> L’ARTICLE PARU SUR « GARRIGUES & »SENTIERS
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Publié le 15 juin 2020 dans ‘’Réflexions en chemin’’.
Le commentaire élogieux
de l’article d’Antoine Duprez « De la fraction du pain à la messe » que
nous avons reçu de l’un de nos internautes fidèles, Didier Levy, traite
cependant surtout du « pur » et de « l’impur » dans la
Bible, deux termes qu’Antoine Duprez avait repris des traductions courantes du
texte hébreu, mais sans s’interroger sur la licéité de ces traductions parce
que l’objet de son article était autre.
Les développements que
Didier Levy consacre à l’étude de ces traductions nous ont paru justifier de
les publier sous forme d’article afin d’en faciliter la lecture.
G &
S
" ... regarder chaque affirmation
certifiant que « D.ieu veut », que « D.ieu a dit », que « D.ieu punira » -
c'est-à-dire, en bout de chaîne, que « D.ieu est ceci (ou cela) » -, comme un
matériau de la production substitutive, sous forme de représentations humaines,
de ce que l’impénétrable et l’indéchiffrable « JE SUIS CELUI QUI SUIS » ne laisse pas élucider. Rien moins, par
conséquent, que la fabrication d’une ‘’image’’ de D.ieu. Et donc, pour tout
dire, rien moins qu’une idolâtrie ".
Lumineuse
liberté ! Celle, au demeurant, qui est toujours présente quand la
recherche et le questionnement prévalent sur l’article de foi, sur la
dogmatique qui s’est figée, incapable de retour sur la constitution et sur
l’historicité du legs qui habite et configure la pensée acquise.
Cette
recherche et ce questionnement procèdent d’une archéologie de la conviction, où
chaque couche du terrain fouillé, de la plus primitive à celle qu’on tient pour
offrir au regard l’état achevé de l’édifice, est abordée, ‘’attaquée’’, avec l’humilité
de s’attendre à y trouver le démenti, ou l’inversion, de l’intellection
jusqu’ici consacrée. Et de se préparer à y percevoir un nouveau déchiffrement
des états intermédiaires qu’ont parcourus le connaître et le croire
avant de se fixer – une fixation, ou une glaciation, opérée sur ce connaître et
ce croire après des cheminements incertains qu’on a tendu à oublier pour se
représenter plus assurément le corpus final comme immuable.
Une réserve,
toutefois. La première partie de l’article se réfère aux notions de ‘’pureté’’ et d’’’impureté’’ (aux « lois
de pureté et d’impureté ») du Premier Testament. L’objection qu’elles
soulèvent ne récuse certes pas la confrontation où elles prennent place ensuite
pour marquer la singularité de l’annonce et de l’enseignement du prophète
Jésus.
Mais ces
mêmes notions - la séparation « pur/impur
» - occupent une place si terriblement déterminante dans le malheur du monde,
de par les ségrégations, les discriminations, les violences et les persécutions
qu’elles ont instruites à partir de représentations mentales immanquablement
délirantes, qu’il faut se demander s’il n’est pas de simple sagesse de les
frapper d’un interdit conceptuel.
De la
‘’purification’’ ethnique au génocide, elles ont nourri les fanatismes les plus
violents et les plus meurtriers, les haines les plus virulentes et les plus démentes.
Ce sont elles qui ont tracé le départage suivant lequel la relégation et la
souffrance sont infligées depuis des millénaires au féminin – ce sexe voué à
incarner l’impureté et, comme tel, humilié et mutilé de toutes les façons les
plus abominables, à travers l’immense cortège des femmes mariées de force,
vendues, excisées, lapidées ou vitriolées.
Assimiler le
féminin à l’impureté, ou (ce qui revient au même) enfermer le féminin et tout
ce qui s’y rapporte entre les pôles de l’impureté et de la pureté, est, en soi
et par ses effets directs et sociétaux, une abomination. C’est aussi, un
blasphème et très possiblement le pire de tous : D.ieu n’a rien créé d’impur, ni par conséquent de pur, et à croire
qu’il l’aurait fait, ce serait Lui attribuer un non-sens que de se figurer que
le don de la reproduction sexuée - effectué de sa main par la dissociation de
la femme et de l’homme fusionnés et fondus dans l’Adam -, et par conséquent
celui de la tendresse partagée des corps, était conçu pour être un enjeu de
frontière dans la séparation du pur et de l’impur.
