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dimanche 16 octobre 2016

CASSANDRE VERSUS SARKOZY

M. SARKOZY CANDIDAT, OU L’EXEMPLARITÉ DE L’IMPUNI.

Ø    Sa place est-elle sur les tréteaux de campagne ou devant ses juges ?

IL VIENT UN MOMENT OÙ L’EMPÊCHEMENT DE LA JUSTICE INTERPELLE LA RÉPUBLIQUE, et dans la France de 2016, cette interpellation tient en ceci : combien de temps le souci de la vertu civique peut-il encore s’accommoder de l’incertitude judiciaire qui protège un personnage public sur l’intégrité duquel pèsent les soupçons les plus graves, et qu’au surplus aucun scrupule d’honneur ne dissuade de postuler les plus hautes fonctions de l’Etat sans que les doutes émis sur sa probité aient été levés ?

Nicolas SARKOZY s’est donc, sans surprise, porté candidat à la candidature de son camp pour la prochaine élection présidentielle.

Il fera tout pour l’emporter, y compris le pire - avec ce personnage, le pire n’est-il pas toujours sûr ? L’escalade démagogique de son discours, entre extrémisme et non sens, en a apporté en quelques jours la confirmation attendue. Avec au demeurant un remarquable savoir-faire qui a presque masqué que sur toutes ses thématiques habituelles, il partait déjà de très haut dans les registres cumulés de l'exagération, de l’absurde et de l’inconséquence. Et non sans franchir de surcroît, en termes de décence politique, quelques limites devant lesquelles on pouvait se dire qu’il marquerait peut-être quand même le pas : il est vrai que l’objectif qu’il poursuit obsessionnellement d’une revanche sur sa défaite de 2012 ne laisse pas la place à de scrupules de convenance - si tant est que sa personnalité puisse se faire occasionnellement accueillante à ceux-ci.

Devant un Nicolas SARKOZY tout à son entreprise de reconquête du pouvoir et mobilisant à cette fin sa pugnacité la plus agressive, le désarroi vient de ce qu’on ne discerne pas ce qui pourrait stopper son élan - sauf un rejet de ses outrances par la partie modérée de l’électorat conservateur provoquant son échec, providentiel pour notre démocratie, au scrutin interne à la droite.

Et sauf - là est notre sujet - un développement judiciaire, nouveau et soudain, dans les ‘’affaires’’ auxquelles son nom est de longue date associé.

Il peu probable que ce coup d’arrêt-là résulte de l’initiative prise par le Parquet de Paris tendant à son renvoi en correctionnel dans la plus récente de ces affaires : le dossier ‘’Bygmalion’’ des irrégularités auxquelles a donné lieu le financement de sa campagne de 2012 - irrégularités aussi phénoménales que le volume des dépenses engagées. En effet, les conseils de Nicolas SARKOZY n’auront pas grand mal à faire traîner les choses bien au-delà du premier semestre de 2017 - tout en dénonçant en boucle, comme à leur habitude, un acharnement judiciaire aussi peu plausible que l’affirmation de l’innocence d’un chef mafieux dans la bouche de ses avocats.

Des affaires qui soulèvent cette interrogation : faut-il regarder comme normal que la justice - à une exception près - ne se soit toujours pas prononcée sur les accusations portées contre un ancien président de la République pour des faits liés à son élection et à la période de son mandat plus de quatre années après la fin de ce dernier ? En écartant ces accusations, en disculpant l’intéressé ou en prononçant à son encontre les sanctions prévues par la loi pour les fautes qu’il aurait commises.

n Rien n’est plus précieux que la présomption d’innocence.

Rien n’est plus précieux pour la liberté des citoyens et pour la solidité des garanties sur lesquelles celle-ci repose, que la présomption d’innocence. Ce qui légitime toutes les protections procédurales qui concourent à protéger cette présomption. Et ce qui justifie tout le parti qui peut-être tiré des ressources que ces protections offrent à la défense.

En l’espèce, ce parti a été exploité dans toute son étendue imaginable. Démontrant que tout justiciable qui dispose des capacités financières, de la notoriété et des réseaux grâce auxquels il est assuré d’être défendu par les meilleurs conseils - c'est-à-dire capables d’épuiser tous les recours que propose la loi et toutes les objections et requêtes que chaque méandre suivi par son dossier permet de soulever - confronte la justice, à quelque niveau de juridiction que ce soit, à l’insuffisance de ses effectifs et à la pauvreté de ses moyens. Une inégalité des armes qui a pour effet que chaque acte de procédure, y inclus ceux d’une mauvaise foi accomplie, vient surajouter des délais et des reports à la durée d’un parcours judiciaire dont le juge ne maîtrise plus l’allongement.

Pour le citoyen ‘’lambda’’, la lenteur des juridictions s’apparente à un déni de justice. Déni qui porte  fatalement atteinte au crédit de la justice. Un crédit attaqué bien plus gravement encore quand le ralentissement du processus judiciaire aboutit à créer une impunité de fait au bénéfice d’un personnage public. L’indignation dans ce cas est civiquement salutaire, mais ne devrait-elle pas être bien plus fortement exprimée quand le personnage en cause tire du ‘’temps judiciaire’’ l’avantage de pouvoir se présenter à une élection majeure sans que les imputations dont il est l’objet aient été éclaircies ou jugées, et avec la perspective, s’il est élu, que ces imputations en suspens soient vouées à une congélation définitive ?

Et lorsqu’il réussit de surcroît à se prévaloir du délai mis par la justice à dire s’il est ou non coupable, et de quoi, comme si l’inachèvement du travail des juges - qui est d’abord le fruit de ses efforts et de son ingéniosité - valait pour lui quitus, ou droit à l’oubli.

n Face aux présidents de la Vème République la justice est réduite à l’impuissance.

Dans l’impunité dont Nicolas SARKOZY a tiré parti pour filer sans entrave jusqu’à sa déclaration de candidature à la primaire de la droite, le ‘’temps judiciaire’’ est entré cependant pour une moindre part que les vices et les incohérences du système de la Vème république.

Ce nouvel épisode de sa carrière politique est ainsi moins abrité par la présomption d’innocence que par le statut, exorbitant du droit commun, dont il a bénéficié en tant que président de la République et qui pendant cinq années, à son endroit, a frappé la justice d’impuissance. On imagine facilement les obstacles en tous genres que la durée de cette inaction imposée à l’autorité judiciaire ne peut manquer ensuite de produire lorsque le juge retrouve ses prérogatives, l’instruction tardive des dossiers tendant à se rapprocher d’une investigation historique, avec tous les aléas qui en découlent.

n L’impunité constitutionnelle du président de la République est faite du cumul d’une irresponsabilité politique et d’une irresponsabilité pénale.

C’est bien le cadre institutionnel et, dans celui-ci, le privilège présidentiel qui lui sert de pivot, qui créent en premier lieu les conditions de l’impunité qui risque fort de s’étaler sous nos yeux pendant les prochains mois, i.e. aussi longtemps que durera le parcours de la candidature de Nicolas SARKOZY. Et pendant le nouveau quinquennat que celui-ci est susceptible d’obtenir et qui réactiverait ce privilège d’immunité dont la malignité se confirmerait ainsi avec éclat.

Une malignité qui ressort de la comparaison qui suit, et qui participe de celle, foncière, de nos institutions et du régime politique que ces dernières ont instauré.

Un ministre qui démissionne après qu’il a été mis en examen ne le fait pas parce que la présomption d’innocence ne jouerait pas en sa faveur, mais parce que (et, en bonne logique, seulement dans la mesure où) les actes ou les faits qui motivent la décision du magistrat instructeur, s’ils devaient être avérés, démontreraient son improbité ou entacheraient de quelque autre façon son honneur. Et parce que toute suspicion sérieuse affectant son honnêteté et son honorabilité est incompatible avec l’exercice de sa charge.

Le président de la République est dans une situation tout différente de par l’effet de l’impunité constitutionnelle qui protège sa fonction. Une impunité qui additionne son irresponsabilité politique - sauf dans le cas de poursuites engagées pour crimes contre l’humanité, aucune action ne peut être engagée contre lui, même après la fin de son mandat, pour des actes accomplis en sa qualité de président -, et une irresponsabilité pénale empêchant toute instruction et interdisant toute poursuite à son encontre tant qu’il exerce ses fonctions.

L’irresponsabilité politique du président de la République a certes cessé d’être absolue depuis la révision qui a prévu une procédure de destitution devant le Parlement « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », mais cette destitution est aujourd'hui inapplicable faute que soit intervenue (depuis 2007 !) une loi organique permettant sa mise en œuvre.

n Une double irresponsabilité incompatible avec l’idée d’une république démocratique.

Perdure donc, dans les domaines politique et pénal, une « inviolabilité » présidentielle, qui participe du caractère monarchique - celui d’une monarchie élective et plébiscitaire - de la Vème république. Un régime dans lequel le monarque règne et gouverne à la fois, en disposant de la protection suprême déjà inscrite, suivant la même inspiration institutionnelle, dans la Constitution de 1791 et reprise dans les Chartes constitutionnelles de 1814 et 1830 en une formulation identique : 
« La personne du roi est inviolable et sacrée »
.
L’acceptation de la perpétuation de cette immunité, absolue dans le domaine politique ou temporaire en matière pénale, grâce à laquelle le président de la Vème république n‘a de compte à rendre respectivement ni la nation et à ses représentants ni à la justice - ou que tardivement pour celle-ci -, vaut critère de départage par rapport à l’adhésion à l’esprit républicain et démocratique.

En effet, si être républicain, c’est d’abord porter dans toutes les fibres de son être une exécration irréductible envers toute forme de pouvoir personnel, l’idée même d’une « inviolabilité » du chef du pouvoir exécutif de la République se trouve nécessairement englobée dans ce rejet.

Trois observations confortent ce rejet et l’explicitent :

- il est légitime et nécessaire que le premier magistrat de la république - en ce qu’il n’est que ceci (i.e. en ce qu’il est tenu en dehors de la fonction exécutive), ou le chef de l’Etat dans une monarchie parlementaire, hors faute d’une gravité exceptionnelle qui viendrait à rendre impossible l’exercice de leur fonction, ou d’une nature qui les discréditerait personnellement, bénéficient d’une irresponsabilité politique. Cette irresponsabilité s’accorde sans conteste à leur rôle d’arbitre, de garant et de conciliateur au point qu’on peut la tenir pour inséparable de l’accomplissement de chacune de ces trois missions.

- en revanche, un régime démocratique moderne ne se conçoit pas sans que la responsabilité du chef du pouvoir exécutif puisse à tout moment être engagée devant le Parlement - quelles que soient les dispositions introduites dans la constitution d’un régime parlementaire pour prévenir le risque d’une instabilité gouvernementale : instauration d’une majorité qualifiée pour le vote d’une motion de censure, voire d’une motion de censure ‘’constructive’’ incluant/imposant la désignation du nouveau chef de gouvernement, mise en place d’un droit de dissolution permettant au suffrage universel de trancher un conflit entre le législatif et l’exécutif (ou d’une dissolution automatique au bénéfice d’un cabinet censuré), procédures telles notre « 49.3 » donnant latitude à un gouvernement appuyé sur une majorité seulement relative de conduire les affaires du pays …).

 - l’existence de régimes dit présidentiels ne récuse pas cette exigence démocratique d’une responsabilité politique de l’exécutif. D’une part, dans la mesure où ces régimes prévoient la possibilité d’une destitution du président par les Chambres, celles-ci se prononçant en général de façon successive, et selon des modalités complexes et des règles de majorité globalement protectrices pour le président en place.

