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mercredi 6 janvier 2016

QUE VOUS SOUHAITER POUR CE NOUVEL AN ? (dans le chemin si ardu vers la tolérance).


L U M E N A
A Claudine

A MES AMIES-AMIS, A MES COMPAGNONS DE ROUTE

SUR LE SENTIER DE L’INTELLIGENCE DE LA FOI

… sur ce sentier étroit où nous avançons, chacun à notre rythme, chacun avec en tête le but précis qui lui est propre, et dont sur la durée d’une vie nous aurons au mieux parcouru quelques mètres, ou quelques dixièmes parties de mètre. Et qui nous aura offert, depuis les points de vue où les un(e)s et les autres nous aurons fait halte en chemin, une infime ouverture sur le paysage qu’il nous sera donné d’apercevoir et d’admirer, dans toute son étendue, une fois venu le temps du repos imparti aux marcheurs. Les randonneurs que nous sommes, et qui en lieu et place des signes habituels marqués de rouge et de blanc, s’efforcent de suivre ceux dispensés par l’Esprit, auront trouvé leur récompense dans la longue progression de leur approche, sachant qu’ils ne verront rien d’autre au terme de celle-ci que la Lumière promise à toute créature.

Je ne suis pas trop porté, je l’avoue,  sur les vœux de Nouvel An. D’abord parce que les conventions et les rituels qui nous obligent à date fixe auraient plutôt tendance à m’horripiler-  on n’est pas pour rien de la génération qui a eu 20 ans en mai 1968 et qui a envoyé promener pas mal de ces figures imposées.

Ensuite parce que ces vœux me semblent depuis toujours entachés d’un soupçon de paganisme : quelque chose qui nous renvoie au ‘’Utinam’’ latin, à ce ‘’plaise aux dieux que …’’ qui évoque le legs du monde grec et romain qui est venu participer au soubassement et à la conception de nos modes de pensée.

Dès lors, quels souhaits vous adresser ? Aucun si je suis cohérent avec moi-même, mais à leur place une espèce d’invitation partagée à nous recommander de l’espérance.

Non pas de l’espérance d’être gratifiés de telle ou telle grâce particulière, de tels concours de grâces, puisque toutes nous sont par avance acquises. J’entends celles que la transcendance a conçu de nous donner en considération de ce que sont nos vies et de ce vers quoi elles sont appelées à se diriger.

Mais de cette autre espérance qui est de recevoir la faculté de distinguer les grâces reçues. Celles dont nos forces, affaiblies voire usées par la confrontation avec le mal présent en ce monde, ne discernent plus la présence en nous et autour de nous. Jusqu’à éteindre la foi, jusqu’à laisser tout s’enfoncer dans l’obscurité qui tombe sur les promesses millénaires. Et jusqu’à ne rien imaginer d’autre que notre rien et notre égarement dans le silence éternel des espaces infinis, un silence qui vient se confondre avec le silence de D.ieu.

Une faculté qui interroge : sur quoi ouvrent la conscience d’une incessante donation et la perception d’une sollicitude aussi inconditionnelle que non réductible, en fin de compte, à la somme des gratifications qu’elle dispense ?

Il suffit que ce soit sur la capacité de faire nôtre la certitude où se rejoignent Georges Bernanos et Thérèse de Lisieux : l’intuition spirituelle, sorte de point sublime de la foi, que « Tout est grâce ». Quelle plus belle entrée en matière au premier jour d’une nouvelle année ?

Mais cette grâce n’est pas seule en ce monde, ou le temps de ce monde serait accompli. Dès lors, et pour utiliser une expression bien démodée mais qui conserve l’essentiel du sens qu’elle a eu pendant un temps très long, de quelles bonnes résolutions s’armer pour affronter la part inachevée du monde ? Lesquelles se recommander mutuellement ?

Il ne nous appartient pas d’inscrire sur les murs des Balthazar d’aujourd’hui le «Mane, Thecel, Phares» fatidique. Mais il ne nous est pas pour autant imparti de demeurer inerte face à ce qui détruit la dignité des hommes et la beauté de la Création, alors même qu’on prête au rabbi Jésus de s’être refusé à l’être devant les marchands et les changeurs du Temple (prémonition évangélique de la marchandisation et de la financiarisation qui ont tout recouvert autour de nous comme une marée qui monterait sans fin ?).

Sauf qu’il nous faut alors nous demander comment la béatitude promise aux pacifiques s’accorde à nos indignations, au mouvement qui naît de la colère de l’âme et qui anime toutes les dénonciations de la cupidité, des injustices et des fanatismes, et toutes les résistances à leur violence et à leur cruauté. Cupidité, injustices et fanatismes qu’aucune époque avant la nôtre n’a sans doute connu investis d’une aussi sinistre virulence.

Sans penser offrir ici un modèle ni même un exemple - comme s’il s’agissait de substituer l’un ou l’autre aux vœux dont je m’affranchis -, je livrerai la résolution à laquelle je m’attache : contester, attaquer et subvertir sans relâche les idées et les mots, les discours et les argumentaires, qui entraînent ou confortent les soumissions au culte de l’argent-roi, ou qui étendent la contamination de la peur et du rejet de l’autre, du dissemblable, du minoritaire et de l’étranger, ou qui forgent et disséminent des identitarismes aussi fallacieux qu’absurdes qui font le lit de l’intolérance, de la ségrégation, puis des persécutions et de la barbarie.

