faiblesses que comportent les candidatures honorables déclarées à ce jour.

Faiblesses qui se confirmeraient, et qui désarmeraient les citoyens irréductiblement hostiles à un second tour Fillon-Le Pen, et tout autant déterminés à faire barrage à la candidate de l’extrême-droite, si deux risques plus qu’en suspens aujourd’hui venaient à se réaliser :

- l’incapacité de MM. Hamon, Jadot et Mélenchon à s’accorder en temps utile sur une candidature unique de la gauche socialiste et écologique, incapacité qui stériliserait les suffrages exprimés séparément en leur faveur au premier tour ;

- un ‘’décrochage’’ irrémédiable des intentions de vote qui sont accordées à M. Macron, ce à quoi est exposé toute candidature portée par une adhésion à une personne plus qu’à un programme, et soutenue par un mouvement de faveur médiatique, ceux-ci ayant par nature une durabilité incertaine.
  
J’ai commenté cette suggestion hier sur Facebook. Une suggestion qui est en elle-même pertinente (1), mais ...


¤ La condition à remplir pour s’accorder à sa logique et pour la rendre opérante.

Mais à la condition - qui tombe sous le sens dans toutes les autres démocraties ... - de respecter la Constitution. Laquelle ne l'a jamais été depuis sa promulgation - plus de cinq décennies ! - s'agissant de la nature et des limites de la fonction de président de la République. Arbitre du bon fonctionnement des pouvoirs publics, garant des intérêts supérieurs de la nation (souveraineté, indépendance, intégrité territoriale), veillant au respect de la constitution et à l'indépendance de la justice : c'est le concernant ce que fixe la Loi fondamentale. Le pouvoir exécutif - qui ‘’détermine et conduit la politique de la nation’’ - appartient au gouvernement et à lui seul, un gouvernement dont le Premier ministre est le chef.


¤ Une incohérence constitutionnelle qui serait insurmontable ?
>

Avec, certes, la zone de flou - héritage des institutions monarchiques (héritage déjà présent dans les lois constitutionnelles régissant la III ème république) - qui tient à ce que le président de la République est ‘’le chef des armées’’ et qu'il "négocie et ratifie les traités" : attributions contradictoires avec celles du gouvernement en ce que, prises au pied de la lettre, elles diviseraient le pouvoir exécutif entre les compétences présidentielles de type régalien et, pour tout le reste, les compétences primo ministérielles.

Cette incohérence tient à l'idée que le général de Gaulle se faisait du "chef de l'Etat" - appellation déjà utilisée par Philippe Pétain et dont on comprendra peut-être un jour qu'elle est fondamentalement a-républicaine (en république, l'Etat - la chose publique - n'a d'autre "chef" que l’indivision des citoyens, et ne compte que des autorités publiques déléguées par ceux-ci pour exercer les fonctions respectives de gouvernant et de législateur et pour assurer l'administration du pays).

De Gaulle tenait tant à ces compétences régaliennes qu'il a en effet veillé à ce qu'elles fussent gravées dans les pouvoirs présidentiels définis par le texte de 1958 - à la différence des autres pouvoirs décisionnels qu'il a exercés par captation en laissant les rédacteurs de la Constitution les attribuer au gouvernement et à son chef, tout en ayant bien l'intention de se les approprier - ce qu'il réussit pleinement à faire à partir de 1962 et du départ de Matignon de Michel Debré.

Est-ce à dire que cette incohérence est insurmontable ? Aucunement, et l'exemple des trois cohabitations, et plus spécialement celle de 1997-2002, le démontre amplement. Expérience où la "zone de flou" s'est normée et cadrée, et qui serait parfaitement renouvelable dans l'hypothèse Bayrou (lequel ferait au minimum un excellent arbitre et un garant supérieur à bien d'autres …) que vous suggérez.


¤ Le précédent de la cohabitation de 1997-2002.

Dès lors du moins que comme en 1997, l'opinion et les partis républicains se conformeraient à la lettre et à l'esprit de la constitution en vigueur, en reconnaissant que les élections législatives décident de la politique générale de la France et de l'équipe qui a la charge des affaires publiques. Le président de la République s'en tenant donc, comme dans tout état de droit de par le monde, aux seules attributions qu'il tient de la Loi fondamentale.

Il semble, hélas, qu'on est loin de pouvoir envisager cette normalisation institutionnelle si l'on mesure que tous les candidats en présence, comme tous leurs devanciers lors des élections présidentielles précédentes, présentent des programmes composés à 90% de mesures que la Constitution de la République française exclut des compétences présidentielles. J'ai publié sur ce blogue ‘’penserlasubversion’’ et sur Facebook, il y a de cela quelques semaines, un long article consacré à cette anomalie qui mérite à mon sens d'être qualifiée d’effarante. Mais qui apparemment ne choque plus grand monde, voire quasiment plus personne.


¤ Un retour au droit après 50 ans de déni de la Constitution ?

L'argument, juridiquement inepte, suivant lequel l'élection présidentielle au suffrage universel direct aurait changé l'équilibre et la répartition des pouvoirs, est passé par là …

Pour mesurer que cet argument est construit sur du vent, et sur l’emprise dont bénéficient les conceptions institutionnelles du fondateur de la Vème république qui ont conduit à la dénaturation de celle-ci en monarchie élective à caractère plébiscitaire, il suffit de se renvoyer à une interrogation élémentaire : les attributions des maires seraient-elles modifiées en quoique ce soit par rapport à ce dont décide la loi depuis 1881, si demain les premiers magistrats municipaux étaient élus au suffrage direct de leurs concitoyens ? Evidemment non : les modes d'élection sont une chose, les attributions des institutions dont l'élection désigne qui en aura la charge en sont naturellement une tout autre.

