L’humeur devant les dits et les faits,
l’effort de raisonner le quotidien.
Les commentaires du bloguemestre au fil de
l’actualité
¨¨ Le billet du 19 mars 2016 [1].
A PROPOS DE
A L’ARTICLE « OUVRIR DE NOUVELLES VOIES DU "VIVRE ENSEMBLE » PUBLIE
PAR LE BLOGUE "GARRIGUES ET SENTIERS" le 17 mars 2016 .
L’IDÉOLOGIE
QUI PORTE L’IDÉE
QUE LE
MARCHÉ EST LA SOLUTION ET LE SALUT
INTERROGER LES QUESTIONS QUI MODÈLENT LE DÉBAT PUBLIC
ET LES VALEURS QUI EXIGERAIENT
QUE LES GENS CHANGENT DE VIE.
Un rappel d’abord. Lors du débat parlementaire sur l'adoption du
Traité de Rome, Pierre Mendès France dénonça ce qui était à ses yeux
l’archaïsme de la pensée économique qui inspirait les auteurs du traité : (de
mémoire) « Vous croyez que la concurrence règle tous les problèmes ... ». Il convient d'ajouter que tant
que le Marché commun - première appellation de l'union européenne (et qui
disait bien de quoi il retournait en termes de projet) - réunissait les six
Etats fondateurs, tous à des niveaux économiques et sociaux comparables,
"la concurrence non faussée" pouvait correspondre à une réalité.
Réalité qui a disparu avec l'extension de la couverture du traité à
des Etats retardés économiquement et ne disposant pas, ou ne disposant plus,
d'un système de protection sociale digne de ce nom. Un traité (et ceux qui en ont
ensuite déployé les ambitions) dont par ailleurs l'allégeance puis la
soumission des objectifs et du fonctionnement aux règles et normes édictées par
la doxa néolibérale n'ont pas cessé de s'aggraver.
Conjuguée avec la mondialisation de la concurrence, cette
dénaturation de l'économie interne du traité a fait entrer l'union européenne
dans la logique et sous le règne de ce dumping généralisé et universalisé dont
nous voyons chaque jour davantage qu'il broie littéralement nos sociétés, leurs
équilibres et les solidarités sur lesquelles elles reposaient. L'abandon
progressif par l'Europe du tarif extérieur commun - protection nécessaire et
légitime du marché intérieur unifié - a été l'exposition la plus flagrante de
l'adhésion de l'UE à la systématisation planétaire d'un dumping trinitaire :
salarial, social et fiscal - auquel s’ajoute, avec des effets de plus en plus
irréversibles, un dumping environnemental. Le traité euro-atlantique en cours
de mise au point, dont les négociateurs veillent à le bâtir dans le secret, sicut latro, est voué à tenir lieu de
clé de voûte de notre inféodation à la religion mondiale du marché
« Le capitalisme a gagné »
a-t-il été dit par une figure qui naguère fut chez nous exemplaire de la gauche.
Ce qui en réalité l'emporte actuellement, suivant un processus en cours depuis
quatre décennies, c'est la contagion d'un modèle idéologique appliqué à
l'économie qui dispose de tous les relais susceptibles de la rendre
irrésistible, à l'instar de l'expansion des totalitarismes des années trente.
Un modèle qui tient tout entier dans la raison qui le configure :
restaurer un capitalisme pur et dur,
par l'abolition de toutes les entraves étatiques et de toutes les contraintes sociales
imposées ici par le New Deal et ailleurs (en Europe) dans les refondations qui
ont suivi la Second Guerre mondiale, : un capitalisme disposant de la plénitude
des attributs et des moyens indispensables à la réalisation de ses fins, i.e. à l’obtention de la profitabilité
maximale dans le plus court temps possible, et pour la durée la plus longue
compatible avec sa mécanique de destruction-création de valeur.
