D’aucuns diront : « J’ai fait un rêve ! ».
Ainsi donc, les patrons de France
réclament-ils, entre autres grands progrès et mesures de salut public
économique qu’ils attendent, et dont ils espèrent sans doute qu’elles élèveront
la France au rang de ‘’fille aînée de l’Eglise du Saint-Marché’’,
l’instauration d’un contrat de travail ‘’nomade’’.
La satisfaction de leur vœu ne tardera
pas, la religion de la concurrence ‘’libre et non faussée’’ ayant gagné
à peu près tous les esprits dans la France qui s’exprime en savoir et qui
décide en légitimité. Mais s’arrêter en si bon chemin s’agissant de
l’impérative ‘’flexibilité’’ de l’emploi, ne traduit-il pas de leur part
une certaine pusillanimité ?
On leur suggérera, ci-après, d’aller
plus loin en matière de précarité, sachant que celle-ci est à l’ordre
capitaliste ce que la discipline est à la force des armées, et on leur
proposera d’autres amputations à notre contrat social si contraire aux
commandements de la Très Sainte compétitivité.
Mais d’abord, pourquoi ce recours
euphémistique à l’image d’un nomadisme contractuel ? Et est-il de saison
de communiquer sur l’idée de nomadisme au moment où des hordes de
migrants venus du monde barbare, et d’une religion des plus suspectes, entreprennent
de submerger l’Europe (recours qui risque d’autant plus de paraître mal venu
que les religions qui sont chez nous ‘’de souche’’ n’ont jamais comporté, on le
sait, la moindre incitation à secourir les malheureux et à accueillir
l’étranger).
D’où le ‘’parler vrai’’ de la première
des préconisations annoncées : que le licenciement d’un salarié devienne
aussi simple et rapide que pouvait l’être le congédiement d’une bonne ou d’une
cuisinière par un ménage bourgeois du XIX ème siècle. L’annonce d’un pareil
bond en avant de la France dans la modernité entrepreneuriale ferait à coup sûr
trembler nos concurrents de Chine, d’Inde et du Bangladesh, pour ne rien dire
de nos propres créateurs de richesse et d’emplois qui ont si abondamment
délocalisé au Maroc ou en Roumanie …
Donnons toutefois quelques gages aux
salariés français : qu’il leur soit ainsi accordé un préavis de 8 jours
avant de prendre pour de bon la porte, ce qui leur laissera largement plus que
le temps nécessaire pour débarrasser leur bureau ou leur vestiaire, rendre leur
badge d’accès et de contrôle horaire, et souhaiter une bonne continuation à
leurs futurs ex-collègues. Huit jours pour satisfaire à ces quelques obligations,
c’est beaucoup, sans doute, mais la France est généreuse !
Débarrassons en revanche les patrons
de tout ce qui nourrit si inutilement les contentieux du travail - ce qui sera
au reste la suite logique du plafonnement des indemnités attribuées par les
juridictions prud’homales.
Qu’il soit ainsi entendu qu’un
licenciement individuel sera justifié par la seule allégation qu’énoncera un
patron de ce que son employé n’a plus sa place dans son entreprise. Merveilleux
tarissement des recours en perspective !
Pour les licenciements collectifs, il
faut et il suffit que la loi dispose que rien ne saurait s’opposer à ceux-ci,
ou les ralentir, dès lors que l’employeur signifie qu’ils seront profitables à
la rentabilité, à l‘augmentation des dividendes versés et à la valorisation de
la capitalisation boursière. Et pour affermir comme il se doit la production de
ce motif de bon sens, il importe que le législateur attache de surcroît aux
dires de l’employeur une présomption irréfragable de bonne foi.
Pour les autres préconisations, on a
quelque scrupule à les mettre en avant tant il est clair qu’on ne fera là rien
d’autre que d’enfoncer des portes ouvertes - et ouvertes depuis des années sur
les pâturages enchanteurs de l’Eden néo libéral.
Un Eden dont la défense syndicale des
‘’droits acquis’’, l’ignorance qu’ont les masses de la rationalité indépassable
du capitalisme, et l’impéritie et la faiblesse des dirigeants politiques, nous interdisent
accès.
Sacrifions néanmoins à cet exercice de
révision des ‘’fondamentaux’’ sur lesquels il est plus que temps de se
réaligner, au moins pour mettre l’accent sur les premières urgences :
> passons rapidement
sur la durée du travail - est-il en effet besoin de mentionner la
suppression des 35 heures ? Celle-ci est acquise dans les têtes qui se
gouvernent et nous gouvernent conformément à la doxa ordo libérale - même si
des ‘’enfants perdus’’ de l’histoire économique prétendent, certainement par
entêtement intellectuel, qu’il est extravagant de méconnaître que sur la longue
durée, la réduction du temps de travail va de pair avec l’accumulation des
gains de productivité.