Destitution dont la mise en œuvre est en principe réservée à des manquements d’une portée exceptionnelle (comme furent ressentis l’abus de pouvoir, l’obstruction à la justice et l’outrage au Congrès qui étaient les trois chefs d'accusation avancés contre le président Richard Nixon dans l’affaire du Watergate). Et qui accompagne le plus souvent une crise politique exacerbée, voire une crise de régime, quand elle n’est pas détournée en coup d’Etat parlementaire et/ou partisan - l’exemple récent du Brésil fournissant une illustration de ce détournement. Celui des tentatives d’impeachment aux Etats-Unis se rapproche sans doute davantage d’une sanction politique, plus ou moins déguisée, de l’exécutif (pour les trois présidents visés : Andrew Jackson, Bill Clinton et, donc, Richard Nixon).

Et elle ne la récuse pas, d’autre part, parce qu’aucun régime présidentiel ou présidentialiste ne saurait rivaliser en tant que modèle démocratique avec le régime parlementariste.

Pour la raison de fond que la matrice des régimes présidentiels qu’est la constitution des Etats-Unis n’a rien pour être classée dans les systèmes démocratiques ‘‘avancés’’. Outre les traits spécifiques qui ont présidé à sa conception - essentiellement la nécessité d’inventer un état fédéraliste (et sur ce point, l’invention est demeurée indépassable), et quels que furent les amendements qu’elle a connus dans sa durée - l’originalité et le caractère même de la constitution américaine résident en ce que sa modernité appartient entièrement à l’époque où elle a été rédigée : elle réunit en effet toutes les avancées de la pensée et de la science politiques à la fin du XVIII ème siècle, à la fois dans les droits qu’elle déclare et dans son économie institutionnelle - en mettant en place pour celle-ci un système représentatif intégralement électif et une séparation des pouvoirs pratiquement absolue.

Mais cette modernité a été composée de tous éléments que les créateurs de cette pensée et de cette science politiques avaient configurés pour le seul cas concret susceptible en leur temps de se présenter et par conséquent de motiver leur réflexion : la conformation d’une monarchie constitutionnelle accordée aux nouvelles Lumières. Puisque le recours à un monarque du type européen était impensable, et de surcroît impraticable, la république américaine s’est établie sur le dessin de cette monarchie constitutionnelle idéale. Idéale, mais nécessairement moins moderniste que le système de la démocratie parlementaire qui s’est développé postérieurement et s’est approfondi sur plus d’un siècle et demie, pour ne s’imposer d’ailleurs que progressivement ou par à-coups en Europe.

n Une immunité présidentielle dont les méfaits ne manqueront pas de s’exposer dans la phase politique nous entrons.

Le cumul des deux inviolabilités attachées à la fonction du président de la Vème république fait que la candidature de Nicolas Sarkozy a pour toile de fond une série de dossiers judiciaires qui demeurent pendants, principalement parce que la justice n’a pu s’en saisir qu’après que l’intéressé eut terminé son mandat présidentiel - et donc trop tardivement au regard du temps procédural pour qu’un sort fût fait, dans un sens ou dans un autre, aux soupçons qu’ils additionnaient contre celui-ci.

Parmi les dossiers médiatisés auxquels le nom de l’ancien président de la République s’est trouvée associé, seule ‘’l’affaire Bettencourt’’ a connu à ce jour une issue judiciaire. Pour la raison que le nombre des parties et la diversité des intérêts en cause, la concurrence des accusations et des passions qui se confrontaient, et l’addition ou le croisement des personnalités de tous horizons successivement mêlées aux épisodes qui rebondirent entre 2010 et 2013, excluaient que la justice demeurât inerte au motif que le ‘’chef de l’Etat’’ était implicitement le personnage central de l’intrigue.

De sorte que cette activation précoce des juges (i.e. dans une temporalité normale) - et par là le dossier Bettencourt est singulièrement démonstratif, nonobstant les pressions et manipulations auxquelles il donna lieu - est bien ce qui a permis que l’affaire trouve son cadrage judiciaire définitif dès la fin juin 2013.

Un dossier qui a ainsi valeur de contre-exemple sur la question du délai de saisine de la justice versus l’immunité présidentielle. Mais dont, factuellement, il ressort bien moins une disculpation de Nicolas Sarkozy sur la suspicion d’irrégularités et de malversation qui pesait sur lui que l’opportunité pénale qui a lui permis de se sortir du mauvais cas dans lequel il était : un non-lieu obtenu en l’absence de charges, parce que l’abus de faiblesse à l’encontre de Mme Bettencourt qui lui était reproché, ainsi qu’à quelques comparses et complices, était rétroactivement indémontrable.

La sauvegarde de Nicolas Sarkozy a ainsi finalement tenu à l’impossibilité de prouver que Mme Bettencourt était déjà atteinte de sénilité six ans plus tôt : faute de cette démonstration, il devenait impossible de qualifier d’extorsion la contribution occulte à la campagne présidentielle de 2007 dont tout donnait à penser qu’elle avait bien été apportée par l’héritière de l’Oréal.

On doit assurément considérer comme détestable le raisonnement qui infère de ce que quelqu’un est capable d’avoir commis tel acte illégal et/ou déshonorant, qu’il est coupable de celui-ci.

S’agissant cependant de Nicolas Sarkozy, on a affaire non pas à ‘’quelqu’un capable de commettre…’’, mais à un individu dont on s’est construit la certitude qu’il en viendra à n’importe quelle irrégularité ou improbité dès lors qu’il s’attend à en tirer avantage pour satisfaire son intérêt … ou son caprice.

Au point qu’il ne paraît à la limite même pas envisageable qu’il puisse être accusé à tort de la commission des faits qui lui sont publiquement imputés : sa personnalité, son comportement et ses agissements passés forment à cet égard un faisceau, non d’indices, mais de raisons si fortement étayées qu’elles sont à même de forger une intime conviction.

n Intime conviction versus présomption d’innocence.

Quelles que soient les facultés d’oubli de ses compatriotes sur lesquelles il compte tabler, les développements, les péripéties et les anecdotes de sa carrière instruisent à charge contre lui et attestent de ses dispositions hors du commun au travestissement des faits qui se combinent avec son assuétude quasiment pathologique au mensonge. D’une succession confondante d’improbités morales se dessine au surplus un type de vulgarité d’âme dont la vulgarité de conduite, d’allure et de tenue n’est que la projection, et dont participe un égocentrisme paroxystique et totalement décomplexé - ou définitivement incontrôlable. Un égocentrisme qui représente un ressort tellement puissant et actif qu’aucune préoccupation de prudence, à défaut d’un scrupule éthique, n’a jamais semblé en mesure de l’endiguer.

Autant dire qu’au regard des différents dossiers judiciaires dans lesquels Nicolas Sarkozy reste compromis, l’image d’infirmité morale qui se dégage de son personnage, met la présomption d’innocence au supplice. Et à un degré tel que sur l’ensemble des affaires qui sont venues les entre les mains des juges, on ne saurait reprocher au citoyen qui s’est simplement tenu au courant des épisodes écoulés, et qui a mémorisé les éléments d’information dont le public a eu connaissance, d’arrêter à ce jour son opinion sur la culpabilité de l’ancien président de la République.

Hors bien sûr pour les soutiens de l’intéressé qui font au minimum bénéficier celui-ci du plus ample bénéfice du doute - quand, pour les plus enthousiastes voire les plus exaltés, ils ne se disent pas d’ores et déjà certains qu’il sera entièrement blanchi -, cette conviction de sa culpabilité, qui englobe sans exception toutes les mises en cause demeurées en suspens, a tout pour être partagée et pour recevoir une adhésion à un niveau de certitude proche de l’invincible.

n Présomption de culpabilité ou anticipation d’une décision de culpabilité.

Des mises en cause qui ont ainsi en commun de voir en définitive peser sur Nicolas Sarkozy bien pire qu’une présomption de culpabilité : une anticipation de la déclaration de sa culpabilité. Chacune appelle cependant un examen particulier pour cerner et répertorier la nature du fait ou de l’acte qui est y est visé.

Ces faits et ces actes peuvent se situer chronologiquement avant ou après le terme de la présidence de Nicolas Sarkozy, mais ils sont dans ce cas tout aussi liés à cette présidence que ceux qui s’inscrivent à l’intérieur de la période.

Soient qu’ils renvoient à la campagne pour l’accession au pouvoir, soient qu’on leur prêtre d’être intervenus des années plus tard pour solder le compte judiciaire de cette campagne.

Entrent ainsi d’abord en scène, par ordre (nous semble-t-il) de gravité croissante, une tentative de corruption sur un magistrat de la Cour de cassation et l’attribution à de très proches conseillers d’un nombre plus que conséquent de commandes de sondages émanant de la présidence de la République - dans la quantité surabondante de ceux, parfois sans lien vraiment direct avec l’exercice de la fonction présidentielle, que l’Elysée a fait réaliser entre 2007 et 2012 (une surabondance et une dérive de leur objet qu’on rapprocherait assez facilement d’un détournement de l’argent public, ou à tout le moins d’un gaspillage caractérisé de ce dernier).

Ce qui réunit ces deux dossiers tient au caractère médiocre et subalterne - comparativement à la dimension pénale et morale des autres affaires - qu’ils ont en partage. On est loin en effet de la grande fraude et de la grande délinquance politiques - tout juste au niveau d’une banale république bananière ou pétro-africaine, et à peine au-dessus des petites turpitudes sur fond de vespasiennes mobiles décrites dans le Topaze de Marcel Pagnol ...

D’une toute autre envergure sont les deux imputations majeures qui visent le quinquennat de Nicolas Sarkozy : le financement libyen dont le soupçon affecte la régularité de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2007, et le prétendu arbitrage agencé pour conclure au bénéfice de Bernard Tapie le contentieux entre ce dernier et le Crédit Lyonnais.

Dans la première, l’ancien président de la République n’est plus protégé par aucune immunité pénale. Dans la seconde, il ne saurait l’être être par l’irresponsabilité que lui reconnaît la constitution dans le domaine politique et qui couvre, après l’achèvement fin de son mandat, les actes qu’il a accomplis en qualité de président : comment, en effet, l’orchestration d’une spoliation aux dépens de l’Etat, des instructions données et des dispositions prises en ce sens, pourraient-elles être considérées comme des décisions intervenues au titre des fonctions d’un président de la République et comme des actes faisant normalement partie de celles-ci ?

L’une et l’autre sont fondées sur des soupçons qui mettent en jeu la qualification la plus grave, avec la trahison, associée à la mise en accusation d’un fonctionnaire public, et particulièrement du premier d’entre eux : la violation du serment, explicite ou implicite, qui les consacre à l’accomplissement des devoirs de leur charge.

Violation qui constitue le crime de forfaiture - transposition pour un serviteur de l’Etat républicain du crime de félonie envers le roi, ou un suzerain, dans le lointain de la France monarchique ou féodale.

n Des sables libyens aux ors de la République : les décors respectifs de deux accusations de forfaiture.

Pour ce qui concerne le financement libyen, qui pourrait ne pas voir qu’accepter un financement électoral d’un Etat étranger n’est rien d’autre que prendre le risque de se lier les mains vis à vis de cet Etat si ensuite on l’emporte dans les urnes. Et donc d’aliéner par avance une part de la souveraineté et de l’indépendance de son pays - une indépendance et une souveraineté dont, faut-il le rappeler, le président de la République est le garant, responsabilité qui constitue le cœur même de sa fonction. La sollicitation, ou l’acceptation, d’une contribution financière ainsi sourcée suffit déjà à dessiner les contours d’une forfaiture. Et d’autant plus si elle est gardée secrète.

