On est accoutumé, depuis
deux millénaires, à entendre – avec des réponses binaires et contradictoires -
la question du Messie ainsi posée : ‘’Le
Messie, c’est qui ?‘’.
Ne faut-il pas plutôt,
aujourd’hui, formuler la question en d’autres termes – qui, tout en fin de
compte, modifient moins le sens de l’interrogation que la démarche qui mène à
concevoir une réponse : ‘’Le
Messie, c’est où ?‘’.
Sans qu’il soit exclu
que la réponse tamisée par cette seconde formulation tienne en ceci : sur la
notion d’un Messie, il ne sera pas répondu à la quémande d’entendement humain.
Un Messie Chrétien
versus une réévaluation
de la
frontière judéo-chrétienne ?
Interpellé
depuis quelques mois par une réflexion qui est devenue celle d’un ami, l’auteur
de cet article voudrait faire état des vues de ce complice en subversion, pour
quelques unes de leurs grandes lignes, parmi les plus essentielles, pour
quelques uns de leurs balisages de pensée qui lui paraissent majeurs. Des vues
qu’on trouvera originales, fécondes ou irrecevables, voire choquantes. Mais qui
valent assurément qu’il en soit débattu.
L’ami en
question est chrétien, catholique, de souche profonde. Hébraïsant et pénétré
des textes et de la pensée juive, il a parcouru tout un cheminement du
christianisme au judaïsme, pour se situer dans une lecture hébraïque du
premier. Pour lui,
« Il y des
Juifs et des Chrétiens de tendance romaine et des Juifs et des Chrétiens de
tendance hébraïque. Autrement dit la
frontière judéo-chrétienne est aujourd’hui à réévaluer ».
Le sionisme
(qu’il traduit par « ce qui est demandé au peuple
juif dans la Torah donnée au Sinaï (:) construire une nation sur une terre promise) lui paraît servir à cet égard de curseur. Notamment dans le
sens que les Chrétiens – ceux qu’ils situent dans une ‘’révolution du
christianisme’’ - y prennent place comme une ‘’diaspora d’Israël’’.
La
révolution sera spirituelle.
C’est sans
doute sa plus récente publication qui donne l’idée précise du point d’arrivée
où ce cheminement l’a présentement mené :
« … grâce à des auteurs
contemporains comme Armand Abecassis et Daniel Boyarin, les frontières
théologiques sont en train de bouger. Il devient envisageable pour un Chrétien
d’abandonner le christianisme pour entrer dans le judaïsme sans renoncer à tout
ce qui faisait son identité.
« Illustrons par quelques
exemples notre propos : Jésus peut être considéré comme le Messie fils de
Joseph comme l’envisageait Maïmonide ; Jésus peut être considéré comme juif à
100% comme l’écrit Abecassis ; Jésus pourrait même être considéré comme le
Messie attendu comme l’explique Boyarin… Ce sont de nouveaux débats
passionnants qui s’amorcent.
« Mais quelle que soit «
la case » dans laquelle on fait entrer Jésus, ce qui est fondamental et décisif
pour qu’il devienne compatible avec le judaïsme, c’est qu’il est indispensable
d’abandonner l’idolâtrie du Messie.
« Or, le christianisme
d’une manière générale et par définition est le culte du Christ. Ce culte étant
idolâtre il est incompatible avec le judaïsme. Aussi le rav Kook proposait
d’aider les Chrétiens à purifier leur religion. Son idée était charitable mais
le résultat est qu’une fois nettoyé de ses résidus d’idolâtrie, il ne reste
plus grand-chose du christianisme ... ».
Ainsi qu’on devait s’y attendre, l’assertion d'un culte idolâtre
du Messie Chrétien a provoqué des réactions très critiques, où la contestation
des termes employés laissait transparaître l’indignation du lecteur. A tout le
moins, des interrogations en appelant à une justification du jugement exposé
dans le dernier paragraphe ici cité et reçu comme une outrance, sinon comme une
falsification.
Or, il est
toujours bon de se confronter à ce qui apparaît de prime abord comme une
provocation. Pour autant que celle-ci se veuille une violence positive mise dans l’interpellation de certitudes
consacrées. Et que, comme telles, on a cessé de longue date de mettre en
examen, de soumettre au doute et au questionnement.
