¤ QUAND UNE CROIX DE BOIS SIGNALE UN CRIME
ET UNE FORFAITURE.
Je passais en voiture, l’autre jour, à la
hauteur de l’Etang Rompu, en forêt de Rambouillet. A cet endroit, dans un
virage en surplomb de l’étang, une croix a été déposée, plantée ou fixée, avec
ces mots : « A notre père ».
C’est là en effet, dans l’eau de cet étang, que
le 30 octobre 1979, a été
retrouvé le corps sans vie de Robert BOULIN, ministre du travail et de la
participation dans le gouvernement Raymond Barre.
Cela
fait donc quarante ans que la République s’arrange de son déshonneur.
Robert BOULIN, détenteur du record
de la longévité ministérielle, avait été secrétaire d'État puis ministre sous
les présidences de Gaulle, Pompidou et Giscard d'Estaing. Sur près de quinze
ans, il avait occupé un nombre plus qu’impressionnant de portefeuilles divers –
Rapatriés, Budget, Fonction publique, Agriculture, Santé publique et Sécurité
sociale, Relations avec le Parlement …
On a retenu de lui ‘’un
homme intègre, possédant une grande capacité de travail et très apprécié de
l'opinion publique’’.
Résistant, gaulliste social, ministre estimé, il se murmurait
que le président Giscard d'Estaing envisageait de le nommer Premier ministre –
ce qui promettait de fracturer le RPR créé et dirigé par Jacques Chirac. Et
voué au service des ambitions de ce dernier.
Une sombre affaire de ventes de terrain à Ramatuelle, dans
laquelle il avait fait montre de naïveté à l’endroit de l’une de ses
connaissances – pas moins qu’un escroc -, avait alors ‘’fuité’’ dans la presse
pour le déconsidérer et mettre fin à sa carrière politique.
Or, Robert BOULIN possédait (et on peut penser que c’était depuis
peu) les preuves de financements illégaux de partis politiques. Impliquant principalement
le RPR. Et étroitement liés aux affaires nauséabondes, néocolonialistes et
maffieuses, de la ‘’Françafrique’’ – de celles, mêlant corruption,
prévarications, trafics en tous genres et barbouzeries,
dont les valises de billets aéroportées en provenance du Gabon ou d’ailleurs
sont devenues l’image.
Robert BOULIN est mort d’avoir détenu ou connu ces preuves : en l’état, c’est là le
plus crédible.
Et d’une mort qu’on a voulu déguiser en suicide. Un camouflage
auquel les plus hautes autorités de l’Etat ont prêté la main, les basses œuvres
étant sous le contrôle de gens du Parquet sur qui on savait pourvoir compter, aussi
vils et aussi infamants que les procédés dussent être ; elles ont été exécutées
par des enquêteurs appelés en substitution sur le même calcul pour servir à la manœuvre.
Constations bâclées, autopsies truquées, prélèvements biologiques détruits,
pièces d’archives et autres preuves ou indices inexplicablement disparus quand
on finissait par se décider à les rechercher …
Au total, une forfaiture d’une dimension et d’une gravité sans exemples.
Sur laquelle la justice a été empêchée pendant des lustres de faire la lumière
– et s’en est accommodée. Jusqu'au 10 septembre 2015 quand le parquet de
Versailles a annoncé l'ouverture d'une information judiciaire pour « arrestation, enlèvement et séquestration
suivi de mort ou assassinat » - étape préalable avant d’instruire –
enfin ! - sur les causes et sur les auteurs de la mort du ministre.
Dans le même temps, 14 journalistes qui avaient travaillé sur l’’’affaire
Boulin’’ ont publié une lettre ouverte adressée au président de la République pour
demander la dé-classification des archives des services de renseignement
français et américains. Dans cette lettre ouverte, les journalistes signataires
ont dénoncé les « mystifications entourant cette affaire, les
graves lacunes de l'enquête et de la procédure qui entachent les circonstances
de cette disparition ».
Demeure que la famille de Robert
BOULIN, ne
lâchant rien, poursuivant inlassablement sa quête de la vérité,
a dû se battre contre la
République. Une République qui a voulu cacher que l’un de ses ministres avait
été assassiné – avec ce comble dans l’exposition du crime que ce ministre était
un ministre en exercice. Et une
République qui a offert ou garanti l’impunité
aux assassins. Et aux donneurs d’ordre, puisque beaucoup donne à penser que
ceux-ci sont à compter en sus des exécutants.
Une indignité a ainsi été interminablement commise à l’égard
d’une épouse qui n’a pu entendre de la
justice de la République par qui, avec quels auxiliaires, pourquoi et dans quelles
conditions, son mari avait été supprimé. A l’égard des enfants de Robert BOULIN
à qui la protection de la loi a été refusée, alors même qu’en l’espèce, la
vocation de la loi touchait au plus constitutif de l’état de droit : l’élucidation
de la mort de leur père.
Robert BOULIN était un homme public - on a rappelé son exceptionnel parcours
ministériel et sa place sur la scène
politique avant que survienne sa disparition. A ce titre déjà, la nation devait
tout savoir des raisons, des conditions
et des artisans de sa mort. Dans toute l’étendue et dans tous les ressorts de
la vérité que, tout spécialement devant un événement aussi inouï, une
démocratie doit à ses citoyens. Dans la vérité qu’il incombe à l’institution
judiciaire, et d’abord quand elle statue dans le champ pénal, de rechercher et
de produire. De cette administration de la vérité dépendent la probité de la
vie publique, la confiance sociétale, et in
fine les gages les plus déterminants de la paix civile.
Autant d’obligations qu’il arrive aux gouvernements
démocratiques, et aux justices les plus réputées pour leur indépendance, de ne
pas remplir, ou de satisfaire de façon partielle et/ou insincère. Mais ces
manquements ne tombent pas dans l’oubli, et si cela finit par advenir, les
citoyens les plus indignés peuvent encore les regarder comme des exceptions.
