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jeudi 14 janvier 2016

A PROPOS DE L’HUMBLE SUPPLIQUE ADRESSÉE PAR LES PATRONS DE FRANCE AU BON ROI FRANCOIS LE LIBÉRAL.


D’aucuns diront : « J’ai fait un rêve ! ».  

Ainsi donc, les patrons de France réclament-ils, entre autres grands progrès et mesures de salut public économique qu’ils attendent, et dont ils espèrent sans doute qu’elles élèveront la France au rang de ‘’fille aînée de l’Eglise du Saint-Marché’’, l’instauration d’un contrat de travail ‘’nomade’’.

La satisfaction de leur vœu ne tardera pas, la religion de la concurrence ‘’libre et non faussée’’ ayant gagné à peu près tous les esprits dans la France qui s’exprime en savoir et qui décide en légitimité. Mais s’arrêter en si bon chemin s’agissant de l’impérative ‘’flexibilité’’ de l’emploi, ne traduit-il pas de leur part une certaine pusillanimité ?

On leur suggérera, ci-après, d’aller plus loin en matière de précarité, sachant que celle-ci est à l’ordre capitaliste ce que la discipline est à la force des armées, et on leur proposera d’autres amputations à notre contrat social si contraire aux commandements de la Très Sainte compétitivité.

Mais d’abord, pourquoi ce recours euphémistique à l’image d’un nomadisme contractuel ? Et est-il de saison de communiquer sur l’idée de nomadisme au moment où des hordes de migrants venus du monde barbare, et d’une religion des plus suspectes, entreprennent de submerger l’Europe (recours qui risque d’autant plus de paraître mal venu que les religions qui sont chez nous ‘’de souche’’ n’ont jamais comporté, on le sait, la moindre incitation à secourir les malheureux et à accueillir l’étranger).

D’où le ‘’parler vrai’’ de la première des préconisations annoncées : que le licenciement d’un salarié devienne aussi simple et rapide que pouvait l’être le congédiement d’une bonne ou d’une cuisinière par un ménage bourgeois du XIX ème siècle. L’annonce d’un pareil bond en avant de la France dans la modernité entrepreneuriale ferait à coup sûr trembler nos concurrents de Chine, d’Inde et du Bangladesh, pour ne rien dire de nos propres créateurs de richesse et d’emplois qui ont si abondamment délocalisé au Maroc ou en Roumanie …

Donnons toutefois quelques gages aux salariés français : qu’il leur soit ainsi accordé un préavis de 8 jours avant de prendre pour de bon la porte, ce qui leur laissera largement plus que le temps nécessaire pour débarrasser leur bureau ou leur vestiaire, rendre leur badge d’accès et de contrôle horaire, et souhaiter une bonne continuation à leurs futurs ex-collègues. Huit jours pour satisfaire à ces quelques obligations, c’est beaucoup, sans doute, mais la France est généreuse !

Débarrassons en revanche les patrons de tout ce qui nourrit si inutilement les contentieux du travail - ce qui sera au reste la suite logique du plafonnement des indemnités attribuées par les juridictions prud’homales.

Qu’il soit ainsi entendu qu’un licenciement individuel sera justifié par la seule allégation qu’énoncera un patron de ce que son employé n’a plus sa place dans son entreprise. Merveilleux tarissement des recours en perspective !

Pour les licenciements collectifs, il faut et il suffit que la loi dispose que rien ne saurait s’opposer à ceux-ci, ou les ralentir, dès lors que l’employeur signifie qu’ils seront profitables à la rentabilité, à l‘augmentation des dividendes versés et à la valorisation de la capitalisation boursière. Et pour affermir comme il se doit la production de ce motif de bon sens, il importe que le législateur attache de surcroît aux dires de l’employeur une présomption irréfragable de bonne foi.

Pour les autres préconisations, on a quelque scrupule à les mettre en avant tant il est clair qu’on ne fera là rien d’autre que d’enfoncer des portes ouvertes - et ouvertes depuis des années sur les pâturages enchanteurs de l’Eden néo libéral.

Un Eden dont la défense syndicale des ‘’droits acquis’’, l’ignorance qu’ont les masses de la rationalité indépassable du capitalisme, et l’impéritie et la faiblesse des dirigeants politiques, nous interdisent accès.