Par là, le capitalisme ne peut se concevoir sans la maîtrise des
ressorts fondamentaux par lesquels il régule à la fois sa conservation et sa
croissance, et qui conditionnent et régissent la poursuite de ses buts
substantiels : et au premier rang de ces ressorts, la libre disposition de sa
main d'oeuvre au moyen du triple ajustement des niveaux d'emploi, de salaire et
de durée du travail. Trois modes d’ajustement qui, considérés dans leurs fins,
n'en font qu'un, qu'ils soient respectivement mis en oeuvre selon les
circonstances du moment, ou qu'ils soient plus ou moins ouvertement combinés.
L'idée maîtresse étant toujours que l'humain est un coût, et que
comme pour tout autre coût, l'impératif, la seule considération à prendre en
compte, est son abaissement..
Didier LEVY - 19 03 2016
L'ARTICLE DE BERNARD GINISTY.
« OUVRIR DE NOUVELLES VOIES DU "VIVRE ENSEMBLE »
Publié le 17 mars 2016 par ‘’Garrigues et
Sentiers’’
"Le débat actuel sur la
réforme du Code du Travail ne saurait se réduire à des négociations pour
arracher telle ou telle « avancée » aux yeux des partenaires sociaux. Il s’agit
ni plus ni moins que de repenser les modalités de notre vivre ensemble bousculé
de plus en plus par la mondialisation et les nouvelles technologies.
"Cette situation oblige à ce
qu’on pourrait appeler une « guerre de mouvement » face à laquelle certains
pensent que l’essentiel serait d’étoffer la « ligne Maginot » d’un imposant
code du travail protecteur des salariés tandis que d’autres posent la
rémunération de l’actionnaire comme la clé du problème.
"On ne peut éviter de
s’interroger pour savoir pourquoi, avec un code du travail aussi dense et une
rémunération de l’actionnaire qui n’a cessé de croître, la France continue à
avoir un taux de chômage nettement supérieur aux pays comparables de la zone euro.
"Edgard Morin analyse ainsi
cette situation : « Il y a eu une usure totale de la pensée politique. À
gauche, notamment. À droite, il n’y avait pas réellement de besoin. Il leur
suffisait d’administrer les choses telles qu’elles sont. Mais, pour tous ceux
qui se proposaient d’améliorer ne serait-ce qu’un peu le monde, il y avait
besoin d’une pensée. Tout cela s’est vidé. Et non seulement cela s’est vidé,
mais ce vide s’est rempli avec de l’économie, qui n’est pas n’importe laquelle.
C’est une doctrine néolibérale qui s’est prétendue science au moment où les
perroquets répétaient que les idéologies étaient mortes parce que le communisme
était mort ! Cette nouvelle idéologie portait l’idée que le marché est solution
et salut pour tous problèmes humains. Et ces politiques y ont cru. Jusqu’à
aujourd’hui où ils rêvent de la croissance... Ils n’ont même pas l’intelligence
d’imaginer ce qui peut croître et ce qui peut décroître en essayant ensuite de
combiner les deux » [1].
"La réponse à la crise que
traversent nos sociétés ne consiste pas d’abord à trouver de nouvelles réponses
aux mêmes questions, mais d’abord à interroger les questions qui structurent le
débat public et les « valeurs » au nom desquelles on prétend lire et modifier
la vie des gens. Hugues Puel, directeur pendant plus de 10 ans de la revue
Économie et Humanisme constate : « la question de la valeur des choses est
devenue obsolète sous toute autre forme que leur valeur monétaire telle qu’elle
se présente sur le marché » [2]. Par
ailleurs, la conjugaison d’une pensée posant en principe l’antagonisme entre
entrepreneurs et salariés avec une logique jacobine prétendant régler au niveau
national toutes les questions afférentes à l’activité humaine conduit à des
blocages.