Cette vision réconfortante ne vaut pas pour la France. Les
affaires étouffées s’y décomptent sous tous les régimes. Mais ce ne sont pas tant
en eux-mêmes les scandales mêlant le politique et le financier que les mises
sous le boisseau dont ils ont été l’objet qui ont impressionné l’esprit public (et
laissé les citoyens blasés et incrédules sur les sujets de probité publique et d’impartialité
de la justice). Une impression certes parfois éruptive mais le plus souvent
désabusée : si sur les deux derniers siècles, l’opinion a pu faire montre
d’une capacité d’indignation très réactive - allant jusqu’à des convulsions de
la violence de l’émeute du 6 février
1934 –, au total, les Français ont montré qu’ils se faisaient à l’idée que
l’étouffement des ‘’affaires’’ appartenait autant à l’ordre des choses que ces
affaires elles-mêmes, et que les manquements et les fautes qui y étaient
entrevus.
Une accoutumance ou une résignation qui ont dérivé jusqu’à un ‘’à quoi bon’’ encore plus défaitiste quand
la Vème république a restauré l’empire souverain de la raison d’Etat. Un empire
qui, soit notifiait l’inexistence des affaires quelque vraisemblance ou indice
eussent entouré leurs mises au jour, soit prononçait la réduction de celles-ci
à quasiment rien en leur affectant le qualificatif de subalterne.
Le faire-silence dont
a usé à sa discrétion l’Etat pour ne rien concéder sur les vérités contrariantes,
humiliantes ou accablantes - et en tout cas compromettantes -dont il entendait
garder le secret. Et qui a achevé de neutraliser les contre-pouvoirs, inclus les
nouveaux médias de communication audiovisuelle qui pourtant prenaient alors
leur essor. Mais il en a résulté que la Vème république s’est caractérisée par
la dimension et la portée sans précédents de ses affaires d’Etat. Sans qu’il
eût été besoin d’un grand recul pour prendre toute la mesure de la gravité des
atteintes à l’état de droit et des impunités qui y étaient organisées.
Avec le point commun à ces
affaires d’impliquer, en cause première, le recours à un système clandestin, ou
plus ou moins bien camouflé, de polices parallèles et autres sortes de
supplétifs formant autant de phalanges dédiées à des actions occultes. Et
issues d’un recrutement composite mais tournant dans l’orbite d’un ‘’esprit de
réseau’’ : celui là même qui était consubstantiel au gaullisme glorieux de
la France Libre et de la Résistance, mais
qui mis au service d’un parti, puis appelé en renfort du régime instauré en
1958, se détournait vers de viles besognes.
D’autant que la nature des officines et des groupes impliqués prédestinent
ceux-ci à un mélange des genres où les coups de mains se financent – et financent
leurs auteurs – à coup de malversations et de trafics dans lesquelles les
moyens de la cause politique et les fins d’enrichissement personnel ne tardent
pas à se confondre de façon indémêlable.
On a concédé que tant que se prolongeait la guerre d’Algérie, il
ne pouvait être fait reproche à l’Etat républicain d’ajouter à ses armes
légales, celles offertes par ce système dans sa mouture de l’époque. Et plus
particulièrement pour venir à bout de la
guerre civile entreprise à son encontre par l’OAS.
Mais ce n’est pas seulement parce que ‘’le pli était pris’’, que ce mode d’action souterraine a
perduré : pour le régime en place, il faisait corps avec sa conception du
Pouvoir – fût-ce par une étrange contre-perception de l’autorité de l’Etat - ; et il avait de surcroît pour vocation et
mission de concourir au maintien de la Vème république et de conforter, à coups
d’impunités, la résilience de ses partisans - avant même qu’il advînt que ces
derniers fussent étrangement désignés comme « l’armée de ceux qui (…) soutiennent » ce régime et son chef.
L’enlèvement du colonel Argoud, au mépris de la
souveraineté d’un Etat voisin, marquait
déjà (tout ‘’officier félon’’ et sombre figure du drame algérien et de ses pire
ressorts que ce personnage pouvait apparaître) que, quoique sorti de la guerre
d’Algérie, le régime ne cesserait pas d’utiliser son bras agissant hors de la
loi - ni aux ‘’coups tordus’’ dont les opérateurs de ce bras passaient pour
être des experts.
Il va de soi que la Vème république ne se résume pas à sa face noire, et que son histoire s’écrit
de la geste gaullienne au refus de Jacques Chirac d’aller guerroyer en Irak (et
à son discours réparateur du Vel d’Hiv’), en passant par les deux septennats successifs
qui furent accomplis par « le
dernier des Capétiens » – ainsi qu’on prêta à feu le comte de Paris
d’avoir distingué François Mitterrand.
Cette face noire pèse néanmoins au bilan du régime, et d’un
poids qui se mesure – pour la faible, ou très faible part qui a émergé de l’iceberg
de la glaciation du silence d’Etat – à la sordide et crapuleuse chronique qui va du rapt du colonel Argoud, déjà
évoqué, à l’indicible horreur de la tuerie d’Auriol perpétrée au sein même du
SAC, en passant par les complicités qui entourèrent l’enlèvement, en plein
Paris, de Medhi Ben Barka sur commande des services spéciaux marocains - un
enlèvement suivi de la mise à mort, par les mêmes, de celui-ci sur le sol
français : comment ne pas se dire
que rien ne rend compte plus démonstrativement de la corruption de
l’état de droit qu’a représentée, pendant plusieurs décennies, l’emprise des
services parallèles, que le rappel de ce qu’il a suffi d’un « Foccart est au parfum » pour que,
du côté français, la machinerie crypto-barbouzarde de la collaboration à
l’élimination de l’opposant marocain et leader tiers-mondiste se mette en
mouvement.
