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vendredi 30 décembre 2016

LE FRONT POPULAIRE : UNE MÉMOIRE VIVANTE ET ACTIVE.

Rendre de nouveau intelligible la signification du Front Populaire pour lui donner toute la place qui lui revient dans les enjeux politiques de 2017.

> Oui, il importe, au regard des choix électoraux qui nous attendent, de replacer le Front Populaire au première rang dans nos centres d’intérêt, et de le repositionner dans nos débats comme une référence majeure.

¤ Une haine de classe au sens le plus pur.

Le quasi silence qui a entouré les 80 ans du ‘’Front Popu’’ est révélateur de l’état du pays et de celui de la gauche - gauche ‘’canal philosophique’’ exceptée, disons plus simplement celle qui se rend encore au Mur des Fédérés, et/ou celle qui relit le « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel.

Ce n’est pas de rancune dont il faut parler, mais de haine, à propos de la mémoire que la haute, la grande et la moyenne bourgeoisie ont gardé de cette première irruption de la gauche dans la charge des responsabilités publiques - quand bien même n’était-il question que d’exercice du pouvoir et non de prise du pouvoir pour suivre la distinction théorisée par Léon Blum.

Il convient à cet égard de se rappeler que le gouvernement du Front Populaire comptait des prolos d’origine et des fils de prolo, (et des femmes de surcroît !). Pour la droite dans son ensemble, non seulement la gauche n’a pas vocation à gouverner, mais les gens issus des basses classes sont tout juste bons à figurer décorativement sur les bancs de l’opposition - de préférence sur des strapontins.

Mais cette haine, haine de classe au sens le plus pur, s’est principalement nourrie, parmi toutes les avancées sociales que Front Populaire a réalisées et tous les bouleversements qu’il a accompagnés, de deux motifs qui renvoient à ce que le parti de l’ordre a tenu pour les plus inexpiables attentats dirigés contre lui et contre ses intérêts. D’une part, les occupations d’usines (engagées avant la formation du cabinet Blum), véritables insurrections de la dignité ouvrière que les patrons ont vécue comme une subversion du sacro-saint droit de propriété et, partant, de la légitimité de leur pouvoir absolu.

Et d’autre part, la combinaison des ‘’Quarante heures’’ et des congés payés, dénoncés comme la concrétisation du droit à la paresse : les riches, depuis le temps de l’esclavage, ont toujours détesté que les pauvres se reposent, et d’abord parce qu’à leurs yeux, ce temps de repos leur est tout simplement volé. Et non seulement volé à l’enrichissement des plus nantis auquel le temps de travail des pauvres doit servir, mais distrait de cette grande économie du temps de travail dont le capitalisme à l’impérieuse nécessité qu’elle soit assise sur une durée de travail et d’emploi précaire : pour que cette durée soit disponible sans limite si l’actionnaire en tire profit, ou pour qu’elle soit convertie en temps de chômage, partiel ou total, également à la convenance du même actionnaire.

L’exécration des 40 heures et des congés payés n’a cessé d’habiter la droite la plus indurée. C’est elle qui inspire le discours pénitentiel de Philippe Pétain sur « l’esprit de jouissance (qui) l’a emporté sur l’esprit de sacrifice », et il suffit d’écouter le programme décliné aux primaires de la droite par François Fillon pour réentendre ce discours inchangé sur le fond, et pour retrouver intactes les représentations mentales sur lesquelles il se fonde et se formate.

Une haine que le procès de Riom a voulu assouvir en imputant aux 40 heures l’impréparation et la défaite de la France en mai-juin 1940. Imputation dont Léon Blum fit si puissamment justice, mettant notamment en jeu la responsabilité du maréchal Pétain dans les choix qui en matière de défense avaient conduit à notre écroulement militaire, que le régime de Vichy fut contraint de suspendre sine die un procès qui se retournait contre lui. Et que finalement, Philippe Pétain - comme aurait pu le faire avant lui Louis XIV - décida de juger lui-même les accusés.

La légende calomnieuse d’un Front Populaire qui aurait ‘’désarmé’’ la France a montré qu’elle avait la vie dure : une preuve éloquente en a été donnée quand François Fillon l’a reprise à son compte, démontrant à quel point elle est ancrée chez les possédants et dans toutes les allégeances mémorielles des schémas de pensée typés à droite.


¤ L’homme politique le plus haï.

Riom souligne aussi l’élévation intellectuelle et morale du président du conseil du gouvernement du Front Populaire. Mais rappelle en regard de cette élévation, et du legs que représente l’œuvre accomplie en 1936, que dans notre histoire moderne, Léon Blum fut certainement l’homme politique le plus haï. Comme socialiste, comme juif, comme auteur de « Du Mariage ». Liste non limitative …

Réchappant au lynchage mené par les militants de l’Action Française le jour des obsèques de Jacques Bainville, cible de l’apostrophe hideuse de Xavier Vallat lors de la présentation à la Chambre de son ministère (« Pour la première fois, ce vieux pas gallo-romain va être gouverné …  par un Juif »), exposé à un déchaînement de la vindicte dans l’atmosphère de Vichy aux jours où se réunit l’Assemblée nationale qui abandonne le pouvoir à Philippe Pétain, mis en accusation, condamné à être emprisonné à vie puis livré aux Allemands - liste là encore non limitative -, Blum ne trouve cependant pas dans cette continuité de l’exécration et de la persécution dirigées contre la grande figure de la République qu’il a été, et pas davantage dans l’ampleur historique des réformes attachées à son gouvernement qui aurait dû y suffire, la reconnaissance publique que les républicains en général et la/les gauche(s) en particulier devraient lui manifester.

Peu de traces d’ailleurs d’une reconnaissance dans l’espace public - hors les villes de tradition ou de passé socialiste. Pour Paris, une place et une station de métro (partagée avec Voltaire … partage plutôt incongru si le défenseur du capitaine Dreyfus ne se trouvait pas ainsi associé au défenseur de Calas). Et un modeste lieu de mémoire dans la maison de sa fin de vie à Jouy-en-Josas.

Et bien moins de présence encore dans le référentiel politique d’une gauche qui ne cite pratiquement plus son nom ni son action, comme si son silence s’alignait sur la relégation historique infligée à la personne de Léon Blum - une relégation dont la droite fait sa première vengeance de sa grande peur de 1936. Ou comme si ce silence était concédé par lâcheté à la dégradation de l’image de Léon Blum que les entreprises conjuguées des castes fortunées et des phalanges composites de l’extrême-droite n’ont jamais cessé de répandre, et aussi largement que le camp républicain leur a laissé l’espace de le faire.


¤ ‘’Défaire le programme du CNR’’.