Au regard de ce dont s'est accommodée, pour ce qui est de la fonction présidentielle, la France de la Vème république en matière de détournement et - pour appeler les choses par leur nom - de viol de la Constitution, Louis-Napoléon Bonaparte, qui faisait entériner tout changement constitutionnel par un référendum, apparaît finalement, nonobstant son inclination initiale pour le coup d'Etat, comme un politique très soucieux du droit et, plus encore, de sa légitimité. Et très convaincu de la nécessité d’une ratification populaire pour toute modification du régime politique existant.

Il a prétendu, par un paradoxe que nos meilleurs communicants n’auraient pas trouvé, « qu’(il n’était) sorti de la légalité que pour rentrer dans le droit ». La Vème république, elle, est sortie du droit qu’elle avait établi, et nos concitoyens ont sous les yeux, avec la menace d’un second tour de cauchemar au printemps prochain, le point actuel d'aboutissement de la dénaturation de la légalité républicaine qu’un régime anticonstitutionnel a produit en plus de cinquante ans.

Didier LEVY - 11 02 2017
‘’D’HUMEUR ET DE RAISON’’

Publié sur Facebook ce jour.

(1) Afin qu'aucune ambiguïté ne s'attache à l'intention de cet article, je précise qu'en l'état actuel des candidatures à la prochaine compétition présidentialiste, mon suffrage ira au 1er tour au candidat dont les sondages indiqueront qu'il figure en tête à gauche dans les intentions de vote. Choix mécanique, certes, mais il faut bien voter utile dans la configuration politique qu'impose la Vème république.

Au second tour, si par malheur celui-ci se réduit à un Fillon versus Le Pen, je voterai "blanc". Parce qu'il n'y aura plus de vote républicain à exprimer.

Imagine-t-on (les raisonnements par l'absurde sont parfois les plus éclairants) qu'il y aurait eu matière à choisir si par extraordinaire, les Français avaient été invités en avril 1942 à départager par leurs suffrages Philippe Pétain et Pierre Laval - ou Pierre Doriot pour ''coller'' de plus près avec le discours et la posture de la présidente du Front National ?

samedi 4 février 2017

DE LA MALÉDICTION À L’EXULTATION.


L’Eglise catholique dira-t-elle un jour
« Tout ce qu'ils font est saint » ?

Deux textes d'un très grand intérêt[1], chacun dans leur registre, et tout autant pour les croyants que pour les non croyants, ont récemment mis en situation les interpellations auxquelles l’Eglise catholique a à faire face, et d’abord en son sein. Les points de vue qui s’y développent respectivement participent d’une inspiration commune que l’on situera, par commodité, dans le camp moderniste.

Le premier - auquel on réagira essentiellement ici - fait une large place à la relation des attaques qui sont dirigées contre le pape François par les conservateurs (inutile de préciser "ultra") et autres Burke, Sarah, Salon belge, Civitas, Riposte ...

Certes figurent dans ce texte (et dans le second), beaucoup de données et de raisons capables de faire verser le lecteur dans l'espérance, ou la perspective, d'un futur chrétien libéré des pesanteurs accumulées - pour ne pas dire empilées - par l'Eglise. Un futur dont la parole de celle-ci serait pleinement partie prenante.

Mais l'inventaire qu’il dresse des oppositions qui s'activent et se coalisent contre les écrits et les gestes du pape François inflige au même lecteur la vision plus qu’éprouvante d’un état des lieux où les positions réactionnaires les plus indurées semblent en capacité de donner un coup d’arrêt à un pontificat dérangeant. Et à l’ensemble des ressourcements que ce pontificat a entrepris ou esquissés.

Un état des lieux qui ne suggère en définitive que cette interrogation en guise de soulagement : la chronique de cette réaction cléricale - au degré de fureur que celle-ci donne présentement à voir et à entendre - a-t-elle vraiment sa place dans la rubrique ''religion chrétienne'' ?

Ou dans les pages qui accueillent indifféremment les articles sur les Frères musulmans, ou sur les colons juifs ultra-orthodoxes de Cisjordanie. Ou les articles consacrés à telle micro-église ''évangélique'' d'Afrique ou du Brésil, voire à la secte Moon.

Derrière cette réaction d’humeur, se forme un ensemble de questionnements liés à l’inaudibilité qui, pour des êtres de raison, englobe la totalité de ce qui s’exprime à travers des enfermements doctrinaux inentamables. Des enfermements dans ce qui est tenu pour un corpus immuable hors duquel l’Eglise n’aurait, sinon pas de salut, du moins plus de raison d’être parce que s’en s’éloigner si peu que ce fût constituerait pour elle un reniement de sa vocation.

Et principalement deux questionnements.


¤ Vers un schisme ?

Le premier renvoie à ce qui fait piège pour l’Eglise en la soumettant à la confrontation la plus périlleuse qui soit pour un système institutionnel qui a fortifié l’armature dans laquelle il s’est statufié au point de se retrancher derrière une frontière conceptuelle dont il est devenu incapable de sortir. Lorsqu’un système de cette nature devient le champ clos d’un affrontement entre partis de l’ordre et du mouvement, l’issue la plus probable n’est pas que l’une de ces deux forces l’emporte sur l’autre mais que les deux soient entraînées dans la disparition de ce système.

De sorte qu’on peut en venir à penser qu’une dynamique de réforme qui entreprend de faire bouger les lignes dans une organisation, passé un certain stade de sclérose de celle-ci, ne fait plus qu’accélérer la mort de cette organisation.

Peu de nos rois ont été aussi réformateurs que Louis XVI dans les dernières années de son règne - la période 1787-1788 est exemplaire à cet égard -, mais sur quoi débouche la réunion des Etats-Généraux censés apporter les réformes salvatrices de l’Ancien Régime ?

Plus près de nous - et cette comparaison avec l’alternative devant laquelle se trouve l’Eglise semble encore plus pertinente - la perestroïka gorbatchévienne s’achève sur l’implosion de l’Union Soviétique, avec pour dernier acte un coup d’Etat fomenté par un groupe de hiérarques conservateurs, pronunciamiento assez lamentable dont le système reçoit pourtant l’ébranlement fatal pour tout son édifice.