La mort de Robert BOULIN appartient à cette séquence où, en
France, l’Etat s’est servi d’hommes de
main et de voyous. Encadrés par une sorte de ligue clanique ou autres groupements
occultes. Autant d’entités et de réseaux qui appuyaient leur raison d’être et
de perdurer sur la commodité qu’il y avait à les utiliser pour les ténébreuses manœuvres
déployées dans le champ empuanti de la Françafrique. Et qui tiraient leurs
ressources, outre de fonds spéciaux, de leur implication – indéracinablement assise
- dans les trafics, les corruptions et les turpitudes publiques et privées qui
servaient de base aux opérations secrètes et aux sombres intrigues auxquelles on les
employait.
Leur grande époque commençant à s’éloigner, le petit jeu du
rapport de forces politique, dans sa déclinaison du « tu me tiens-je te
tiens » a suffi à les rendre intouchables. Au point de les maintenir dans
la position d’agents de la raison d’Etat ayant échappé … au contrôle de l’Etat.
D’un l’Etat qui se résignait pour longtemps à son impuissance à leur endroit.
Décrire cette toile de fond
n’est en tien entamer l’essentiel. Qui réside en ce qui suit.
D’une part, en la mémoire historique qui rapporte que le
capitaine Alfred Dreyfus a été réhabilité par la République, et que pour trop nombreuses
qu’eussent été les années que cette réhabilitation a exigées, en progressant à
travers une succession d’intenses épisodes politiques et judiciaires, la
République s’est finalement montrée digne d’elle-même. Mieux, en affirmant et
en recouvrant cette dignité, le régime républicain a rebondi dans une phase
nouvelle, de consolidation et d’avancées – la plus notable étant la loi de
Séparation qui a institué la laïcité en garante
de la liberté de conscience.
Et d’autre part en ce qui ressort, par une opposition
saisissante, du constat que quarante ans
après que son corps a été découvert dans un étang de la forêt de Rambouillet, Robert
BOULIN demeure sous le coup d’un effarent déni de justice. Avec lui, son
épouse, ses enfants et ses proches se sont vu exclure de la première et de la
plus fondamentale des sûretés qu’un Etat, et plus que tout autre un Etat démocratique,
doit assurer à ses citoyens : la sauvegarde de leur vie et, si rien n’a pu
faire que celle-ci soit préservée des menaces qui étaient dirigées contre elle,
la certitude que la justice mettra tout en œuvre pour retrouver les auteurs du crime et réprimer
conformément à la loi la commission de ce dernier.
L’exclusion de la protection de la loi ainsi perpétrée dépasse
l’arbitraire des décisions et des arrangements qui ont été pris en vue de faire
accroire à un suicide de Robert BOULIN. Puis de constituer un mensonge d’Etat en
vérité judiciaire et de pérenniser celle-ci, nonobstant les invraisemblances
qui se faisaient jour à son encontre et la puissance des preuves qui venaient étayer la démonstration du
travestissement opéré.
Oui, cette exclusion va au-delà de l’imposture qui s’est rangée sur une raison
d’Etat de surcroît dévoyée. Elle ne s’arrête pas à la qualification de
forfaiture qui s’applique aux plus hauts niveaux du pouvoir exécutif qui ont
dérobé les faits et aux magistrats indignes qui ont sciemment méconnu que la
justice « rend des arrêts et non pas
des services » : qui ne
voit que c’est l’honneur de la République qui a été atteint et dégradé à
travers la mort infligée à Robert BOULIN et restée impunie ? Que partant,
c’est la République qui s’est discréditée.
De la complicité apportée au maquillage de cette mort en
suicide, et conjointement du silence imposé sur
les circonstances de ce que (et
pour vouloir ici laisser la latitude la plus extrême à la notion de doute
judiciaire) un faisceau outrageusement dense
d’indices, alliant les plus hauts niveaux de gravité et de concordance, désigne
comme un crime, au sauf-conduit accordé aux auteurs de ce crime, et aux
pressions et falsifications menées pour que ce sauf-conduit demeure agissant
sur quatre décennies, cette somme de hontes – dont la commission aurait été
rigoureusement impensable dans n’importe laquelle des démocraties modernes dont
la République française prétend faire partie- saurait-elle se résumer autrement,
en fin de compte, qu’en ‘’L’HONNEUR
PERDU DE LA RÉPUBLIQUE’’ ?
De tous les acteurs qui, dans
l’Etat, ont compté et pesé au premier chef dans ‘’l’affaire Boulin’’ – Président, Premier ministre, ministres de
l’intérieur, de la justice, chefs de parti, hauts responsables de la police et
du renseignement … -, aucun à ce jour n’a parlé ou dit sa ‘’part de vérité’’.
Or, ils savaient, soit en totalité
soit au minimum ce qu’il n’est pas vraisemblable qu’ils eussent ignoré. Sauf à
leur prêter d’avoir été impuissants ou incapables de découvrir, ou de venir à
connaître, ce qui dans le dossier d’un crime d’Etat, relevait de leurs
responsabilités, de leurs compétences ou de leurs fonctions respectives.
Seul, aujourd’hui, demeure
en vie le Président de la République de l’époque des faits - en tout cas parmi
ceux qui étaient en mesure, et en devoir, d’absolument tout savoir et dont on
ne peut pas penser qu’ils n’aient pas tout su. Pour avoir eu rang de premier
magistrat de la République, il bénéficie d’une présomption : celle d’avoir
dicté dans ses dernières volontés de rendre public un mémoire écrit de sa main
dans la résolution de s’acquitter de l’exposition et de la récapitulation de la
totalité des éléments relatifs à la mort de Robert BOULIN.
Si un tel mémoire, établi aux fins d’une divulgation exhaustive post mortem, existe, probablement
comporte-t-il le plaidoyer pro domo de
l’ancien Président sur les motifs et les considérations qui ont dicté le ‘’faire-silence’’ qui, en 1979, a dérobé un fait aussi
inouï que le meurtre ou l’assassinat d’un membre du gouvernement de la République.
Qui l’a dérobé d’abord aux plus proches de la victime et, avec eux, au peuple
français à qui, démocratiquement parlant, il appartenait et à la justice qui devait
l’instruire en son nom.