"La financiarisation de toute
activité humaine réduisant les salariés à n’être que des « variables
d’ajustement » à ses enjeux, la pensée binaire ignorant la complexité et la
centralisation, faisant l’impasse sur la capacité de chaque citoyen d’être
acteur sur le terrain dans sa vie sociale et professionnelle sont les trois
obstacles majeurs à l’ouverture de nouvelles voies du vivre ensemble".
Bernard Ginisty
1 – Edgar
Morin Notre futur in Terra eco net n°60 (septembre 2014)
2 – Hugues
Puel : Responsabiliser la finance in revue Lumière et Vie, avril-juin 2010
Publié dans ‘’Signes
des temps’’.
DÉGRAISSER LE CODE DU TRAVAIL ?
Dégraisser le code du travail (ce
qui n'a bien sûr rien à voir avec la nécessité de le clarifier et de le
moderniser - d'abord dans l'intérêt des salariés puisque la législation sociale
a été inventée à cette fin) : il n'y aurait pas, sous l'empire de la compétitivité,
d'autre choix
Or, je ne pense pas qu'une
société fracturée comme l'est la nôtre puisse supporter un accroissement de la
précarité sans aller à la catastrophe - la forme de celle-ci étant imprévisible. Le délitement du lien
social est d'autant plus inquiétant en France que la nation s'est construite
autour de l'Etat et que celui-ci - et la monarchie capétienne qui l'a édifiée
de Philippe le Bel à Louis XIV - a tiré sa légitimité de la fonction de
protection qui lui a été reconnue.
Fonction qu'il n'assume plus assez, ou d'une façon suffisamment
probante, pour que cette légitimité ne soit pas mise en cause, et tout pas
supplémentaire dans cet abandon et cette démission grossit la probabilité d'une
crise de régime et d'une crise sociétale.
Pardon d'être aussi "archéo",
mais le message rabâché depuis des années sur l’impératif qu'il y aurait à
faire disparaître des droits et des garanties dont chacun(e) a été conquis(e)
comme un progrès majeur, n'a d'autre raison que de s'accorder aux fondamentaux
du capitalisme. Capitalisme qui ne
saurait fonctionner avec la profitabilité qui lui est nécessaire que s'il peut
jouer en toute liberté sur trois variables : les salaires, le temps de travail
et l'emploi. La libre concurrence n'en mobilise pas d'autres, si ce n'est
la crédulité des consommateurs (et partant, au point où on en est, leur santé...).
Ce qu'on appelle la crise, ou la perte de compétitivité, ou
"le défi de la mondialisation" - et tous autres synonymes inventés
par les experts et les communicants du recul social - ne sont rien d'autre, en
profondeur, que les symptômes concordants de la fin d'un système économique -
le mur écologique auquel ce dernier se heurte signe à lui seul l'acte de décès
d'un modèle d'économie dont la logique est celle du gaspillage, de
l'exploitation des hommes et de la prédation infligée à la planète. Le tout sur
fond de spéculation compulsive, de fraude financière et fiscale et de
corruption.
Conclusion qui, elle, rie devrait pas passer pour archaïsante : la raison ne commande pas de restaurer
l'équilibre des forces entre l'économique et le social en vigueur au milieu du
XIX ème siècle, mais d'inventer une autre forme de société. On distingue
clairement dans les multiples novations qui ont changé nos modes de vie depuis
vingt ans de quoi construire une authentique économie de l'intelligence, et
dans la prise de conscience de l'impératif environnemental la chance d'une
projection de la volonté politique au service de la conception et de la
construction d'un développement durable.
Là réside le vrai et le seul défi. A nous de le relever sans rien renier des composantes majeures de notre
contrat social : la liberté dans l'égalité et dans la solidarité.
Didier LEVY - 02 03 2016
[1]
Publié sur Facebook le 2 mars 2016 .
LE PAPE ET LE
PATRIARCHE SE SONT RENCONTRES :
OUI, UN
MOMENT HISTORIQUE … MAIS …
PRES DE MILLE ANS APRES LE SCHISME ENTRE CHRÉTIENS D'ORIENT ET
D'OCCIDENT, LES CHEFS DE FILE DES DEUX ÉGLISES, LE PAPE FRANÇOIS ET LE
PATRIARCHE KIRILL, SE SONT RENCONTRES POUR LA PREMIERE FOIS A CUBA.