Transposé - avec les précautions et réserves qui s’imposent suivant l’adage ‘’comparaison n’est pas raison’’ - ce schéma est celui du schisme dont l’Eglise est menacée. A moins qu’elle ne connaisse, en guise de sursis, une ‘’normalisation’’ à la tchécoslovaque version liquidation du Printemps de Prague en 1968 …

Un schisme avec d’un côté l’Eglise reconfigurée de telle manière qu’elle devienne capable de réunir (de faire revenir) toutes les brebis qui ne sont susceptibles de trouver à se nourrir que dans l’itinéraire que leur ouvre le pasteur François - elles sont sans doute les plus nombreuses dans les sociétés que nous appelons ‘’occidentales’’.

Et de l’autre, toutes les Eglises du type polonais, et celles - notamment africaines - qui sont en concurrence directe avec le fondamentalisme littéraliste des églises et sectes évangéliques. Avec en partage, nonobstant Vatican II, de demeurer dans la sphère mentale de la tyrannie nécessaire de la Vérité, et dans l’attraction intellectuelle et moralisatrice d’un cléricalisme voué à être sempiternellement normatif.

Autrement dit, d’être possédées par la représentation d’un clergé législateur. Et détenteur exclusif de la légitimité de cette fonction. Légitimité dont ont procédé tous les requis et tous les proscrits édictés dans la continuité des pontifes. Une continuité génératrice d’une ‘’Tradition’’ que brandit une institution ecclésiale non seulement foncièrement antimoderniste, mais qui assigne en outre à l’Eglise de se poser en juge du monde. Pour signifier à celui-ci qu’il ne sera absous que pour autant qu’il se tiendra dans l’obéissance aux disciplines qu’elle lui prescrit.

C’est ce passage de la discipline exigée par le Magistère à la perception personnelle et graduelle de la Parole qui fait scandale dans la vision d’un pape qui va jusqu’à interroger les plus réprouvés en leur demandant : « Qui suis-je pour (te) juger ? ».

Remettre les pauvres au cœur des Evangiles - et pas seulement par l’une de ces pieuses intentions où la figure de style s’habille de la componction que les prélats sont accoutumés depuis des siècles à y mettre - n’aurait pas trop soulevé de vagues si les premières remises au pas et les injonctions subséquentes n’avaient pas rapidement suives. De même pour les positionnements écologiques ou pour les droits des peuples indigènes, si le ton du discours n’avait pas fait entendre des résonances d’intime conviction aussi puissantes. Qu’il raccorde ses pas et ses mots à ceux du saint d’Assise, qu’il joue aussi juste une partition chrétienne qu’on a jouée tellement faux dans l’économie des siècles, François porte la parole d’un ressourcement qui peut soulever et grandir l’Eglise, ou provoquer sa fracture.

Lui parti, et à supposer que ce ressourcement trouve alors le relais qu’il lui faudra - lumières de l’Esprit et capacités humaines conjuguées -, la vraisemblance ne penche-t-elle pas à moyen terme du côté de la seconde hypothèse ?


¤ Le Messie est-il venu délivrer un message punitif ?

L’autre questionnement que provoquent les enfermements doctrinaux hérissés devant un pape qui montre bien qu’il mesure leurs facultés de nuisance, n’a rien de neuf. Il remonte au moins aux Vaudois. Et il est inscrit dans l’interpellation que la Réforme a lancée à l’Eglise-institution : « Qu’as-tu fait de l’Evangile ? » (pour paraphraser un pontife qui ramené l’Eglise à une tradition figée s’il est l’un des rares à avoir réfléchi au sens de la sexualité humaine).

Que la Réforme ait par trop trouvé sa réponse dans une lecture littéraliste de la Bible (le fondamentalisme accablant de la partie la plus visible, la plus politiquement agissante, du protestantisme nord-américain a puisé là sa configuration), il lui reste de s’être réclamée de l’esprit de libre-examen et de l’avoir légitimé.

Mettre celui-ci en œuvre aujourd’hui, c’est opposer doublement la liberté de conscience aux intégrismes. Toutes religions confondues, c’est d’abord dénier à toute autorité de type clérical le pouvoir d’énoncer une norme en toute matière où l’impuissance de l’éthique à se réclamer d’une raison objective renvoie les notions du Bien et du Juste au seul choix intime de la personne. Ce qui vaut, entre autres sujets, de l’IVG (ou commence objectivement la vie ‘’humaine’’ ?) aux dispositions qui entourent la fin de vie (l’homme en est-il ou non le maître ?).

C’est ensuite soutenir ce déni par une seconde proposition, aussi propre à scandaliser les intégrismes : si le religieux tisse un lien, celui-ci n’existe que pour unir la créature à la transcendance, et ne saurait jamais être envisagé comme une entrave nouée par un ordre inscrit dans ce monde, un ordre qui tiendrait une corde ou une chaîne s’apparentant à celles imposées à l’esclave.

La distinction de Paul entre l’ancienne alliance fondée sur la loi et la nouvelle qui l’est par l’amour et la vie n’est absolument probante que pour autant que dans l’intellection qu’on en a, il n’y ait ni amalgame ni confusion entre les natures respectives de ‘’la’’ Loi et des lois au sens des sociétés humaines. Et encore ne demeure-t-elle pas trop succincte, ou trop schématique, pour découvrir pleinement l’étendue du principe symétrique qui infirme pour une part essentielle la différenciation entre les deux alliances : la foi non seulement y nait de la liberté, mais elle est intrinsèquement une liberté au point, dans la dimension qui est la sienne, de se confondre avec la liberté ?

La Parole ne s’adresse qu’à cette liberté parce que la Genèse a fondé le libre-arbitre. Et elle ne parle à cette liberté que de l’amour et de la vie.

Pour certains commentateurs juifs contemporains (Josy Eisenberg) le rabbi Yeshoua ben Yosef se rattache à l’école de la casuistique pharisienne - ce qu’en bons textes de propagande les Evangiles s’emploieraient à cacher. En ce sens, la discussion autour de la Loi sur le cas de la Femme adultère confronte des jurisconsultes du même bord - et on sait que c’est au sein du même parti que les haines se développent le plus violemment.