Et c’est se lier les mains de façon d’autant plus redoutable si l’Etat concerné possède l’un des régimes les plus tyranniques et les plus infréquentables de la planète, ce qui était incontestablement le cas de la dictature du colonel Kadhafi qui, au surplus, venait depuis peu de tourner le dos au terrorisme d’Etat - un terrorisme qui avait notamment frappé mortellement des citoyens français victimes d’un attentat des services libyens contre leur avion et endeuillé leurs familles.

C’était, en l’espèce s’exposer, une fois élu, à toutes formes de pression et de chantage de la part du régime kadhafiste, et notamment à toutes les exigences et foucades d’un dirigeant probablement à moitié fou - sans compter les avantages et profits attendus par son clan. L’aliénation qui se profilait promettait de jouer au profit de soutiens de circonstances dont les méfaits et les crimes auraient dû faire sauter aux yeux qu’ils étaient, en toute hypothèse, les pires contributeurs imaginables pour abonder les moyens financiers d’une campagne présidentielle française. Et elle se profilait avec une netteté telle qu’elle ne se limitait pas à alerter sur la possible ou probable commission d’une forfaiture, mais que par les effets immanquables qu’elle annonçait, elle désignait les constituants d’un crime de forfaiture par anticipation.

Le dossier du financement libyen de la campagne de 2007 - comme il en va presque toujours de même dans les malversations politiques ou crimes d’Etat en cours d’instruction dont tout donne à croire qu’ils seront avérés - comporte pour le public deux volets. Le premier où les éléments de l’accusation sont suffisamment publiés, et, pour tous ceux qui le sont, suffisamment étayés, pour qu’un grand nombre de citoyen(ne)s, si ce n’est le plus grand nombre, se soient d’emblée convaincus de leur vraisemblance pour acquérir bientôt la certitude qu’ils sont fondés. Ce qui est bien le cas ici où rien ne semble plus pouvoir entamer l’intime conviction, apparemment majoritaire, qui s’est formée quant à l’existence d’une contribution occulte de la Libye kadhafiste au trésor de guerre électoral de Nicolas Sarkozy.

Une conviction qui s’est également alimentée, outre ce qui est revenu aux traits de personnalité, aux dérives comportementales et à la réputation d’improbité dont on a dit qu’ils façonnaient l’image de l’intéressé, de raisons additionnelles fournies par l’actualité depuis 2012.

A cet égard, tant ce qu’on a appris du coût délirant de la deuxième campagne présidentielle menée cette année-là et des conditions - ahurissantes par l’ingénierie de la corruption qui s’y est faite jour - de son financement, que, sur un autre plan, la confirmation de l’appétit, fasciné et compulsif, pour l’argent de l’ancien président qui est ressortie du zèle que ce dernier a déployé dans sa très lucrative reconversion en conférencier international (sans compter l’entêtement qu’il a mis à prolonger cette carrière au-delà de toute convenance), laissent bien penser que l’aide financière d’une dictature comme celle de feu Kadhafi n’aurait rien eu (n’avait rien eu) pour faire hésiter Nicolas Sarkozy.

Le second volet dans les affaires de ce genre est constitué des hypothèses raisonnables que la certitude acquise sur le fond soumet à l’examen particulier et à l’évaluation collective. Ainsi en va-t-il de celle-ci : dès lors que le financement libyen de 2007 cesse d’être une interrogation, l’esprit critique peut-il ne pas être interpellé sur les motifs de notre intervention militaire ultérieure en Libye ? Pour démêler ce qui dans nos opérations aériennes et surtout terrestres - la question pour celles-ci visant l’action (plus que présumée) de nos forces spéciales - répondait à un impératif humanitaire et pouvait alléguer un droit d’ingérence, et ce qui était motivé par le dessein de se débarrasser d’une maître-chanteur (entré en action ou potentiel)

La question restera ainsi probablement longtemps posée de savoir si un lien a associé, successivement, la contribution occulte de Tripoli à la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007, l’heureuse issue - qui a suivi presque immédiatement l’arrivée de celui-ci à l’Elysée - des tractations autour de la libération des infirmières bulgares captives de la Libye, l’extravagante et humiliante visite d’Etat à Paris concédée dans la foulée de cette libération au Guide de la révolution libyenne, et, quelques années plus tard, notre participation décisive à la chute de ce régime et à l’élimination physique de son chef.

Une question sur laquelle l’histoire immédiate butera probablement de façon durable compte tenu de l’obscurité qui entoure les tenants et les aboutissants des agissements en cause et dont le chaos libyen, parachevant des manœuvres dissimulatrices et des manipulations en tous genres qu’il est facile de se représenter, n’est pas près de laisser espérer qu’elle se dissipe.

L’observateur le moins enclin aux déductions hâtives est cependant porté à conclure que la logique de l’enchaînement des faits penche du côté le plus défavorable à Nicolas Sarkozy : à savoir que l’intervention militaire de la France, et principalement sa phase relevant de la guerre secrète, a d’abord visé à détruire les preuves de la générosité intéressée du dictateur de Tripoli envers un candidat dont il était très certainement attendu qu’il soutienne la fragile et incertaine ‘’normalisation’’ de la Libye sur la scène internationale. Le secret-défense étant ensuite opportunément chargé de conforter et de sécuriser cet effacement de preuves.


L’affaire connue comme celle de l’arbitrage truqué au profit de M. Tapie comporte bien moins de zones d’ombre.

Parce que la justice est en partie passée en annulant cet arbitrage, et parce que les acteurs directs de cette intrigue dont le ressort a été la spoliation de l’Etat, ont été publiquement mis en cause. Et, semble-t-il, au complet.

Comme pour le financement libyen, on est passé de la vraisemblance de l’accusation à la certitude de son bien fondé. Et très vite l’intime conviction s’est faite de l’implication personnelle du chef de l’Etat d’alors dans la commission d’une falsification destinée à servir les intérêts de l’ancien propriétaire d’Adidas. Une implication en tant qu’auteur de la fraude. D’une fraude chiffrée à 404 millions d’euros.

Comment, en effet, aurait-on pu croire un instant que l’invention de cet arbitrage fallacieux et l’organisation son exécution - choix des arbitres, répartition des rôles entre ceux-ci, calendrier à suivre, instructions données aux différents niveaux de l’Etat concernés de concourir à l’opération… - avaient été décidées à un niveau subalterne, et sans que le président de la République en eût été au moins avisé ? Et évidemment bien plus qu’avisé, eu égard à la gouvernance ultra interventionniste et autoritairement dirigiste qui a de tout temps été sa marque.

Rien n’aurait su rendre vraisemblable que la conception du dispositif frauduleux, puis sa mise en œuvre, fussent intervenues dans une succession de réunions tenues au palais de l’Elysée entre quelques uns des principaux collaborateurs du chef de l’Etat, rejoints par quelques complices placés à des postes clés, voire par M. Tapie en personne. Que ces réunions soient ou non identifiées dans les agendas, quel doute raisonnable était susceptible d’entamer l’évidence ? A savoir que le seul scénario crédible dictait que le président de la République avait été à l’initiative de la manœuvre, et qu’il en avait, sinon dirigé personnellement l’exécution, du moins obtenu les assurances de son bon déroulement. Et ce, au minimum jusqu’à la notification de la sentence arbitrale.

Là encore, l’intime conviction - dont on vient d’analyser la teneur - a pris en compte les traits de la personnalité de Nicolas Sarkozy et l’image d’improbité qui s’attache à son personnage. Cependant les indices progressivement portés à la connaissance du public, dont vraisemblablement en bonne part le nombre des entrevues accordées dans le bureau présidentiel à M. Tapie durant la période entourant l’arbitrage qui allait être rendu en sa faveur, avaient tout pour la fortifier, et pour faire davantage encore que cela.

Sur les bases de certitude raisonnées, si l’on se réfère au classique questionnement inquisitorial  - ‘’Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando ?’’ -, toute la partie connue du dossier de cet arbitrage trafiqué apporte une réponse à presque chaque item, et en particulier au ‘qui’’, au ‘comment’’ et au ’’par quels moyens’’.

Une interrogation, d’intérêt psychologique, peut demeurer. Elle vise le ‘’pourquoi’’.Quel mobile a pu diriger Nicolas Sarkozy dans le parti qu’il a pris de seconder les intérêts d’un homme d’affaires lourd d’un passé et d’une réputation de nature à dissuader tout élu, et a fortiori le premier responsable politique du pays, de se commettre avec lui ? L’hypothèse la plus convaincante serait-elle que le président parvenu au dernier stade de l’assouvissement de son ambition personnelle, a voulu montrer à un arriviste ne valorisant comme lui que la réussite individuelle - une réussite acquise sans s’embarrasser des voies empruntées, tricheries en tous genres incluses -, que son succès lui ouvrait le pouvoir de tout faire, et donc celui de dispenser n’importe quelle faveur à un favori de n’importe quelle espèce pourvu qu’il en eût le caprice ?

Quelque chose finalement d’assez proche de la protection qu’octroie un petit caïd des banlieues ‘’difficiles’. Une protection qui avant de procurer une garantie ou une caution à son bénéficiaire, vaut démonstration de la position de force à laquelle, dans sa tribu et dans son alentour, s’est hissée son dispensateur. Une façon pour celui-ci de rouler les mécaniques vis à vis des gens qui sont de sa bande, et de se confirmer à lui-même l’opinion flatteuse et satisfaite qu’il a de son parcours de voyou.

S’il demeure une zone d’ombre, elle touche au groupe des complices et des auxiliaires. Non que se posent beaucoup de questions sur la garde la plus rapprochée au sein de laquelle, dans les années qui ont précédé l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la tête de l’Etat, d’aucuns ont dû avoir tout le temps se familiariser avec les entorses au droit et les manquements à la plus élémentaire morale publique qui semblent bien, avec le recul, avoir toujours été des constituants de l’environnement naturel du candidat à la candidature de 2017. Des sortes d’identifiants que ce dernier a toujours traîné derrière lui dans les fonctions qu’il a occupées depuis 1993.

A cet égard, l’exemple le plus éloquent ne se repère-t-il pas dans ce détournement de fonds destinés à des enquêtes de la police, et plus spécifiquement à des modes d’enquête particuliers, détournement dont la justice a tranché qu’il avait bien servi à abonder la rémunération du premier collaborateur d’un Nicolas Sarkozy ministre de l’intérieur ? Quel degré d’effondrement de l’éthique de la haute fonction publique faut-il avoir atteint, dans quel marécage moral faut-il que vivent les conseillers d’un ministre, pour qu’une malversation de cet ordre s’accomplisse dans le secret des palais de l’a République ?

Et que penser du ministre qui ne voit rien, ou ne veut rien savoir, de cette malversation, s’il ne lui a pas donné son aval en ne voyant rien à redire à ce qu’autour de lui on soit aussi assoiffé d’argent qu’il ne se cache pas de l’être lui-même ?

Mais pour les autres acteurs ou exécutants du complot, plus encore qu’une obscurité, c’est un mystère qui entoure le cas des personnages tenus a priori pour intègres qui étaient en situation sinon de connaître, du moins de comprendre, ou de deviner, la spoliation de l’Etat que dissimulait un arbitrage dont la mise en œuvre paraissait surprenante, ou plutôt insolite, aux juristes spécialisés en la matière. Incompréhensible apparaît en effet la docilité ou la complaisance de certains auxiliaires qui ont été amenés à prêter la main à la machination (ou à se retrouver en situation d’en être accusés) parce que leurs fonctions dans l’Etat rendaient leur concours ou leur passivité indispensables.

Au tout premier rang de ces auxiliaires figure évidemment la ministre de l’économie et des finances en poste au moment des faits. Que Mme Lagarde ne soit pas ‘’du même monde’’ que M. Tapie, ainsi qu’elle l’a fait observer elle-même, est une évidence. Une indulgence de sa part envers une filouterie manigancée au profit de ce dernier apparaît dans la même mesure hors de vraisemblance.