La haine a souvent été mise en avant dans les lignes qui précédent. Pour la raison que celle-ci est bien le moteur de l’hyper droitisation qu’a mise en évidence la victoire écrasante de François Fillon à la primaire de la droite.

Une hyper droitisation qui porte, outre la renaissance du cléricalisme politique, la somme de rancune et de rage dont est possédée cette France qui rêverait d’effacer tout ce qui a été écrit entre les 40 et les 35 heures. Qui a de longue date brisé le pacte républicain qui protégeait le modèle social adopté à la Libération, en déchirant du même coup le contrat social refondé à partir du programme du Conseil National de la Résistance.

Rien n’est plus éclairant à cet égard que de citer l’ex-idéologue en chef du patronat. Lequel a su résumer la restauration du capitalisme dans toute la latitude de sa profitabilité, celle de l’avant-années trente, en un mot d’ordre qui valait plan de campagne : « Il s’agit de défaire méthodiquement le programme du CNR ».

C’est encore d’un silence, ou d’une coupable inattention, dont la majorité de la gauche endosse la responsabilité en n’ayant pas retourné, et en ne retournant pas, aux ultras libéraux et aux néo-thatchériens de la droite le modus operandi ainsi énoncé, qui ramène la prétendue modernité de leurs programmes à ce qu’elle est : l’obsession d’assouvir une revanche et de récupérer en totalité des pouvoirs et des capacités d’enrichissement trop longtemps restreints.

L’objectif et la démarche tracés par Denis Kessler laissaient pourtant bien entendre que le démantèlement du corpus économique et social sur lequel le CNR avait voulu asseoir la reconstruction de la France et de la République impliquait - outre d’anéantir les avancées de justice sociale incluses dans ce corpus, et donc celles qui y prenaient place à titre de conquêtes du Front Populaire - de revenir simultanément, suivant la même logique, sur les acquis sociaux qui étaient venus par la suite développer le contrat social de la Libération, avec en la matière les dates-phares de 1968 et de 1981.

La consigne de ‘’défaire le programme du CNR’’ traçait et trace en réalité à elle seule, et contre elle, la ligne de résistance à tenir. Pour que République justifie la qualification de sociale qu’elle revendique. Une position de combat qu’il incombe à la gauche de défendre, mais pas uniquement à elle puisque l’histoire y appelle également les gaullistes ‘’de sensibilité sociale’’ et les chrétiens-sociaux, et pour personnaliser et simplifier, les héritiers d’Edmond Michelet et de Jacques Chaban-Delmas, de Robert Buron et de Paul Bacon.

Si l’on ne veut pas s’illusionner sur l’attachement à l’égalité et à la solidarité de la majorité de ceux qui devraient être les défenseurs naturels de l’une et de l’autre, le programme du CNR et les valeurs refondatrices que la République en a tirées - des valeurs auxquelles elle s’est tenue jusqu’aux ‘’privatisations Balladur’’ de 1986 - dessinent au moins une ligne partage au sein des gauches. Et de ce point de vue, il est à craindre que les plus nombreux soient ces temps-ci du mauvais côté de cette démarcation.

Du côté où l’on est disposé à consentir d’autres abandons à ‘’la main bienfaisante du marché’’, d’autres concessions à ‘’la concurrence libre et non faussée’’.

Où l’on s’est résigné à croire, selon le diagnostic à l’emporte-pièce de Michel Rocard, que « le capitalisme a gagné », et rallié à l’idée que la compétitivité est la seule grandeur et le seul devoir susceptible d’être offerts aux destinées des sociétés et des hommes.

Sans voir que de renoncements en renoncements à l’espoir qu’une autre société est possible, on se fait complice d’une régression pratiquement sans limite de l’ordre public social.

Et qu’on contribue, si on n’en accélère pas la marche, à un processus dont la fin ne consiste en rien d’autre qu’à replacer le monde du travail dans la dépossession de droits et de protections qui faisait au XIX ème la condition des ouvriers face aux patrons. En privant en premier lieu l’Etat de sa fonction de gardien du Bien commun et de garant de l’intérêt général, et des moyens de remplir sa mission de protection des citoyens. C'est-à-dire des bases mêmes sur lesquelles a reposé la construction de sa légitimité. Pour substituer à la régulation publique le libre jeu de la violence sociale exercée par les plus riches.


¤ Une nouvelle Déclaration des droits.

Face à ce processus et à l’acharnement qui l’active, l’une des digues à construire doit assurément s’édifier au cœur même de la Loi fondamentale. Par l’ajout d’une nouvelle Déclaration des droits à la constitution qui finira bien par réhabiliter le régime républicain - en réformant ou en remplaçant celle de 1958 qui conjugue les deux vices d’avoir fondé une monarchie élective à caractère plébiscitaire et de s’être prêtée, depuis son premier jour, à l’usurpation par le président de la République des attributions qu’elle réservait au gouvernement et à son chef. Une Déclaration des droits qui sanctuarisera en totalité ceux qui ont été rétablis ou proclamés à la Libération, et ceux qui ont été postérieurement acquis.

Déclarer intangibles (et opposables) les principes, droits et libertés constitutifs du contrat social qui s’est imposé « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine » réparerait l’échec qu’a constitué la non adoption de la déclaration attachée au projet de constitution du 19 avril 1946 rejeté par référendum. Un échec imparfaitement compensé par les préambules respectifs des constitutions de la IV ème et de V ème république.

Et inclure dans cette nouvelle Déclaration les droits et garanties reconnus sur le demi-siècle écoulé, ce se serait poser un obstacle de taille devant toutes les entreprises réactionnaires. Celles qui sont à l’œuvre pour détruire le cadre économique et le modèle social dessinés au temps de la Résistance, et également, bien sûr, celles qui se mobilisent pour subvertir la laïcité.


¤ Un droit conquis, une liberté proclamée : pas de retour en arrière !

Et pour finir sur une tonalité volontairement radicale, cette question : peut-on préserver les trois attributs que la République s’est donnée en se qualifiant de laïque, démocratique et sociale, et l’ensemble des sauvegardes individuelles et collectives qui valident cette triple nature, sans attacher une qualification pénale à toute entreprise concertée visant à abolir, ou à restreindre, les droits, libertés et protections soutenues par la Constitution et par la déclaration des droits incorporée à celle -ci ?

Pour quiconque se range dans une gauche authentique, la réponse ne peut être qu’affirmative - résolument et définitivement affirmative.

Didier LEVY - 29 12 2016
« D’HUMEUR ET DE RAISON »

Publié sur Facebook ce jour.

mardi 20 décembre 2016

PRÉSIDENT, JE FERAI TOUT CE QUE LA CONSTITUTION EXCLUT DE MA COMPÉTENCE ...