Sacrifions néanmoins à cet exercice de révision des ‘’fondamentaux’’ sur lesquels il est plus que temps de se réaligner, au moins pour mettre l’accent sur les premières urgences :

> passons rapidement sur la durée du travail - est-il en effet besoin de mentionner la suppression des 35 heures ? Celle-ci est acquise dans les têtes qui se gouvernent et nous gouvernent conformément à la doxa ordo libérale - même si des ‘’enfants perdus’’ de l’histoire économique prétendent, certainement par entêtement intellectuel, qu’il est extravagant de méconnaître que sur la longue durée, la réduction du temps de travail va de pair avec l’accumulation des gains de productivité.

Et il est donc pareillement acquis que le gouvernement issu de la remise à plat électorale de 2017, quel qu’il soit (hormis l’hypothèse d’école d’une victoire de la ‘’gauche’ maintenue’’), règlera leur sort aux emblématiques RTT. Ce qui tordra le coup à l’idée d’un passage aux 32 heures, réclamé par la CGT, en laissant pour seule question vraiment ouverte celle de savoir si les 39 heures - ou, mieux, les 40 heures - enfin rétablies seront payées 39, 40 ou 35 heures. C’est bien sûr la troisième option qui nous garantit de nous rapprocher suffisamment du modèle polonais ou slovaque, avant que nous soyons en mesure de rivaliser en la matière avec le Pakistan ou l’Indonésie.

Il est cependant un point de doctrine qu’il n’est jamais inutile de rappeler chaque fois qu’il est question la durée du travail et qui tient en ceci : cette durée doit toujours être laissée à la discrétion de l’employeur pour la double raison qu’elle garantit l’appropriation des gains de productivité par les actionnaires - c'est-à-dire l’un des fondements de l’ordre normal des choses -, et que la régulation classique du capitalisme ne connaît que trois variables d’ajustement : les salaires, le volume de l’emploi et la durée du travail.

> le recadrage des accords collectifs est en revanche un peu plus timidement envisagée, et avec des prudences tactiques dans lesquelles nos concitoyens se perdent quelque peu vu la technicité juridique du sujet. Il faut donc dire clairement qu’on ne laissera subsister que les accords d’entreprise.

D’abord, parce que l’instauration des autres types d’accords collectifs date du Front Populaire, c'est-à-dire de la préhistoire sociale, économique et politique, et qu’elle n’a représenté qu’une capitulation en rase campagne d’un patronat terrorisé par les grandes grèves de 1936 avec leur cortège d’occupations d’usines. De ce point de vue, il y a là une revanche à prendre au nom du droit de propriété et de la légitimité sans partage de l’autorité patronale.

Ensuite, parce que rien n’est plus anti concurrentiel que ces accords nationaux et de branches. Qu’est-ce qui les distingue, en effet, des diverses formes d’ententes sur les prix et tarifs qui sont sanctionnées (et si coûteusement) en ce qu’elles entravent le fonctionnement naturel de la libre concurrence ? Le jeu normal de l’économie libérale implique que l’entreprise qui pratique les salaires le plus bas et les modes de travail les plus productifs au moindre coût - et qui donc exige toujours plus de ceux qu’elle fait travailler tant qu’ils sont moins onéreux qu’une machine ou que le robot qui un jour les remplacera- en tire le plus grand avantage vis à vis de ses concurrentes et corrélativement le plus grand profit. La mondialisation ne le prouve-t-il pas amplement ?

Ce qui précède ne donne pas à l’accord d’entreprise plus de valeur qu’il ne saurait en avoir en regard de l’indivisible pouvoir de tout décider et de tout gouverner que possède l’actionnaire.

Canon dont il découle que ses mandataires doivent toujours être en droit de convaincre un salarié de déroger, de ‘’gré à gré’’, aux stipulations de l’accord d’entreprise - dérogation dont la bonne logique économique veut qu’elle vise très prioritairement à apporter un avantage substantiel à l’entreprise.

> la troisième urgence vise le statut de la fonction publique, legs cette fois de l’immédiat après-guerre et d’un ministre de la fonction publique, Maurice Thorez, qui était en même temps secrétaire général du Parti communiste … A qui cette paternité  satanique ne semblerait pas une raison suffisante, on fera valoir que l’abolition du statut des fonctionnaires et la transformation de ceux-ci en agents de droit privé, constituent le point de passage obligé si l’on entend mener à son terme la privatisation des services publics exécutés dans le cadre étatique. Comme la disparition des autres statuts protecteurs conditionne le passage au privé des services publics confiés à des organismes publics ou semi-publics. Et pour ceux qui substitueront dans leur cadre actuel, l’éradication de toute sauvegarde de type statutaire y rendra enfin irrésistible l’importation des modes de management appliqués dans le secteur marchand, et partant la disparition rapide de cet ‘’esprit de service public’’ où se fortifient ceux qui contestent contre l’évidence et la raison que tout est marché dans l’univers mondialisé.