Dès lors, a-t-elle péché par naïveté, par inexpérience politique ? Ou bien s’est-elle ralliée à la solution de l’arbitrage (passant outre à l’avis contraire de ses services), sans discerner ce qu’il y avait de frauduleux derrière celle-ci, en raison d’une trop longue et trop forte imprégnation du droit américain des affaires, de ses procédures et de ses modes de règlement des litiges ?

Ou encore le carriérisme ministériel aurait-il eu sa part dans une cécité aussi étonnante chez une juriste de haut vol face à un dossier ‘’pourri’’ - ou, peut-être plus vraisemblablement, la crainte, en quittant le gouvernement sur la dénonciation d’un scandale d’Etat, de s’attirer une rancune violente et irrémissible de Nicolas Sarkozy et de ses partisans - rancune de nature à lui fermer les postes les plus prestigieux des institutions internationales en excluant qu’un gouvernement français de droite y présentât un jour sa candidature ?

Reste l’hypothèse où la ministre de l’économie et des finances aurait pensé, ou se serait persuadée, que l’Elysée poussait à ce point les feux en faveur de l’arbitrage, que celui-ci sortait du même coup du champ de ses responsabilités ministérielles. Et qu’il se réduisait à un dossier dans lequel son ministère ne faisait qu’appliquer des instructions venues des plus proches collaborateurs du président de la République - de sorte qu’il revenait seulement à son cabinet et aux services concernés de Bercy de mener l’opération à son terme suivant ces instructions. Raisonnement plausible, mais qui aurait traduit une méconnaissance, ou un oubli, du statut juridique et historique de nos ministres qui les rend directement comptables de tout ce qu’accomplit l’administration à la tête de laquelle leur nomination les a placés.

S’il est bien un intérêt à attendre du renvoi de Mme Lagarde devant la Cour de justice de la République, et des autres procès à venir, il réside certes en premier lieu dans la clarification qui pourra ressortir des audiences quant à la nature et à l’étendue des implications respectives des principaux artisans de la forfaiture imputée à Nicolas Sarkozy dans cette nième ‘’affaire Tapie’’. Mais tout autant dans les explications qui seront tirées des débats sur les raisons, motivations ou mobiles qui ont conduit ceux-ci à participer à la commission de cette escroquerie dont l’Etat républicain a été la cible.

n La vérité, toute la vérité : ce que laissent espérer une confirmation et une sanction pénale de la mystification à laquelle tout ramène ‘’l’arbitrage Tapie’’.

Dans cette affaire, on s’est davantage que dans les autres, attachés à cerner les complicités et les concours. Et avant tout concernant celles et ceux qui y sont mis en cause et dont la personnalité et la réputation auraient dû rendre impensables qu’ils y fussent compromis.

On l’a fait parce que s’agissant des deux accusations les plus graves qui visent l’ancien président de la République, celle qui a trait à la falsification dont tout donne à conclure qu’elle a été instrumentée à l’avantage de M. Tapie, est très probablement la seule dont la justice sera en mesure de mettre au jour la quasi-totalité des tenants et des aboutissants.

Toutes les pièces nécessaires à cet effet sont entre les mains des juges, ou accessibles à ceux-ci dans un terme qui ne saurait être éloigné. Tant les éléments matériels déjà réunis que les déclarations recueillies sur les procès verbaux de l’instruction, ou celles à venir devant la juridiction de jugement, doivent permettre au peuple français, au nom duquel la justice sera rendue, non seulement de savoir précisément quelles fautes ont été commises, dans quelles conditions et pour quels intérêts, mais d’avoir in fine la certitude que les peines prononcées en répression de celles-ci sanctionnent selon la loi la totalité de leurs auteurs, et des complices ou auxiliaires de ceux-ci.

Même si face à cette attente, le chef de ‘’négligence dans la gestion de fonds publics’’ retenu à l’encontre de Mme Lagarde laisse perplexe[1]. Il y a là une sorte d’euphémisme pénal qui ouvre toute grande la porte à une trop grande indulgence du juge politique - lequel, dans l’Histoire, a toujours eu du mal à se positionner entre l’excès de sévérité et une clémence abusive généralement faite de mansuétude corporatiste[2].

Une indulgence qui est déjà d’autant plus à prévoir que la Cour de justice de la République sera portée à ménager, en l’ancienne ministre de l’économie et des finances, la personnalité placée à la tête du FMI. Que l’arrêt de la Cour soit trop sévère et oblige l’intéressée à démissionner de ses fonctions présentes, et ce serait le second directeur général français qui devrait successivement renoncer à son poste dans cette institution des suites d’une incrimination judiciaire et sur un désaveu moral. Ces deux interruptions de mandat pour des raisons entachant l’honorabilité de son titulaire, qui se suivraient à si peu d’années de distance, entraîneraient le risque de voir une fonction dont il est convenu qu’elle échoie à intervalles réguliers à l’un de nos compatriotes, échapper durablement à ceux-ci.

Pour les autres protagonistes, il faut bien entendu compter avec les empêchements de tous types qu’ils continueront de tenter de mettre au dévoilement de la vérité. Et plus spécialement avec la loi du silence, et ses déclinaisons, à laquelle d’aucuns se tiendront pour faire obstacle au travail judiciaire - mais on peut se représenter que les dossiers des juges sont déjà copieusement remplis. Au demeurant, l’équilibre entre l’omerta - dictée aux uns par la perspective d’une nomination ultérieure dans un poste gratifiant (dans les deux acceptions de qualificatif) - et, en sens inverse, les aveux concédés par les autres pour disposer les magistrats à l’indulgence, ne s’établit pas nécessairement en faveur du premier terme …

Au total - et c’est là tout le contraste avec l’enlisement qui sauf coup de théâtre, se profile pour l’instruction de la forfaiture dont la Libye et le recours à ses fonds forment le cadre -, il demeure raisonnable de se ranger sur l’espoir que les juges, dans le droit fil de l’invalidation de ‘’l’arbitrage Tapie’’ qu’ils ont déjà prononcée, seront dans le dossier de cet arbitrage, en mesure d’aller au bout de la mission que la loi leur confie.

Ne serait-ce, après tout, que pour la raison qu’il est plus facile de remonter à la source et de démêler les fils d’une machination ourdie aux dépens de l’Etat quand celle-ci a été manigancée dans les bureaux de la présidence de la République, et que les suspects (à commencer par le ‘’suspect n°1’’) sont auditionnables à tout instant, que lorsque les témoins du forfait sont enterrés dans le désert libyen, et que les preuves ont été anéanties sous les bombardements et les tirs d’artillerie - surtout si ces bombardements et ces tirs ont été opportunément ciblés avant que les pillages des palais et des bâtiments publics consécutifs à toute révolution n’achèvent de disperser les cendres de pièces compromettantes …

La responsabilité qui pèse sur la justice de tout mettre au clair dans le processus de l’extorsion qui a été dirigée contre l’Etat au bénéfice du sieur Tapie, est à la hauteur de la gravité exceptionnelle de la qualification des faits sur lesquels il lui appartient en l’espèce de se prononcer : la commission d’une forfaiture, ou la complicité active ou passive apportée à celle-ci.

Une responsabilité qui requiert qu’aucun rôle ayant pu être tenu - ce qui interpelle en tout premier lieu le président de la République alors en fonction - dans cette entreprise d’extorsion, ni aucun concours ayant pu lui être été apporté, ne restent impunis.

Une responsabilité et une exigence qui valent évidemment pour toutes les autres affaires dans lesquelles Nicolas Sarkozy se trouve soupçonné. L’ensemble des affaires qui le visent se fédérant au reste sur une image commune : celle d’une canaillerie dont les ressorts - l’appropriation et la domination - sont finalement d’assez bas étage.

La justice doit ainsi passer dans le dossier Tapie, sans se désintéresser du cas d’aucun acteur ou figurant : quid à cet égard des deux ‘’arbitres’’ que la Cour d’appel a décrits « poussés à l’effacement par facilité, excès de confiance, parti pris, voire incompétence », et laissant au troisième - mis en examen dès mai 2013 pour escroquerie en bande organisée - la possibilité d’exercer une « mainmise sans partage sur la procédure arbitrale ». Et quid, subsidiairement, à la lumière des faits aujourd’hui établis, de la justification des 300 000 euros versés à chaque arbitre à la fin de l’arbitrage ?

Au-delà de l’exigence de justice, c’est la moralité même de notre système démocratique qui se trouve en jeu et, avec elle, le respect que la république se doit à elle-même - inséparable du respect que les citoyens sont appelés à lui porter.

n Alternative intenable et principe de précaution démocratique.

Ce long réquisitoire ne pourra rester sans conclusion. Celle-ci appartient aux juges.

C’est bien d’eux qu’elle est attendue, et naturellement en priorité pour ce qui est du sort judiciaire de Nicolas Sarkozy. Ce qui n’empêche pas que tout regard républicain sur les accusations portées à l’encontre de l’ancien président de la République s’arrête à ce jour à l’intime conviction de la culpabilité de ce dernier. Une intime conviction surabondamment nourrie d’indices graves et concordants - on regrettera ici que la loi n’ait pas consacré la notion d’indice accablant qui s’appliquerait en l’espèce merveilleusement.

Au-delà de ce qu’il revient à la justice de trancher, l’environnement de mises en causes pénales au sein duquel se place la candidature de Nicolas Sarkozy interpelle nos concitoyens. Le nombre et la gravité des accusations qui se sont accumulées à l’endroit de celui-ci et dont on s’est employé à dresser le tableau - un tableau aussi affligeant par ce qu’il expose fatalement d’un individu acharné à exercer de nouveau tous les pouvoirs concentrés dans la fonction présidentielle, que par les vices de conception de nos institutions qui en constituent la toile de fond - renvoient le corps électoral de la droite et, le cas échéant, l’ensemble des électeurs de 2017 à une interrogation préalable à tout choix de leur part quant au(x) suffrage(s) qu’ils auront à exprimer.

Interrogation qui ne devrait pas se présenter dans une démocratie adulte dotée d’une justice suffisamment pourvue de moyens, et qui ne se serait pas présentée si un réflexe civique élémentaire avait d’emblée censuré un candidat que sa situation vis à vis de ses juges privait de la qualification morale requise pour se présenter à l’élection à la présidence de la République. Si la majorité de l’opinion publique avait ainsi, comme elle se le devait, clairement signifié à Nicolas Sarkozy cette invalidation de principe - et quelle meilleure formulation aurait-elle pu donner à ce rappel à la décence politique qu’en reprenant à son compte des termes qui illustrèrent jadis l’esprit de résistance et les ressources de dignité d’une république également outragée :
 « Jusqu’où ton audace effrontée se déchaînera-t-elle ? ».

Faute que cette disqualification civique ait mis précocement un terme à l’aventure personnelle d’une candidature éthiquement irrecevable - ou, mieux, ait dissuadé l’annonce de celle-ci -, nos compatriotes sont confrontés, en l’état des études d’opinion, à une perspective qu’aucun républicain ne saurait envisager sans éprouver un mélange d’accablement et d’indignation.

Et c’est de l’un et de l’autre conjugués que procède la question préalable adressée au corps électoral. Sachant que les juges n’auront pas soldé à temps le compte des soupçons dirigés contre Nicolas Sarkozy, est-il concevable que ce dernier, pour l’avoir emporté à la primaire de la droite puisse concourir, et avec toutes les chances de succès, à l’élection de 2017 ?

Hors l’hypothèse, présentement improbable, où un fait nouveau dans son environnement pénal viendrait à ses propres yeux rendre politiquement impraticable sa candidature.