Les concepts
‘’pureté’’ et ’’impureté’ renvoient ainsi au défi formidable, et insurmontable,
du sens des mots dans la Bible hébraïque. Un sens qui se décline dans une
pluralité infinie de signifiants et d’images, dans le champ d’un symbolique
sans bornes, dans une mine inépuisable d’allégories – et tous autres gisements
d’opacités et de contradictions que l’intelligence spirituelle est appelée à ne
pas cesser un instant de fouiller jusqu’à la consommation des siècles. Juste
pour rebondir d’une lueur aussi inestimable qu’infime, et aussi incertaine que
fugitive, sur un nouveau doute qui, a son tour, déconstruira et reconstruira le
sens entraperçu dans le mot.
Par la même,
l’essence de l’hébreu en tant que langue de l’Alliance est d’être
intraduisible. Et néanmoins, il est porteur de cette contradiction
supplémentaire d’être continument objet de traductions, puisque depuis la
Septante, il est identifié, à son alentour ou dans sa filiation, comme le seul support d’un accès possible à
cette Alliance.
Mais
l’exercice du traducteur se doit de s’accomplir en connaissance de cause :
ce qui sera écrit dans une autre langue ne pourra être qu’une réduction, une
déperdition inouïe du trésor interprétatif scellé dans l’hébreu pour que des
parcelles, une à une, s’en détachent et fassent jour dans une intellection
humaine - sans que pour autant le tout en soit jamais diminué d’ici à ce que
les temps soient accomplis. De sorte que ce qui aura été ainsi ‘’traduit’’ sera
intrinsèquement faux : en ce qu’il sera d’une autre nature de sens que
l’original.
Ainsi en
est-il – exemplairement en ce qu’y sont interpellées les notions de ‘’pur’’ et d’’’impur’’ dans leur focalisation la plus obsessionnelle - de
l’impureté particulière imputée aux femmes « à cause de leurs ‘’impuretés’’ menstruelles ». En l’espèce,
l’interprétation de l’état de Nidah
la plus signifiante - parce qu’elle ne renvoie en rien à une acception de
salissure ou de souillure, ni d’abord à
une figuration névrotique de pollution physique - est issue de la pensée
hassidique.
Qui a donné
à lire dans le cycle menstruel, successivement, une ascension - vers le plus
haut niveau de sainteté, attaché au processus de création que la femme a le
pouvoir de mettre en œuvre ; puis une descente, lorsque, à son point culminant,
ce potentiel de sainteté ne s’est pas concrétisé dans son corps et que la
sainteté se retire. Mais cette descente dans le statut de Nidah a pour finalité
une ascension à un degré plus élevé, à travers le départ d’un nouveau cycle.
Ce qui
entend qu’il faut se garder (proscrire à
soi-même serait plus exact), en passant de la langue de l’Alliance à un
idiome étranger à celle-ci, d’attribuer une équivalence de signifiant à tous
les termes dont la connotation s’enchaîne aux catégories spécifiques de
l’entendement humain. Non seulement, au reste, aux termes imprimés ou pétrifiés
dans les catégories qui ont produit le pire dans le malheur du monde, telle
celle du ‘’pur’’ et de l’’’impur’’, mais, bien plus largement, et
probablement sans exception, à ceux qui ne font sens que comme abstraction
propre à l’intellection de notre espèce.
Vient
d’emblée à l’esprit, parmi ces mots-là, celui de « Loi » : comment le verbe et la Parole de D.ieu, quoiqu’ils
entendent signifier, pourraient-il se contenir, se lire et se résumer en une
transposition orale ou écrite qui les traduirait de façon si étroite, si
réductrice, pour ne pas dire si misérablement conformée aux institutions de ce
monde ? De même, D.ieu énonce-t-il des « Commandements », ou dispense-t-il aux justes une Idée du Bien ?