ET SI C’ÉTAIT LÀ LE PREMIER SUJET DE L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DE 2017 ET DES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES DU PRINTEMPS PROCHAIN ?

A en croire les études d’opinion, la majorité des Français rejettent les mesures choc du programme de M. Fillon. Un rejet qui réconforte dans la mesure où il indique que nos concitoyens ne s’alignent toujours pas sur le message qui est martelé aux Européens depuis pas loin de quatre décennies : « There is no alternative ». Mais qu'en sera-t-il si notre système plébiscitaire fait que le second tour de la présidentielle de 2017 oppose M. Fillon à Mme Le Pen ? Rejet ou pas, le choix contraint sera entre ces "mesures choc" et le risque de l'instauration d'un Etat lepéniste.

¤ Un choix faussé par la violation permanente dont notre Constitution est l’objet …

Un choix contraint, mais d'abord un choix faussé par la violation permanente dont notre Constitution est l’objet, une violation qui configure notre vie politique pratiquement depuis le jour de la promulgation de la dite constitution.

Ainsi M. Fillon qui se présente avec le projet de mettre en oeuvre une régression sans précédent de la protection sociale et de l’égalité, et une vision sociétale qui se revendique de l’ultra conservatisme, appuie-t-il ce projet sur un ensemble de mesures (1) qui sont porteuses d’un vice originel qui devrait d’emblée les invalider. Elles se heurtent en effet à l’objection, insurmontable en droit, de l’absence de compétence constitutionnelle qui invaliderait les initiatives de M. Fillon si celui-ci était élu et entreprenait de les faire appliquer.

Avant même que ces mesures soient condamnées pour le dessein qu’elles traduisent de démanteler le contrat social réécrit à la Libération et de déchirer le pacte républicain qui l’avait jusqu’ici garanti, et avant qu’y soit dénoncé le revirement réactionnaire et clérical dont elles menacent les droits les plus récemment conquis, c’est cette question préalable de l’incompétence présidentielle que la Constitution et la distribution des pouvoirs qui y est fixée exigeraient de soulever à leur encontre.

Encore faudrait-il pour que cette question préalable devînt une question citoyenne qu'on attachât au respect de la Loi fondamentale un tant soit peu de l'importance qui lui est tout naturellement portée dans un état de droit, et qui l’est dans tous les pays démocratiques autour de nous. Ce serait alors quasiment l’intégralité du projet du candidat de la droite qui se trouverait infirmé dans son énonciation.

Qu’on considère chacun des sujets sur lesquelles portent les mesures du programme de M Fillon et un constat identique saute aux yeux : pour attentivement et soigneusement qu’on cherche, il n’est pas un article, pas un sous-article, pas un alinéa de la Constitution approuvée en 1958 par 80 % des Français, qui vienne attribuer l’ombre, ni l’esquisse de l’esquisse, d’une compétence au président de la République dans les domaines auxquels s’attaque le projet du vainqueur des primaires de la droite.

Rien, absolument rien, dans la Constitution n’autorise le président de la République à décider ou à impulser des décisions politiques dans les matières où ce projet cible le modèle social qui fait corps avec la République, ou dans celles où l’auteur de ce projet affiche une lecture restrictive de la laïcité et de la séparation entre le culte catholique et l’Etat.

Durée du travail, sécurité sociale, codification du droit du travail, droit syndical et droit des institutions représentatives du personnel, protection des salariés contre les licenciements, ressources des fonctions publiques, nombre et statut des fonctionnaires, ou encore état et capacité des personnes, questions de bioéthique, et contenu des enseignements dispensés par l’école publique … dans tous ces matières l’initiative appartient concurremment au gouvernement, en la personne du Premier ministre, et au Parlement, et à eux seuls.

Dans celles qui sont de nature législative, la décision relève du vote du Parlement. Pour celles qui sont d’ordre réglementaire, et hors ce qui peut être réservé à des délibérations en Conseil des ministres, elle entre dans l’exercice des attributions du Premier ministre.

C’est bien d’une usurpation par le président de la République des compétences dévolues d’une part au gouvernement - faut-il une fois encore rappeler qu’aux termes de l’article 20 de la Constitution, ce dernier « détermine et conduit la politique de la nation » ? - et à son chef, et d’autre part au Parlement, que procède le scénario écrit par M Fillon pour sa campagne électorale : « Votez pour moi, et j’appliquerai le programme que je vous propose et sur lequel vous m’aurez investi de la fonction présidentielle ». Usurpation anticipée et par avance avalisée par sa pratique constante sous la Vème république


¤ L’usurpation présidentielle inaugurée par le fondateur de Vème république a eu tout le temps de se banaliser …

N’accablons pas plus qu’il ne le faut candidat de la droite. Tous les autres candidats ont présenté ou présenteront un programme entaché pour la même raison d’inconstitutionnalité. M. Mélenchon faisant exception dans la mesure où son projet repose sur un retour aux sources de l’esprit républicain via la conception d’une nouvelle constitution, et où sa candidature se distingue par ce qui en fait d’abord une invitation adressée au peuple français de lui donner mandat de conduire un changement de régime politique.

Si tous les autres candidats sont conduits à afficher la même méconnaissance de la délimitation constitutionnelle des attributions du président de la République, comme l’ont fait tous leurs devanciers et par conséquent tous les présidents élus, c’est que l’usurpation présidentielle inaugurée par le fondateur de Vème république a eu tout le temps de se banaliser - un temps qui a été seulement suspendu par le retour au respect des textes et des règles auquel ont obligé les périodes de cohabitation.

Ce qui est devenu, dans l’esprit de nos concitoyens, la lecture naturelle de la Constitution de 1958 et la configuration normale de la fonction présidentielle se confond avec l’idée que le général de Gaulle se faisait de l’une et de l’autre : ayant dû, dans les institutions en préparation, concéder une empreinte parlementaire très accusée, et a priori dominante, aux chefs des partis de la IV ème république qu’il avait appelé à ses côtés dans le dernier ministère de cette république, celui-ci imposa dès la mise en place du nouveau régime sa conception personnelle du rôle du chef de l’Etat, et d’abord sa représentation de ce chef. Une conception et une représentation qui allaient gouverner sans partage à partir de la nomination de Georges Pompidou comme Premier ministre.

La vision monarcho-présidentialiste portée par Charles de Gaulle eut en la personne de ce dernier un pédagogue hors pair : à titre d’exemples, son affirmation de ce qu’il ne saurait y avoir de dyarchie à la tête de l’Etat (ce qui n’était au demeurant aucunement le problème posé s’agissant du respect de la Constitution), ou sa gouailleuse interpellation à l’adresse de ceux qui auraient pu s’imaginer qu’il était revenu au pouvoir pour inaugurer les chrysanthèmes ou le Salon de l’Auto, ont contribué à asseoir au fil de son règne une conviction majoritaire en faveur de la normalité du fonctionnement des institutions.