Oui, il y a bien le moment historique. Cette
suspension dans le dialogue, pour quelques heures, d'un schisme millénaire.
Après la prière commune du Pape François et du patriarche de Constantinople
dans la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem en 2014, c'est là peut-être le
second pas sur le long chemin de la réconciliation - sinon de l'union retrouvée
par delà le Filioque.
MAIS
fallait-il, en cette occasion, heurter une autre éthique chrétienne - autre que celle verrouillée par le Magistère - en réaffirmant en
commun des positions qui pour tant de croyants et de non croyants sont devenues
inaudibles pour s'être fermées aux réalités de la vie humaine et aux réalités
de l'amour humain tel que celui-ci s'exprime, librement et en conscience, dans
les sociétés avancées ?
Rien n’est épargné : « La famille est fondée
sur le mariage, acte d'amour libre et fidèle d'un homme et d'une femme. (…).
Nous regrettons que d'autres formes de cohabitation soient désormais mises sur
le même plan que cette union, tandis que la conception de la paternité et de la
maternité comme vocation particulière de l'homme et de la femme dans le
mariage, sanctifiée par la tradition biblique, est chassée de la conscience
publique ».
Quant au ‘’droit inaliénable à la vie’’, que dire du recours à
l'image la plus outrée pour faire valoir une position autiste vis à vis des
épreuves, des iniquités et des violences, et de toutes les situations de
détresse et de souffrance qui conduisent à l'IVG : « Des millions d'enfants
sont privés de la possibilité même de paraître au monde. La voix du sang des
enfants non nés crie vers Dieu (...) ».
Et ceci encore dans le même registre de l'outrance
et de la méconnaissance des douleurs humaines : « Le développement de la
prétendue euthanasie conduit à ce que les personnes âgées et les infirmes
commencent à se sentir être une charge excessive pour leur famille et la
société en général (…) ».
Et enfin ce parti-pris qui, à la fois, renvoie aux
positionnements du passé qui ont rejeté des avancées des connaissances humaines
et méconnaît l'ampleur d'une autre souffrance, celle de la privation d'enfant :
«Nous
sommes aussi préoccupés par le développement des technologies de reproduction
biomédical (…)
».
Si le baiser de paix entre les Eglises devait être
à ce prix, nombre de chrétiens le donneraient dans le silence et la révolte de
leurs convictions blessées, et dans la revendication plus forte que jamais de
leur liberté de jugement - celle qui est déniée par ce rappel à l'ordre en
forme de glaciation
Didier LEVY - 15 02 2016
(Ce billet
est tiré d’un commentaire sur l’article de Jean-Marie
Guénois pour Lefigaro publié le 14 février 2016 par le blogue « Garrigues
et Sentiers »..
A PROPOS DU POINT DE VUE DE L'ÉCRIVAINE JOUMANA HADDAD [2]
publié le mercredi20 janvier 2016 sur ‘’Les Nouvelles/NEWS’’
publié le mercredi
(http://www.lesnouvellesnews.fr/cologne-le-viol-et-nos-homm…/) :
« APRES COLOGNE. LE VIOL
ET NOS HOMMES ».
UNE TRIBUNE D'UNE VALEUR
ET DUNE FORCE MORALE INESTIMABLES !
Dans chaque école, sur chaque livret de famille, et répétitivement
sur tous les types d’affichage public on devrait en lire cet extrait :
"Au lieu d’interdire à votre fille de porter une jupe, essayez de faire
comprendre à votre fils qu’une jupe n’est pas une invitation au sexe. Au lieu
de forcer votre fille à se couvrir, essayez d’expliquer à votre fils qu’une
femme est autre chose qu’un corps. Au lieu de prouver à votre fille que l’homme
est l’ennemi, essayez de prouver à votre fils que les femmes sont des
partenaires de valeur".