L’enjeu est bien de réduire à presque rien les services publics, au moins tels que nous les connaissons, d’y mettre en pratique la règle d’or qui veut qu’on ne gère pas une main d’oeuvre hors le jeu combiné de la peur des chefs - qu’on active celle-ci par la menace sur l’emploi, par le harcèlement moral, ou par un chantage aux primes - et de l’individualisation de la mesure des ‘’performances’’ (bâton et carotte présentant en fait les deux faces d’une même monnaie), et de restreindre leurs moyens - au point que tout un chacun sera définitivement convaincu de leur lenteur et de leur inefficacité - en sorte que les contributions publiques, réduites à due concurrence, cessent enfin de confisquer aux entrepreneurs-gagnants les récompenses pécuniaires que le capitalisme leur promet.

On ajouterait intelligemment à cette vaste stratégie en envisageant un dépérissement plus radical encore de l’Etat : pourquoi ne pas s’interroger, dès lors qu’on est résolu à porte le fer parmi les fonctionnaires et assimilés, budgétivores par définition, sur un rétablissement de la vénalité des charges pour nos magistrats, sur un retour à des compagnies de mercenaires équipées à leur frais en lieu et place de notre armée soldée, et sur la substitution de forces de protection privées à la police nationale fonctionnarisée - à l’instar de ce que les Américains ont fait en matière de sécurité dans l’Irak occupée et avec des succès si éloquents ? Etant entendu, qu’en privilégiant ainsi les solutions d’un passé où l’Etat était faible - ainsi bien sûr qu’en avançant à reculons, dans un mouvement parallèle de même inspiration, jusqu’à l’époque exemplaire où le niveau de profitabilité du capitalisme était maximal -, la France s’affirmerait comme la meilleur disciple des ayatollahs libéraux de Bruxelles et de Luxembourg, et ce d’autant qu’elle ne manquerait pas d’étendre à tous les démantèlements de sa gouvernance publique au profit d’opérateurs privés la mise en pratique la plus scrupuleuse des appels d’offres européens.

Les révisions additionnelles qu’appelle notre contrat social, si elles contribuent tout autant à la réalisation de ce grand projet de société, pour ne pas dire de civilisation, qu’est l’allègement du code du travail, relèvent, elles, d’un travail d’élagage et ne requièrent donc pas qu’on leur consacre un effort particulier d’imagination ou d’invention juridiques.

> La première tombe sous le sens et cible les comités d’entreprise, autre création imputable aux gouvernants de la Libération. Quel chef d’entreprise a jamais tenu le moindre compte des avis que la loi l’oblige à solliciter des représentants du personnel ?

Ne reste à cette institution que de faire perdre une demi-journée, voire une journée, chaque mois, à des patrons qui ont assurément mieux affaire que de subir les critiques d’élus qui appartiennent majoritairement aux classes inférieures, ou qui se rangent dans les catégories les moins entreprenantes, et qui sont en conséquence dépourvus des connaissances et de l’expérience qui font l’apanage d’un patron et qui forgent ses capacités de jugement.

> des raisons grosso modo identiques, si l’historique de leurs créations respectives diffère, condamnent tout autant les délégués du personnel, les délégués syndicaux et les représentants du personnel dans les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Délégués du personnel - encore une création que nous devons aux gouvernements du Tripartisme rouge-noir de l’après Libération (et dont la configuration était de surcroît intervenue pendant le Front Populaire !) - et délégués syndicaux - invention (jointe à celle des sections syndicales vouées à rendre inexpugnable la présence des syndicats dans l’entreprise) en laquelle le gaullisme dit d’inspiration sociale s’est imaginé trouver un garde-fou après la grande vague anarcho-syndicale de mai 1968 - ont au moins cet avantage que 99% des salariés ne distinguent pas leurs rôles respectifs. Comme c’est au demeurant le cas, dans la juxtaposition des institutions représentatives du personnel (un mille-feuille social qui n’a pas grand chose à envier au ‘’mille-feuille administratif’’ territorial), des compétences respectives des divers autres organes élus. Avantageuse confusion des esprits qui démobilise suffisamment pour que les entreprises en tirent à la marge une atténuation des nuisances qui sont imputables aux lubies des législateurs et autres utopies participatives qu’on a mises en œuvre à leurs dépens.