Et à qui soutenait que ce fonctionnement penchait tout au contraire du côté du ‘’coup d’état permanent’’ pour ce qui était des attributions accaparées par le président de la République, la doctrine gaulliste opposait l’étrange argument qu’un ‘’esprit de la Constitution’’ engendré par la forme plébiscitaire de légitimation qui s’attachait au chef de l’Etat avait prévalu sur la lettre de la Loi fondamentale, et jusqu’au point d’abolir la répartition des compétences délimitée par celle-ci.

Après le départ du général de Gaulle, cet ‘’esprit de la Constitution’’ - fortifié par le souvenir conservé et magnifié de l’exercice gaullien du pouvoir - a continué à régir la vie de nos institutions et à régler notre vie publique par rapport à celles-ci. Et pour la Vème république, les premières élections présidentielles tenues hors de l’ombre portée de son fondateur ont été, par consensus ou tacite acceptation/résignation, la confirmation de sa dénaturation en césaro-présidentialisme - constat valant ensuite de 1981 à 2012.


¤ Concourir pour un mandat ramené aux compétences constitutionnelles du président : une intention partagée par toutes les gauches ?

La dégradation morale et l’affaiblissement de la gouvernance qui ont respectivement marqué les deux derniers mandats présidentiels, donnent à nos concitoyens - pour la première fois depuis le référendum de 1962, ou depuis la confrontation du second tour de l’élection présidentielle de 1969 - la matière d’un ré examen de l’acceptabilité qu’ils ont accordée aux captations de compétences qui ont transféré l’exercice du pouvoir exécutif au président de la République.

Un réexamen dont la conclusion est déjà tirée dans le programme de M. Mélenchon auquel l’élaboration d’une nouvelle constitution authentiquement républicaine sert de socle. Lucide et méritoire intention, mais dont aucun démocrate cohérent avec lui-même ne peut concevoir qu’elle ne soit pas commune à tous les candidats se réclamant de près ou de loin de la gauche.

Cependant, cette intention serait-elle partagée et affichée comme telle par ces candidats, le nombre de ceux-ci, et la dispersion de voix qui en résultera, excluent presque à coup sûr qu’aucun d’entre eux accède au second tour de l’élection présidentielle de 2017. Ce qui destine tout projet de révision constitutionnelle, collectif ou distinct, proposé de leur part au corps électoral à être rangé dans les rayons des ouvrages de théorie politique. Aux fins de conservation en attendant d’hypothétiques circonstances plus favorables à sa réalisation.

La défaite ainsi annoncée, ou l’échec trop prévisible, sont la conséquence simplement arithmétique de l’existence de trois gauches concurrentes. Entre celle qui se réclame du socialisme ‘’canal philosophique’’, celle qui perpétue l’orientation sociale-démocrate et celle qui assimile le social libéralisme à la modernité, les antagonismes idéologiques ne sont présentement pas susceptibles d’être dépassés dans la conception d’un programme commun de gouvernement et ferment la porte à une candidature présidentielle unique.

Sauf toutefois si toutes les gauches s’accordaient sur la désignation d’un candidat qui serait appelé à se présenter devant les Français en portant exclusivement le projet d’obtenir leur confiance pour exercer la fonction de président de la République - telle que celle-ci est définie et encadrée par les disposition de la Constitution de 1958.

La cohérence ainsi mise en avant devant les électeurs, jamais rencontrée jusqu’ici sous la Vème république, entre la raison d’être d’une candidature présidentielle, i.e. l’intention politique qui dirige celle-ci, et la nature du mandat pour lequel cette candidature s’est déclarée - mandat circonscrit par le champ des compétences assignées au premier magistrat de la République -, peut sembler sortir d’un rêve républicain inaccessible. Ou paraître avoir été imaginée pour la satisfaction d’un juridisme étranger aux réalités.

Cette cohérence est pourtant ce sur quoi s’alignent, et apparemment sans même avoir besoin d’y prêter attention, toutes les républiques de l’Europe démocratiquement avancée (Islande incluse) où l’élection du président de la République procède du suffrage universel direct. Ce qui souligne une exception française qui, en l’espèce, se confond avec une arriération politique. Une arriération stupéfiante dans le pays de l’espace européen dont l’Histoire moderne est la plus symboliquement liée à une Révolution républicaine, elle-même porteuse de la proclamation d’une sacralité constitutionnelle indépassable et, partant, absolue.

Quant au débat politique entre les trois gauches, il serait renvoyé à ce qui en est institutionnellement le lieu : les élections législatives appelées à suivre l’élection présidentielle. Car les dispositions de la Constitution qui attribuent au gouvernement la détermination et la conduite de la politique de la nation font qu’il appartient aux citoyens convoqués pour décider de la majorité parlementaire qui légifèrera durant la prochaine législature, et dont seront issus le Premier ministre et son équipe ministérielle, d’arbitrer à gauche entre les plates-formes électorales de MM. Vals ou Montebourg ou Hamon, et celles présentées respectivement par M. Macron et par M. Mélenchon.

Concrètement, cela signifierait que l’engagement et la force de conviction que mobilisent aujourd’hui les candidats à l’élection présidentielle, ou les candidats à la candidature à cette élection, qui incarnent ou aspirent à incarner les idées propres à chacun des trois courants entre lesquels l’électorat de la gauche se répartit, s’investiraient dans la bataille des élections législatives.

Dans la campagne pour ces élections, les trois chefs de file des composantes de la gauche concourraient ainsi, non pour la fonction de président de la République, parce que ce n’est pas celle dans laquelle la Loi fondamentale leur confèrerait les pouvoirs les habilitant à mettre en oeuvre leur programme, mais pour celle de chef du gouvernement disposant des attributions fixées par les articles 20 et 21 de cette même Loi fondamentale … ou, en cas de défaite devant le corps électoral, pour celle de chef de l’opposition.

Une défaite dont au demeurant cette compétition interne au camp de la gauche, entre les visions politiques sur lesquelles les gauches se différencient, n’aggraverait pas le risque dès lors qu’au second tour du scrutin législatif, prévaudrait la règle du désistement en faveur du candidat le mieux placé. Règle à laquelle reviendrait donc le rôle de juge de paix entre les familles de la gauche pour l’établissement, sur la base du nombre de sièges obtenus, du rapport de leurs forces dans la séquence postélectorale.


¤ Prévenir toute nouvelle usurpation du pouvoir exécutif par le président de la République.