Notre idée du Messie échapperait-elle à cette
interpellation ? Que les objections viennent
de la réflexion critique sur les textes, ou d’intuitions raisonnées issues
d’une matrice spirituelle divergente. C’est, en l’espèce, l’argumentation
ci-dessus condensée qui apporte le contradictoire, la source de discussion ou
de réfutation à laquelle, pour son autre versant, cet article s’attache.
Un culte idolâtre du Messie chrétien ?
La réponse
est privée ce qui devrait tracer son chemin : le côtoiement étroit et intime
avec la somme des intellections qui, dans le judaïsme, n’ont jamais cessé de se
porter, en leur infinitude et leur complexité, vers les acceptions du Messie.
Un côtoiement qui, pour ce qu’en a laissé subsister un égarement bimillénaire,
s’est réduit à celui de deux groupes de pèlerins épris d’une même et
identiquement informulable vérité qui vont, en s’ignorant, à contresens l’un de
l’autre sur des voies parallèles.
Il est
pourtant un point acquis : pour les croyants des deux groupes, rien n’est
théologiquement plus répulsif que l'idolâtrie.
Ils ont tout aussi pour rejoindre les non-croyants dans l’intime conviction que
dans le malheur têtu du monde,
une place dominante voire décisive revient à l'idolâtrie (celle de la
lettre brute, de la connaissance détachée du doute, et, plus
vulgairement ou plus primitivement encore, celle du chef, de la tribu, de la
race, ou de l'argent et du marché ...). Déjà en ce que sous toutes ses
déclinaisons, l’idolâtrie est toujours à la racine des fanatismes et de ses contagions.
S'agissant
ensuite de la figuration chrétienne du
Messie, une première difficulté - incertitude ou indétermination - se fait
jour avec la dénomination qui peut convenir au Jésus
"chrétien" lorsqu’il est décrit en son temps
d'enseignement : pour la perception qui a dû être celle des foules
d’auditeurs de cet enseignement, l’homme – notre Fils de l'homme -
qu’ils écoutent saurait-il se désigner autrement que comme un Jésus
prophète, ou autrement
que sous son de "titre" de Rabbi ? Ce titre qui se projette
dans le diminutif submergé d’affection qui vient à la bouche de Marie de
Magdala, devant le tombeau vide, à l'instant décisif du retournement et de la
reconnaissance : "Rabbouni".
L’essentiel réside bien entendu dans tout le reste – plus
qu’immense - de ce qui compose cette figuration.
Dans ce qui
inscrit le Messie chrétien dans une incarnation : or, de ce concept
prodigieux et de sa flamboyance intellectuelle, est-il rien d'autre qui puisse
être énoncé que le déroulé resplendissant du prologue johannique ? Et plus
directement, à travers ces citations qu’on peine à isoler au sein de cette
allégorie sublime qui ''dépeint'' - récit symbolique et méditation spirituelle
- ce qui est rendu si pauvrement par notre définition renvoyant à un Fils
de D.ieu fait homme :
Au commencement était le
Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était
Dieu.
Il était au commencement en
Dieu.
Tout par lui a été fait, et
sans lui n'a été fait rien de ce qui existe.
En lui était la vie, et la
vie était la lumière des hommes,
La lumière, la vraie, celle
qui éclaire tout homme, venait dans le monde.
(le Verbe) était dans le
monde,
(…)
Et le Verbe s'est fait
chair, et il a habité parmi nous, (et nous avons vu sa
gloire, gloire comme celle qu'un fils unique tient
de son Père) tout plein de grâce et de vérité.
" Et
le Verbe s'est fait chair "
Sur cette incarnation, tout dessein de préciser les traits inventés pour
les besoins et les buts du Prologue, en prêtant au Logos ceux
qui appartiennent à l'entendement humain, aux notions et aux mots mêmes que cet
entendement peut fabriquer, n’est-il pas incriminable de marquer le début d’une
idolâtrie ?
Point n'est
besoin de croire que le Messie, dans la fonction ainsi "attribuée" ou
"reconnue" à ce Jésus chrétien, est bien "le Verbe (qui dès
le commencement) était auprès de Dieu, et (qui,
ce) Verbe était Dieu", pour
se dire qu'en seul état d'hypothèse, l'essence divine de ce Messie
exclut tout ajout explicatif en appelant à une notion de l'intellect humain.