Question qui en détermine ou sous-entend une seconde - qui en préciserait les termes si besoin était : puisque pour Nicolas Sarkozy, la victoire à la primaire vaut une qualification quasi certaine pour le second tour de scrutin face à celle qui est déjà assurée d’y figurer, à quel choix les Français sont-ils prêts à se fixer à ce second tour entre la présidente du Front National et un ancien président de la République qui tente de se faire réélire sans avoir été blanchi d’accusations gravissimes liées à l’accomplissement de son premier mandat ?

La première partie de l’interrogation s’adresse aux électeurs de droite, la seconde à tous les électeurs qui ne sont pas disposés à voter pour Mme Le Pen l’an prochain.

Double questionnement, dont celui qui se rapporte au second tour de l’élection présidentielle confronte à une alternative aussi cruelle que décisive. Alternative dont les deux options sont l’une et l’autre légitime dans l’absolu.

Légitime serait en effet le choix de ne pas choisir et de déposer dans l’urne un bulletin blanc. En signifiant par ce bulletin un double rejet de candidatures jugées également irrecevables.

Et à ce point irrecevable qu’elles forment une objection citoyenne à l’encontre d’institutions assez pernicieuses pour produire en dernier ressort une pareille sélection de candidats à la direction de l’Etat.

Une objection centrée sur la contestation d’un dispositif électoral dans lequel l’attraction plébiscitaire de la Vème république a consacré la désignation de l’élu à la majorité absolue - sans songer que c’était là prendre le risque d’écarter arithmétiquement du second tour des candidats de valeur, et de présenter à l’arbitrage final du suffrage universel un binôme humiliant pour la nation et dangereux pour la république.

Et tout autant légitime, pour un démocrate, apparaît le parti contraire - celui qui se conforme à la discipline de vote sur laquelle s’est affermi le régime républicain. Et qui s’aligne sur cette discipline jusqu’à passer outre à l’image de voyou politique de l’un des deux candidats pour faire barrage à l’élection de l’autre à la fonction de président de la République - pour la raison que cette autre-là est la candidate et le leader de l’extrême-droite,

Pour l’électeur qui s’y range, ce parti suppose qu’il se résigne à assurer un second mandat à Nicolas Sarkozy - avec l’impunité pénale qui est attachée à la durée de ce mandat. Une résignation d’autant plus rebutante politiquement et moralement que sur des thématiques sociétales essentielles, très peu du contenu du discours de candidat de l’intéressé se distingue actuellement du programme ordinairement développé par la présidente du Front National, par son parti et par les autres dirigeants de celui-ci.

A vrai dire, le pari fait sur la discipline républicaine repose sur une espèce d’hommage de la vertu au vice. Sur une forme paradoxale de confiance en la logique de la personnalité et du parcours politique de celui qui se rapproche du statut de favori de la primaire de la droite, en son art consommé du calcul et en l’abondance des preuves de duplicité qu’il a fournies : Nicolas Sarkozy possède certes peu de critères susceptibles de le ranger au nombre des républicains, mais les outrances égrainées à ce stade de sa campagne relèvent bien trop visiblement d’une stratégie visant à capter les suffrages des gros bataillons de l’électorat le plus droitier et extrême-droitier, pour laisser imaginer qu’elles traduisent une adhésion pleine et entière de sa part au référentiel frontiste.

Passé la primaire, et s’il l’emporte effectivement à celle-ci, il est à prévoir que sans qu’il soit question d’un recentrage - qui astreindrait sa campagne à un ‘’grand écart’’ incessant et intenable -, ses propositions les plus outrées, et donc de nature à diriger les électeurs centristes vers un candidat plus consensuel, seront passées sous silence ou démenties sans autre embarras.

Demeurera certes l’opprobre attaché un candidat qui postule la plus haute fonction de la République en affectant de tenir pour nulle et non avenue la mise en cause publique dont sont l’objet sa probité et son intégrité. Et qui récuse par avance, et plus qu’à demi-mot, l’appréciation des juges sur les actes qui lui sont imputés dans l’exercice ou à la périphérie de son premier mandat présidentiel.

Mais demeurera également cette réalité qu’hors la ligne de partage que trace le respect de l’éthique la plus basique, la différenciation entre Nicolas Sarkozy et ses concurrents à droite ne distingue que des nuances. Pour l’électeur républicain de l’autre camp, les projets présentés à la primaire de la droite déclinent à peu près les mêmes préconisations économiques, marquées par le dessein de régler leur compte à toute espèce de droit acquis ou de statut protecteur, et portées par une dynamique de revanche sociale qui, dans sa radicalité, est sans précédent dans notre Histoire.

De sorte que pour ce même électeur, sur ce terrain des projets de société (et presque pareillement sur celui du ‘’sécuritaire’’), le dilemme du second tour se projette dans des termes de contrainte politique quasi similaires que l’hypothèque Sarkozy soit levée ou non. A supposer qu’elle le soit, comment en effet pourra-t-il envisager d’apporter son suffrage à un autre candidat de droite, certes exempt de toute disqualification morale et n’ayant pas de comptes à rendre à la justice, dès lors que ce sacrifice à consentir à la défense républicaine le contraindra à mêler sa voix à celles qui, en soutenant ce candidat, approuvent du même coup un programme électoral néo-thatchérien - et éventuellement plus caractérisé par cette référence que celui de Nicolas Sarkozy ?

Autre interrogation qui comporte elle aussi deux réponses légitimes dans l’isoloir. Mais comme pour la question de conscience posée dans le cas d’une participation de Nicolas Sarkozy au second tour du scrutin présidentiel, la concurrence de légitimité trouve sa réponse dans ce qu’on peut dénommer un principe de précaution démocratique.

Précaution qui consiste à prendre en compte que l’extrême-droite, si elle parvient au pouvoir, fera tout pour rendre sa position inexpugnable - à l’instar de ce que font la droite ‘’dure’’ et l’ultra droite nationaliste qui gouvernent respectivement en Hongrie et en Pologne. Et à considérer que les mesures les plus odieuses - celles qui spéculent ouvertement sur l’inintelligence et sur les passions mauvaises et celles qui sont les plus mortifiantes pour les valeurs de la République - que des maires frontistes ou assimilés ont pu localement édicter préfigurent ce que ferait à l’échelle nationale un gouvernement issu d’une victoire de Mme Le Pen à l’élection présidentielle. Sans préjudice des choix de politique générale défendus par le Front National.

Une précaution qui mérite certes d’être regardée comme déterminante, mais dont on doit concéder qu’elle ne peut valoir plus que ce qu’elle vaut. Dans la mesure où rapportée à l’alternative qui mettrait face à face Mme Le Pen et Nicolas Sarkozy, elle ne saurait comporter la garantie que ce dernier, une fois élu, et s’il se trouvait en peine de réunir une majorité à l’Assemblée nationale, ne contracterait pas une alliance avec les députés frontistes, ou, au minimum, ne négocierait avec ceux-ci un appui au coup par coup - dans une espèce de caricature sinistre de la notion de ‘’majorité d’idées’’. Et où elle n’assurerait même pas que le marché passé avec l’extrême-droite n’en viendrait pas à glisser, selon la distinction classique du système parlementaire, du soutien - ponctuel ou permanent - à la participation gouvernementale du Front national. Une participation qui irait au devant des attentes encore silencieuses de l’aile la plus réactionnaire de la droite classique, et qui scellerait le dépassement par celle-ci de la frontière républicaine qui isolait jusque là le FN.

n De l’interpellation des citoyens à l’interrogation des consciences.

Interrogation des consciences ? Si c’est assurément d’une interrogation de cet ordre que procèdent, derrière l’option politique, les choix citoyens pour le second tour de l’élection présidentielle, la perspective de l’après-élection, si Nicolas Sarkozy était désigné pour effectuer un nouveau mandat de président de la République, comporterait le même questionnement éthique.

Un questionnement qui s’imposerait à quiconque se dit républicain et qui énoncerait trois interpellations personnelles : cette élection est-elle valide, et puis-je considérer ce président comme légitime ? Et si ma réponse est négative, quelle conséquence me faut-il en tirer - spécialement sur le second point en termes de responsabilité civique individuelle ?

Le point de savoir si l’élection est valide ou non renvoie à une appréciation de droit et serait constitutionnellement de la seule compétence du Conseil constitutionnel. Dans l’hypothèse où l’on se place, compte tenu des éléments que les neuf sages auraient forcément à l’esprit relativement aux deux campagnes présidentielles précédentes de Nicolas Sarkozy - ce que l’on peut qualifier au minimum de ‘’zones d’ombre’’ pour celle de 2007, et le dépassement vertigineux des frais de campagne de l’intéressé en 2012 avec son prolongement judiciaire autour du financement de ceux-ci -, il est probable que la décision du Conseil s’entourerait de davantage que de circonspection ...

Ceci étant, les citoyens auraient, eux, en mémoire qu’il y eut des circonstances, et au moins une parmi celles-ci où la régularité d’une élection présidentielle était concernée, où le Conseil constitutionnel ne se conforma pas à une maxime consacrée par l’Histoire depuis plus de trois siècles qui renfermait ses obligations en tant que plus haute juridiction de la République :

« La Cour rend des arrêts, et non pas des services. ».

Les temps ont certes changé à cet égard, surtout par rapport à la subordination plus ou moins discrète à l’Exécutif dont les premières décennies de la Vème république ont laissé le souvenir, et l’indépendance du Conseil s’est incontestablement affirmée sous son dernier président : le juge constitutionnel est-il pour autant en capacité - une capacité d’ordre politique - d’infirmer, si la loi l’exigeait, une élection présidentielle au suffrage universel direct - i.e. le résultat d’un scrutin capital où l’ensemble du corps électoral a été appelé à s’exprimer ?

Quant à la question de la légitimité, elle a en propre de s’apprécier à la fois selon des critères objectifs et des critères subjectifs. Les premiers intègrent évidemment les considérants qui décident de la régularité de l’élection, mais ils concourent principalement, à un niveau supérieur d’homologation, à la vérification de la conformité de la votation populaire aux dispositions constitutionnelles qui depuis 1962 régissent l’élection directe du président de la République.

Indépendamment de toute contestation susceptible d’interroger ces critères objectifs, c’est à des critères subjectifs qu’en appellerait essentiellement l’interpellation visant la légitimité d’une nouvelle élection de Nicolas Sarkozy et celle du nouveau mandat qui s’ouvrirait devant ce dernier,

D’abord parce que la légitimité politique, dans sa dimension historique et/ou morale, surplombe toujours la légitimité juridique. La période à la fois tragique et honteuse, héroïque et abjecte, de 1940 à 1944 en a produit dramatiquement l’illustration la plus exemplaire.

La légitimité juridique, au moins jusqu’à l’automne 1942[3], appartient en effet au maréchal Pétain et au gouvernement de Vichy, tandis que la légitimité nationale est sur les quatre années l’apanage du seul général de Gaulle, chef et symbole de la Etats-Unis Libre.

Ensuite, parce que la contestation en légitimité du nouveau mandat qui aurait été accordé à Nicolas Sarkozy renverrait à un critère subjectif par excellence : le défaut de capacité éthique. Subjectif ne signifiant pas incertain, mais désignant une conviction personnelle arrêtée en conscience.

L’interrogation de conscience vaudrait en l’espèce citation à comparaître pour l’image d’infirmité morale qui est imprimée sur un personnage suspecté dans des dossiers judiciaires où sa probité et son honorabilité sont directement mis en cause - parmi lesquels pas moins de deux accusations touchant à la commission du crime de forfaiture,

Et si l’on a justement pesé dans les pages qui précèdent la charge d’indignité que la somme des éléments successivement appelés - qui nous ont paru ne faire qu’un du probant et de l’accablant - impute à Nicolas Sarkozy, le jugement subjectif du citoyen ne pourrait s’arrêter que sur la certitude que cette charge constitue un obstacle insurmontable à l’exercice de la fonction de président de la République. Fût-ce en laissant ouverte, par scrupule, l’hypothèse que la justice vienne un jour contredire ce jugement de l’esprit civique.