Permettez-moi d'ajouter un témoignage personnel : je n'ai pas été
élevé "en garçon", on ne m'a pas inculqué ce qu'étaient les
comportements de petit mâle auxquels il me fallait me conformer. Et les rares
incitations que j'ai pu malgré tout recevoir qui étaient susceptibles d'aller dans
le sens d'un dressage machiste, une bénédiction particulière - je mesure
aujourd'hui que c'était une bénédiction et que le bienfait qu'elle représentait
est de ceux dont on rend grâce pour la vie (à une transcendance ou au hasard
et à la nécessité qui configurent le cours d'une existence) - a fait
qu'elles n'ont eu aucune prise, qu'elles n'ont laissé aucune empreinte sur moi.
Je n'ai donc aucun mérite à regarder une femme comme un autre être
humain et seulement comme cela. Et seulement comme cela quelle que soient l'attirance, le charme
et la séduction que je lui trouve : exactement comme j'écoute une musique qui
me bouleverse en sachant que c'est une musique, comme je lis un poème qui me
transporte en sachant que c'est un poème, ou que je regarde un tableau qui me
touche en sachant que je regarde un tableau.
J'entends par là que du point de vue de ce qui identifie un être
humain à notre humanité, réduire une femme au désir ou au fantasme que ses
traits physiques inspirent, comme au reste, bien sûr, à la représentation
d’impureté et d'invalidité que lui attachent les sociétés et les modèles de
pensée archaïques, m'est aussi foncièrement étranger que de m'arrêter à une
couleur de peau, à un type de chevelure, et a fortiori à une origine, à une
langue ou à une spiritualité. Comme si les uns ou les autres de ces marqueurs,
visuels ou intellectuels, pouvaient si peu que ce soit départager en qualité et
en droit une créature humaine d'une autre créature humaine ou signifier que
telle créature ne saurait être reconnue pour humaine à part entière ; ou
encore discriminer de quelque autre façon que ce soit entre ces créatures.
J'apporte ce témoignage personnel avant tout pour faire entendre
que ne rien arrêter aux différences sexuées (on a compris que j'inclus et
que j'englobe ici toutes les "minorités sexuelles") dans l'idée
qu'on se fait de l'appartenance à l'humanité, que ne rien inférer de ces
différences contre l'indistinction de dignité qui découle par essence de cette
appartenance, constitue une formidable libération intérieure pour qui est en
mesure de le faire et de régler en conséquence ses modes de pensée et de
conduite.
Et pour qui n'a pas eu à passer en la matière par un apprentissage
- la grâce que j'ai eue -, prendre conscience qu'on a vécu et qu’on vit tout
naturellement dans cette libération procure un sentiment dont il est difficile
de rendre exactement compte. Rien assurément d’une vanité, et bien davantage que
l’impression de détenir une supériorité intellectuelle et morale : une
sérénité faite de la perception d’avoir été porté au-delà du seuil de la
victoire sur les pires préjugés. Et qui est pénétrée de la conviction que
ce présent s’accompagne pour son bénéficiaire de la vocation à prendre part à
la multitude des combats qui se mènent en vue d’étendre un jour sans limite
cette victoire.
Une sérénité qui n’est pas une béatitude, une vocation qui n’est
pas une contrainte. Mais à elles deux les composantes d’une confiance dans
l’avenir et par là d’une sorte de jubilation tranquille. D’une paix intérieure
d’un type très particulier - un peu au fond celle qu’on souhaite charitablement
à tous ceux qui sont possédés par une arriération qui invalide leur relation au
féminin, et qui les voue à mépriser par aveuglement et jusqu’à l’abominable la
moitié du genre humain quand elle ne les abaisse au plus atroce de la barbarie.