Et il est donc pareillement acquis que
le gouvernement issu de la remise à plat électorale de 2017, quel qu’il soit (hormis
l’hypothèse d’école d’une victoire de la ‘’gauche’ maintenue’’), règlera leur
sort aux emblématiques RTT. Ce qui tordra le coup à l’idée d’un passage aux 32
heures, réclamé par la CGT , en
laissant pour seule question vraiment ouverte celle de savoir si les 39 heures
- ou, mieux, les 40 heures - enfin rétablies seront payées 39, 40 ou 35 heures.
C’est bien sûr la troisième option qui nous garantit de nous rapprocher
suffisamment du modèle polonais ou slovaque, avant que nous soyons en mesure de
rivaliser en la matière avec le Pakistan ou l’Indonésie.
Il est cependant un point de doctrine
qu’il n’est jamais inutile de rappeler chaque fois qu’il est question la durée
du travail et qui tient en ceci : cette durée doit toujours être laissée à
la discrétion de l’employeur pour la double raison qu’elle garantit
l’appropriation des gains de productivité par les actionnaires - c'est-à-dire
l’un des fondements de l’ordre normal des choses -, et que la régulation
classique du capitalisme ne connaît que trois variables d’ajustement : les
salaires, le volume de l’emploi et la durée du travail.
> le recadrage des accords
collectifs est en revanche un peu plus timidement envisagée, et avec
des prudences tactiques dans lesquelles nos concitoyens se perdent quelque peu
vu la technicité juridique du sujet. Il faut donc dire clairement qu’on
ne laissera subsister que les accords d’entreprise.
D’abord, parce que l’instauration des autres
types d’accords collectifs date du Front Populaire, c'est-à-dire de la
préhistoire sociale, économique et politique, et qu’elle n’a représenté qu’une
capitulation en rase campagne d’un patronat terrorisé par les grandes grèves de
1936 avec leur cortège d’occupations d’usines. De ce point de vue, il y a là
une revanche à prendre au nom du droit de propriété et de la légitimité sans
partage de l’autorité patronale.
Ensuite, parce que rien n’est plus
anti concurrentiel que ces accords nationaux et de branches. Qu’est-ce qui
les distingue, en effet, des diverses formes d’ententes sur les prix et tarifs qui
sont sanctionnées (et si coûteusement) en ce qu’elles entravent le fonctionnement
naturel de la libre concurrence ? Le jeu normal de l’économie libérale
implique que l’entreprise qui pratique les salaires le plus bas et les modes de
travail les plus productifs au moindre coût - et qui donc exige toujours plus de
ceux qu’elle fait travailler tant qu’ils sont moins onéreux qu’une machine ou
que le robot qui un jour les remplacera- en tire le plus grand avantage vis à
vis de ses concurrentes et corrélativement le plus grand profit. La
mondialisation ne le prouve-t-il pas amplement ?
Ce qui précède ne donne pas à l’accord
d’entreprise plus de valeur qu’il ne saurait en avoir en regard de l’indivisible
pouvoir de tout décider et de tout gouverner que possède l’actionnaire.
Canon dont il découle que ses
mandataires doivent toujours être en droit de convaincre un salarié de déroger,
de ‘’gré à gré’’, aux stipulations de l’accord d’entreprise - dérogation
dont la bonne logique économique veut qu’elle vise très prioritairement à
apporter un avantage substantiel à l’entreprise.
> la troisième
urgence vise le statut de la fonction publique, legs cette fois de
l’immédiat après-guerre et d’un ministre de la fonction publique, Maurice
Thorez, qui était en même temps secrétaire général du Parti communiste … A qui
cette paternité satanique ne semblerait
pas une raison suffisante, on fera valoir que l’abolition du statut des
fonctionnaires et la transformation de ceux-ci en agents de droit privé,
constituent le point de passage obligé si l’on entend mener à son terme la
privatisation des services publics exécutés dans le cadre étatique. Comme la
disparition des autres statuts protecteurs conditionne le passage au privé des
services publics confiés à des organismes publics ou semi-publics. Et pour ceux
qui substitueront dans leur cadre actuel, l’éradication de toute sauvegarde de
type statutaire y rendra enfin irrésistible l’importation des modes de
management appliqués dans le secteur marchand, et partant la disparition rapide
de cet ‘’esprit de service public’’ où se fortifient ceux qui contestent contre
l’évidence et la raison que tout est marché dans l’univers mondialisé.