Résolution qui s’équilibre par la condition qui est mise à son exécution : que l’intention soit de disqualifier les représentations et les messages et de s’en prendre, de colère et de raison, aux sources qui les produisent, et non d’humilier celles et ceux qui les reçoivent. Pari difficile à tenir s’il en est : le scrupule de charité ne vient pas spontanément vis à vis de ceux qui ‘’manifestent pour tous’’ afin de perpétuer une discrimination et qui confondent loi et mariage civils et normes et mariage religieux. Ou, pire, à l’égard de qui regarde l’arrivée de réfugiés comme une infection ou de qui dépeint les immigrés comme une lèpre. Mais cette difficulté n’est-elle pas celle qui s’attache aux ‘’bonnes résolutions’’ ?

La mienne ressort assurément mieux d’une expérience toute récente qui lui a offert un contexte et des personnages autrement gratifiants. Et qui surtout l’a confrontée non au défi de faire montre d’une indulgence par trop héroïque mais, sur un mode bien plus humble, à un devoir de tolérance très élémentaire.

Ainsi ai-je parlé avant-hier soir avec une jeune femme rwandaise, évangéliste convaincue. J’abordais naturellement cette conversation dans le respect des convictions de mon interlocutrice, personne pleine de d’humanité et de dignité. Et donc avant tout soucieux de ne pas choquer, peiner ou paraitre provoquer.

Mais sans m’interdire de lui expliquer en quoi j’étais un ‘’croyant-non croyant’’, quelqu’un qui réduisait les dogmes à des concepts explicatifs liés au temps où ils furent forgés, et aussi passionnément ouvert aux exégèses des Livres saints qu’absolument rétif à toute historicisation les concernant. Ni de lui parler de lecture midrashique et de gématrie, ou des sources et de la configuration tardive, articulée et composite des évangiles synoptiques. En lui indiquant de surcroît que je voyais moins entre christianisme et judaïsme une filiation qu’une unicité spirituelle. Et en ne lui épargnant pas mes marottes habituelles - la splendeur du prologue de Jean (« Et le Verbe s’est fait chair ») les questionnements abyssaux de la péricope de La Femme adultère ou du « Cesse de me toucher ! »[1] de l’apparition de Jésus ressuscité à Marie de Magdala …

Ce que j’ai ainsi mis en avant compte bien peu en regard de ce dont cette jeune femme m’a fait prendre conscience à travers ses réponses et ses réactions. Que sa foi, telle qu’elle la vivait, constituait sa force, que c’était là la foi dont elle avait besoin, qui s’accordait pleinement à son âme et à sa vie. Rien d’autre a priori pour moi qu’une confirmation de l’idée conçue de longue date que l’Esprit dispense des lumières qu’il ne hiérarchise pas mais qu’il ajuste non seulement à la connaissance et à la compréhension des créatures humaines à chaque temps de leur histoire, mais au moins autant - et comme il en va des grâces - à la place que chaque attributaire a vocation à tenir dans le projet de la transcendance. Une confirmation, cependant - oh combien directe et vivante, et d’autant plus sensible qu’elle s’imprimait de plus en plus profondément à mesure que notre échange avançait - qui transformait une intuition intellectuelle en l’écoute d’un témoignage rayonnant de vérité.

Une vérité si pénétrante, de par la solidité et la densité de la conviction qui me répondait, que le lendemain m’est venu à l’esprit qu’elle avait ouvert à mon intention dans le si souvent lu et entendu « il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père » - qui fut le sujet d’un lumineux article de Nathalie Gadéa[2]  - le passage vers une signification supplémentaire. Que résume une citation de cet article :

« L'Esprit ne cesse de travailler le cœur des croyants au sein même de cette diversité. Sans aucun mépris pour aucune des formes de dévotion ou propositions diverses, ils s'exercent à repérer ce qui est bon pour eux, car si tout est bon, tout ne convient pas à tous ».

J’espère, mes ami-es et mes compagnons de route, qu’au cours de l’An qui commence, vous rencontrerez des expériences aussi fortes que celle que je viens de vivre et de vous décrire. Une rencontre vers laquelle l’Esprit vous aura guidés et qui vous soutiendra - comme celle dont j’ai été gratifiée le fera dans mon chemin si ardu vers la tolérance, et dans le pari un peu impraticable que j’ai ajouté à son itinéraire.

Et enfin, pour ne pas me montrer trop prisonnier d’une rigidité de pensée, je vous souhaite quand même une ‘’Bonne Année’’, une excellente, sereine et féconde année 2016 !

Fraternellement à chacune et à chacun de vous.

Didier LEUWEN - 03 01 2016


Publié par "penserlasubversion" dans "collection LUMENA".






[1] Référence à un article de René Guyon : « Cesse de me toucher ! » publié le 17 mai 2015 par ‘’Garrigues et Sentiers’’ (voir aussi « Cesse de me toucher, Marie de Magdala »  sur ‘’penserlasubversion’’ du 19 mai 2015).
[2] « Plusieurs demeures dans la maison du Père » publié le 13 septembre 2013 par ‘’Garrigues et Sentiers’’.

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