S’il y avait là la perspective que les culpabilités fussent publiées,
ainsi qu’un argumentaire éclairant la fabrication du mensonge d’Etat (vraisemblablement
par les capacités de nuisance du RPR sous le septennat alors en cours -quel autre parti aurait eu à employer ses ressources
d’intimidation pour protéger les organisations parallèles a priori impliquées ?),
leurs échéances apparaissent en l’état beaucoup trop tardives, et ce quel que
soit la survenue effective de leur terme.
Après quarante années au cours
desquelles un déni de justice aussi extraordinaire a pu s’étendre, et a pu se
fortifier (disons au moins jusqu’à à l'ouverture
en 2015 d'une information judiciaire apparue crédible) - c'est-à-dire après
quarante années où il a été recouvert par l’étanchéité d’une dissimulation décidée,
orchestrée et étayée depuis le sommet de l’Etat, avec tous les appuis et relais
utiles du côté d’une institution judiciaire tantôt complice, tantôt désarmée,
tantôt rendue impuissante par le défaut de moyens, et avec aussi le probable bénéfice
de l’entregent des services dédiés aux actions clandestines et de leurs
spécialistes -, l’enjeu est d’une toute autre
urgence, pour désespérément réduite que soit encore son appréhension.
Là où cette appréhension a percé, et à ceux qui s’en sont
rapprochés, il faut dire qu’à retarder plus longtemps une révélation qui s’imposait aux autorités publiques au
rythme où les faits étaient élucidés, c’est la très fragile croyance en la
probité du gouvernement de la République qui ne peut plus avoir cours, et le
non moins faible crédit encore alloué à cette probité qui, à juste titre, s’effondre.
« Il est des vérités qui peuvent
tuer un peuple » : cela se discute, mais il en va toujours plus certainement
des mensonges. Et spécialement dans des nations fracturées comme la nôtre et
déchirées entre des antagonismes qui évoquent de plus en plus des exécrations à
caractère tribal, dans des sociétés où la défiance envers les représentants du
peuple, la colère voire la haine à l’endroit des gouvernants et autres
‘’élites’’, ne cessent plus de s’afficher et de s’enraciner.
C’est bien dans le plus
immédiat que doivent être enfin dévoilés les auteurs et les motifs - et publiées
les circonstances et les conditions - de la mort de Robert BOULIN. Ainsi que toutes les sortes de
complicités qui s’y sont activées, y compris à travers tout ce qui a été partie
prenante au mensonge d’Etat originel et à la consolidation de ce dernier
pendant des décennies. Au reste, à
simplement considérer le dossier de date à date, toute idée d’un sursis
s’ajoutant à ceux que les acteurs de la forfaiture se sont octroyés, est en
elle-même affectée d’une flétrissure morale sans pareille.
Que toute la lumière soit ainsi faite. Que pour cela, toutes les
archives à présent s’ouvrent, qu’en même temps tous les témoignages soient
rendus ou se rendent publics. En premier lieu, naturellement, parce que si la
vérité est dite ‘’CE SERA JUSTICE’’ selon
la formule consacrée ; mais aussi parce que la parole de l’Etat républicain ‘’qui
dit vrai et qui dit tout’’ sans avoir eu à céder à une pression citoyenne portée
à l’insoutenable (celle-là même qui
aurait dû s’exprimer irrésistiblement en 1979 et depuis …), a tout pour prodiguer
la plus exemplaire pédagogie civique.
Par la démonstration de ce que sont inséparables deux des obligations
les plus majeures qu’il est assigné aux gouvernants d’un Etat démocratique
de satisfaire pour que cet Etat soit reconnu tel : celle d’assumer leur
responsabilité politique devant la nation, et celle de se ranger sous l’empire
absolu de l’état de droit. Remplir pleinement ces obligations, pour les
mandataires du gouvernement du peuple,
c’est en outre s’inscrire en faux contre les discours dominants de la
démagogie : attester que dans un régime démocratique, l’improbité des
dirigeants, si par nature elle existe, demeure contenue dans une exception et est
toujours vouée à être découverte et sanctionnée.
Est-ce de l’ordre du vœu pieux
que de dire en quoi consiste le devoir le plus impatient de la République, que de
tracer les voies et moyens que ce devoir détermine pour mettre fin au déshonneur
qu’il y a pour la France à ‘’traîner’’ depuis quarante ans une ’’affaire Boulin’’ ?
Après tout, la veuve de Maurice Audin, à l’extrême fin de sa
vie, a pu entendre de la bouche du président de la République, le 13 septembre
2018, que l’Etat républicain reconnaissait que son mari, arrêté à Alger en 1957
par des militaires français (et dont le corps n'a jamais été retrouvé), était
mort sous la torture que ceux-ci lui avaient infligée ou avait été exécuté de
leurs mains. Une mort elle aussi camouflée, sous le récit d’une tentative
d’évasion, par un mensonge d’Etat contre lequel Josette Audin s’était battue toute sa vie au nom de la vérité et pour la mémoire de
son mari. Cette falsification officielle a duré 60 ans, en dépit
des mobilisations militantes qui avaient dénoncé le crime dès sa commission, toutes
les autorités de l’Etat et tous les artifices de la raison d’Etat (plus le vote
d’une loi d’amnistie couvrant les crimes et atrocités commis pendant la guerre
d’Algérie) ayant concouru à sa construction et à sa fortification au long de
cette durée.
Ce rapprochement entre deux crimes d’Etat esquisse au demeurant
des scénarios de réparation épousant des processus voisins ou ressemblants. Un premier
aveu officiel, par le président François Hollande, de la mort en détention de
Maurice Audin avait en effet eu lieu en
juin 2014, mais imprécis et sans que les documents la confirmant fussent rendus
publics. La reconnaissance solennisée par Emmanuel Macron, dénonçant le ‘’système
institué alors en Algérie par la France", a été affermie, elle, par un arrêté du 9 septembre 2019 portant
ouverture des archives publiques relatives à la disparition de Maurice Audin -
soit celles conservées aux Archives nationales, aux Archives nationales
d’outre-mer, aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine et, ce qui en
théorie figurerait un champ productif ouvert à cette libre consultation, au
Service historique de la Défense.