Ajout qui serait porté par cet égarement - tellement ancré - qui pousse
inlassablement à contredire ou à nier l'impénétrabilité de la
transcendance. Ou la transcendance est intrinsèquement
inconnaissable, ou il n'est pas de transcendance hors les constructions inventives
de l'espèce humaine.
Oui, point
besoin de croire à l'incarnation de ce Verbe pour
se représenter que transcrire dans le réel humain, que traduire dans
le factuel propre au concret où se meut la condition humaine, ce qui relèverait
d'une essence divine dans "la vie de Jésus"- comme on le fait
de la part humaine du Messie - est constitutif de l'artisanat
d'une statuaire du divin.
Par là, et
si exception peut être faite de l'imagerie de la nativité dans une étable qui
renvoie d'abord à l'humanité scénographique d'une naissance, toutes les
figurations historicisantes des événements messianiques qui prétendent à
une matérialité identique à celle des mots de nos dictionnaires
ne confectionnent rien d'autre que des idoles : non avec du bois, du
bronze ou de l'or, mais avec ces mots qui sont aussi étrangers aux dimensions
de la transcendance qu'ils sont inertes dans ces mêmes dictionnaires et que les
lettres qui les composent ou les images qui les illustrent y restent
respectivement muette et privées de vie.
C'est, bien
entendu, s'exposer à beaucoup choquer que de ranger précisément dans ces
événements messianiques dont des figurations et des descriptions
méconnaissent qu'ils sont voués, sauf façonnage d'idoles et de contes, à
demeurer non figuratifs et intraduisibles, toute la liste des "hauts
faits" entendus au pied de la lettre et devenus en l'état
des articles de foi : de la fuite en Egypte aux tentations du désert, du
lavement des pieds à la rupture du pain à la Cène, et pour finir de la
résurrection à l'ascension.
Que certains
- la présentation au Temple - aient un support narratif dont l'historicité
réaliste est incontestable -, que d'autres n'en aient aucun - la
transfiguration ou le retour à la vie de Lazare -, ne change rien à l'affaire :
en l'espèce, et infiniment plus qu'en toute autre, la lettre tue et
l'esprit vivifie. Car la lettre ne prend vie - ce qui
n'arrivera jamais à une idole modelée pour qu'en elle-même rien n'y change -
que si son sens, la somme inépuisable de ses sens, est perpétuellement
interrogée, que si chaque sens qui s'y fait jour entre dans son cheminement, de
déconstructions en reconstructions.
Ainsi
l'Ascension, en ce qu'elle matérialiserait l'élévation d'un corps et, partant,
en ce qu’elle renverrait à l'impossibilité physique de ce phénomène dans les
catégories des connaissances humaines, ne mettrait en scène qu’un pouvoir
extraordinaire, tel celui d'un dieu païen figuré par la mobilité magique
de son idole. Autant dire qu'on resterait sur sa faim pour
autant qu'on y chercherait une signification à la hauteur de la spiritualité
dont l'Alliance est tissée. Certes, cette ascension, ainsi imagée et
représentée, resterait celle du départ d'un Messie, son temps achevé : mais
réduite à la fresque féerique de ce départ qu'apporterait-elle à
l'intelligence du croire ? Si peu - surtout si on la
confronte à l'ultime dialogue du ressuscité et de Marie de Magdala :
"
Jésus lui dit alors : « Marie ! » S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : «
Rabbouni ! » (...).
Jésus
reprend : « Cesse de me toucher, car je ne suis pas encore
monté vers le Père ".
Une
confrontation qui suggère une diversité d'ascensions. Et schématiquement
:
- d'un côté, l'ascension prise dans son allégorie et qui donne lieu à
célébration en son jeudi du même nom. La date-symbole de la fin terrestre
de la mission de Jésus/du Messie. Un événement théâtral dont le sens est
quelque peu encombré par ce qui, dans le récit, est destiné à frapper les
imaginations, pour le présent et pour des siècles. Un dessein impressionniste
partagé avec tous les cultes idolâtres et qui, de ce fait, est une incitation à
emprunter plus largement encore à ceux-ci ;
- d'un autre, la "montée vers le Père" au sens de
l'évangile-Jean. Difficile de ne pas rattacher le "Cesse de me toucher" aux lois qui
régissent l'état de Nidah ? Des "lois" qui, dans l'instant où Marie
en vient à reconnaître Jésus, attestent que celle-ci a devant elle le
ressuscité, le ressuscité en son intégrité, c'est à dire portant en lui la
preuve de la résurrection de son corps - ce corps d'homme que précisément
les règles de Nidah font interdiction à la femme Marie de toucher.
