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dimanche 12 juillet 2020

SUPPRIMER LE PREMIER MINISTRE ? Une réponse à Jacques Julliard.

v A PROPOS DE L’EDITORIAL DE JACQUES JULLIARD  :  MARIANNE N° 1217  - DU 10 AU 16 JUILLET 2020

Le constat ne se discute pas : la France est politiquement une monarchie élective, c'est à dire plébiscitaire.

Il y a des élections - de moins en moins représentatives. 

Il y a une constitution qui, à sa conception, s'appariait à celles des monarchies constitutionnelles du XIXème siècle - elle n'a pas résisté à la logique du plébiscite qui est le legs de la pratique présidentielle de Charles de Gaulle. 

De sorte qu'entre la figure écrasante de celui-ci et la confiscation des attributions du Gouvernement et du Premier ministre par le 'Chef de l'Etat" (appellation dont on semble avoir oublié qu'elle fut sacralisée par Philippe Pétain) qui a perpétué  et aggravé la gouvernance gaullienne, cette même constitution n'a jamais été appliquée. Hors période dite fallacieusement de ''cohabitation'' - un arbitre cohabite-t-il avec l'équipe qui n'a pas l'heur de lui plaire ? -, quel Gouvernement depuis 1959 a déterminé et conduit la politique de la nation ?

On suit donc facilement Jacques Julliard pour conclure à un dysfonctionnement (le mot est très faible) de notre système institutionnel. Mais supprimer le Premier ministre entraînerait-il que la responsabilité politique du Président de la République serait accrue et, corrélativement, les pouvoirs du Parlement ? 

La réponse est si évidemment négative qu'elle invalide d'elle-même la question posée, comme il en va toujours de même avec les questions conçues sur la base d'un vue erronée et d'un raisonnement défectueux.

Notre système politique constitue surtout une anomalie.

Dans toutes les démocraties modernes, le pouvoir exécutif et son chef sont responsables devant le Parlement. La mise en jeu de cette responsabilité obéit à des règles et des procédures qui préviennent l'instabilité ministérielle - en Allemagne, une seule motion de censure, sous sa forme d'ailleurs exemplaire de censure "constructive", a été votée depuis 1949.

Partout - disons de la Finlande à la Nouvelle-Zélande -, un gouvernement est démis parce qu'il a échoué ou s'est fourvoyé, parce que le parti dont il est issu a mesuré la perte de confiance irrattrapable dont son chef était l'objet dans l'opinion, parce que la coalition qui le soutenait - en vertu du compromis politique qui est l'essence de la démocratie - a cessé de s'entendre.

A cette aune, la disparition de notre fonction primo-ministérielle, sans autre forme de procès, laisserait le président-monarque seul face à l'Assemblée nationale. Un président dont la responsabilité politique ne pourrait pas être engagée (hors la procédure exceptionnelle et très lourde de la destitution).

Avec, certes, moins de risque de blocage que dans la constitution de la Ii ème république, puisque le président de la Vème dispose du droit de dissolution : mais cette faculté non contrebalancée par celle de la censure entre les mains de l'Assemblée, créerait un déséquilibre entre exécutif et législatif qu'on peine à envisager dans un régime démocratique.

Une fois admis que la responsabilité de l'exécutif devant le Parlement et le retour devant les électeurs opéré par l'exercice de la dissolution, sont inséparables - critères et régulateurs d'institutions authentiquement démocratiques -, la bonne question est de se demander si Jacques Julliard ne se trompe pas de cible. Si la fonction à faire disparaître n'est pas celle ... de Président de la République.

Et plus précisément - et pour autant qu'on ne juge pas qu'il faut impérativement un premier magistrat à la République, en charge d'être son arbitre et son garant (et de rien d'autre !), et à ce titre appelé à œuvrer à la concorde entre les citoyens – si la proposition pertinente n’est pas de réunir les deux fonctions de Président et de Premier ministre en une seule : celle d'un président du Gouvernement, chef du pouvoir exécutif de la République - comme l'ont été successivement, entre 1945 et 1947, le général de Gaulle, Félix Gouin, Georges Bidault et Léon Blum.

L'une des voies les plus simples et les plus sûres pour établir chez nous un régime parlementaire digne de ce nom. Caractérisé, comme il en va dans toutes les démocraties qui nous entourent, ou qui épousent les mêmes principes (essentiellement les anciens Dominions), par l'obligation faite à l'exécutif de rendre des comptes sur son action tout au long de son mandat, et par le retour devant le corps électoral pour trancher un conflit entre cet exécutif et le Parlement.

Un régime parlementaire qui posséderait, dès le départ, tous les atouts de la stabilité et de l'efficacité, tels qu'ils ont été disposés à son bénéfice par le "parlementarisme rationalisé" qui fut l'œuvre en 1958 de Michel Debré. Tout juste suffirait-il de passer en revue les atténuations qu'il a paru nécessaire, au fil du temps, de lui apporter - i.e. de supprimer celles qui n'étaient que des contresens au regard de la logique du fonctionnement d'une démocratie (régime où l'"on gouverne tant qu'on n'a pas une majorité CONTRE soi")s'entend donc ici les limites absurdes fixées à l'utilisation du ‘’49-3’’. 

Etrange que des gens de gauche - François Hollande et Jacques Julliard en l'occurrence - puissent, à l'inverse, être aveugles à la triple tare qui affecte le régime présidentiel (en laissant ici de côté les habillages qu'il a fournis, et fournit, à des dictatures en tous genres, notamment celle d'un tyran ordinaire, ou bien partisanes, claniques ou militaires) :

Ø son archaïsme - il procède des schémas de pensée appliquées à la monarchie constitutionnelle au XVIII ème siècle ;

Ø son inclination naturelle vers le pouvoir personnel - auquel un républicain voue une exécration en principe invincible imprimée dans toutes les fibres de son être ;

Ø la malformation de sa conception à une époque où le gouvernement collégial, qui n'exclut pas son animation par un primus inter pares bien identifié, s'affirme à tous égards comme la forme d'action publique (et également, au reste, privée) la mieux à même d'embrasser des réalités et des problématiques de plus en plus complexes et de résoudre consensuellement des conflits internes.

Une fois encore, décidément, le conformisme de la pensée, l’adhésion à des solutions simplistes, et d’une façon générale l’alignement sur l’air du temps, sont les fruits sans saveur et périssables d’un manque de réflexion. D’une carence qu’on s’inflige d’abord à soi-même.

Didier Lévy – 11 juillet 2020

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