Didier LEVY - 20 01 2016
[2] Cette
tribune a été publiée sur Facebook le 21 janvier 2016 .
¨ Le billet du
PROSCRIRE LE VOILE … ET PORTER
LA KIPPA ?
Le Huron qui nous visiterait aujourd’hui se demanderait sans doute quelle
logique nous commande simultanément de dénoncer le premier et d’ériger la
seconde en symbole de la liberté de conscience ? Et par quel raisonnement des élus de la
nation sans lien connu avec le judaïsme et contempteurs habituels du voile, en
sont tout récemment venus à paraître devant les médias en porteurs occasionnels
de la kippa pensant par là marquer une solidarité avec ses porteurs ordinaires.
On lui expliquerait certes sans mal ce qui les sépare
radicalement : d’un côté le signe distinctif par excellence des sociétés
patriarcales et l’exposant édicté par celles-ci pour circonscrire l’impureté
intrinsèque du sexe féminin et pour identifier l’infériorité qui découle de
cette impureté et qui voue la jeune fille et la femme à être la propriété
exclusive d’un homme, père (ou frère-s) puis mari. Et à n’exister que comme
l’objet de cette possession.
De l’autre le port d’une marque de respect envers l’Eternel face
auquel s’est conçue la première spiritualité monothéiste.
Sauf que cette explication pêcherait singulièrement par sa
superficialité, par sa paresseuse simplification.
On suggérera en somme d’y regarder de plus près.
Inventé des siècles avant le Coran, n’ayant (à ce que nous disent
des experts parmi les mieux crédibles) qu’un lien ténu avec celui-ci - au moins
pour la spiritualité qui s’y exprime versus le rigorisme normatif qui
présentement l’étouffe -, le voile bénéficie a priori, en ce que son port est
revendiqué en tant que soumission personnelle à une obligation religieuse, de
la protection de la loi républicaine qui consacre la liberté de conscience et
le libre exercice des cultes.
La kippa, d’importation récente (le judaïsme ashkénaze de mon
enfance l’ignorait complètement en dehors les lieux du culte), peut se
réclamer de la même protection. Mais en offrant une perspective qui de prime abord élargit le questionnement ou la
contestation citoyenne qu’elle suscite.
En effet pour tout juif qui
se veut un tant soit peu ‘’éclairé’’, elle renvoie à l’interprétation suivante (tout
récemment publiée sur Facebook) :
« La kippa n'est pas une obligation religieuse
juive. C'est un signe d'humilité pour le croyant, cela signifie 'il y a un
D.ieu au dessus de moi et (que) je dois me rappeler qu'il y a toujours
quelqu'un de plus fort que moi'. Rien n'oblige les juifs à porter des signes
distinctifs. Les religieux peuvent porter n'importe quel type de chapeau ou de
casquette ou de bonnet à pompon, juste pour rappeler qu'ils se considèrent comme
"en dessous de D.ieu".».
Le point majeur en l’espèce, à savoir que les juifs religieux peuvent porter
n’importe quel couvre-chef, doit être souligné, lu en lettres majuscules et inlassablement publié : non certes à
l’encontre des seules pratiques d’un judaïsme identitariste, mais vis à
vis de tous les affichages de signes d’appartenance confessionnelle dans
l’espace public.
La démonstration de la faisabilité d’une neutralité civile de
l’exposition de ces appartenances nous est d’ailleurs apportée -
malheureusement de façon trop clairsemée - par l’exemple de ces jeunes filles
et de ces femmes de religion musulmane qui recourent, en substitution du voile,
à d’autres façons, parfaitement banalisées, de couvrir leur cheveux.
Que chaque confession - pour celles et ceux des croyants qui
s’attachent à ce qu’ils jugent être une lecture orthodoxe de celle-ci (ce
qui laisse bien sûr entière la question d’une intelligence de la foi où la
raison moderne est mise au service de l’approche spirituelle …) -, pratique
cette forme de discrétion, et les polémiques, les exclusions et jusqu’aux
haines qui se déchaînent sur la question des ’’signes religieux’’ baisseraient
significativement en intensité, voire perdraient grandement de leur malfaisance.