Reste que ce qui élève incommensurablement le Messie par rapport aux débats de son temps, pour profonds et capitaux qu’eussent été ceux-ci (notamment sur les limites assignées à la justice rendue par les hommes), c’est sa double affirmation selon laquelle la Loi ne saurait être abolie - pas un trait de lettre n’en sera ôté avant que les siècles ne soient accomplis -, mais que les gens pieux qui se conforment à cette Loi ne sont pas pour autant légitimés comme juges de celles et ceux qui lui désobéissent.

L’acquittement de la Femme adultère illustre par excellence le paradigme évangélique contenu dans le Tu ne jugeras pas (si tu ne veux pas toi-même être jugé - conséquence ajoutée pour l’auditoire concerné mais qui, en elle-même, n’apporte rien à l’injonction messianique), et les attendus de cet acquittement sont exemplairement soulignés par l’arrêt de relaxe finalement rendu : « Moi non plus, je ne te juge pas ».

Le « Qui suis-je pour (te) juger ? » ci-avant cité est l’exact pendant, à deux millénaires de distance, de cette injonction. Et si l’on n’a pas à juger, c’est bien parce que la Loi et ses commandements constituent non un code mais le tissu d’une alliance. Une alliance qui est don gratuit d’un côté et libre adhésion de l’autre.

Tous ces considérants se rejoignent pour contester aux conservateurs ‘’anti-François’’ que le référentiel de leurs protestations doctrinales puisse se sourcer dans le message des Evangiles. N’autorisent-il pas à aller plus loin en identifiant dans l’emploi de ce référentiel les caractères constitutifs du péché contre l’Esprit ?

Une contestation qui ramène au fond, plus prosaïquement, à une seule question : le Messie est-il venu délivrer un message normatif sur le divorce, sur l’homosexualité et sur les autres abcès de fixation des contempteurs de la permissivité, du laxisme et de la ‘’licence’’ ?

Assurément non, et pour la simple raison qu’il est juif et que comme tel il appartient au peuple de la Loi - laquelle a par essence tout réglé sur le principe de ces sujets. Et parce que pour cette raison, il n’est entendu, et n’entend l’être, à l’égard de cette Loi qu’en tant que commentateur critique et/ou contestataire de sa jurisprudence.

Ce qui nous a légué l’un des plus beaux et des plus précieux diamants que toutes les jurisprudences du monde et tous leurs commentaires aient jamais produits : « Le sabbat a été donné à l’homme, et non pas l’homme au sabbat ».

Une remise en juste perspective dont toute norme est susceptible d’être subvertie, en subissant une transfiguration identique de l’intelligence du texte qui l’énonce : on pensera en premier lieu l’indissociabilité du mariage (d’autant que l’interdiction de séparer « ce que D.ieu a unit » respire le contresens - ce sont évidemment les empêchements causés par des tiers au couple humain uni par l’amour que vise cet interdit) ou à la prohibition du suicide (avec son extension à l’euthanasie). Il coule en effet de source que le commentaire du rabbi Yeshoua se détourne et se répète en ses équivalents « Le mariage a été donné à la créature humaine, et non pas la créature humaine au mariage », ou « la vie a été donnée à l’homme, et non pas l’homme à la vie ».

Et assurément non, encore, sur la seule mesure de la disproportion saisissante (pour ne pas dire inouïe) qui existe entre d’une part, la portion infime du discours messianique qui - en raison, comme on vient de le soutenir, de la judéité et du rapport à la Loi de celui-ci - aborde spécifiquement les questions touchant à la sexualité humaine, et d’autre part, l’espèce de submersion que ces mêmes questions ont opéré, et opèrent, dans les priorités de l’Eglise légiférante.

Une disproportion qui appelle un autre questionnement, dont la réponse a sans doute tout pour être clivante s’agissant de l’audibilité du catholicisme romain dans les sociétés occidentales. Hors bien sûr les cercles les plus traditionnalistes ou intégristes, qu’ils se conçoivent et se dépeignent à eux-mêmes comme des catacombes ou comme des bases de reconquête.


¤ Cette disproportion renvoie-t-elle à une contradiction insoluble ?

D’un côté (et hors un passage du NT sur l’abstinence en tant que don qui, s’il n’est pas d’inspiration essénienne, pourrait appeler le soupçon d’avoir été ajouté par un traducteur ou un copiste …), une sanctification du corps placé au même niveau que l’âme dans la fusion/création de l’être unique qui conceptualise la mystique de l’union dans le mariage.

De l’autre, deux millénaires vécus sous l’empire d’un discours qui ne peut plus nous apparaître que comme obsessionnel (et totalitaire puisque le clerc entend régir l’intime des êtres). Un discours et un enseignement qui réprouvent et avilissent la chair - en dépit de la résurrection qui lui est promise ! - et qui prohibent et punissent à peu près tous les usages aimables dont elle est susceptible d’être le lieu ou l’occasion.

A sa source, possiblement, un climat civilisationnel de rétraction répulsive vis à vis du sexe qui entoure l’émergence du christianisme dans le monde proche-oriental et méditerrano-romain.

Cet abaissement de la chair jusqu’à l’avilissement trouve en tout cas son expression générique exemplairement résumée en une sentence qui veut graver dans les têtes la misère du corps humain : « Nous naissons entre les excréments et l'urine ». Probablement, toutes croyances confondues, le pire blasphème jamais prononcé - à la fois à l’encontre d’un Créateur qui ‘’a fait l’homme à son image’’, et par le mépris qu’il contient du don par excellence que la reproduction sexuée a représenté de la part de ce Créateur au bénéfice de ses créatures.

