L U M E N A
A Claudine
A MES
AMIES-AMIS, A MES COMPAGNONS DE ROUTE
SUR LE SENTIER DE L’INTELLIGENCE DE LA FOI
… sur ce
sentier étroit où nous avançons, chacun à notre rythme, chacun avec en tête le
but précis qui lui est propre, et dont sur la durée d’une vie nous aurons au
mieux parcouru quelques mètres, ou quelques dixièmes parties de mètre. Et qui
nous aura offert, depuis les points de vue où les un(e)s et les autres nous
aurons fait halte en chemin, une infime ouverture sur le paysage qu’il nous
sera donné d’apercevoir et d’admirer, dans toute son étendue, une fois venu le
temps du repos imparti aux marcheurs. Les randonneurs que nous sommes, et qui
en lieu et place des signes habituels marqués de rouge et de blanc, s’efforcent
de suivre ceux dispensés par l’Esprit, auront trouvé leur récompense dans la
longue progression de leur approche, sachant qu’ils ne verront rien d’autre au
terme de celle-ci que la Lumière promise à toute créature.
Je ne suis pas trop porté, je
l’avoue, sur les vœux de Nouvel An.
D’abord parce que les conventions et les rituels qui nous obligent à date fixe
auraient plutôt tendance à m’horripiler- on n’est pas pour rien de la génération qui a
eu 20 ans en mai 1968 et qui a envoyé promener pas mal de ces figures imposées.
Ensuite parce que ces vœux me semblent
depuis toujours entachés d’un soupçon de paganisme : quelque chose qui
nous renvoie au ‘’Utinam’’ latin, à ce ‘’plaise aux dieux que …’’
qui évoque le legs du monde grec et romain qui est venu participer au
soubassement et à la conception de nos modes de pensée.
Dès lors, quels souhaits vous
adresser ? Aucun si je suis cohérent avec moi-même, mais à leur place une
espèce d’invitation partagée à nous recommander de l’espérance.
Non pas de l’espérance d’être
gratifiés de telle ou telle grâce particulière, de tels concours de grâces,
puisque toutes nous sont par avance acquises. J’entends celles que la
transcendance a conçu de nous donner en considération de ce que sont nos vies
et de ce vers quoi elles sont appelées à se diriger.
Mais de cette autre espérance qui est de
recevoir la faculté de distinguer les grâces reçues. Celles dont nos forces,
affaiblies voire usées par la confrontation avec le mal présent en ce monde, ne
discernent plus la présence en nous et autour de nous. Jusqu’à éteindre la foi,
jusqu’à laisser tout s’enfoncer dans l’obscurité qui tombe sur les promesses
millénaires. Et jusqu’à ne rien imaginer d’autre que notre rien et notre
égarement dans le silence éternel des espaces infinis, un silence qui
vient se confondre avec le silence de D.ieu.
Une faculté qui interroge : sur
quoi ouvrent la conscience d’une incessante donation et la perception d’une sollicitude
aussi inconditionnelle que non réductible, en fin de compte, à la somme des
gratifications qu’elle dispense ?
Il suffit que ce soit sur la capacité
de faire nôtre la certitude où se rejoignent Georges Bernanos et Thérèse de
Lisieux : l’intuition spirituelle, sorte de point sublime de la foi, que « Tout
est grâce ». Quelle plus belle entrée en matière au premier jour d’une
nouvelle année ?
Mais cette grâce n’est pas seule en ce
monde, ou le temps de ce monde serait accompli. Dès lors, et pour utiliser une
expression bien démodée mais qui conserve l’essentiel du sens qu’elle a eu
pendant un temps très long, de quelles bonnes résolutions s’armer pour
affronter la part inachevée du monde ? Lesquelles se recommander
mutuellement ?
Il ne nous appartient pas d’inscrire
sur les murs des Balthazar d’aujourd’hui le «Mane, Thecel, Phares» fatidique.
Mais il ne nous est pas pour autant imparti de demeurer inerte face à ce qui
détruit la dignité des hommes et la beauté de la Création, alors même qu’on
prête au rabbi Jésus de s’être refusé à l’être devant les marchands et les
changeurs du Temple (prémonition évangélique de la marchandisation et de la
financiarisation qui ont tout recouvert autour de nous comme une marée qui
monterait sans fin ?).
Sauf qu’il nous faut alors nous
demander comment la béatitude promise aux pacifiques s’accorde à nos
indignations, au mouvement qui naît de la colère de l’âme et qui anime toutes
les dénonciations de la cupidité, des injustices et des fanatismes, et toutes
les résistances à leur violence et à leur cruauté. Cupidité, injustices et
fanatismes qu’aucune époque avant la nôtre n’a sans doute connu investis d’une
aussi sinistre virulence.
Sans penser offrir ici un modèle ni
même un exemple - comme s’il s’agissait de substituer l’un ou l’autre aux vœux
dont je m’affranchis -, je livrerai la résolution à laquelle je
m’attache : contester, attaquer et subvertir sans relâche les idées et les
mots, les discours et les argumentaires, qui entraînent ou confortent les soumissions
au culte de l’argent-roi, ou qui étendent la contamination de la peur et du
rejet de l’autre, du dissemblable, du minoritaire et de l’étranger, ou qui
forgent et disséminent des identitarismes aussi fallacieux qu’absurdes qui font
le lit de l’intolérance, de la ségrégation, puis des persécutions et de la
barbarie.