L’enjeu est bien de réduire à presque
rien les services publics, au moins tels que nous les
connaissons, d’y mettre en pratique la règle d’or qui veut qu’on ne gère pas
une main d’oeuvre hors le jeu combiné de la peur des chefs - qu’on active
celle-ci par la menace sur l’emploi, par le harcèlement moral, ou par un
chantage aux primes - et de l’individualisation de la mesure des ‘’performances’’
(bâton et carotte présentant en fait les deux faces d’une même monnaie), et de restreindre
leurs moyens - au point que tout un chacun sera définitivement convaincu de
leur lenteur et de leur inefficacité - en sorte que les contributions
publiques, réduites à due concurrence, cessent enfin de confisquer aux
entrepreneurs-gagnants les récompenses pécuniaires que le capitalisme leur
promet.
On ajouterait intelligemment à cette
vaste stratégie en envisageant un dépérissement plus radical encore de
l’Etat : pourquoi ne pas s’interroger, dès lors qu’on est résolu à
porte le fer parmi les fonctionnaires et assimilés, budgétivores par
définition, sur un rétablissement de la vénalité des charges pour nos
magistrats, sur un retour à des compagnies de mercenaires équipées à leur frais
en lieu et place de notre armée soldée, et sur la substitution de forces de protection
privées à la police nationale fonctionnarisée - à l’instar de ce que les Américains
ont fait en matière de sécurité dans l’Irak occupée et avec des succès si
éloquents ? Etant entendu, qu’en privilégiant ainsi les solutions d’un
passé où l’Etat était faible - ainsi bien sûr qu’en avançant à reculons, dans
un mouvement parallèle de même inspiration, jusqu’à l’époque exemplaire où le niveau
de profitabilité du capitalisme était maximal -, la France s’affirmerait comme
la meilleur disciple des ayatollahs libéraux de Bruxelles et de Luxembourg, et
ce d’autant qu’elle ne manquerait pas d’étendre à tous les démantèlements de sa
gouvernance publique au profit d’opérateurs privés la mise en pratique la plus
scrupuleuse des appels d’offres européens.
Les révisions additionnelles
qu’appelle notre contrat social, si elles contribuent tout autant à la
réalisation de ce grand projet de société, pour ne pas dire de civilisation,
qu’est l’allègement du code du travail, relèvent, elles, d’un travail d’élagage
et ne requièrent donc pas qu’on leur consacre un effort particulier
d’imagination ou d’invention juridiques.
> La première
tombe sous le sens et cible les comités d’entreprise, autre création
imputable aux gouvernants de la Libération. Quel chef d’entreprise a jamais
tenu le moindre compte des avis que la loi l’oblige à solliciter des
représentants du personnel ?
Ne reste à cette institution que de
faire perdre une demi-journée, voire une journée, chaque mois, à des patrons
qui ont assurément mieux affaire que de subir les critiques d’élus qui
appartiennent majoritairement aux classes inférieures, ou qui se rangent dans
les catégories les moins entreprenantes, et qui sont en conséquence dépourvus
des connaissances et de l’expérience qui font l’apanage d’un patron et qui
forgent ses capacités de jugement.
> des raisons
grosso modo identiques, si l’historique de leurs créations respectives
diffère, condamnent tout autant les délégués du personnel, les
délégués syndicaux et les représentants du personnel dans les comités
d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Délégués du personnel - encore une création
que nous devons aux gouvernements du Tripartisme rouge-noir de l’après
Libération (et dont la configuration était de surcroît intervenue pendant le
Front Populaire !) - et délégués syndicaux - invention (jointe à celle des
sections syndicales vouées à rendre inexpugnable la présence des syndicats dans
l’entreprise) en laquelle le gaullisme dit d’inspiration sociale s’est imaginé trouver
un garde-fou après la grande vague anarcho-syndicale de mai 1968 - ont au moins
cet avantage que 99% des salariés ne distinguent pas leurs rôles respectifs. Comme
c’est au demeurant le cas, dans la juxtaposition des institutions
représentatives du personnel (un mille-feuille social qui n’a pas
grand chose à envier au ‘’mille-feuille administratif’’ territorial), des
compétences respectives des divers autres organes élus. Avantageuse confusion des
esprits qui démobilise suffisamment pour que les entreprises en tirent à la
marge une atténuation des nuisances qui sont imputables aux lubies des législateurs
et autres utopies participatives qu’on a mises en œuvre à leurs dépens.