Préconiser cette discrétion ne signifie en rien que ces croyants
auraient à se cacher, que leur croyance devrait se vivre dans la clandestinité
ou dans le secret de l’espace privatif. Il
s’agit seulement d’affirmer que la liberté de conscience suppose un
échange de respect : un respect des convictions de chacun par quiconque
professe d’autres convictions, un respect qui est fait d’abord, de l’un envers
l’autre, de tact, de mesure et de scrupules réciproques.
Et un respect auquel contrevient donc le fait de projeter au regard
d’autrui sa propre croyance sans se soucier le moins du monde de la perception
qu’en aura cet autrui. Un autrui confronté sans s’y attendre à l’exposition des
marques vestimentaires (ou capillaires ou en forme de pilosité - … énumération
non limitative !) d’une revendication confessionnelle et différencialiste
dans un espace qu’il a appris à tenir pour dédié à une neutralité laïque que
lui-même observe spontanément comme une civilité ordinaire.
La méconnaissance de la réserve qu’imposent en cette matière,
individuellement et collectivement, la discrétion, le sens de la mesure et le
tact, creuse les incompréhensions, nourrit les rejets, et fortifie jour après
jour les représentations et les discours qui s’emploient à légitimer les
discriminations et jusqu’à l’anathémisation de telle ou telle catégorie en
raison de ses spécificités cultuelles ou culturelles. La tolérance a bien peu
de chances d’y résister.
A cette pédagogie élémentaire du ‘’vivre ensemble’’ pour lequel a
été instituée la laïcité à la française, s’ajoute une autre considération non
mois fondamentale.
Liberté de conscience et libre exercice des cultes sont bien inscrits dans les
droits fondamentaux proclamés par la République, héritière directe en cela de
la Déclaration de 1789. Mais redisons encore une fois que par définition, aucun
droit n’est absolu - sauf à devenir tyrannique en acquérant la capacité
d’abolir d’autres droits, y compris de tout aussi essentiels.
A cet égard, la liberté des cultes ne s’est jamais exercée sans
limites - et d’abord celle que fixe l’ordre public républicain (réserve posée
dans la loi de Séparation de 1905 et conforme à son esprit libéral et à son
dessein de pacification).
De ce point de vue, le port
en public de signes d’appartenance confessionnelle sort du champ exclusif de la
mise en œuvre de libertés constitutionnelles dès lors que l’ensemble des affichages de cet ordre pratiqués par les adeptes d’une
religion - cette dernière étant prise en général de surcroît dans sa lecture
et sa pratique la plus fondamentalistes - deviennent les marqueurs d’un
identitarisme revendiqué.
Un identitarisme qui se veut ou qui devient par la force des choses
constitutif d’un communautarisme configuré en enclave séparative de la nation.
Et qui entend ou entendra se régir, c’est à dire régir ses membres, suivant une
législation qui lui est propre, qui obéit à des valeurs et des normes
différentes de celles en vigueur au sein de la nation, et que la République est
fondée à considérer comme attentatoire, ou susceptible de le devenir à brève
échéance, aux droits et garanties
qu’elle s’est donnée pour vocation d’assurer à toutes les citoyennes et à tous
les citoyens. Et qui a motif à regarder
comme telle cette législation distinctive du seul constat que tout
communautarisme est voué à se faire oppresseur en son propre sein.
L’accentuation des phénomènes communautaristes, surtout si ceux-ci
sont alliés à une inertie de la République devant leur essor et leur ancrage,
provoque en réaction, on ne le voit présentement que trop, une sorte de
contre-communautarisme qui se manifeste sous des formes de plus en plus
agressives. Et qui porte en lui sa dérive naturelle qui est d’étendre sa fureur
à toute identification minoritaire ou à tout soupçon de particularité
identitaire.