Dans le temps qui est ici considéré, l’immédiat de l’après-élection présidentielle où le plus probable est que les juges n’auront rien tranché définitivement du cas de l’intéressé, c’est bien en raison d’une indignité personnelle - indignité étant prise à la fois dans le sens moral du terme et dans un sens voisin de celui de l’indignité nationale prononcée à la Libération - qu’une seconde élection de Nicolas Sarkozy à la première magistrature de la République serait d’office dépouillée de sa légitimité.

En ce qu’elle serait privative de l’habilitation à exercer un pouvoir auquel nos institutions ont donné un caractère monarchique, cette indignité appellerait un rapprochement avec l’exclusion de l’onction du sacre qui serait venue frapper un souverain médiéval sous le coup d’une excommunication.

Chaque citoyen appelé à ses propres yeux à rendre ce jugement de conscience aurait pu constater que l’armoire débordante des éléments à charge produits contre le président élu a continué à se remplir au fil de la campagne électorale, et la disqualification morale qu’il prononcerait n’en aurait qu’encore moins de raison de ménager une place à l’hésitation.

C’est là une considération qui s’appuie déjà sur un premier exemple, mentionné ci-après, et qui se projette sur une certitude : durant la période précédant l’élection, le cours naturel des instructions engagées et les investigations de la presse ne pourront pas manquer de mettre au jour des indices nouveaux, voire des preuves matérielles définitivement irréfutables, à l’encontre de Nicolas Sarkozy.

Qui s’ajouteront à la somme des mises en cause qui hypothèquent le mandat que celui-ci fait tout pour obtenir d’un scrutin favorable en 2017.

Au moment où ces lignes sont écrites, le dernier élément de preuve publié (voir « L’Obs » sur Internet le 27 septembre 2016) va bien dans le sens d’un alourdissement continu de la suspicion - déjà écrasante - qui pèse sur l’intéressé. On en citera, ci-dessous, un extrait qui est d’autant plus éclairant que les faits concernés sont présentés avec la froide objectivité d’un rapport de gendarmerie.

«  Explosif : Médiapart révèle qu’un carnet de notes, appartenant à un ex-ministre libyen et détaillant plusieurs versements du régime de Kadhafi effectués en pleine campagne de 2007, est actuellement exploité par la justice.

«  La justice française enquête depuis 3 ans sur les soupçons d’un financement libyen occulte et massif de la première campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Et, révèle Médiapart, le juge d’instruction parisien Serge Tournaire et les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption viendraient d’obtenir de la justice norvégienne la communication de nouvelles pièces : des notes manuscrites, rédigées par Choukri Ghanem et datées du 29 avril 2007, qui détaillent trois versements d’un total de 6,5 millions d’euros au profit du futur président français.

«  Le ministre libyen du Pétrole y retranscrit le compte-rendu d’une réunion avec d’autres dignitaires du régime, au cours de laquelle sont évoqués les noms de trois auteurs de versements au clan Sarkozy :

-          Saïf al-Islam Kadhafi - second fils du colonel - pour 3 millions d’euros ;

-          Abdallah Senoussi - chef des services secrets et beau-frère de Kadhafi - pour 2 millions d’euros ;

-          Bachir Saleh - directeur de cabinet de Kadhafi - pour 1,5 million d’euros.

«  Dans son compte-rendu des discussions, Ghanem fait aussi état d’une impatience des destinataires quant à la réception physique des fonds, affirme Médiapart.

Le («tout en ligne») d’investigation souligne que ce carnet est la première preuve tangible de versements - le document révélé en 2012, par ailleurs authentifié par un expert, n’était qu’un accord de financement « .

La publication de « L’Obs » rappelle en outre :

«  Dans un extrait non-publié de l’entretien accordé en mars 2011 au « Figaro », dont l’enregistrement a été diffusé par France 3 début 2014, Mouammar Kadhafi affirmait avoir fait arriver Nicolas Sarkozy au pouvoir en France :

«  C’est nous qui lui avons fourni les fonds qui lui ont permis de gagner les élections. [...] Il est venu me voir alors qu’il était ministre de l’Intérieur. Il m’a demandé un soutien financier. Et on l’a soutenu ».  .

Elle apporte également un éclairage factuel qui est de ceux qui, dans une affaire dont il importe au plus haut point que rien ne filtre, laissent entrevoir une intervention de ces services qui sont spécialisés dans des opérations dont la discrétion fait tout le prix, et qui sont ordinairement activités du sommet des pouvoirs d’Etat :

«  Le 29 avril 2012, la police autrichienne retrouvait le corps sans vie de Choukri Ghanem dans les eaux du Danube, à Vienne, concluant à une noyade accidentelle consécutive à une crise cardiaque. Acteur clé de la réconciliation entre Paris et Tripoli, l’ancien ministre du Pétrole de Kadhafi s’était exilé en France après la chute du colonel, tué fin 2011 pendant les printemps arabes « .

Le sort commun aux pièces de cette nature est d’être, à peine révélées, qualifiées de faux par ceux qu’elles dénoncent. Sans préjudice des analyses du texte qui, nonobstant le déni d’authenticité qui a été immédiatement opposé à ce dernier, s’emploient à y pointer des contradictions censées invalider les faits rapportés.

Ainsi en a-t-l été de la notation du compte rendu cité qui signale ‘’une impatience des destinataires quant à la réception physique des fonds’’ - notation dont d’aucuns ont tiré parti pour jeter un doute sur l’acheminement final des versements libyens, en faisant plus que sous-entendre qu’il y avait là de quoi infirmer la concrétisation de ceux-ci. Comme si la lenteur d’exécution d’un versement contraire à la loi n’était pas a priori parfaitement explicable par les procédures et les modalités complexes auxquelles les intermédiaires et passeurs en tous genres devaient par précaution se soumettre ...

Ce document ne concerne certes qu’une faible part du montant estimé du financement dont il est reproché à Nicolas Sarkozy d’avoir bénéficié pour sa campagne présidentielle de 2007 de la part du régime de Tripoli. Mais il conforte (s’il en était besoin …) l’intime conviction qui tient que l’intéressé a sollicité et obtenu ce financement constitutif du crime de forfaiture[4]. Une forfaiture qu’on a spécifiée en distinguant la nature particulière qu’elle tire du fait qu’elle a été formée dès que son auteur s’est mis entre les mains des dirigeants libyens, quand bien même ses effets ne se sont manifestés qu’un peu plus tard - i.e. à partir de l’instant où des financements occultes octroyés avant l’élection de 2007 devenaient, cette élection acquise au bénéfice de Nicolas Sarkozy, susceptibles d’être activés en moyens de chantage, ou de pression, sur le président de la République française pour faire valoir les intérêts du régime kadhafiste et/ou de ses principaux dignitaires.

n Reste à répondre à la troisième interpellation citoyenne : quelle conséquence tirer du constat de l’illégitimité d’un président élu ?

A chacun d’envisager de quelle manière il protesterait de l’illégitimité d’un président de la République, en récusant ainsi le mandat que dernier prétendrait exercer.
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Il est néanmoins de sage précaution, compte tenu de l’état des scénarios pour le second tout de la prochaine élection présidentielle, de comparer sans trop attendre les manifestations de cette protestation qui viennent naturellement à l’esprit. Mettre en discussion collective les intentions de chacun à cet égard apparaît au demeurant comme un moyen de stimuler l’imagination et la réflexion citoyennes, puis de recenser les modes de protestation qui seraient les plus pertinents et les plus expressifs.

Il importe en premier lieu de circonscrire le champ de cette contestation. De s’assurer qu’on s’entend précisément sur sa nature, sur la raison qui la justifie, et sur les moyens qui s’accordent à l’une et à l’autre et qui s’y bornent. Distincte de la notion de ‘’désobéissance civile’’ - réponse appropriée quand elle vise un exécutif qui ne s’incline pas devant la perte de son habilitation à gouverner prononcée pour une raison morale ou politique dirimante et sans appel -, l’idée d’objection civique se propose comme celle qui semble la plus pertinemment opposable à un président dont la nation, ni ceux de ses corps dont c’était le rôle, ne sont parvenus à empêcher qu’il soit illégitimement élu et qui vient juste d’entrer en fonction.

Schématiquement, la désobéissance civile s’oppose d’abord à l’illégalité d’un pouvoir, et l’objection civique à l’illégitimité de son titulaire.

En quoi consiste plus précisément cette ‘’objection civique’’ ? En la dénonciation citoyenne - la plus élémentaire dans un état de droit - de ce que le détenteur d’une charge publique ne dispose pas de la qualification requise pour remplir celle-ci - et en l’espèce de la qualification morale que la République attend de tous ses serviteurs.

A la différence de la désobéissance civile qui autorise à se retrancher de la gouvernance du droit - s’entend du droit public - parce que cette gouvernance se trouve comme suspendue par l’invalidation de l’autorité qui a vocation à la faire respecter, l’objection civique vise, elle, la personne qui, de par son illégitimité, se positionne en usurpation de la fonction qu’elle occupe dans la République. A son égard, elle constitue la première réplique ou rétorsion citoyenne, l’une et l’autre porteuse du mépris public.

A partir de ce cadrage, les voies et les formes que pourrait emprunter l’expression du déni de légitimité sont multiples. Suivant ce qu’on a déjà avancé, elles se prêteraient avantageusement, via les supports numériques, à un partage de propositions et à un débat conclu par un vote sélectif - l’idéal étant qu’une expression commune de ce déni soit adoptée. Le délai entre la proclamation des résultats du second tour de l’élection présidentielle et la prise de fonctions du nouveau président devrait a priori donner un temps suffisant à la tenue de cette concertation républicaine (du moins si la simplicité de ses modalités privilégie la rapidité requise par les circonstances).

Pour ce qui concerne sa propre protestation, si les circonstances font qu’elle ait à s’exprimer, l’auteur de ces lignes incline à penser - et c’est ce qui ferait donc la suggestion qu’il soumettrait au débat contestataire - que pour les citoyens pénétrés de la certitude de l’illégitimité du président de la République, la manifestation la plus immédiatement démonstrative de leur conviction consisterait à faire retour à celui-ci de leur carte d’électeur. En accompagnant ce retour d’une lettre qui motive leur initiative et qui adosse donc celle-ci à la disqualification morale de son destinataire.

Ainsi secondé et explicité par une lettre-type, une lettre-modèle ou une lettre de rédaction individuelle, selon ce qui serait ressorti du débat républicain sur ce point, mais s’appuyant dans chaque cas sur l’étai de considérants identiques, le retour au personnage qui accède à la plus haute fonction de la République de ces cartes d’électeurs renvoyées en nombre par leurs détenteurs, notifierait à l’intéressé le discrédit en lequel il est tenu. Un discrédit dont la prise en compte politique serait évidemment proportionnelle au nombre des retours décomptés.

Symboliquement, ce geste signifierait de la part de chacun de ses auteurs qu’il se met en grève de la République. Une grève justifiée par la dénaturation que ferait subir au régime républicain l’indignité de son premier magistrat. Par celle que produirait sur les institutions l’incapacité morale du président de la République à exercer les fonctions que lui confie la constitution, et avant toutes autres celles de garant et d’arbitre. Et, plus directement encore, par celle qui affecterait l’appareil des droits protecteurs du corps social et qui se déduirait de l’invraisemblance du cas de figure qui ferait voir un président élu parce qu’il a réussi à échapper à ses juges - et/ou qui a voulu être élu pour s’abriter de leurs poursuites - endosser le costume de gardien de l’état de droit et de comptable de l’indépendance de la justice.