Résolution qui s’équilibre par la
condition qui est mise à son exécution : que l’intention soit de disqualifier
les représentations et les messages et de s’en prendre, de colère et de raison,
aux sources qui les produisent, et non d’humilier celles et ceux qui les
reçoivent. Pari difficile à tenir s’il en est : le scrupule de charité ne
vient pas spontanément vis à vis de ceux qui ‘’manifestent pour tous’’ afin de
perpétuer une discrimination et qui confondent loi et mariage civils et normes
et mariage religieux. Ou, pire, à l’égard de qui regarde l’arrivée de réfugiés
comme une infection ou de qui dépeint les immigrés comme une lèpre. Mais cette
difficulté n’est-elle pas celle qui s’attache aux ‘’bonnes résolutions’’ ?
La mienne ressort assurément mieux d’une
expérience toute récente qui lui a offert un contexte et des personnages
autrement gratifiants. Et qui surtout l’a confrontée non au défi de faire
montre d’une indulgence par trop héroïque mais, sur un mode bien plus humble, à
un devoir de tolérance très élémentaire.
Ainsi ai-je parlé avant-hier soir avec
une jeune femme rwandaise, évangéliste convaincue. J’abordais naturellement cette
conversation dans le respect des convictions de mon interlocutrice, personne
pleine de d’humanité et de dignité. Et donc avant tout soucieux de ne pas
choquer, peiner ou paraitre provoquer.
Mais sans m’interdire de lui expliquer
en quoi j’étais un ‘’croyant-non croyant’’, quelqu’un qui réduisait les
dogmes à des concepts explicatifs liés au temps où ils furent forgés, et aussi
passionnément ouvert aux exégèses des Livres saints qu’absolument rétif à toute
historicisation les concernant. Ni de lui parler de lecture midrashique et de gématrie,
ou des sources et de la configuration tardive, articulée et composite des
évangiles synoptiques. En lui indiquant de surcroît que je voyais moins entre
christianisme et judaïsme une filiation qu’une unicité spirituelle. Et en ne
lui épargnant pas mes marottes habituelles - la splendeur du prologue de Jean
(« Et le Verbe s’est fait chair ») les questionnements
abyssaux de la péricope de La Femme adultère ou du « Cesse de me
toucher ! »[1]
de l’apparition de Jésus ressuscité à Marie de Magdala …
Ce que j’ai ainsi mis en avant compte bien
peu en regard de ce dont cette jeune femme m’a fait prendre conscience à
travers ses réponses et ses réactions. Que sa foi, telle qu’elle la vivait,
constituait sa force, que c’était là la foi dont elle avait besoin, qui
s’accordait pleinement à son âme et à sa vie. Rien d’autre a priori pour moi
qu’une confirmation de l’idée conçue de longue date que l’Esprit dispense des
lumières qu’il ne hiérarchise pas mais qu’il ajuste non seulement à la
connaissance et à la compréhension des créatures humaines à chaque temps de
leur histoire, mais au moins autant - et comme il en va des grâces - à la place
que chaque attributaire a vocation à tenir dans le projet de la transcendance. Une
confirmation, cependant - oh combien directe et vivante, et d’autant plus
sensible qu’elle s’imprimait de plus en plus profondément à mesure que notre
échange avançait - qui transformait une intuition intellectuelle en l’écoute
d’un témoignage rayonnant de vérité.
Une vérité si pénétrante, de par la
solidité et la densité de la conviction qui me répondait, que le lendemain
m’est venu à l’esprit qu’elle avait ouvert à mon intention dans le si souvent
lu et entendu « il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père »
- qui fut le sujet d’un lumineux article de Nathalie Gadéa[2] - le passage vers une signification
supplémentaire. Que résume une citation de cet article :
« L'Esprit ne cesse de travailler le
cœur des croyants au sein même de cette diversité. Sans aucun mépris pour
aucune des formes de dévotion ou propositions diverses, ils s'exercent à
repérer ce qui est bon pour eux, car si tout est bon, tout ne convient pas à
tous ».
J’espère, mes ami-es et mes compagnons de route, qu’au cours de l’An
qui commence, vous rencontrerez des expériences aussi fortes que celle que je
viens de vivre et de vous décrire. Une rencontre vers laquelle l’Esprit vous
aura guidés et qui vous soutiendra - comme celle dont j’ai été gratifiée le
fera dans mon chemin si ardu vers la tolérance, et dans le pari un peu
impraticable que j’ai ajouté à son itinéraire.
Et enfin, pour ne pas me montrer trop prisonnier
d’une rigidité de pensée, je vous souhaite quand même une ‘’Bonne Année’’,
une excellente, sereine et féconde année 2016 !
Fraternellement à chacune et à chacun
de vous.
Didier LEUWEN - 03 01 2016
Publié par "penserlasubversion" dans "collection LUMENA".
Publié par "penserlasubversion" dans "collection LUMENA".
[1] Référence à un article de René Guyon
: « Cesse de me toucher ! » publié le 17 mai 2015 par ‘’Garrigues et Sentiers’’ (voir aussi « Cesse de me
toucher, Marie de Magdala » sur ‘’penserlasubversion’’ du 19 mai 2015 ).
[2] « Plusieurs demeures dans la maison du Père » publié le 13 septembre 2013 par
‘’Garrigues et Sentiers’’.
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