Resterait au candidat investi par les gauches pour l’élection à la présidence de la République à s’engager face au suffrage universel sur les actes dont, s’il était élu, il prendrait l’initiative pour prévenir - au titre de la mission qui lui incombe de veiller au respect de la Constitution - toute nouvelle usurpation du pouvoir exécutif par le président de la République, toute récidive de la captation de compétences à laquelle son élection aurait mis fin.

Cet engagement passerait le plus naturellement par l’annonce d’un référendum dans le cadre de l’article 11 de la Constitution qui permet au président de la République de soumettre aux Français « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». La consultation directe du peuple aurait pour objet d’interroger celui-ci sur l’étendue des protections additionnelles que requiert le régime républicain pour se prémunir contre des violations de la Constitution visant dans l’avenir à une restauration du présidentialisme plébiscitaire.

Le passage par cet article 11 pour réviser la Loi fondamentale a rencontré les plus vives critiques, notamment de la part de la très grande majorité des juristes, lors du recours qui y a été fait dans ce but par le général de Gaulle en 1962. La question a été tranchée dans le sens de l’interprétation de ce dernier à partir du moment où le corps électoral s’est prononcé en faveur de l’élection au suffrage universel direct du président de la République sur laquelle il était consulté selon cette procédure - finalement plus habile qu’hasardeuse …

La sécurisation maximale du mode républicain de gouvernement et la sanctuarisation corrélative du régime parlementaire, dont, dans sa forme initiale, la Constitution de 1958 - confrontée, il est vrai, à la personnalité écrasante de l’ancien chef de la France Libre - a montré qu’elle ne possédait pas les sauvegardes nécessaires pour les garantir, impliqueraient très probablement que l’interrogation des Français soit plurielle.

C’est bien parce que sa candidature aurait nécessairement engagé, au delà du rétablissement de la légalité constitutionnelle, la réhabilitation du modèle parlementaire républicain, qu’un président issu de toutes les gauches n’irait vraiment au bout de sa mission qu’en soumettant plusieurs options au suffrage universel : plus précisément trois options qui se distinguent par le degré ascendant de protection qu’elles offrent contre le retour à un pouvoir personnel à caractère monarchique.

La première solution consisterait à conserver la Constitution de 1958 en y apportant les amendements indispensables pour empêcher toute espèce de résurgence de la théorie qui a soutenu l’existence d’un ‘’domaine réservé’’ au président de la République. Par exemple, en substituant à l’énoncé « Le président de la République négocie et ratifie les traités », celui de « Le président de la République signe et ratifie les traités. Ceux-ci sont négociés en son nom ».

Et d’une façon plus générale, pour y inclure les modifications de nature à verrouiller la fonction présidentielle dans les missions d’arbitre et de garant que le texte de 1958 lui a attachées. Dans la plupart des cas, à peine plus que des nuances de rédaction suffiraient pour concentrer le rôle du président sur ces missions - ce qui ne diminuerait pas l’importance de ce rôle puisque toutes deux sont d’une portée capitale pour la nation et pour la République. Encore faudrait-il asseoir les dites fonctions d’arbitre et de garant sur la consécration institutionnelle de la neutralité du président de la République - dont il devrait être expressément spécifié qu’il est placé au-dessus des partis politiques et indépendant de ceux-ci - et sur la responsabilité qui lui revient de veiller à l’impartialité de l’Etat.

La fortification, en parallèle, des attributions du gouvernement appellerait, elle, le renfort d’amendements qui affirmeraient de la façon la plus catégorique que les articles 20 et 21 de la Constitution sont insusceptibles d’interprétations restrictives. Il conviendrait ainsi, fût-ce au prix de deux redondances successives, de compléter le texte de ces deux articles en écrivant, pour le premier, que ‘’le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation et exerce à ce titre le pouvoir exécutif de la République dans toute l’étendue de celui-ci’’, et pour le second, que ‘’le Premier ministre dirige l’action du gouvernement et est à ce titre le chef du pouvoir exécutif de la République française’’.

Sans préjudice, bien entendu, de la chasse plus extensive qu’il y aurait lieu de faire, au fil des articles, à toute disposition capable de seconder une dérive du pouvoir présidentiel hors des limites que la constitution assigne à celui-ci, ou offrant une quelconque matière pour arguer d’une équivoque ou d’une obscurité au préjudice de l’intégrité de la fonction primo ministérielle.

La deuxième option découlerait de ce constat que même appliquée en conformité avec le mode de gouvernance parlementariste qu’elle prévoyait au départ, la Constitution de 1958 resterait porteuse d’un caractère orléaniste foncièrement incompatible avec le référentiel républicain. Incompatibilité aggravée par l’autre attraction qu’elle subit, celle du bonapartisme qui émane de l’usage plébiscitaire que le premier président de la Vème république a fait du référendum et de l’hyper personnalisation du pouvoir qu’il a provoquée en faisant adopter l’élection au suffrage universel direct du premier magistrat de la République. Un bonapartisme louis-napoléonien dont la République, légataire de Victor Hugo, s’est toujours voulue l’irréductible adversaire.

Pour s’en tenir à son essence orléaniste, et quels que soient en fin de compte les amendements de précaution qu’on y introduirait, la Constitution de 1958 renvoie à la Monarchie de Juillet. Et cette filiation en appelle à l’histoire pour remettre en mémoire qu’en France, la monarchie constitutionnelle n’évolue pas naturellement vers la monarchie parlementaire, la représentation « (d)’un roi qui règne mais ne gouverne pas » n’ayant ainsi pas pu prévaloir quant elle est venue en débat sous le régime de la Charte de 1830 (le Second Empire finissant aurait peut-être apporté la preuve contraire si le désastre de Sedan n’avait pas balayé un régime qui évoluait vers un bonapartisme parlementarisé).

Un constat qui inclinerait à opter en faveur d’une nouvelle constitution strictement alignée sur le modèle-type des républiques parlementaires. Modèle dont la meilleure illustration autour de nous est probablement offerte par la constitution allemande - réserve faite de la non transposabilité de sa construction fédérale.

Et très exemplairement offerte si l’on considère plus particulièrement son mode de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale par la procédure de la motion de censure dite ‘’constructive’’ - aussi irréprochable du point de vue démocratique que pertinente en tant que facteur de stabilité de l’exécutif.

La troisième option procéderait d’un autre constat : celui de l’essence monarchique dont la fonction de président de la République a été investie par le vote, en 1873, de la loi du Septennat qui a établi l’irresponsabilité politique de son titulaire.