Mais qui compte pour peu si l’on
considère les avantages d’une disparition complète de ces contre-pouvoirs,
pour faibles que soient ceux-ci. Avantage de remettre au travail à plein temps
tous les bénéficiaires d’heures de délégations, le paradoxe qui veut qu’ils
soient rémunérés pour s’opposer à l’autorité patronale, ou pour mettre en doute
la compétence des membres de la direction dans les CE, ou les avis des experts
de celle-ci dans les CHS-CT, n’étant plus soutenable quand l’entreprise doit entièrement
s’investir dans le grand jeu concurrentiel du business et du darwinisme
industriel et marchand. Mais avantage surtout de rétablir les vraies
hiérarchies sociales, et, si la loi ne supprime pas tout bonnement les
instances concernées, de priver de toute protection légale la contestation du
pouvoir légitime et naturel des
directions, contestation qui dès lors pourra sans mal être éradiquée, libérant
de ses entraves syndicales l’essor des gains de productivité et de
profitabilité.
Au moins deux autres révisions
s’imposent sans tarder. Elles n’ont pas tout à fat leur place ici, non par ce
qu’elles nécessiteraient trop d’explications - sur le fond leur simplicité est
aveuglante -, mais pour la raison que les patrons s’exposeraient peut-être
excessivement en les avançant (d’ici à ce qu’on suppose qu’ils seraient mus
par un intérêt personnel égoïste ….).
La première touche à notre système de
protection sociale qui, en l’état, ne se tiendra jamais dans un coût tolérable
et maîtrisée, et dont il convient par conséquent qu’il passe entièrement
dans les mains des compagnies privées d’assurance qui le gèreront dans une
logique assurantielle avec pour objectif de le rendre rapidement excédentaire. On
mettra fin du même coup à ce gâchis gigantesque qui voit le pactole constitué
par les cotisations sociales des Français demeurer inactif dans les caisses de
la sécurité sociale, alors que sa vocation est maintenant d’être engagé dans les
‘’Quitte ou Double’’ (ou plutôt - et
en restant des plus mesurés … - dans les ‘’Quitte
ou Décuple’’) de la financiarisation mondialisée, où les assureurs privés,
eux, ne manqueront pas de le miser dans d’inventives combinaisons servies par
les logiciels les plus ingénieux.
La seconde s’attaque au caractère
spoliateur de l’impôt progressif. Type même de la fiscalité idéologique
et égalitariste, il contraint les riches, si utiles chez nous mais las d’être jalousés
et méconnus dans leurs mérites (y inclus celui, éminent, de conserver et de
transmettre les patrimoines) à une émigration fiscale qui s’apparente à
l’émigration nobiliaire accélérée après la Nuit du Quatre-Août et l’abolition
des privilèges. L’un de nos plus grands patrons - on ne lui contestera pas
cette qualité même si en tant qu’avionneur, il a la République, dont il est par
ailleurs sénateur, pour client le plus considérable et pour agent des ventes le
plus actif - vient de le rappeler : le seul impôt économiquement sain -entendons
le seul acceptable par les plus fortuné à raison de ce qu’il leur laisse - est
l’impôt proportionnel à taux fixe. Les Britanniques nous montrent l’exemple
à cet égard, et avec le plus solide argument que ce mode de calcul des
contributions publiques puisse faire valoir : si dans tous les pays
alignés sur la doxa ordolibérale, les inégalités ont immensément progressé ces
dernières décennies (preuve irréfutable d’une pratique parfaitement
orthodoxe du capitalisme et de l’économie de marché), le Royaume-Uni renferme
toujours, et encore pour le moment avec l’Inde, la société de castes la mieux
affermie, la plus dominatrice et la plus sûre d’elle-même.
Tout libéral convaincu se dira - au
moins l’escompte-t-on - après avoir lu ces lignes : « J’ai fait
un rêve ! ».
Quelque chose suggère cependant à
l’auteur des mêmes lignes qu’en revanche la plupart de ses lecteurs
penseront : « Quel cauchemar ! ». Et ils
auront bien raison.
Mais raison à la mesure de
l’interprétation qu’ils tireront de ce cauchemar. Si en effet le dormeur au
moment d’entrer dans le sommeil ignore quel songe, agréable ou terrifiant,
viendra l’habiter, nous savons, nous, que celui qu’on vient de figurer nous
attend à coup sûr, au moins pour ces grandes lignes, si la gauche - la gauche
‘’canal historique’’, qui n’a rien renié de son projet de société, plus la
gauche écologique, c'est-à-dire au total la gauche ‘’maintenue’’ - ne sort pas
à temps de son endormissement politique et programmatique d’ici à la double
échéance électorale de 2017.
Didier LEVY - 14
01 2016
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