Aucune autre
preuve de cette résurrection du corps, de cette résurrection pleine et entière,
ne sera ensuite apportée. Les plus construites des ''apparitions''
suivantes – parmi, certes, « beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en
présence des disciples » - sont celles d'un Jésus incorporel, comme
immatériel, qui n'est pas reconnaissable et ne se fait pas reconnaître (Emmaüs)
; qui survient inopinément aux rives du lac où les disciples ont repris le
cours normal de leurs existences et qui, de prime abord, est là encore non
identifiable ;
et qui, certes, fait "toucher" ses plaies à Thomas (à ce que
l’on comprend, en l'état où ces plaies devaient se trouver
au dé-clouage de la croix), mais qui n'opère cette espèce de tour
réussi de magicien qu'après avoir joué les passe-murailles pour
pénétrer une pièce très prudemment verrouillée et donc hermétiquement close ...
Exploit d’ailleurs par deux fois répété.
Ces
anecdotes sont bien rapportées, mais ont-elles un crédit de
"réalité", ou servent-elles d'allégories porteuses d'un enseignement
épuré et obscur qu’elles sont commises à rendre peu à peu pénétrable et
très lointainement accessible ? Et en cela bien plus éclairantes qu'une banale
probation, à coup de preuves ou d'indices convergents, du retour du Messie
d'un quelconque "séjour des morts" ? A les relire, le factuel proposé
s’y lit au demeurant comme secondaire, comme subordonné au symbolique omniprésent
– entre autres, dans l’entremise des anges, dans le report au signifiant du
chiffre et du nombre, dans la convocation en
Galilée, indicateur suggéré d’une transmigration du réel au spirituel.
Sous
l’esprit de cette relecture, c'est à l’admonestation du ressuscité à la Magdaléenne qu’il faut revenir. Car
le retour sur cette parole qui se réfère à la Loi, une Parole entendue et lue
avec la perception de l'amour et de la tendresse qui l'enveloppent dans la
bouche et la voix de celui qui la prononce (et donc en la perception sous-jacente
de ce par quoi la Loi, jusqu’à son
dernier iota, s’accomplira),
met la bonne lumière sur la rencontre au tombeau.
« Cesse de me toucher,
car je ne suis pas encore monté vers le Père ".
Une lumière
qui érige cette rencontre comme la consécration ultime conjointement de la
Résurrection – et de la promesse d'une résurrection universelle des corps,
mystique en sa projection et non-représentable en sa concrétude - et de
l'Ascension.
Une
"Ascension"- montée vers le Père - dont il nous est dit
qu'elle s’est réalisée quand Marie revient vers les disciples, puisque
c'est cette montée que Marie a reçu pour mission d'annoncer
aux frères-disciples de Jésus.
Et une
Ascension qui – comme
bien sûr toutes les autres figures diverses d’ascensions - laisse entier un questionnement
qui rebondit sur l'interpellation d'un culte idolâtre du Messie Chrétien. Entier,
non que l'interrogation laisse l'Esprit muet, mais parce que l'intelligence
du croire y plaide pour des interprétations si
contradictoires que seule l'hésitation ne s'y discute pas : dans l'adhésion à
la vision d'un "Verbe
(qui) s'est fait chair " est-il un
sens à prier le Messie-Jésus, alors que dès l'instant de la (re)montée vers
le Père, l'incarnation a pris fin et le Verbe a repris le seul contours que
lui dessine le Prologue, celui du "commencement" ?
Celui, mystique,
du Verbe qui (est) auprès de Dieu, du Verbe qui (est) Dieu, du Verbe qui (est) au commencement en Dieu.
S’il est un
sens à le faire, c’est dans la conscience que le temps, la durée, la chronologie
sont nuls et non avenus en la transcendance. Et que dès lors, la prière s’ouvre
la voie de sa convenance et de sa sensibilité dans cette triple négation et
dans cette triple inexistence. En écrivant au passage les métaphores qui lui
sont nécessaires, et d’aussi admirables que « Nous sommes le Corps du Christ ».