Mais qui compte pour peu si l’on considère les avantages d’une disparition complète de ces contre-pouvoirs, pour faibles que soient ceux-ci. Avantage de remettre au travail à plein temps tous les bénéficiaires d’heures de délégations, le paradoxe qui veut qu’ils soient rémunérés pour s’opposer à l’autorité patronale, ou pour mettre en doute la compétence des membres de la direction dans les CE, ou les avis des experts de celle-ci dans les CHS-CT, n’étant plus soutenable quand l’entreprise doit entièrement s’investir dans le grand jeu concurrentiel du business et du darwinisme industriel et marchand. Mais avantage surtout de rétablir les vraies hiérarchies sociales, et, si la loi ne supprime pas tout bonnement les instances concernées, de priver de toute protection légale la contestation du pouvoir légitime et naturel des directions, contestation qui dès lors pourra sans mal être éradiquée, libérant de ses entraves syndicales l’essor des gains de productivité et de profitabilité.

Au moins deux autres révisions s’imposent sans tarder. Elles n’ont pas tout à fat leur place ici, non par ce qu’elles nécessiteraient trop d’explications - sur le fond leur simplicité est aveuglante -, mais pour la raison que les patrons s’exposeraient peut-être excessivement en les avançant (d’ici à ce qu’on suppose qu’ils seraient mus par un intérêt personnel égoïste ….).

La première touche à notre système de protection sociale qui, en l’état, ne se tiendra jamais dans un coût tolérable et maîtrisée, et dont il convient par conséquent qu’il passe entièrement dans les mains des compagnies privées d’assurance qui le gèreront dans une logique assurantielle avec pour objectif de le rendre rapidement excédentaire. On mettra fin du même coup à ce gâchis gigantesque qui voit le pactole constitué par les cotisations sociales des Français demeurer inactif dans les caisses de la sécurité sociale, alors que sa vocation est maintenant d’être engagé dans les ‘’Quitte ou Double’’ (ou plutôt - et en restant des plus mesurés … - dans les ‘’Quitte ou Décuple’’) de la financiarisation mondialisée, où les assureurs privés, eux, ne manqueront pas de le miser dans d’inventives combinaisons servies par les logiciels les plus ingénieux.

La seconde s’attaque au caractère spoliateur de l’impôt progressif. Type même de la fiscalité idéologique et égalitariste, il contraint les riches, si utiles chez nous mais las d’être jalousés et méconnus dans leurs mérites (y inclus celui, éminent, de conserver et de transmettre les patrimoines) à une émigration fiscale qui s’apparente à l’émigration nobiliaire accélérée après la Nuit du Quatre-Août et l’abolition des privilèges. L’un de nos plus grands patrons - on ne lui contestera pas cette qualité même si en tant qu’avionneur, il a la République, dont il est par ailleurs sénateur, pour client le plus considérable et pour agent des ventes le plus actif - vient de le rappeler : le seul impôt économiquement sain -entendons le seul acceptable par les plus fortuné à raison de ce qu’il leur laisse - est l’impôt proportionnel à taux fixe. Les Britanniques nous montrent l’exemple à cet égard, et avec le plus solide argument que ce mode de calcul des contributions publiques puisse faire valoir : si dans tous les pays alignés sur la doxa ordolibérale, les inégalités ont immensément progressé ces dernières décennies (preuve irréfutable d’une pratique parfaitement orthodoxe du capitalisme et de l’économie de marché), le Royaume-Uni renferme toujours, et encore pour le moment avec l’Inde, la société de castes la mieux affermie, la plus dominatrice et la plus sûre d’elle-même.

Tout libéral convaincu se dira - au moins l’escompte-t-on - après avoir lu ces lignes : « J’ai fait un rêve ! ».

Quelque chose suggère cependant à l’auteur des mêmes lignes qu’en revanche la plupart de ses lecteurs penseront : « Quel cauchemar ! ». Et ils auront bien raison.

Mais raison à la mesure de l’interprétation qu’ils tireront de ce cauchemar. Si en effet le dormeur au moment d’entrer dans le sommeil ignore quel songe, agréable ou terrifiant, viendra l’habiter, nous savons, nous, que celui qu’on vient de figurer nous attend à coup sûr, au moins pour ces grandes lignes, si la gauche - la gauche ‘’canal historique’’, qui n’a rien renié de son projet de société, plus la gauche écologique, c'est-à-dire au total la gauche ‘’maintenue’’ - ne sort pas à temps de son endormissement politique et programmatique d’ici à la double échéance électorale de 2017.

Didier LEVY - 14 01 2016

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