Et
formule-t-il des interdits ou
recommande-t-il des abstentions dont
la signification n’est pas intelligible en ce temps et dans la création, sans
doute parallèle à tant d’autres, dans laquelle il nous est imparti de prendre
part à son projet ? A-t-il édicté une liste sans fin de « péchés », sachant au demeurant que
nous les commettrions tous, ou attend-il de la soif de discernement dont il
nous a fait grâce, que nous interrogions sans fin les natures et la raison du
mal dont nous mourons – et dont nous avons peut-être convenu avec Lui de nous y
confronter jusqu’à la victoire finale de la vie.
Autant de
façon de venir à concevoir que la transcendance est Un inconnaissable dont le paradoxe réside en cet appel, inséré au
fond de nous, à en explorer tous les contours par des pistes dont il nous a été
enseigné qu’elles s’arrêteront aux premiers pas que nous y ferons. Et de
commencer à regarder chaque affirmation certifiant que « D.ieu veut », que « D.ieu a dit », que « D.ieu punira » - c'est-à-dire,
en bout de chaîne, que « D.ieu est
ceci (ou cela) » -, comme un matériau de la production substitutive,
sous forme de représentations humaines,
de ce que l’impénétrable et l’indéchiffrable « JE SUIS CELUI QUI SUIS » ne laisse pas élucider.
Rien moins,
par conséquent, que la fabrication d’une ‘’image’’ de D.ieu. Et donc, pour tout
dire, rien moins qu’une idolâtrie.
Didier LEVY – 11 juin 2020
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> UN ARTICLE AUGMENTÉ DU
COMMENTAIRE DE L’UN DE SES LECTEURS QUI LUI APPORTE UN ÉCLAIRAGE TOUT À FAIT ESSENTIEL :
« Une
simple remarque : on peut contester l'assertion qui est au cœur de l'article de
Duprès, selon laquelle la distinction entre le pur et l'impur serait au fondement
de "la religion de l'Ancien Testament". C'est une vision chrétienne,
très partielle et partiale, qui a pour fonction de justifier que le
"Nouveau" dépasse, voire oblitère l'"Ancien".
« De
plus, la conception du pur et de l'impur dans la Torah n'a rien à voir avec la
question du bien et du mal, mais avec la distinction entre vie et mort. C'est
cette distinction là, signifiée à la fin du Deutéronome (je résume
sommairement: "Je mets devant toi la vie et la mort… tu choisiras la
vie") qui est au cœur de ce que Duprès appelle "la religion de
l'Ancien Testament". Et ce serait, évidemment, une erreur d'associer
"essentiellement" féminité et impureté. Ce n'est pas dans ce sens que
va la Torah.
« Enfin,
il faut comprendre qu'entre l'époque de rédaction du Lévitique (où il est
question des sacrifices liés à des constats d'impureté, et il faut rappeler au
passage que la "tsaraat", malencontreusement traduit par
"lèpre", renvoie à un usage mauvais du langage - médisance, calomnie…
- qui ruine la confiance sur laquelle s'édifie la communauté) et le temps de la
rédaction des évangiles, le sens des mots a considérablement changé, notamment
sous l'influence de la pénétration de la culture grecque.
« Dans
ces conditions, il y a un vrai hiatus de sens entre l'usage que font les
évangélistes des catégories pur/impur, et celui des auteurs de la Torah. La
dénonciation chrétienne de l'impureté dans la religion des juifs de l'époque de
Jésus relève au minimum d'un malentendu, et peut-être d'une volonté de minorer
cette religion de laquelle les disciples de Jésus commencent à se séparer au
moment où les évangiles sont écrits ».
[1] Initialement
conçu comme UN COMMENTAIRE SUR L’ARTICLE « De la fraction du pain à la messe »
de Antoine Duprez, publié le 8 juin 2020 par « GARRIGUES ET SENTIERS » - http://www.garriguesetsentiers.org/2020/05/de-la-fraction-du-pain-a-la-messe.html
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