Certes les républicains ont par la suite retiré l’essentiel du pouvoir exécutif des mains du président de la République au profit de celles des ministres responsables devant les Chambres (la politique étrangère demeurant toutefois dans l’apanage des présidents successifs jusqu’à la fin de la Première guerre mondiale - c’est Georges Clemenceau qui marqua la césure en la matière en négociant à peu près seul les clauses du Traité de Versailles). Mais il est resté à la présidence de la République d’avoir été initialement conformée, et largement au delà des attributs symboliques dont on avait voulu qu’elle fût revêtue tel le droit de grâce, comme la préfiguration d’un trône qui attendait la mort du comte de Chambord pour être relevé.

Empreinte qui ne s’est jamais complètement effacée sous les III ème et IV ème républiques, ne serai-ce que dans le cérémonial, les représentations civiles et militaires ou les dotations diverses - toutes pompes et prévenances pourtant considérablement plus modestes que ce qu’elles devinrent sous la république suivante - appelés à souligner l’éminence de la fonction présidentielle.

Si l’on regarde cette conformation monarchique de la magistrature présidentielle non plus seulement dans sa continuité historique mais en privilégiant son origine et son dernier avatar, la similitude des effets est frappante entre la stratégie des partis royalistes durant la préfiguration de la III ème république et le dessein institutionnel du fondateur de la Vème république  : au point que la comparaison entre les pouvoirs attribués en 1875 au maréchal de Mac-Mahon en anticipant les contours d’une fonction royale restaurée, et ceux que Charles de Gaulle a confisqués entre 1959 et 1962 au bénéfice du chef de l’Etat qu’il entendait être, ne fait finalement apparaître que des différences assez infimes et globalement insignifiantes.

Tout esprit républicain peut tirer des éléments de cette analyse la conséquence que la disparition de la fonction de président de la République conforterait et ressourcerait la République.

Le ralliement à cette suppression de la magistrature présidentielle amènerait à proposer au suffrage universel une architecture constitutionnelle dans laquelle le Premier ministre ajouterait à ses attributions de chef du pouvoir exécutif la charge d’occuper la tête de l’Etat. Ce cumul fonctionnel justifierait qu’il porte dorénavant le titre de ‘’Président du gouvernement de la République’’.

Cette organisation réunissant sur une même personne la direction du gouvernement et la représentation de l’Etat - son incarnation symbolique dans une acception républicaine - trouverait un précédent dans les institutions transitoires mises en place après la Libération. Institutions qui, sur ce schéma, ont régi la France en 1945-1946 pendant les mandats des deux Assemblées constituantes, les fonctions de ‘’Président du Gouvernement Provisoire de la République’’ étant successivement exercées par le général de Gaulle, Félix Gouin, Georges Bidault et Léon Blum.

L’inscription de cette présidence du gouvernement de la République dans une constitution scrupuleusement conforme aux principes et aux normes dans lesquelles se reconnaissent les républiques parlementaires, marquerait que la République française se dote de la forme institutionnelle la plus épurée que ces républiques puissent revêtir.


¤ Des projets dont le tronc commun satisferait aux impératifs auxquels toute réhabilitation républicaine a l’obligation de répondre.

Le départage entre les trois options constitutionnelles dessinées ci-dessus qu’il reviendrait au corps électoral d’effectuer, ne saurait intervenir qu’entre des projets dont le tronc commun satisferait aux impératifs auxquels toute réhabilitation républicaine a l’obligation de répondre.

Pour s’en tenir concernant ces impératifs aux priorités qui semblent s’imposer, une table des matières en sept points  peut être dressée :

- rédiger et placer en tête de la Constitution une nouvelle déclaration des droits, reprenant et développant celle, inspirée du programme du CNR, qui accompagnait le projet constitutionnel du 19 avril 1946 (projet rejeté par référendum). Une déclaration sanctuarisant d’une part le modèle social inséré à la Libération dans le contrat républicain, et d’autre part tous les droits nouveaux acquis par les femmes depuis les années 1960, ou ayant consacré des avancées sociétales (l’abolition de la peine de mort en premier lieu) et/ou fortifié l’égalité des personnes (au bénéfice notamment des homosexuel(le)s).

- instaurer un pouvoir judiciaire en lieu et place de l’autorité judiciaire, et garantir la pleine indépendance de tous ses membres.

- consacrer le rôle du Conseil constitutionnel par sa transformation en une véritable ‘’Cour constitutionnelle’’.

- adopter la représentation proportionnelle pour toutes les élections, en y incluant une prime majoritaire, calibrée et ajustée au plus juste, quand l’élection en cause détermine la désignation d’une autorité exécutive. Et pour les scrutins qui par vocation sont de nature uninominale, s’affranchir de la religion de la majorité absolue, qui est portée à réduire et à dénaturer le choix démocratique, en reconnaissant l’entière légitimité de la volonté citoyenne exprimée à la majorité simple. Laquelle est un bon antidote au poison plébiscitaire.

- réduire à 4 ans la durée de tous les mandats électifs (hors le Sénat où un renouvellement par moitié tous les 3 ans semble convenir pour une chambre de réflexion), et limiter à 3 le nombre des mandats exécutifs locaux consécutifs.

- démocratiser le Sénat, et élargir parallèlement sa représentation des territoires à celle des forces économiques, sociales et associatives (écologiques en particulier) - élargissement entraînant sa fusion avec le CESE, mais distinguant entre les voix délibératives des sénateurs territoriaux et celles, consultatives, des représentants économiques, sociaux et associatifs.

- aligner les règles qui encadrent le fonctionnement des deux assemblées sur celles appliquées dans les autres parlements européens, et ce dans la mesure - i.e. exclusivement dans la mesure - où la comparaison avec ceux-ci manifesterait des distorsions nuisibles à l’exercice dans notre pays du pouvoir législatif et du pouvoir de contrôle des représentants de la nation.


Alignement qui ne saurait cependant en aucune manière porter atteinte au noyau le plus substantiel du parlementarisme rationnalisé qui a été l’œuvre de Michel Debré et son apport majeur dans la conception de la Constitution de 1958. Ce n’est là rien moins que le pilier sur lequel reposent, au moins pour leur part principale, la capacité d’agir des gouvernements, quelle que soit la marge majoritaire qui leur est acquise, et l’assurance dont ils disposent quant à la durée sur laquelle leur politique peut se déployer.

Fasse avant tout à cet égard que les génies protecteurs de la République dissipent enfin les ténèbres qui entourent le fameux alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution. Et qu’ils libèrent de leur a priori les censeurs de ce ‘’49-3’’ qui, à gauche principalement, exposent son dispositif au pilori des lois scélérates et ne sont pas loin d’assimiler sa mise en oeuvre à un coup d’Etat.