Rien, bien entendu, ne donne
cependant à se convaincre que vis à vis de la mort de Robert BOULIN, la
réparation tant différée surviendra sur un mode aussi exemplaire que cette
adresse en forme de Lettre ouverte à la
République intime qu’il soit - par
la mise au jour de la totalité des faits commis et par la désignation de
tous les auteurs de ceux-ci et de tous leurs complices de tous ordres. Ni, plus
encore, qu’elle se produira dans le temps de l’aveu que cette même Lettre d’injonction appelle à rendre
désormais exclusif de tout sursis.
De cette Lettre ouverte,
y a-t-il d’ailleurs un écho conséquent à attendre ? Et un crime resté
impuni depuis quarante années, ainsi que la forfaiture qui l’a couvert,
peuvent-ils émouvoir les foules quand celles-ci sont interpellées, comme c’est
le cas ici, par une indignation solitaire ? Cette indignation se
réclamerait-elle du soutien qu’elle aspire à apporter à l’indécourageable
combat judiciaire mené du sein de la descendance de Robert BOULIN.
Présumons-donc – au moins pour faire avancer la réflexion–
qu’écrire les lignes qui précèdent a tout eu d’un coup d’épée dans l’eau. Que
de ces lignes ne ressort qu’un bruit perdu au milieu de tous les autres,
innombrables ; et un bruit que sa faible puissance de propagation rend
bien incapable d’atteindre des oreilles attentives hors de l’étroit périmètre
où il lui est donné d’être audible.
Resterait alors la ressource, inaliénable,
dont dispose tout citoyen en régime démocratique. Et qui est de la même nature
que l’objection de conscience et que la désobéissance civile qui récusent les
actes publics et qui révoquent l’obligation, respectivement, d’y souscrire et de
s’y soumettre, s’il advient que ceux-ci procèdent de la méconnaissance des lois
– des lois écrites comme des lois non écrites qui sont appelées en légitimation
et en validation éthique des codes et des normes. Et que, par là, ils attentent
à la liberté en détruisant son assise.
Désignons cette ressource sous les termes de retrait
citoyen.
C’est là nommer le retrait que décidera le citoyen au vu des
preuves qu’il a en mains, ou de l’intime conviction raisonnée qu’il se forme,
de ce que l’Etat a commis, ou couvert, une faute d’une si exceptionnelle et si
démonstrative gravité ou indignité - au regard des valeurs et des principes
qu’il a la charge d’incarner, et des droits dont il garantit et dont il régit
l’exercice - qu’il n’a d’autre choix civique que de se retirer du corps des ‘’citoyens
actifs’’ : en jugeant que pour sa part, et précisément en tant que
citoyen, il ne saurait plus concourir au « gouvernement par le peuple » qui constitue le référent de la
Loi fondamentale de ce même Etat. Y inclus au départage entre les partis
politiques qui, constitutionnellement, appartiennent à l’entité étatique.
Et c’est encore décrire, par la justification que comporte le
dit retrait
citoyen, par la motivation individuelle et la résolution collective qui
appellent à ce qu’il y soit fait recours, ce en quoi, dans ce qui est le sujet
de cette Lettre ouverte, la
République a failli. Un crime d’Etat dissimulé depuis quatre décennies - ce qui
s’entend donc avec les noms des coupables de tous niveaux - sous l’imposture
d’un mensonge d’Etat : non seulement la République a perdu son honneur en
commettant cette forfaiture, mais le sens même de la notion de « chose
publique » a été épuisé voire ruiné – au
point que participer dans l’indivision citoyenne à une res publica qui n’aurait
réparé ni ce crime ni ce mensonge, ce serait prendre part au recel de l’un et
de l’autre.
De
sorte que pour l’auteur de cette tribune, la décision de ce ‘’retrait citoyen’’ est irrévocablement
arrêtée. Il se retirera du vote auquel ses concitoyens seront appelés pour
l’élection présidentielle prévue en 2022 si, à la toute approche de l’ouverture
de la campagne pour cette élection (soit de 10 à 15 jours) l’Etat
républicain n’a pas dit la vérité sur la mort de Robert BOULIN – et dans
toute l’acception de la vérité que la Justice définit dans le serment qu’elle
exige de ses témoins en leur faisant jurer que celle-ci sera toute la vérité et rien que la vérité. L’injonction étant que cette vérité s’affirme
aussi totale qu’a été la réhabilitation du capitaine Dreyfus ; et à tout
le moins, si la réouverture du dossier découvre la nécessité d’en passer par des
recherches dans les pièces d’archives et dans les éléments de mémoire, aussi
authentifiée que ce qu’elle a été pour la ‘’disparition’’ de Maurice Audin.
Rapprocher trois forfaits dont la réparation impliquait ou
implique de faire céder une raison d’Etat, n’établit pas entre ceux-ci une
similitude historique: le premier a été le fait d’une institution militaire rétrograde
(pour ne pas dire intrinsèquement réactionnaire) et sous l’emprise de ses partis-
pris de caste ; le deuxième n’a pu avoir lieu que par l’existence du ‘’système institué alors en Algérie par la
France", i.e. un appareil répressif militaro-policier ayant eu tout
latitude pour agir hors de la loi et passer outre à toute règle, y compris aux
fragiles lois de la guerre – une latitude extensivement mise à profit avec le
terrible bilan que l’on sait ; le dernier en date a visé un membre du
gouvernement de la République, et des plus importants – ce qui a porté son occultation
jusqu’à un impensable.