Un don qui arrivé à l’espèce humaine amplifie sans limite la perception de la capacité que possède l’amour, qui est propre à l’amour, d’authentifier l’unicité de deux êtres dans la communion où il les projette - une communion indistincte des corps et des âmes. Et à préfigurer par là l’insertion collective et cosmique dont Emmanuel Mounier a fait une image de l’accomplissement des temps.

Seule la prudence qui enjoint de se garder des anachronismes qui risquent de déformer le jugement, retient d’opposer à la gratitude infinie qu’appelle ce don, l’arrêt que l’Eglise du Moyen-âge inflige à son époque à la sexualité humaine. En édictant (cf. Georges Duby) que la recherche du plaisir dans le mariage est un péché aussi grave que l’adultère. Une condamnation que la majorité d’entre nous ne regardent plus que d’un œil … halluciné.

Et sans se rassurer complètement en pensant que cette condamnation émane de l’Eglise médiévale, d’une époque lointaine et d’une vision révolue. Parce l’arrêt est demeuré valide pendant des siècles et, que s’il a été rapportée par l’Eglise du siècle dernier, ce sont davantage que des ‘’indices graves et concordants’’ qui étayent l’idée que les connexions mentales et les racines culturelles qui ont formé la matrice dont est sortie la fulmination contre le plaisir sont toujours actives et opérantes.

Certes un pape, aujourd’hui émérite, a affirmé dans Deus Caritas Est que l'amour renferme, spécialement entre l'homme et la femme, une « irrésistible promesse de bonheur ». Le même Benoît XVI a toutefois recouru à une formulation - ‘’les actes réservés aux époux’’ -, dont la préciosité consommée enveloppait une pudibonderie de confessionnal ou de sacristie, pour désigner l’expression la plus connue de cette irrésistibilité ...

Qu’on concède à cette encyclique de l'amour, qui est œuvre de théologien, d’ouvrir un très mince entrebâillement sur une légitimation possible de l’adéquation entre l’attrait érotique et le couple chrétien, ce qui demeure déterminant ressort de la permanence sur la très longue durée d’une conception de la sexualité maritale d’une confondante proximité avec la représentation originelle qui a scellé la vision et la vocation du mariage : l’exutoire hélas nécessaire à la lubricité naturelle de l’homme - car, somme toute, encore préférable au vagabondage de ses copulations.

Plus largement, c’est l’impossibilité où se trouve l’Eglise-institution à envisager l’amour ‘’physique’’ en s’affranchissant de la projection d’une gestuelle bestiale, qui lui rend inappréhendable l’élévation de la sexualité humaine. Et qui, au regard de celle-ci, et aussi loin qu’on remonte, focalise son attention, son zèle et sa manie normative sur la construction l’entretien et l’enrichissement d’une nomenclature d’interdits.

Ceux-là même qu’on en tête les contempteurs d’un pape qui laisse entendre que les prohibitions l’intéressent peu et, surtout, que l’Eglise et les chrétiens ont après tout d’autres priorités à prendre à bras le corps que la pérennité de la ‘’sainte doctrine du mariage édictée par l’Eglise romaine’’ : à commencer par l’imperium mondial de l’agent et du profit, et par  la violence intolérable de ses effet que sont, entre autres, l’extrême pauvreté et le déni des droits humains les plus essentiels, les outrages causés aux peuples et à notre Mère-Terre.

S’il y a quelque chose de vraiment ‘’saint’’, c’est assurément cette rupture du discours initiée par François. Une rupture qui se mesure sur le temps long : quelle place dans l’exercice de son pouvoir, quelle énergie, quels moyens l’Eglise romaine a-t-elle affectée tout au long de son histoire au recensement, à la dénonciation et à la sanction de tout ce qui pour elle entrait dans les dépravations attachées au sexe et qu’elle tenait pour inhérentes à celui-ci ? Place, énergie et moyens qu’elle aurait infiniment plus utilement et évangéliquement réservés à accueillir le monde dans sa charité, à plaider pour les victimes du Mal et à propager le message d’amour universel qui lui avait été confié ? Et pour tout dire qu’elle aurait ainsi réservés à ce qui faisait sa seule vocation.

Mais pouvait-on attendre d’une caste de clercs de plein exercice, exclusivement masculins et de surcroît abstinents, qu’elle ne soit pas le réceptacle d’obsessions et de phobies vouées à s’ancrer, de siècle en siècle, sur toutes les formes d’activation du sexe ? Au point de ne concéder que la stricte part biologique et mécanique de la reproduction à la dimension sexuelle de la création - une dimension dont le partage par l’humanité sera regardé comme l’adjonction d’une composante stigmatisante, comme la marque d’une corruption originelle.

Dans la somme de névroses sur laquelle cette caste a composé la part la plus pesante de son legs doctrinal au catholicisme d’aujourd’hui - celle dont on se demande si ce n’est pas finalement ce qui l’identifie en dernier ressort -, le départage se dérobe entre ce qui procède respectivement de la répulsion envers le sexe et d’un dégoût foncier pour le corps de la femme. Pour ce « long vase entr’ouvert et sept fois impur ».

Dans le « Inter faeces et urinam nascimur » déjà cité, ce dégoût pèse du poids d’un aveu psychanalytique. Le collège millénaire des clercs a pu trouver dans l’image nauséeuse qui y était décrite, la représentation de la souillure qu’il attache au contact d’un corps réduit à un objet de répugnance. D’une triple répugnance : celle du sexe de la femme en lui-même, celle du plaisir et de la parturition qui en emprunte le chemin, et celle bien sûr du sang menstruel dont on devine qu’elle se raccorde et se connecte à des constitutifs parmi les plus profonds du cerveau archaïque. Ainsi le lien entre la flétrissure dont est frappée le sexe et l’impureté intrinsèque prêtée au féminin est-il bordé et noué par des imageries mentales qui en appellent aux mêmes ressources où se mêlent l’aversion et le haut-le-cœur.

Mais c’est bien en partant du corps de la femme et de ce que le poète a appelé son ‘’plus bel apanage’’ (la provocation drolatique est en l’espèce une arme particulièrement légitime), en restaurant entièrement l’un et l’autre dans la dignité inentamable que la Création leur a conférée, que l’écheveau des névroses dont l’ordre clérical s’est nourri commencera à se défaire.