La réhabilitation républicaine, qui serait l’ambition attachée aux trois projets constitutionnels concurremment présentés aux Français, ne pourrait en effet se priver de l’assise que l’article 49-3, dans sa rédaction originelle, apporte à la stabilité et à la continuité de l’action de l’exécutif. Sauf pour les matières touchant aux libertés publiques, aux droits de la personne et aux questions qui relèvent des choix de conscience des élus - ce qu’on désigne couramment par les ‘’questions de société’’, il est nécessaire, et légitime, qu’en démocratie parlementaire, et pour autant que les droits et prérogatives des assemblées se tiennent au niveau où ils doivent être, un gouvernement soit toujours à même de mettre la représentation nationale devant ses responsabilités : c’est à dire devant l’alternative de le laisser agir ou d’ouvrir une crise que le suffrage universel aura à trancher.

La logique qui préside à l’application du ‘’49-3’’ s’accorde au demeurant avec la nature même du régime parlementaire. A la différence du régime présidentiel, décalqué de la monarchie constitutionnelle d’antan, où le sacre électoral confère le pouvoir pour une durée de mandat en principe garantie, le système parlementaire expose les gouvernants à se voir retirer à tout moment la confiance qui les a investis. L’alinéa si conteste, et si incompris, constitue le contrepoids naturel à la remise en cause qu’une majorité est en capacité de diriger contre l’exécutif sur tel aspect de sa politique : un contrepoids que valide ce principe constitutif du parlementarisme, et de la légitimité qui y prime, suivant lequel en démocratie on gouverne, non parce qu’on a une majorité derrière soi, mais parce qu’on n’a pas une majorité contre soi.

L’intelligence politique commande en outre de se remettre en tête que le dispositif de l’article 49-3 est fait pour soutenir des majorités parlementaires simplement relatives, ou incertaines, et que comme tel, ce sont essentiellement des gouvernements de gauche qu’il a confortés - notamment, et avant celui de Manuel Vals, le gouvernement de Michel Rocard entre 1988 et 1991.

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                          Le plaidoyer qu’on a développé pour que l’élection présidentielle de 2017 soit abordée à gauche en posant devant le corps électoral la question de la Constitution - sous les deux angles de la transgression continue qui a été infligée à ses principales dispositions et de la rénovation républicaine que commande la dégradation de notre démocratie et les fractures grandissantes de la société - constitue aussi l’expression d’un remords qui devrait habiter toutes les familles composant ‘’les gauches’’.

Le remords pour tous ceux qui avaient rejeté la réforme constitutionnelle de 1962 modifiant le mode d’élection du président de la République - en prévoyant la dérive césariste et, à terme, la stimulation des poujadismes qui en seraient la conséquence -, d’avoir progressivement délaissé le combat sur le terrain institutionnel. Délaissement déjà sensible à la présidentielle de 1965, et qui, à partir de 1974, a de plus en plus exclusivement centrée l’engagement électoral sur la promotion du programme du ou des candidats de gauche.

Certes, notre génération garde imprimée en elle l’émotion intense qui l’a saisie quand sur un écran où se traçait le visage (qui fut pendant de longues secondes difficilement identifiable) du vainqueur du second tour de 1981, la voix de Jean-Pierre Elkabbach a annoncé que « François Mitterrand (était) élu président de la République ». Séquence télévisée maintes fois revue parce qu’elle appartient à l’Histoire.

Demeure que Pierre Mendès France disparu, quasiment plus aucune voix de gauche n’a fait clairement entendre la dénonciation du Commandeur visant des institutions d’esprit monarchique et la confusion des fonctions auxquelles celles-ci donnaient lieu au profit d’un président issu d’un vote plébiscitaire.

Responsables politiques, médias, juristes et citoyens se sont accommodés pendant un demi-siècle de ces deux vices attachés à la V ème république qui du point de vue républicain, auraient dû discréditer le système politique que celle-ci avait installé.

Cet accommodement s’est composé de l’habitude acquise d’un mode de vie publique dominé par la personnalisation du pouvoir, et de l’adhésion ou de la résignation des acteurs et des observateurs de cette vie publique à un état de fait regardé comme non révisable.

Ce sont les circonstances de l’élection présidentielle de 2002 qui sont venues ébranler les bases de ce consentement ou de ce renoncement, et probablement bien davantage que cela n’a été perçu à l’époque ni depuis. Pour la première fois, le second tour n’opposait plus des candidats défendant des programmes de gouvernement alternatifs, mais mettait tous les républicains en demeure de mêler leurs suffrages pour rejeter un candidat dont la personne n’était faite que d’une négation absolue de la République, de ses valeurs et de ses principes. La suite de ce rassemblement victorieux des républicains de droite et de gauche aurait dû être de placer le président élu au dessus des partis des deux bords, c’est-à-dire de renouer avec la fonction présidentielle définie par la Constitution de 1958.

On sait qu’il n’en a rien été. Et il ne pouvait pas rester sans dommages sur le processus plébiscitaire pour lequel le second tour de l’élection présidentielle a été imaginé, que celui-ci se fût conclu en 2002 sans mettre en concurrence deux projets politiques personnalisés, et que son dénouement eût été tranché par l’élection du candidat commun de la droite et de la gauche. Le tour de passe-passe par lequel ce candidat commun est redevenu ensuite, le résultat obtenu, le chef d’une majorité présidentielle réduite à la droite seule, n’ayant réussi qu’à renouer artificiellement avec la logique et l’esprit du plébiscite post gaullien.

Si le scrutin de 2002 a porté atteinte à la cohérence interne du rituel de l’élection du président de la République, le scrutin suivant a paru prendre en compte tous les paramètres définis dans la révision constitutionnelle de 1962 et mis en valeur par les exégèses favorables qui n’ont cessé de la prolonger. En 2007, le scénario proposé au suffrage universel alliait bien l’affichage d’un projet politique aux deux candidatures en compétition au second tour, et faisait incarner ces candidatures par deux personnalités exemplairement conformées au choix plébiscitaire auquel les citoyens étaient conviés. L’économie monarchique de l’élection - hors la vocation arbitrale originelle de la fonction à pourvoir - et la prétention démocratique de l’appel au peuple voulu par Charles de Gaulle étaient de plus également satisfaites.

Ce fut là une relégitimation césariste sans lendemain. Le mandat inauguré en 2007 et le mandat suivant ont été, après l’élection présidentielle de 2002, d’autres étapes d’une décrédibilisation du présidentialisme de la V ème république. Le premier pour l’indignité de son titulaire, le second pour la disqualification permanente dont en termes de compétence, de gouvernance et de résultats, son exercice a été l’objet.