Un impensable de par le niveau et la nature des
responsabilités qui se sont mises en jeu dans le détournement des faits rendant
compte de la mort de Robert BOULIN : ce que le mensonge d’Etat par lequel
sont passés les artifices de ce détournement, a d’incomparablement outré tient
à ce que l’appareil d’Etat – à quelque considération ou intimidation qu’il a
cédé - a dévoyé en s’y livrant le
service de la nation. Un service qui est
sa raison d’être - la seule ‘’raison d’Etat’’ qu’en démocratie, il lui soit
accordé de considérer, et qui ne vaut que si elle est servie suivant les lois
dont la nation s’est dotée pour la protection de ses libertés et de ses droits . Et à ce qu’il se soit trouvé dans
l’institution judiciaire assez de gens, volens
nolens, pour seconder l’imposture et faire perdurer ses effets.
Un égarement tel que celui dont l’intérêt public a été ainsi
doublement l’objet ne connaît qu’une conséquence :
sa sanction réside dans l’invalidation de la présomption de probité qui est accordée
aux magistrats de la république – que ceux-ci soient en charge des intérêts de
la nation ou qu’ils soient investis aux fins de rendre au nom du peuple une
justice équitable et égale. Et la révocation de cette présomption prive la
république du préconçu politique sans lequel son ciment institutionnel
devient moins que poussière.
Et c’est bien de cet impensable
qui qualifie la commission de la forfaiture au moyen de laquelle la vérité a
été travestie – pour dérober dans quelles circonstances, entre quelles
mains, pour quels intérêts et à quelles instigations est survenue la mort de Robert BOULIN -, et travestie à l’endroit des plus proches de celui-ci et,
dans la même durée, au préjudice du peuple de la République, que se sépare, que
s’exile le retrait citoyen qu’on décide ici pour soi-même.
A
vrai dire, les raisons se
bousculent, et se sont bousculées depuis l’origine, pour faire défense à un
républicain de participer par son vote – et a fortiori en étant candidat … (seul
Pierre Mendès France s’est appliqué
cette interdiction-là) - à une élection présidentielle où l’appel au suffrage
universel direct se disqualifie dans la signification et dans l’expression d’un
plébiscite. Plébiscite : une
notion et un terme qui sont odieux aux républicains depuis le Second Empire.
Nous avons tous sacrifié à la nécessité, qui nous paraissait
impérative, du "vote utile". Quand cette élection mettait face à face,
au second tour, deux programmes, deux projets
de société, auxquels s’identifiaient respectivement les deux candidats en
présence. Et même ensuite, quand le second tour (et quelque fois le premier,
comme ce fut le cas en 2017) se réduisait à l’obligation d’éliminer un candidat
qui, par ses idées et/ou son inconduite, menaçait ou outrageait la République.
Beaucoup, en outre, ont cessé de combattre ce plébiscite et de
le faire pour la première raison qu’ils avaient de le récuser : celle qui
tient au fait que d’un vote plébiscitaire procède toujours l’exercice d’un pouvoir
personnel, autocratique ou monarchique. Et, peut-être pire, la légitimation qui
sera alléguée à l’appui de ce pouvoir. Or,
il ne fallait pas cesser d’affirmer que celui-là n’est pas républicain qui ne
porte pas dans toutes les fibres de son être une exécration invincible et
perpétuelle à l’endroit du pouvoir
personnel, à quel que niveau que ce mode de pouvoir se place.
Le plus improbable a été que passé la décennie des années
soixante, il ne s’est quasiment plus
trouvé de républicains (par lassitude, résignation ou alignement ?) pour
continuer à dénoncer le moyen par lequel le pouvoir monarchique propre à la
Vème république s’est établi et s’est enraciné, et qui n’est rien d’autre que
la confiscation par le président de la République des attributions
constitutionnelles du Gouvernement et du Premier ministre. Mais, ceci étant,
existe-t-il même encore des professeurs de droit public pour identifier cette
confiscation et pour la condamner ?
Ceux qui sont invités dans les colonnes ou sur les plateaux
médiatiques ne dissonent pas du discours courant où commentateurs,
politologues, experts en communication ou en études d’opinion, et politiques
d’à peu près tous les bords n’ont de cesse d’invoquer « l’esprit des institutions de la Vème
république » : comme si la pratique d’un mode de configuration du
pouvoir exécutif foncièrement contraire aux dispositions de la Loi
fondamentale, pouvait arguer d’émaner d’un esprit
de la Constitution qui aurait transcendé le texte – la lettre - de celle-ci.
Ce à quoi on a eu
affaire, sur plus d’un demi-siècle, avec l’établissement du pouvoir personnel
qui a transformé un président arbitre
et garant en chef du pouvoir exécutif, tout en conservant à ce
dernier l’irresponsabilité politique et l’impunité judiciaire qui étaient
l’apanage du premier magistrat de la République placé au-dessus des partis, ne saurait se définir autrement qu’en une
violation de la Constitution. Hors
périodes dites de ‘’cohabitation’’ - dites ainsi à tort car la circonstance
visée est des plus normales pour un président-arbitre –, et encore que la
position de chef de l’opposition qu’y occupe le président de la République soit
aussi peu constitutionnelle que son accaparement, en temps ordinaire, de la
détermination et de la conduite de la politique de la nation au détriment du
Gouvernement, cette violation renvoie à ce ‘’Coup d’Etat permanent’’ qui fut naguère dénoncé avec autant de
force que de talent.
Pour ne pas s’arrêter
davantage à la circonstance très aggravante de sa longue durée, il s’impose à
l’esprit que le fait qu’elle a pu être commise ne s’apprécie pleinement qu’en
regard de ce qu’elle comportait de totalement inconcevable dans toutes les
autres démocraties - où la Loi fondamentale est entourée d’un respect religieux
ou relevant d’une sorte de dévotion ou de communion laïque. Dans le même ordre de comparaison, le
déséquilibre des pouvoirs qui s’est substitué au balancement rationnalisé dont
se réclamaient les rédacteurs de la Constitution, rapproche la République
française bien davantage (sinon infiniment plus) des royaumes du Maroc ou de
Jordanie que de la République fédérale d’Allemagne ou de la démocratie parlementaire
finlandaise ou néerlandaise.