Condition préalable qui inclut comme toute première étape, libératoire entre toutes, de jeter aux orties le culte de la virginité - à la fois exaltation d’un sexe fermé dont on voit trop bien quels fantasmes ou quelles perversions elle apaise, et référent patriarcal auquel il est juste d’imputer le malheur millénaire des femmes.

Considéré du seul point de vue de l’avenir de l’Eglise, l’enjeu est bien d’abolir une vénération compulsive de la virginité qui n’a rien de chrétien, rien - sinon une probable faute de traduction - pour se revendiquer des évangiles. Et à laquelle nous devons pourtant un ‘’culte’’ marial qui a sans doute comblé dans les dévotions populaires le vide laissé par les divinités féminines des temps païens (encore que celles-ci fussent apparemment plutôt tournées vers la fécondité), mais qui, d’outrances en déraisons, d’exagérations du discours liturgique en dogmes plus qu’hasardeux, a failli nous conduire à la consécration d’une ‘’Marie Co-Rédemptrice’’ - exemplaire illustration de l’empire que les représentations archaïques, et les déviations mentales qui s’y adossent, sont en mesure de prendre sur l’essence même de la foi.


¤ ‘’ Tout ce qu'ils font est saint ’’.

La réinsertion de la sexualité au cœur de la spiritualité catholique et la réhabilitation du féminin dans l’Eglise en appellent à une même ouverture de l’intelligence du créé. L’exigence dont elles se réclament l’une et l’autre s’évalue à l’aune des arriérations qui leur font barrage. A cet égard, il est loisible de penser qu’il est des sujets plus déterminants que l’accès des femmes aux ministères ordonnés, ou que le célibat imposé aux clercs : plus fondamentale est certainement la question de savoir si l’existence d’un clergé investi, à l’instar des classes de prêtres de l’Antiquité et en vertu des pouvoirs quasi magiques qui seraient conférés à ses membres, du monopole de la célébration des sacrements, est ou non susceptible d’être remise en cause au profit d’une habilitation identique pour tous les croyant(e)s tirée de leur communion égalitaire dans le baptême.

Reste que ce ne sont pas les hasards des combats en cours qui placent ces deux sujets au cœur de la bataille. Toutes les explications et toutes les démonstrations imaginables ne pourront pas faire que l’interdit du mariage pesant sur les clercs ait d’autre raison que l’assimilation du sexe au péché - le mariage ne changeant rien à culpabilité dont l’acte de chair, à travers sa bassesse et sa corruption, est porteur. Et toutes les raisons du monde, tous les argumentaires théologiques ou exégétiques, toutes les invocations de la Tradition (qui n’est au demeurant en l’espèce qu’une Histoire circonstanciée), ne pourront pas davantage produire une autre cause à l’exclusion des femmes du sacerdoce que l’impureté sous laquelle celles-ci sont figurées et que le dégoût qu’inspire leur sexe. Dégoût dont on ne redira jamais assez qu’il a produit à leur encontre cette imputation d’impureté, et que depuis des millénaires il tire de l’énoncé de la dégradation du féminin une inépuisable validation.

Il n’est besoin ni de scanner ni d’IRM pour identifier le cheminement mental qui a enraciné dans un clergé de mâles cumulant vis à vis de l’autre sexe des siècles de disjonction physique et d’intériorisation de la répulsion et du mépris, la conviction qu’un corps aussi répugnant que le féminin ne saurait avoir été équipé d’un cerveau capable d’accueillir les dons et de refléter les lumières de l’Esprit. Force a été de concéder une âme à cette créature plus avilie encore que son pendant masculin par les organes distinctifs qu’elle porte - des organes repoussants par nature et par l’usage honteux auquel ils sont voués à se prêter -, mais sans laisser dans la concession faite de place au doute quant à la faiblesse et à l’infériorité de cette âme qui a été condamnée à être aussi indignement incorporée.

Refus de l’ordination des femmes et célibat obligatoire des prêtres sont, pour la pensée catholique, les deux portes de la même prison. Et il est plus que probable qu’il faille que ces portes-ci soient enfoncées pour que les autres défenses de cette prison puissent à leur tour s’effondrer. Non sans doute d’un seul coup, mais ainsi que le redoute l’appareil conservateur de l’Eglise-institution, suivant le modèle de la théorie des dominos : la chute de ces deux verrous emportera nécessairement la révision des schémas et des critères de jugement également inscrits dans l’assimilation du sexe à la déchéance des créatures humaines et au péché.

Successivement, toutes les herses que dans la rétraction contre le modernisme qu’il a toujours pratiquée (à l’instar de toute institution, de tout corps constitué et de toute caste), le Magistère a abaissées sur les thématiques contemporaines afférentes au sexe viendraient à court ou moyen terme à se lever - fût-ce d’abord à mi-hauteur. Au minimum peut-on penser que les démonstrations exemplaires qu’il a produites depuis Humanae Vitae, sur chacun des sujets en cause, de ce que les intellections éthiques, les sentiments intimes et les attentes ayant cours dans les sociétés ‘’avancées’’ lui étaient inaudibles et inconcevables, verraient s’effacer progressivement l’impact qu’elles ont laissées. Et plus rapidement peut-être qu’on ne se le représente a priori.

L’espérance en la matière se fixe sur l’idée que son seuil critique atteint, le révisionnisme mis en marche pour déconstruire pas à pas les enfermements doctrinaux opposés à la liberté des couples et à l’égalité des femmes, débouchera sur un changement radical de la perspective catholique : rien moins - en lieu et place de l’appesantissement séculaire des clercs sur le départage entre ce qui serait « intrinsèquement déshonnête » et ce qui pourrait ne pas l’être ou l’être moins - que la réhabilitation spirituelle de la sexualité humaine.