Et s'il
n'est pas de sens à le faire - ce qui n’ôterait rien à la célébration de
l'incarnation et de la fraternité avec le prophète
Jésus -, le culte d'un Verbe qui s'était incarné puis qui a cessé de
s'incarner, ne se réduit-il pas à l'adoration d'un Messie qui fut "chair
de D.ieu" et qui n'est plus qu'une "image de ce D.ieu" ? Image
qui a sa place dans un chapitre exceptionnel et inouï de l'histoire de la foi,
mais non plus sur les autels de cette foi ?
Sauf à s'y
élever, par le jeu et au bénéfice d’un corps disparu mais sacralisé comme
celui de D.ieu, dans l’acception d'une idole - à l'instar de toutes les images
de Dieu, de toutes les figurations humaines d'un dieu.
Avancer ce questionnement n’est-ce
pas emboiter le pas à l’interpellation dont toute la réflexion qui précède est
partie, prendre au mot la proposition selon laquelle ‘’les frontières théologiques sont en train de bouger’’ ? Et qu’il s’agit bien d’une révolution spirituelle.
Le premier
degré de cette révolution ne se
parcourt-il pas en remontant le tracé de ces frontières théologiques ?
Pour constater qu’à l’identique de toutes les autres, ces frontières-ci sont
très peu ‘’naturelles’’. Au point que leur vocation parait résider dans la
traversée si commode qu’elles ménagent aux contresens. Le signe s’en trouve
dans une erreur (au moins) que commet cet article, et si manifeste qu’elle ne
peut-être qu’absolue : celle qui a consisté à nommer un Messie Chrétien.
On peut se
disputer sans fin sur l’authentification accordée ou non à celui en qui on voit
un Messie. Disserter jusqu’à la
consommation des siècles sur l’essence énigmatique du Messie. Mais inventer un ‘’Messie
Chrétien’’ en face d’un ‘’Messie
Juif’’ ne se qualifie ni dans la catégorie de l’hérésie ni dans celle du
blasphème : c’est l’idée même de Messie
qu’un non-sens aussi outré dénature, dégrade jusqu’à la récusation. Mettre en concurrence des acceptions rivales du Messie, c’est
entrer dans un processus de narration humaine voisin de celui qui a façonné les
héros et les demi-dieux grecs. Un processus au moins comparable sinon
identique.
Le concept
messianique ne saurait être qu’unitaire, comme celui d’espérance auquel, spirituellement, il renvoie, s’il ne se confond
avec lui. Inaccessible à une définition humaine, hors son identification à une attente inégalable, le Messie ouvre un champ infini
d’abstractions qu’il nous est probablement commandé de fouiller jusqu'au temps
de son retour. Un retour dont la forme, par essence imprévisible, laisse tout
juste entendre qu’elle sera du même ordre mystique que celle du Verbe
johannique.
Plus
directement, en fin de compte, que d’une réconciliation, ou que d’une
compatibilité, entre christianisme et judaïsme, l’enjeu de la ‘’question du
Messie’’ est celui de l’humilité de la foi - une humilité qui, au demeurant,
ouvre parallèlement cette même foi à l’attention et à la réflexion du
non-croyant. A l’endroit de qui elle ne fige rien et sait faire silence.
Et pour tous
les enfants d’Abraham, pour tous ceux de la filiation adoptive, cette humilité
consacre le mystère messianique dans son exclusion de leur entendement. Et dans
l’exhortation muette et contradictoire qui leur est adressée de pousser leurs
délibérations sur l’idée d’un Messie,
de les conjoindre, sans limite temporelle, sans borne à la pensée ni à la
controverse.
Paradoxe de
cette exhortation, ou grâce singulière secrètement investie dans cette
interpellation de l’idée de Messie ?
Sans doute la réponse appartient-elle à un murmure de l’Esprit. De ceux qui
glissent moins d’un traité de théologie que de la main du poète inspiré. Et,
ici, au risque supplémentaire d’une inversion de la perspective sur les trois
états messianiques – l’incarnation, la résurrection et l’ascension – quand ce
poète nous dévoile que « Tout
commence en ce monde et tout finit ailleurs ».
Didier LEVY – 9 juillet 2020