L’improbité qui a sévi entre 2007 et 2012 n‘appelle pas de développement autre que la formulation du vœu citoyen de voir la justice, aidée si nécessaire par le journalisme d’enquêtes, voire par d’autres concours du type de ceux qui émanent de ‘’lanceurs d’alerte’’, éclaircir sans autres délais la somme des affaires en cause et réprimer les crimes - plus spécialement de forfaiture - et les délits qu’elle aura établis.

Pour le mandat qui a commencé à courir en 2012, l’important n’est pas tant dans la disqualification dont il a été frappé dès ses commencements - une disqualification du président dans laquelle se sont conjugués ses décisions prises contre son camp, ses louvoiements et revirements qui ont fait plus que désorienter les citoyens, et les réquisitoires outrés incessamment nourris à son encontre par les partis de droite et par les médias. Il réside dans l’aperçu global qui s’en dégage : celui de fonctions honorablement tenues dans tous les domaines où la Constitution de 1958 a donné au président de la République compétence pour agir, et dans tous les autres, ceux où les présidents de la V ème république ont perpétué la captation de pouvoirs opérée par le général de Gaulle, un bilan qui n’est fait en majorité que d’échecs plus ou moins retentissants.

Ce départage, dans le mandat qui se termine, entre mérites et faiblesses laissant entendre que l’irresponsabilité politique du président de la République peut comporter des inconvénients ou des risques limités, et même trouver une certaine raison d’être, quand elle recouvre les attributions présidentielles afférentes à la charge de garant des intérêts fondamentaux de la nation. Mais qu’elle entrave le jeu normal de la démocratie si elle s’étend à des actes touchant à la gestion ordinaire des affaires publiques, laquelle ne s’envisage pas, dans une forme moderne de gouvernement, sans que l’exécutif soit susceptible à tout instant d’être sanctionné pour ses défaillances ou ses insuccès. Pour la gravité de ses défaillances ou la poids accumulé de ses insuccès.


                          Ce survol des quinze dernières années du présidentialisme à la française, et l’analyse qui en ressort du déclin dans lequel s’enfonce le système politique de la V ème république, ne confirment-t-ils pas que les temps sont mûrs pour mettre le sujet de la constitution au cœur de la campagne présidentielle ?

Un sujet qui y a par nature sa place. Pour la raison (et là-dessus on se réclamera pour une fois du général de Gaulle) que dans un état de droit, quels que soient les problèmes du moment, leur nombre et leur gravité, la constitution est toujours l’essentiel.

Mais aujourd’hui les circonstances imposent : parce qu’après cinq décennies de contradictions et d’errance institutionnelles, l’évidence des unes et de l’autre peut convaincre les Français qu’ils ont à se déterminer en matière constitutionnelle à partir d’une interrogation qui est de l’ordre des questions-sources de la démocratie :

« Voulez-vous que le président de la République que vous aller élire respecte le champ de compétence imparti par la Constitution à l’exercice de son mandat et, dans l’affirmative, voulez-vous que la constitution qui borne ses attributions soit celle de 1958 qui s’est montrée désarmée devant l’usurpation de pouvoirs que tous ses prédécesseurs ont commise, ou une nouvelle constitution qui garantisse pour l’avenir le caractère républicain et parlementaire de nos institutions et de leur fonctionnement ? ».

Question qu’il importe d’éclairer en la confrontant au sens fondateur de l’adjectif ‘’républicain ‘’ - sens qui aurait pleinement justifié qu’on écrive ci-avant ‘’républicain et donc parlementaire’’. Et sens qu’on formulera ainsi :

’Etre républicain, c’est porter dans toutes les fibres de son être une exécration absolue et irréductible à l’égard de toute forme de pouvoir personnel’’.

Retenir cette définition, c’est également interroger les citoyens sur le mode de désignation qu’elle entraîne s’agissant du premier magistrat de la République. Et, dans l’hypothèse où ils opteraient pour une architecture constitutionnelle qui réunirait sur une même personne la direction du gouvernement et la représentation symbolique de l’Etat, pour l’élection du ‘’Président du gouvernement de la République’’.

Faire ainsi de l’élection présidentielle de 2017 le moment de décisions démocratiques engageant la restauration de la république et la réhabilitation de l’esprit et du projet républicains, n’est-ce pas conférer à ce scrutin la portée d’une refondation civique et ouvrir la porte à l’indispensable réécriture de la composante politique de notre contrat social ?

Ce qui nous éloignerait immensément des compétions d’ego ou des calculs de carrière qui ‘’plombent’’ nombre des candidatures ou pré-candidatures issues présentement des gauches, et nous situerait exactement à l’opposé de la conformation plébiscitaire qui a dénaturé l’élection du président de la République depuis la révision de 1962.

Didier LEVY - 19 12 2016
‘’D’HUMEUR ET DE RAISON’’

Publié sur Facebook ce même jour.

(1) Des mesures dont on rappellera que les plus illustratives sont :
- d’augmenter la durée du travail (de facto jusqu'au plafond des 48 h qui est la seule limite fixée dans l'UE),
- de revenir sur les garanties apportées par l'assurance-maladie, au profit de complémentaires-santé privées qui corrèlent prise en charge des soins et niveau de ressources,
- de renvoyer massivement à des accords d’entreprise les dispositions actuellement sécurisées par leur insertion au code du travail,
- de réduire les possibilités de représentation des salariés dans les entreprises,
- de donner au patronat les moyens de contourner les oppositions syndicales en interrogeant directement les salariés, autrement dit de marginaliser encore davantage les syndicats dans les entreprises - et tout spécialement dans les PME (quand les syndicats sont parvenus à s’y implanter),
- d’instaurer des formes de contrat de travail qui pour l'employeur "sécurisent" les licenciements individuels,
- de donner aux entreprises la possibilité de procéder à des licenciements collectifs de façon quasi discrétionnaire,
- d’accompagner ce démantèlement des protections sociales par un délitement supplémentaire des moyens de l’Etat, par une rétraction brutalement et dangereusement aggravée de sa présence et de sa visibilité en tant que gardien et serviteur du bien public, et par une dégradation clairement assumée de sa fonction de garant de l’intérêt général face aux intérêts privés,
- de supprimer, pour les thématiques sociétales, le droit à l'adoption plénière pour les couples homosexuels,
- et de conforter la discrimination des couples de femmes et des femmes seules en matière d'accès à la PMA, tout en aggravant la prohibition du recours la GPA (en ciblant en particulier le statut des enfants nés de celle-ci et ce, contrairement aux droits qui leur sont reconnus au niveau européen).
Le reste étant à l'avenant - dont la réécriture des manuels scolaires d’histoire pour les conformer à un roman national identitariste voué à les référer à des ‘’racines chrétiennes’’ invoquées à contresens).