L’épiphanie de cette légitimation spirituelle n’aura de stupéfiant que le temps immense qu’elle aura pris pour s’accomplir : qu’est-il en effet de plus incompréhensible, du point de vue de l’intelligence du croire - et plus particulièrement, qui sait, si l’on se réfère au signifié des gestes et des paroles de la Cène -, que ce choix si interminablement pérennisé de récuser l’insertion physique de l’amour dans l’intime affectif de deux personnes ?

Et au regard de la foi en une transcendance qui a pris chair, que cette incapacité à reconnaître la communion corporelle dans laquelle s’incarne l’amour humain, parcelle inestimable de celui qui contient notre seule appréhension intelligible de D.ieu et de son dessein pour ses créatures. Si l’on réfère au Verbe cette acception de l’amour incarné, la bénédiction du désir de la chair aimante et la bénédiction de son contentement constituent la plus grande certitude qui nous soit raisonnablement donnée. La certitude que le Verbe est présent dans la fusion des corps, indistincte de celle des âmes, aussi assurément qu’il le sera dans leur résurrection.

Une légitimation dont le premier jalon est déjà posé. Il est issu de la tradition orthodoxe qui a gardé de l'amour conjugal la vision moins tourmentée qu’ont développée les Églises orientales du premier millénaire. De cette tradition qui s'abstient de dicter une morale sexuelle pointilleuse, s’est fait entendre la parole du Patriarche Athénagoras (l’expression ‘’parole d’évangile’’ a-t-elle jamais trouvé meilleure occasion pour être employée, et surtout de plus instantanément justifiée pour l’être au sens propre ?) :

« Si un homme et une femme s'aiment vraiment, je n'irai pas dans leur chambre à coucher.
Tout ce qu'ils font est saint. ».

Le jalon suivant est, lui, à sceller. Il découle directement du premier. Ce sera celui de la perception de l’égale valeur de tous les couples humains quelles que soient les différenciations entre les orientations sexuelles qui portent leur amour. Différenciations qu’une intuition probablement réservée à notre temps renvoie à la liberté impénétrable et infinie du Père, celle de sanctifier les exceptions autant que la norme censée être universellement donnée en son Nom.

Une liberté de l’ordre du mystère que ses décrets et ses élections ont publié pour chaque génération, une liberté souveraine et absolue de déroger aux lois dont on lui prête la notification, et une liberté qui ne se comprend pas comme une propriété attribuée à une entité divine mais uniquement à travers sa traduction par l’un des concepts humains qui peuvent tenter d’approcher l’essence de l’Etre et l’essence de son Amour.

On peut exposer, degré par degré, cette légitimation jusqu’à son terme. Ou, d’emblée, se figurer ce terme sous sa traduction la plus concrète, en se disant : ‘’je fais un rêve’’.

Celui du temps où sans que personne ne s’en étonne, le primat des Gaules sera une femme. Et ajoutons pour mettre encore davantage l’avenir au défi, une femme homosexuelle et mariée à une autre femme. Une pasteure dont le couple, banalement, aura des enfants - les uns adoptés en filiation plénière, les autres conçus à l’aide d’une PMA. Ce n’est pas risquer un pari que de se représenter qu’elle s’emploie à élargir, toutes barrières levées, les passages qui ouvrent sur l’intelligence de la foi et que, pour le reste, son discours amplifie celui par lequel François, s’adressant aux croyants et aux non croyants, bouscule aujourd’hui l’Eglise et ses corps constitués.

Pour rester dans ce rêve, on peut se projeter cette pasteure sur l’écran d’un dimanche où le sujet de son sermon serait l’abstention sexuelle. N’expliquerait-elle pas que cette abstention ne répond ni à un interdit ni à un vœu, mais à une grâce d’élection ? Qu’il n’y a pas de hiérarchie dans l’économie des grâces dispensées, et que celle-ci ne se distingue que par sa rareté corrélée à sa vocation spécifique. Que le sens de cette vocation est discernable dans les signes qui y laissent entrevoir ce qu’elle tient du don de D.ieu : une élévation dans la perception mystique ou un partage avec l’Autre d’une profondeur, d’une abondance et d’une plénitude hors du commun.

Qui n’aimerait entendre ce sermon où la grandeur de la sexualité humaine et la part qui revient aux quelques élu(e)s appelé(e)s à vivre dans la grâce particulière allouée à l’abstinence ne se distingueraient pas, prises qu’elles seraient sous la même lumière qui estomperait les contours séparatifs de ces deux cheminements de l’amour humain. Qui abolirait jusqu’à leur différenciation spirituelle dans la prise de conscience de ce que l’un et l’autre participent identiquement de la bénédiction dont toute incarnation est investie et qui atteste que « Tout est grâce ».


¤ ‘’les murailles tombèrent ’’.

Le rêve achevé ne laisse derrière lui que le détail esquissé sur un tableau qui n’a qu’à peine commencé à être peint. A ce tableau, un nom semble pourtant déjà tout désigné qui rend compte du processus de réhabilitation du sexe que la pensée catholique est mise au défi de mener : celui que suggère la splendide évocation par laquelle Emmanuel Levinas a restitué une autre élévation de l’esprit - celle que l’Alliance qui le vouait à la singularité la plus exceptionnelle et la plus redoutable, a imposée au peuple Elu -, à savoir le passage d’une malédiction à une exultation.

Exultation relevant en l’espèce d’un autre registre d’exigence pour l’Eglise romaine confrontée à une légitimation pleine et entière de la sexualité après deux millénaires de honte et de peur, de mépris et de rejet. Comme on l’a entrevu pour les ressourcements qu’il lui est intimé d’opérer, l’Institution ne répondra sans doute pas à cette attente ou à cette injonction de la ‘’sensibilité’’ moderne sans qu’une fracture en son sein n’en résulte.