Le retrait citoyen de l’élection présidentielle à venir acte donc
aussi que l’usurpation du pouvoir exécutif par le président de la République dépouille
la fonction de son assise républicaine en la recouvrant, sans hélas gêner les pas de grand monde, du « bleu manteau des Rois ». Et que ce
travestissement n’a été rendue irrémédiable que par la fallacieuse légitimation
plébiscitaire que cette élection lui a procurée de scrutin en scrutin - en utilisant,
sous couvert d’un appel au peuple, le ressort intime du second avatar du
bonapartisme.
Reste, vis-à-vis du choix de ce retrait
citoyen, que l’abstention est toujours civiquement dérangeante et
moralement inconfortable. Appelé à contribuer à l’expression de la volonté générale,
le citoyen peine à se défausser : le
droit au suffrage est de ceux qui s’exercent aussi comme un devoir.
Si difficilement acquis, ce droit, dont l’existence sans
restriction et la mise en œuvre sans trucage ni falsification, forment ensemble
le premier des critères qui attestent qu’un régime politique est démocratique,
se laisse d’autant moins délaisser quand de son usage, et de son bon usage,
dépend la préservation, voire la sauvegarde de la démocratie. Ainsi, en 2002 et
en 2017, déserter aurait-il eu,
concernant la démocratie, dépérir
pour synonyme.
Mais demeure également qu’il existe, dans un Etat de droit
appartenant au système démocratique, des repères intangibles, indissociablement
collectifs et personnels, qui possèdent la force propres aux symboles. Ils
s’élèvent en forme d’impératifs éthiques contre lesquels aucune autre préoccupation
du corps social ne saurait par principe prévaloir. Et, partant, ils sont autant
de bornes que les consciences, servies par les objections qui y prennent vie,
s’interdisent de franchir que ce soit pour agir ou pour consentir.
Le plus certain, le plus irrécusable et le plus éclatant de ces
repères interpelle sans relâche la démocratie sur son respect des lois qu’elle
s’est données au nom du Bien commun. Un concept qui surpasse les formulations
différentes et divergentes de l’intérêt général dont la société démocratique
organise la libre concurrence dans le débat public. Et un concept en lequel se
résument, dans notre république, toutes
les conditions qui se réunissent en caution de la pérennité d’une nation qui se
garantit à elle-même, en les déclarant inséparables de son existence, sa
liberté, ses droits et sa souveraineté politique.
Au total, les lois qui entrent dans ce dénominateur commun sont en nombre limité (point commun qu’elles
ont avec les autres lois-sources).
Pour essentielles qu’elles soient, il y est souvent désobéi, comme à toute
autre loi. Rien là qui instruisent à charge contre l’élaboration démocratique
dont elles procèdent. Ni rien qui puisse couvrir d’opprobre la République qui
les a instituées.
Pour autant que l’infraction à ces lois fondamentales, et la
violence faite aux valeurs et aux principes qui ont commandé leur formation (et
dont l’importance extrême qualifiera
symétriquement cette violence d’extrême),
soient dûment sanctionnées et justement réparées. Si le système démocratique,
si l’Etat républicain se placent dans le déni de la violation commise ou, pire,
se font d’une quelconque façon le complice des auteurs de celle-ci, c’est l’édifice
normatif qui, dans toutes ses composantes, est frappé de doute et qui s’expose
à être déclaré en péril à l’instar d’un immeuble menacé. Si le déni ou la
complicité persistent sans être dénoncés et condamnés, le doute s’étend aux
piliers sur lesquels repose en son entier l’architecture juridique de la nation.
Et au fil du temps, et d’un temps limité, c’est la confiance commune en
l’appareil idéologique et moral qui légitime le régime politique de la cité qui
se trouve invalidée.
Ce processus de discréditation décrit le parcours personnel qui
gouverne la décision de se ranger au retrait citoyen. Et s’y retrouve
d’abord tout ce qui emporte la mise en demeure qui s’adresse à la République pour
lui enjoindre de publier la vérité sur la mort de Robert BOULIN – i.e., effectivement, la vérité telle que
les « Quis, Quid, Ubi, Quibus auxiliis,
Cur, Quomodo, Quando » la définissent et la décrivent conjointement pour
façonner une instruction criminelle.
Taire encore plus longtemps cette vérité -ou, comme cela s’entend ici, faire défaut à sa révélation d’ici à
l’échéance électorale de 2022 -, revient à décider que, dans la durée, des
surcroîts d’indignité s’ajouteront continument à l’infamie du mensonge d’Etat
qui perdure depuis la flétrissure infligée à la loi républicaine au 30 octobre
1979. Une flétrissure qui, à quel que moment qu’il aurait pu en être pris
majoritairement conscience, et pour autant qu’une subversion massive serait alors
venue demander raison de l’imposture commise, aurait découvert que, de son
fait, le lien, tissé de crédit et de consentement, et en même temps quasi
spirituel, du citoyen avec sa
République était déjà invisiblement déchiré. Et au point qu’il ne restait peut-être
plus de place à cette déchirure pour s’étendre.
La forfaiture perpétrée sur quatre décennies, par laquelle le
mensonge d’Etat et le crime d’Etat ne se différencient plus, a rayé du contrat social la première et la
plus élémentaire des protections qu’aux termes de ce contrat, l’Etat
démocratique a en charge d’assurer et d’affermir : la sauvegarde de la vie
et de l’honneur de chaque membre de la nation (quand bien même a-t-on oublié que l’honneur est en tête des biens à
protéger). Qu’un seul citoyen – par ailleurs l’un de ces serviteurs de la
République dont il est assigné à celle-ci de défendre et de soutenir la dignité
-, et non des milliers ou des centaines de milliers, ait vu cette protection
lui faire défaut est indifférent pour juger que la démocratie a failli.