Une grève de la République qui se ramènerait à l’exercice d’un droit de retrait des fonctions citoyennes. Un retrait obstinément et tranquillement poursuivi tant que perdurerait le scandale public de l’illégitimité avérée du président de la République.

Une seconde étape suivrait logiquement cette première réaction civique qu’on pourrait classer, métaphoriquement, dans le registre de la défense passive. Elle se voudrait, elle, résolument offensive et emprunterait la voie d’une pétition publique adressée aux deux chambres du Parlement.

Cette pétition inviterait l’Assemblée nationale et le Sénat à voter la loi organique permettant la mise en œuvre de la procédure de destitution instituée par la révision constitutionnelle du 23 février 2007 : la destitution par le Parlement du président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » deviendrait ainsi enfin applicable.

On peut disserter sans fin sur les incertitudes, les ambiguïtés et les failles que comporte le dispositif introduit par cette révision, et qui ne sont que le reflet de celles qui affectent les institutions de la Vème république dans la configuration où ces dernières ont été appliquées par le général de Gaulle puis par ses successeurs : l’invention, dans le cadre d’un système présidentialiste parlementarisé, d’une responsabilité éthico-politique, même assez vaguement circonscrite, du président de la République a nécessairement tout d’un exercice d’équilibrisme constitutionnel.

Si les dispositions restées en suspens depuis dix ans devenaient opérantes, il est hors de doute que le flou qui entoure le champ d’application qui leur est réellement ouvert donnerait à penser - à beaucoup et en première analyse - que la menace de leur utilisation contre un Nicolas Sarkozy revenu à la tête de l’Etat, viserait les seuls actes de celui-ci accomplis pendant ce nouveau mandat. Ce qui serait déjà, pour la durée du dit mandat, une précieuse épée de Damoclès suspendue au dessus d’un personnage dont la personnalité et le passé sont ce qu’ils sont.

S’agissant en revanche de la somme des manquements qui, au titre de son premier mandat, sont imputables à Nicolas Sarkozy, ce dernier, son clan et ses partisans obligés trouveraient nombre de constitutionnalistes pour soutenir qu’ils échappent à la sanction prévue par la loi constitutionnelle de février 2007.

Or, outre que cette non rétroactivité ne ressort pas explicitement du texte de la loi :

« Art. 68. - Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »,

qui peut supposer que des actes fautifs commis par un président de la République à l’occasion d’un mandat antérieur à son mandat en cours, mais dont l’établissement de la certitude de leur commission aurait lieu pendant ce dernier, ne justifieraient pas l’ouverture d’une procédure de destitution dès lors qu’ils auraient été constitutifs d’un manquement si grave aux devoirs propres au chef de l’Etat qu’ils apparaîtraient incontestablement de nature à être incompatibles avec le maintien en fonction de celui-ci ?

Deux cas de figure - les plus immédiatement imaginables - illustrent le danger que cette lecture de bon sens de l’article 68 dans sa nouvelle rédaction ferait courir à un Nicolas Sarkozy réinstallé à la présidence de la République.

Le premier étant que parmi celles et ceux qui sont renvoyés devant les juges pour leur compromission dans l’affaire dite « des sondages de l’Elysée », ou dans l’escroquerie dont l’Etat a été victime sous le couvert du fallacieux « arbitrage Tapie », il s’en trouve un qui se décide, pour prévenir une trop grande sévérité de la justice à son égard, et notamment pour éviter une peine de prison ferme, à passer des aveux complets qui mettent pleinement en lumière la culpabilité de Nicolas Sarkozy dans toute sa gravité et toute son étendue - aveux que d’autres prévenus, pour ne pas être en reste, viendraient alors confirmer de façon probante et dans leur entier, et qui pour servir encore mieux la vérité, seraient au surplus étayés par la fourniture de preuves matérielles incontestables que les personnes poursuivies auraient jusque là dissimulés aux enquêteurs.

Le second, éventualité, non moins réaliste, procédant de la découverte par la presse d’investigation - sur-motivée que celle-ci serait par le scandale qu’elle aurait vu dans la participation victorieuse de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle - de documents ou de témoignages établissant sans discussion possible la forfaiture commise par celui-ci à travers le financement libyen de sa campagne de 2007, ou dans le montage de la spoliation de l’Etat arrangée au bénéfice de Bernard Tapie.

Sauf à se faire à l’idée (démentie par les études d’opinion) que la majorité de nos concitoyens ne s’attendent plus à trouver de la probité chez le titulaire de la plus haute autorité publique, et qu’ils ont perdu toute entendement de ce que recouvrait la notion de vertu républicaine et de ce qu’implique le respect de l’Etat de droit, la certification soudaine d’un ou de plusieurs manquements gravissimes à la loi dont le soupçon pesait déjà depuis des années sur le président de la République - malgré des dénégations du principal intéressé énoncées contre toute évidence et répétées notamment tout au long de la campagne ayant conduit à son élection - aurait tout pour jeter sur ce dernier un discrédit dévastateur.

Un discrédit d’une telle ampleur que ce président de la République se verrait censuré par le jugement éthique des consciences citoyennes avant de l’être par le Parlement.

C’est de la puissance de ce discrédit moral que dépendrait le constat par les parlementaires de ce que la déconsidération infligée à Nicolas Sarkozy par la production de la preuve d’un manquement majeur de sa part, à la fois irréparable et disqualifiant, a pour effet immédiat de placer celui-ci dans l’impossibilité de poursuivre son deuxième mandat. Les dits parlementaires étant pour le reste conduits à se déterminer par le caractère infamant du manquement en cause - caractère qui vaut pour chacune des fautes susceptibles d’être démontrées et qu’ils n’auraient d’autre choix que de faire prévaloir sur l’ancienneté relative de celles-ci, toutes étant par ailleurs inaccessibles à quelque circonstance atténuante que ce soit.

Sachant que le Sénat a retrouvé une majorité de droite, et que l’Assemblée nationale qui, quelques semaines après le scrutin présidentiel, sortira des élections législatives de 2017 sera encore plus majoritairement d’une orientation identique, ce constat par le Parlement de l’obligation où il se trouve de tirer les conséquences de la certitude désormais acquise que le président de la République a failli irrémédiablement à ses devoirs lors de son premier mandat, ne pourrait s’affranchir de la pesanteur des rapports de force politiques qu’en procédant de la prise en considération d’un impératif républicain : sauvegarder le crédit des institutions, la dignité des assemblées et la légitimité de la gouvernance de la République en prononçant la destitution d’un président dont il est avéré qu’il a manqué à ses devoirs à un degré manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions.

Faute que le Parlement s’aligne sur cet impératif, ou pour lui signifier par la voix populaire que le critère sur lequel l’alinéa premier de l’article 68 de la constitution qualifie la faute qui ouvre le champ à la déchéance d’un président de la République de son mandat est plus qu’amplement formé, une nouvelle pétition publique serait à coup sûr indispensable.

Comme aux deux étapes précédentes par lesquelles serait passé le déni citoyen de la légitimité d’une seconde élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l’Etat - celle de la protestation individuelle et celle de la pétition exigeant que soit votée la loi organique conditionnant la mise en œuvre de la destitution -, le succès de l’initiative civique serait ainsi subordonné à une mobilisation de dimension nationale.

Sans préjudice du passage obligé par la réfutation des contestations qui seraient soulevés en vue de rendre inopérantes vis à vis de Nicolas Sarkozy les dispositions introduites par la révision constitutionnelle de 2007.

La plus attendue consistant à arguer de l’irresponsabilité politique qui privilégie le président de la République et qui couvre, après l’achèvement de son mandat, les actes qu’il a accomplis en cette qualité.

Interprétation soutenue en se référant, tant que faire se peut, à l’état du texte constitutionnel sous le premier mandat de Nicolas Sarkozy, et en vertu de laquelle l’intéressé s’est toujours prétendu protégé, aussi bien au regard des poursuites engagées dans le dossier des sondages de l’Elysée que de celles afférentes à l’affaire de l’arbitrage Tapie, par l’immunité dont le président de la République bénéficie pour les actes effectués dans l’exercice de ses fonctions.

On a déjà souligné le non sens sur lequel est construit ce moyen de défense. Un non sens qu’on peut souligner en citant la maxime qu’aimait jadis rappeler un grand professeur de droit : « Ce qui est absurde, ne peut pas être juridique ». Distribuer, par faveur, entre ses proches conseillers, des commandes présidentielles aussi nombreuses que lucratives en passant outre pour ce faire aux règles de passation des marchés publics, ou ordonner que soit perpétrée une fraude et une malversation au détriment de l’Etat aux fins de faire verser un pactole à un particulier gratifié du copinage présidentiel, pourraient-ils être considérées comme des décisions intervenues au titre des fonctions d’un président de la République et comme des actes faisant normalement partie de celles-ci[5] ?

On conviendra que peu d’interrogations reçoivent une réponse aussi clairement, aussi incontestablement et aussi définitivement négative.

Et si toutes les entraves ou complications envisageables sur le chemin de la destitution d’un Nicolas Sarkozy parvenu à se faire élire une seconde fois à la présidence de la République, s’avéraient autant dépourvues de sérieux et, normalement, d’aussi peu de capacité de retardement, les électeurs indignés du printemps 2007 n’auraient pas grande inquiétude à concevoir quant à la durée de ce nouveau mandat.

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A qui demanderait de quelle raison a procédé la nécessité ressentie par l’auteur des pages qui précèdent d’envisager de façon aussi détaillée les incidences de la nouvelle candidature présidentielle de Nicolas Sarkozy, la réponse la plus simple à lui apporter tiendrait en une comparaison factuelle.

Factuelle et chronologique : pour ne retenir que deux des dossiers en suspens, le financement électoral libyen dont Nicolas Sarkozy est soupçonné remonte à 2007, et l’arbitrage truqué au bénéfice du Bernard Tapie, qui est sans doute la plus grave accusation dont il a à répondre en tant que premier magistrat de la République, date de 2008, soit du début de son mandat achevé en 2012. Respectivement dix années plus tard et plus de quatre années après le terme de ce mandat, celui qui a été qualifié de ‘’sale type’’ par son concurrent victorieux de 2012, est en mesure de se représenter à l’élection capitale de la Vème république parce que la justice n’a pas été en mesure de se prononcer sur les imputations dont il a été l’objet - lesquelles ne sont même pas venues devant les juridictions de jugement de premier degré compétentes.

Et l’opinion ne s’est pas particulièrement émue - la classe politique encore moins - de ce que quatre années - pour se limiter à la période où l’immunité judiciaire de Nicolas Sarkozy avait pris fin - n’aient pas suffi pour que ces imputations soient jugées, ou pour que le cas échéant, il en soit fait justice à la décharge d’un ancien président de la République.

En regard de ces quatre années perdues, qui en feront cinq, combien de temps a-t-il fallu aux Etats-Unis pour que le scandale du Watergate, instruit suivant des formes constitutionnelles adéquates et avec tous les moyens nécessaires, oblige Richard Nixon à démissionner[6] ?

Davantage encore que d’une comparaison, il s’agit d’une opposition entre les niveaux d’honnêteté et de décence civique que les institutions de deux sociétés - sinon toujours leur corps électoral - requièrent respectivement des détenteurs d’une fonction publique ou des aspirants à l’exercice de celles-ci. Opposition qui s’apprécie connaissant les effets délétères pour un régime démocratique d’une impunité trop longtemps consentie à un gouvernant exposé à une condamnation pénale - et ce pour des infractions dont la seule suspicion, dès lors qu’elle est suffisamment nourrie, est de nature à entraîner sa déchéance dans l’estime de ses concitoyens.