Mais le schisme est-il après tout, considéré en lui-même, autre chose qu’un divorce entre entités ecclésiales, autrement dit rien qui ne fasse davantage qu’effleurer la surface du croire ? Le motif qui l’a provoqué, pour passionné et violente qu’en eût été la discussion, laisse en général une trace semblable à celle d’un vestige archéologique : combien de chrétiens de par le monde seraient en mesure de dire sur quel point de la foi a porté la querelle du Filioque, et combien surtout élucideraient dans celle-ci l’enjeu théologique qui fut disputé comme un sujet dogmatique capital pendant deux siècles, et qui devint la cause centrale du Grand Schisme de 1054 ?

Le temps n’est sans doute pas l’unique explication de cet effacement dans les esprits, et encore moins de la minoration graduelle des effets des schismes. Si l’Esprit dispense progressivement ses lumières, et à l’allure infiniment lente qui s’ajuste probablement sur le plan dont procède la Création, comment exclure qu’il éclaire, au même moment, de façon sensiblement différente et graduée des sociétés, des civilisations, des groupes humains qui se distinguent par les cultures qui leur sont propres, par leur histoire ou par leur réceptivité à la Parole ?

Ce qui amène à concevoir, par exemple, que Rome et la Réforme ont également reçu la Vérité, qu’ils l’ont reçue en parts et valeurs égales, seul l’état dans laquelle celle-ci leur a été rendue intelligible ayant varié suivant le libre dessein de la transcendance. Ainsi n’y aurait-il pas de ‘’frères séparés’’, mais des intellections également justes dans des ordres de pensé dissemblables. Et non des divisions, mais des diversités d’entendements aussi légitimement plurielles que sont multiples les demeures dans la maison du Père.

La réprobation du sexe et la discrimination du féminin, inscrits dans un enseignement millénaire, pèsent d’un poids si étouffant sur l’Eglise catholique qu’un schisme peut sortir de toute avancée significative visant le référentiel d’un autre âge et les représentations mentales qui concourent à cette double arriération. Ce ne sera pas le jour où un successeur de François verra acter par le concile qu’il aura convoqué la déclaration affirmant l’inséparabilité de la sanctification spirituelle et de la liberté de la personne dans la sexualité humaine que la fracture de l’entité romaine risquera le plus probablement de se produire. Sur les sujets en cause, chacun des pas qui aura auparavant été accompli dans le sens d’une appréhension contemporaine de la morale, chaque ‘’point de contact’’ qui aura été rétabli avec le monde, et chaque preuve qui aura été fournie de ce qu’authentiquement ‘’L’Église se fait conversation’’ aura porté la possibilité d’une scission.

Contraception, divorce, homosexualité ouvrent la liste des thèmes sur lesquels cette possibilité est ouverte. Liste non limitative où figurent au même niveau (outre les choix et les modes de fin de vie, sujet d’un autre ordre mais connexe) la procréation médicalement assistée et l’avortement : deux problématiques que la caste sacerdotale et tous les intégrismes ont perdu la faculté de considérer dans leur réalité humaine, en premier lieu par méconnaissance ou abandon de l’éthique du moindre mal. Et par déni du critère qui renferme tout l’abrégé de l’enseignement des Evangiles et qui veut que la compassion l’emporte toujours sur la loi : la guérison des malades prévaut exemplairement sur l’obligation du repos sabbatique, et l’aide et le secours qui sont apportés à une détresse, à un prochain en souffrance ou en maltraitance, sont déliés de l’observance de toute prescription doctrinale ou disciplinaire. Déliés parce que l’amour du prochain anéantit toute règle qui ferait obstacle à son déploiement.

Par rapport aux autres questions représentatives d’un risque de fracture, le célibat imposé aux clercs et l’exclusion des femmes des ministères ordonnés font passer de l’hypothèse à la quasi certitude du schisme. Parce que si tant est que des esquisses de concession, ou des reculs calculés, soient concevables de leur part sur leurs autres objets de fixations, la Curie et les réseaux les plus conservateurs s’interdiront la moindre amorce de mouvement de nature à déplacer si peu que ce soit les lignes s’agissant de ces deux piliers de leur univers intellectuel - et de ces deux symboles, respectivement, de leur pouvoir et de leur ascendant historique.

Demeure que la restauration de la chair à la place qui lui revient dans la Création, et celle de la femme dans son statut naturel d’égalité dans l’Eglise, réduiront à peu de choses les divisions qu’on leur imputera, Et qu’elles sont d’un tout autre ordre que les petits pas - ou les grands pas éventuels et à vrai dire à peine espérés - qui sont susceptibles d’y mener en contournant, ou en surprenant, les résistances du parti de ceux qui ont des oreilles pour ne pas entendre les attentes du monde, ou au moins de nos sociétés.

L’élévation de la chair, la sanctification de l’exultation dans la chair, et la consécration indiscriminée du féminin et du masculin tirés de l’Adam, représenteront en effet conjointement un évènement spirituel sans pareil dans l’histoire de la Nouvelle Alliance et dans le parcours de son accomplissement. Rien moins, par la bénédiction donnée au sexe et à la sexualité en toute personne, que l’entrée dans l’Alliance de la plénitude de l’être humain, et rien moins, par l’onction restituée à la part féminine de cet être, que l’entrée dans cette Alliance de l’humanité en sa plénitude.

Recomposition dont la signification revêt une telle ampleur qu’elle intègre sa charge préalable d’attente et de patience. Une attente que d’aucuns pourront vivre avec en tête l’image de Josué et des Hébreux tournant avec l’arche autour des remparts de Jéricho. Et soufflant, tour après tour, dans leurs trompettes comme pour renverser les fortifications avec du vent. Evocation biblique - et hugolienne - dont ils se rappelleront l’issue :

« À la septième fois, les murailles tombèrent ».


Didier LEVY - 04 02 2017

Publié sur Facebook ce même jour. 




[1] Ces textes se rapportent à deux conférences (et à son résumé pour la première, de novembre 2016) :
- de Monique Hébrard, sur son livre «Pour une Église au visage d’Évangile, 12 urgences».
- du Père Ploux (Mission de France) : ‘’Des repères pour agir et résister en chrétiens ?’’.