Dès lors, eu égard à l’immensité et à la profondeur de cette
faillite – l’une et l’autre exactement mesurées par le caractère essentiel à
l’Etat de droit de la garantie dont a délibérément été privé le ministre Robert
BOULIN, et par tout ce qui rend cette même garantie indissociable du système
démocratique – comment l’électeur qui raisonne sa République s’investirait-il, à cette échéance de 2022, dans le gouvernement
citoyen de cette république ?
Le retrait citoyen est
certes une objection individuelle – ce qui va de pair avec son exemplarité.
Mais cette objection peut revêtir une puissance collective. Et du geste
contestataire singulier passer à une dimension de désobéissance civile, et de
là subvertir le régime institutionnel en place comme le fit la réunion
séparative du Tiers-Etat se déclarant Assemblée nationale en 1789. Subvertir ce
régime par la dénonciation des mœurs qui y a fait sévir son archaïsme politique,
et pour sanctionner démocratiquement la trahison que cet archaïsme a interminablement
laissé s’accomplir à l’encontre de la loi républicaine et de la probité publique.
Ce changement de dimension, du
particulier au collectif, entre déjà dans les étapes de la mise en accusation
qui sous-tend la présente tribune. A la date butoir que celle-ci notifie pour
la levée du recel de la vérité sur la mort de Robert BOULIN, l’auteur
interpellera les mandataires et les répondants des autorités constituées dans
la République : il le fera en
lançant une pétition publique numérisée qui se réfèrera aux faits, et à
l’argumentaire ordonné sur ceux-ci, qui ensemble appellent à un retrait
citoyen de la prochaine élection du président de la République.
Une pétition qui reprendra, pour ses griefs, la charpente du
réquisitoire que le très modeste ’’j’accuse’’
déroulé ci-dessus s’est fait un devoir civique de dresser.
Et une pétition qui
mettra ces ‘’considérants’’ dans la forme d’une Lettre
ouverte au président de la République que les signataires de la pétition seront invités à acheminer
personnellement par voie postale à l’adresse :
Monsieur
le Président de la République
En
son château de l’Elysée - 75008 PARIS
Outre d’avoir une bien meilleure visibilité politique, la voie
postale a en effet pour elle la faculté qu’elle offre d’ajouter à l’envoi de cette Lettre
ouverte le relief
supplémentaire de l’adjonction d’une pièce emblématique de la démocratie et de la citoyenneté : chaque expéditeur
se voyant proposer, dans le paragraphe conclusif de la pétition, de partager la
disposition que l’auteur entend prendre pour lui même – à savoir, insérer dans son
enveloppe d’expédition l’exemplaire original de sa carte d’électeur. En
motivant cette insertion du considérant qui s’y rapporte.
Quel geste pourrait posséder une signification plus expressive
de la décision citoyenne qui prend acte et tire la conséquence du manquement extraordinaire
dont s’est rendu coupable l’Etat républicain en violant la loi sur laquelle
repose la sûreté promise à la vie des citoyens, et qui, s’il est porté atteinte
à cette sûreté et à cette vie, intime d’identifier et de punir les auteurs de
cette atteinte ? Une loi qui - avec toutes celles dont se construit la
défense des droits et de la dignité de chacun et qui ont été simultanément
trahies en l’espèce - prend place au plus essentiel du corpus de normes et
de valeurs d’une démocratie. De sorte que c’est, en fin de compte, ce corpus qui n’a pas cessé d’être outragé par
le biais et au long des déguisements et des silences qui ont couvert un crime
et entretenu une imposture - le crime et l’imposture
dont, respectivement, se qualifie et s’entoure la mort de Robert BOULIN.
Et à la forfaiture ainsi perpétrée par ceux qui ont successivement
dévoyé, sur une quarantaine d’années, leur mandat ou leur investiture en
faisant défaut à leur devoir d’ordonner leurs fonctions sur le corpus en cause,
quel acte accusateur peut mieux répondre que celui qui signifie, par toute sa lecture
symbolique, que cette forfaiture se dresse comme une barrière insurmontable entre
l’électeur républicain et l’urne démocratique qui attend son suffrage ?
Pour autant qu’il est clairement entendu que le retrait
citoyen n’est pas un retrait de la République. Qu’il n’est pas la
pensée d’une séparation d’avec la nation, ni celle d’une rupture d’avec la chose publique. Contester sous cette
forme l’appareil d’Etat qui a failli, entend bien qu’on ne se retire du gouvernement
par le peuple que pour la raison que le
gouvernement au nom du peuple s’est invalidé par son cumul d’une fraude à
la loi et d’une improbité morale –celles-ci constituant, par leur degré, une objection dirimante à sa légitimité
démocratique. Et qu’on ne cesse d’être un citoyen actif que tant que la démocratie
se départit ainsi de l’idéal de gouvernance sur lequel elle s’est fondée. Que tant que la république, corrélativement,
continue à s’arranger de son déshonneur.
Par là, le refus citoyen de s’investir dans le gouvernement de la
chose publique vaut sommation à la République de recouvrer son honneur perdu.
Didier LEVY – 14 avril
2020
Cette
violation peut-être regardée comme consommée en 1962, quelques mois avant
l’instauration de l’élection du président de la République au suffrage
universel direct : elle se date –
emblématiquement au moins - du
simple rappel de ce que le général de Gaulle avait d’emblée interdit à Georges
Pompidou, devenu ‘’son’’ Premier ministre (le possessif revoyant à la
terminologie de la monarchie), de faire usage à son profit de l’appellation de
« chef du gouvernement » - utilisée par son
prédécesseur, Michel Debré, qui s’attachait, au reste, à exercer comme tel (au
moins dans les grandes lignes) ses fonctions de Premier ministre, hors le
‘’domaine réservé’’ systématisé par Jacques Chaban-Delmas. La terminologie
signale encore que la désignation monarchique de Chef de l’Etat à laquelle le général de Gaulle s’est constamment
référé, avait auparavant été tristement consacrée par Philippe Pétain. Une
désignation qui se révoque du seul effet qu’en république, le seul "chef
de l'Etat" est le peuple qui possède et gouverne la chose publique.