Pages vues le mois dernier

lundi 24 octobre 2022

CUL PAR-DESSUS TETE ET VICE VERSA

           

         Ce qu’est vraiment le fait de penser 

                                                                  « cul par-dessus tête ».


Que dans les raffineries, les grèves se prolongent ou non, qu’elles recommencent ou qu’elles finissent, la séquence de la privation de carburants appelle qu’on s’y arrête : le « cul par-dessus tête » remis en usage à leur sujet, et en dehors du vrai sujet en cause, vaut pour les raisons et les conséquences du conflit, pour ses effets et sa durée.

 

Il y a peu, Emmanuel Macron appelait les Français à la raison : imagine-t-on un président de la République qui irait se mêler d’un conflit social, objet au surplus de négociations entre les ‘’partenaires sociaux’’ impliqués ?

 

En même temps, les hautes autorités de l’Etat requerraient un peu de mesure de la part de nos compatriotes : aux pompes à essence, on ne pouvait pas parler de pénurie, tout au plus de difficultés qui se résoudraient d’elles-mêmes en quelques jours.

 

Peu de temps a passé, et les files d’attente dans les stations-service – celles où l’on pouvait encore s’approvisionner au prix d’une à deux heures de queue (ou de nuit) – sont devenues l’image de la calamité quotidienne vécue par les régions touchées. S’amenuiseraient-elles maintenant pour un moment, se feraient-elles apparemment oublier, ou se reformeraient-elles pires qu’à l’identique, reste que les choix politiques qui, sur leur longue période, se tiennent à leur arrière-plan ont bien, eux, été pensés « cul par-dessus tête ». La démonstration pouvait en être faite dès que ces partis-pris l’ont emporté.

 

Pour une large partie de la population – et plus spécifiquement dans la France rurale ou dite périphérique -, l’automobile est un bien de première nécessité. Ses multiples usages contraints (se rendre à son travail et en revenir, conduire les enfants à la crèche, chez l’assistante maternelle ou à l’école primaire, se déplacer pour un rendez-vous médical et aussi loin qu’il est encore possible de trouver un médecin, ou tout banalement pour faire ses courses …) font que la disposition d’une voiture - et plus souvent, dans la ruralité, de deux voire de trois véhicules pour une famille – conditionne toute possibilité de mener une existence normale.

 

Ce qui fait de l’approvisionnement en carburant une fourniture aussi indispensable que celle de l’eau, de l’électricité et du gaz. Une réalité objective qui a paru mettre beaucoup de temps avant de prendre place dans le champ d’intellection des éminences étatiques.

 

Parallèlement, la désertification subie par le dialogue social sous l’effet de l’omnipotence néolibérale qui sévit depuis des décennies, la faible culture de la concertation qui préexistait à la reconquête par le capitalisme, dans sa version contemporaine et mondialisée, du niveau d’emprise qu’il possédait au XIX ème siècle, expliquent qu’on ne s’étonne pas – sauf dans les démocraties modernes qui sont nos voisines - qu’une grève soit déclenchée avant qu’une négociation soit ouverte, ou par le refus de l’ouvrir.

 

Autant de considérations qui s’imposent en l’état du conflit des raffineries : état qui se résume, pour les parties en cause, par l’alternative de la galère invivable et interminable infligée à la partie qui est de très loin la plus nombreuse, et de la réquisition, dans l’autre camp, des opérateurs les plus indispensables au ravitaillement en carburant. Une réquisition qui creuse une nouvelle tranchée dans la guerre civile froide qu’est notre vie publique.

 

Que le secteur de l’énergie ne soit plus sous le contrôle de l’Etat républicain, qu’il ne soit pas conçu, source d’énergie par source d’énergie, comme un monopole public, qu’on l’ait au contraire ouvert et assujetti aux capitaux privés, ou, pour l’électricité, qu’on se prépare à en démanteler la composante publique en s’inclinant devant la doxa du tout-marché qui constitue la religion d’Etat dans l’UE, c’est non seulement une invalidation du contrat social réécrit à la Libération, ou au moins de ses clauses parmi les plus importantes, mais c’est aussi un effacement de la notion de service public, inséparable de notre conception de la nation.

 

Oui, la fourniture du carburant qui alimente les automobiles des citoyens et des citoyennes se désigne comme un service public. Par définition en ce qu’il s’agit de garantir à chacun, et quelle que soient ses ressources et sa situation, l’accès à un bien dont la privation entraîne, comme celle de tout bien ou service identique, une déchéance insoutenable de ses conditions de vie.

 

Que les sources d’énergie, à commencer par les énergies fossiles, ne soient pas la propriété de la nation, et qu’elles ne soient pas en tant que telles sous la garde et la gestion exclusives  de l’Etat, signifie en outre que l’intérêt général ne pourra pas présider à la conception ni déterminer l’application des politiques publiques en lesquelles réside le seul espoir de relever les défis climatique et écologique, tous d’une ampleur inouïe, qui menacent la planète et qui encerclent chaque territoire de l’espèce humaine.

 

Restaurer le service public de l’énergie, dans toute la place qui lui appartient aujourd’hui, c’est enfin sortir de la polémique qui s’est greffée sur la grève des raffineries. Que les carburants soient sous la main mise de multinationales plus puissantes que les Etats, et que leur économie soit l’affaire d’entreprises marchandes, rendent inaudibles les principes d’intérêt public qui régissent leur mise à disposition en tant que bien de première nécessité. Des principes qui, dans les confrontations auxquelles donnent lieu les mesures actuelles de réquisition, semblent ensevelis sous les ignorances et les confusions. Et d’abord sous la méconnaissance d’un énoncé majeur de la Déclaration des droits de 1789.

 

Réintroduire les approvisionnements en carburants dans la sphère du Bien commun national – i.e. les redéfinir en tant que ressources et moyens publics - doit permettre de rendre intelligible un axiome qui est le pivot des lois de la République : un droit, une liberté, ne se définissent que par les limites que leur exercice comporte. A ce titre, une raffinerie de pétrole ne diffère pas fondamentalement d’un service hospitalier d’Urgences ou d’une caserne de pompiers : leurs agents ne se mettent pas en grève, sauf à ce qu’ait été mis en place un service minimum qui préserve l’essentiel de l’accomplissement de leurs missions pour toutes celles et tous ceux qui en sont tributaires : un service minimum dont la fonction est de couvrir les besoins critiques ou absolument prioritaires de leur existence.

 

Didier LEVY – 23 10 2022

D’HUMEUR ET DE RAISON