Le parcours de l’impunité de Nicolas Sarkozy et sa projection sur les prochains mois forment l’essentiel de l’intrigue du plus plausible des trois plus noirs scénarios que comporte l’élection présidentielle de 2007 - les deux autres étant la victoire de l’extrême-droite et celle, qui semble de loin la plus inaccessible, du néo-thatchérisme à la française incarné par François Fillon.

Mettre en pages ce scénario, c’est évidemment prendre le risque d’être démenti par les faits. Face à la candidature de Nicolas Sarkozy, un succès d’Alain Juppé à la primaire de la droite se joue en effet à chances égales, voire supérieures au gré des mouvements du sentiment public, Un succès qui, à l’instar des autres postulants, le désignerait quasi automatiquement comme le futur le président de la République, la certitude que la droite l’emportera au printemps prochain réduisant le scrutin officiel à une invitation faite aux électeurs acquis aux ‘’Républicains’’ de venir confirmer la sélection déjà opérée par leur camp lors sa primaire[7].

Et c’est aussi, par la force des choses, endosser les habits de Cassandre. Laquelle, outre qu’elle est privée du pouvoir de persuasion, intéresse généralement assez peu parce que le pire, serait-il formé des menaces les plus clairement intelligibles, n’est que rarement certain et, peut-être plus encore, parce que l’avenir apparaît toujours lointain.

Mais si dans le texte qui nous a menés jusqu’ici, Cassandre a tenu la plume, au moins ne fut-ce pas seulement pour annoncer aux Troyens la destruction de leur ville, ni pour se limiter à en prévoir et à en décrire les causes.

L’intention qui s’est formée au fil des pages a bien été de dresser, en contrepoint d’un réquisitoire aussi complet que nécessaire contre Nicolas Sarkozy, un état des lieux d’une démocratie outragée et moralement sinistrée par l’impunité de fait dont celui-ci dispose à ce jour. Par toutes les raisons qui l’ont rendu insaisissable par la justice après qu’eut cessé son immunité judiciaire. Et qui l’ont autorisé à concourir en vue de l’élection présidentielle sans qu’aucune des charges, accusations et suspicions pesant sur lui - alliant forfaiture, escroquerie, prévarication, corruption active …, autant de legs de son mandat qu’il traîne derrière lui depuis 2012 - n’ait pu être apurée par les juges de la République.

Le scandale civique qui est ainsi exposé peut cesser sur un échec de sa candidature aux primaires de la droite. Mais c’est pour envisager le cas contraire dans ses conséquences que Cassandre (plus éloignée de la divination, faut-il le préciser, qu’on puisse jamais l’être …) a prolongé la confrontation entre d’une part les normes d’un état de droit et l’éthique républicaine, et d’autre part l’indignité d’un candidat qui réunit tous les critères pour être perdu de réputation - confrontation inconcevable en ses termes dans toute autre démocratie affermie - jusqu’après le dénouement qu’elle trouverait le plus vraisemblablement devant le suffrage universel : celui où le corps électoral, contraint dans son choix par la présence de la candidate du Front National au second tour du scrutin présidentiel, devrait consentir à Nicolas Sarkozy un nouveau mandat de président de la République.

En cherchant à appréhender les suites de ce dénouement, Cassandre n’a pas cédé à une inclination pour la politique-fiction ou pour les paysages politiques peints aux teintes les plus sombres. Elle a bien suivi un projet, qu’elle peut revendiquer comme un engagement personnel, qui était de dégager les voies constitutionnelles et citoyennes amenant au plus tôt la destitution de Nicolas Sarkozy pour les manquements à ses devoirs de premier magistrat de la République afférents à son mandat initial.

Des manquements, qu’ils soient certifiés par l’avancement du processus judiciaire ou par les investigations de la presse d’enquête et d’opinion, dont chacun se définirait de lui-même comme ayant été non seulement ‘’manifestement incompatible’’ au moment de sa commission avec l’exercice de ce premier mandat, mais comme jetant la même disqualification sur le mandat en cours.

Cette disqualification étant rendue opérante vis à vis de ce nouveau mandat par la conjonction des preuves établies et de la possibilité offerte au Parlement de se servir de la sanction de la destitution - celle-ci ayant pour effet immédiat de donner à l’autorité judiciaire la possibilité de se saisir d’un président rendu au droit commun.

Le peuple français gardant - faut-il le rappeler ? - le dernier mot lors de l’élection présidentielle consécutive à cette destitution, pour autant que le président de la République déchu de son mandat, en concourant à cette élection (qui se situerait évidemment avant toute décision définitive de la justice), entende le placer en position d’arbitre et faire de lui le recours contre sa révocation.

Que le scénario qu’elle a, par méthode, envisagé se réalise, et Cassandre méritera un peu de reconnaissance de la part de ces concitoyens. En effet, si ceux-ci devaient se réveiller, le résultat du scrutin de 2007 acquis, avec la ‘’gueule de bois’’ des mauvais matins des lendemains d’élection, en ayant à se faire à l’idée accablante qu’un nouveau mandat présidentiel est tombé entre les mains de Nicolas Sarkozy, quel autre réconfort pourrait alors mieux les secourir que la perspective d’une mobilisation concentrée sur les voies et moyens de parvenir à la destitution de l’intéressé ?

Quel autre ‘’rebond’’ citoyen serait au demeurant concevable que d’entreprendre de franchir une à une toutes les étapes nécessaires - celles qui ont été ci-avant énoncées ou celles qui paraîtraient plus sûrement agissantes - pour amener le Parlement à prononcer la déchéance d’un mandat obtenu malgré tous les avertissements ayant dénoncé l’illégitimité du candidat qui l’aurait conquis ? Et conquis, en fin de compte, grâce à des circonstances politiques outrageusement favorables - i.e. le nombre voix réunies par l’extrême-droite au 1er tour du scrutin et le ‘’vote utile’’ qui lui aurait répondu au second.

Objecterait-on que le retour de Nicolas Sarkozy au sommet de l’Etat serait l’expression de la volonté majoritairement exprimée par le suffrage universel, qu’il n’y aurait pas là de quoi infirmer le caractère démocratique d’un appel fait à sa destitution. Car celle-ci sanctionnerait un personnage déjà discrédité dont tout laisse prévoir que les développements des prochains semestres fourniront à son encontre la plus incontestable confirmation de la nécessité de l’exclure à jamais de l’exercice d’une fonction publique.

La démocratie n’est pas faite que de l’addition des bulletins de vote sortis des urnes. Elle est d’abord une construction de droits, de garanties et de protections qui s’élève sans relâche dans l’intérêt des citoyens. Une construction conçue pour fortifier leur liberté et pour les diriger vers toujours plus d’égalité, mais qui dessine son projet sans s’écarter en rien de son objectif premier -celui dont la réalisation conditionne celles de tous les autres qu’elle a à poursuivre : façonner la nation en tant qu’état de droit.

Un état de droit qui bien loin de se résumer à la somme des lois en vigueur - par nature réformables et évolutives -, façonne et encadre le référentiel des principes et l’économe du droit qui régissent une société libre. Qui, partant, sanctuarise le contrat social auquel se conforme et sur lequel se fixe tout système démocratique pour pouvoir prétendre à cette qualité. Et qui en assumant pleinement ce double rôle vis à vis du contrat social, dont il est en même temps partie prenante, constitue l’unique garde-fou capable de prévenir le basculement de la démocratie dans son exact contraire : la démagogie.

Là réside l’équilibre fondateur de la démocratie. Celui qui lui permet de-confier la confection et l’exécution des lois à la majorité qui se forme dans le corps social sans que celle-ci n’en tire un pouvoir ou une capacité de tyrannie.

Mais qui l’appelle aussi impérativement à toujours faire de la minorité son rempart.

Didier LEUWEN - 19 10 2016

Publié sur Facebook ce même jour.




[1] A l’aune de cette négligence, et vu le vague qui entoure cette notion, combien de membres des gouvernements qu’a comptés la république auraient été exposés à répondre de leur gestion devant une Haute Cour ?
[2] L’exception historique, en matière de bon fonctionnement d’une juridiction politique, doit se réduire à la Haute Cour de la Libération, dans sa configuration parlementaire et telle qu’elle fut présidée par le député socialiste Louis Noguères.
[3] Avec la prise de contrôle de l’Algérie et du Maroc par les Alliés et la formation à Alger d’une autorité étatique (Darlan, puis Giraud) concurrente de celle siégeant à Vichy - et avec, corrélativement, l’occupation militaire par les Allemands de l’ex-‘’zone libre’’ qui achève de réduire à une fiction l’‘’Etat français’’ consacré par l’armistice de 1940.
[4] La confirmation qu’apporte la publication de cette preuve matérielle appelle une observation qui vaut pour tout élément probatoire du type de celle-ci produit dans un scandale d’Etat : une interrogation sur son authenticité ne peut presque jamais être totalement écartée parce que les affaires auxquelles cette preuve se rapporte appartiennent à un terrain où les manœuvres des ‘’services’’ et autres officines sont susceptibles de s’être déployées - de sorte aussi qu’un ‘’faux’’ peut n’être que la fabrication astucieuse d’une pièce dont le truquage est destiné à être découvert au grand bénéfice de sa cible apparente qui peut en tirer le parti de passer du statut d’accusé à celui de victime d’une machination …
[5] L’immunité pénale (et civile) du président de la République sous le régime originel de l’article 68 de la constitution ne paraissait pas moins absurde.  Comment se représenter en effet que pour des actes privés – détachables de ses fonctions- le chef du pouvoir exécutif était abrité de toute mise en cause devant les juridictions pénales, aucune poursuite ne pouvant être exercée à son encontre pendant toute la durée son mandat ? La normalisation apportée par l’introduction de la procédure de destitution se mesure ainsi (par des exemples extrêmes, mais ce sont encore les plus démonstratifs) à ce qu’antérieurement, un président de la République qui aurait été convaincu d’avoir commis des actes pédophiles avant le début de son mandat, ou soupçonné d’avoir négocié la participation d’un réseau de prostituées à des soirées échangistes ayant eu le parc de l’Elysée pour théâtre, ou, pire, accusé d’avoir empoisonné son épouse légitime pour convoler dans de nouvelles noces avec sa maîtresse en titre, aurait vu jouer en sa faveur son impunité judiciaire, temporaire mais absolue (sauf à tirer parti d’un vide juridique - évidemment voulu pour des raisons de précaution politique - qui faisait que n’importe quels faits pouvaient être qualifiés de ‘’haute trahison’’ - faute non déterminée par la loi).
[6] Le cambriolage du siège de campagne du Parti Démocrate dont l’affaire du Watergate tire son origine a lieu le 17 juin 1972. Richard Nixon, sous le coup d’une procédure d’impeachment, se résout à démissionner le 9 août 1974 … soit 2 ans et 2 mois plus tard.
[7] L’élection du président de la République au suffrage universel direct, telle que le général de Gaulle en a conçu l’idée n’a assurément rien de républicain, puisqu’elle consacre par un vote plébiscitaire le caractère monarchique de l’Etat. Au moins traduit-elle une pensée politique dont elle tire sa cohérence avec le système institutionnel dont elle coiffe l’édifice. La conjonction présente du recours à des ‘’primaires’’ pré-sélectives sur le modèle américain et d’études d’opinion qui donnent la certitude d’une ample victoire de la droite à l’élection présidentielle, abolit la représentation référentielle du gaullisme de la rencontre, dans la désignation du chef de l’Etat, entre un homme et le peuple français, en détruisant la logique supra partisane qui devait régir cette désignation.