De plus en plus nombreux sont ceux qui s’alarment d’une
confrontation à venir entre les communautarismes qui se sont structurés au
milieu des fractures sociales et éducatives que les trois dernières décennies
ont vu s’additionner et s’aggraver. Peut-on parler de scénario catastrophe quand le contexte international, fait de
guerres des religions et d’escalades concurrentielles entre fanatismes
paroxystiques, est puissamment capable de pousser au pire ? Et alors
qu’il suffira pour que ce pire se produise, de laisser libre cours à
l’expansion des séparatismes culturels et cultuels et, par contrecoup, à
l’extension et à l’induration des retranchements qui s’opèrent dans le
référentiel-refuge qui s’est construit sur l’imaginaire d’une ’’identité
française’’ - un imaginaire qui
mobilise les pulsions xénophobes mais également racistes et antisémites, en
jouant alternativement ou simultanément sur ces trois claviers maléfiques, et
qui oeuvre non à affaiblir les communautarismes
mais à les dresser encore davantage contre la nation et les uns contre les autres.
Derrière le questionnement du voile et de la kippa se dessine le
péril qui menace à courte ou moyenne échéance la République. Et la réponse que
ce péril appelle, réfléchie et objectivée suivant les critères sur lesquels le
parti républicain s’est toujours fondé, et formulée selon les termes dans
lesquels il s’est historiquement reconnu. Soutenons donc haut et fort que
« le communautarisme voilà l’ennemi ! ».
Un ennemi qui a aussi pour noms les ghettos de toutes natures
constitués un peu partout, les préjugés et au premier chef les plus archaïques
qui ciblent immanquablement le féminin, les discriminations et le mépris qui
les organise, les inégalités qu’on entretient en qualifiant de modernité le
fait qu’elles perdurent et s’accentuent démesurément, et de service rendu à la
compétitivité le soin mis à ne surtout pas les combler, et, bien sûr au terme
de tous les manquements de la République à elle-même, les violences qui
prospèrent sur l’ignorance et l’inculture.
Encore convient-il de s’attaquer à cet ennemi multiforme en plein
cohérence avec la raison qui a présidé à la définition de l’objectif poursuivi.
Autrement dit, de ne pas croire ou prétendre qu’on s’en prend aux
communautarismes, de ne pas imaginer qu’on déploie la bonne pédagogie en ce
sens, et qu’on manifeste son attachement à la République en adhérant à ce
combat , si en parallèle on
revendique la faculté d’installer des crèches dans les mairies, ou si l’on
défile contre le ‘’mariage pédé’’ en laissant entendre par là que la loi républicaine devrait être
soumise à un nihil obstat préalable d’autorités religieuses..
Le communautarisme peut mettre fin à la République, à l’idée de
la Nation exprimée en 1789. Il peut
détruire les libertés, les égalités et les protections de la dignité humaine
forgées depuis la Révolution - y inclus ce que chacune de celles-ci a trouvé
comme source ou inspiration dans le judaïsme, dans la pensée grecque puis dans
le christianisme, ou dans la formation de l’esprit des Lumières.
Mais c’est toujours à la laïcité qu’un communautarisme commence par
s’attaquer, qu’il a besoin avant toute chose de faire disparaître. Le reste,
tout le reste, suivra.
Une laïcité dont on a largement oublié qu’elle s’est définie dans
un pays qui est entré dans les guerres modernes de religion sous le règne de
François 1er pour n’en sortir - symboliquement - que par le poème d’Aragon La
Rose et le Réséda. Et qui est à même de voir à travers les deux exemples
qu’on a cités ci-avant que le fanatisme et son aveuglement ne demandent qu’à se
déchaîner de nouveau, et que
derrière eux les haines et les violences confessionnelles ne sauraient être
rangées au nombre des volcans éteints.
Faudrait-il ajouter « A bon entendeur, salut » ?
Didier LEVY - 18 01 2016