Parce que tu me vois, tu crois ;
heureux ceux qui croiront sans avoir vu !
(Jean 20,29)
par Danielle Nizieux
AU BÉNÉFICE DU DOUTE … LE PROPOS DE CETTE TRIBUNE LIBRE.
Une TRIBUNE LIBRE qui reprend un
article déjà ancien - dix ans - mais qui a d’autant mieux traversé l’épreuve du
temps que les années n’ont fait que le rendre plus actuel : dans les
interrogations qu’il soulève, dans l’inventaire du croire et des façons
de croire qu’il met en débat, et dans la délimitation du champ de la foi qu’il
trace en se dirigeant seulement de la liberté de sa réflexion et d’une exigence
d’authenticité.
Il procède d’une démarche intellectuelle qui se fixe
ses propres conditions : par l’affirmation de ce que ‘ « la
foi de chacun ne peut se concevoir sans la liberté de penser » et dans le scrupule de conscience qui questionne « Jusqu’à quel point de
doute, ou d’incroyance, peut-on se dire d’Église ? ».
C’est aussi une démarche qui se réfère à
l’exemplarité de l’expérience intime - « Je me souviens de mon désarroi lorsque,
vers 11 ans, j’appris par la lecture d’un document historique que Jésus n’était
pas né le 1er janvier de l’an 1. Un prêtre consulté en confession - je me
sentais fautive ! - me rassura ». Et qui s’est fondée sur le constat de ce que
« dans l’Église chacun construisait son petit catéchisme : une foi à la
carte en quelque sorte ».
Est-ce un manifeste en légitimation du doute ?
La réponse est assurément affirmative. De par la probité du cheminement de la
pensée, qui tient à la graduation méthodique suivie dans la mise en doute - successivement la discipline des apparences
sociales, la problématique politique et sociale, les dogmes établis, et les
‘’grandes’’ questions théologiques -, et au souci de circonscrire la part de ce
qui dans la dogmatique et la dans la doctrine, est inséparable de la foi.
Et parce que le parcours du doute s’y conclut en
rencontrant effectivement ce qui lui résiste : en l’espèce, la victoire du
Messie sur la mort qui vaut « nouvelle création ». Avec ce corollaire que si c’est là « le
vrai signe de la foi », l’espérance
qui en découle commande tout le reste : ainsi « la
foi n’est(-elle) pas de croire en des choses incroyables », (mais) de vivre le Message pour le monde et
dans le commandement d’amour du prochain.
Pour les lecteurs qui, à la différence de l’auteure,
ont pris le parti de s’affranchir de la religion-lien, cet article dépasse
l’alternative de ce choix. Il met en effet en lumière et en œuvre tout ce par
quoi se spécifie et s’énonce leur positionnement vis à vis du croire.
Appelons ces séparés de l’Institution - par un divorce raisonné et assumé - des
‘’CROYANTS-NON CROYANTS’’. Difficile cependant, si ce n’est impossible, de
les faire tenir dans une définition unique.
Mais croyants, ils pourront l’être au sens
que, chrétiens, le « socle minimum de la foi », sera pour eux entièrement énoncé dans le
Prologue de Jean. Et que pour l’éthique, celle-ci se verra surplombée du seul
« tu aimeras ton prochain comme toi-même » auquel « se rattache toute la Loi ».
Et non croyants, ils s’assument comme tels en
ce que, pour tout le reste, leur est définitivement irrecevable l’obligation de
se soumettre à une ‘’adhésion
irrévocable de foi’‘’, et définitivement
inaudible toute vérité qui se donne comme formulé de façon définitive.
Au total, et plus encore que dans une simple
philosophie du doute, n’est-de pas dans une spiritualité du doute que chacun
est invité à entrer à la lecture de cette tribune ? Une quête spirituelle
qui cherche ses réponses - bribes, fragments ou éclats de réponse - dans un déchiffrement de la Parole et des
textes. Une quête souveraine, mais humblement solliciteuse des grâces
d’entendement. Et qui réserve sa part à l’écoute de l’expérience mystique. Ce
qui se nomme en définitive le libre parcours de l’intelligence de la foi. Ou
pour désigner plus précisément les choses par leur nom, ce qui en appelle à la
légitimité du libre-examen.
Un libre-examen que l’Eglise a combattu et contenu
pendant près de cinq siècles, mais dont il est clair que dans nos sociétés
avancées, aucune digue ne pourra empêcher qu’il submerge tout magistère
d’autorité. L’Eglise a condamné la Libre Pensée, il lui faut maintenant
apprendre à composer et à vivre avec la liberté de penser en son sein. Celle du
croyant comme celle du ‘’croyant-non croyant’’, sous peine de devenir un
musée du croire.
Didier LEVY (Le bloguemestre)
Je doute, mais je Le suis !
Le doute, dit-on
aujourd’hui, est inhérent à la foi. Le fidèle a, en quelque sorte, acquis le
droit de s’interroger, voire d’affirmer son désaccord avec tel ou tel point de
la doctrine. Il fut un temps, pas si ancien, où un désaccord connu, voire
débusqué par l’enquête ou la dénonciation, conduisait au mieux à l’exclusion,
au pire au bûcher.
Je me souviens de
mon désarroi lorsque, vers 11 ans, j’appris par la lecture d’un document
historique que Jésus n’était pas né le 1er janvier de l’an 1. Un prêtre
consulté en confession - je me sentais fautive ! - me rassura. Ce fut le début
d’une existence de recherches et de confrontations aux doutes, au doute.
Je considère
aujourd’hui qu’il y a une graduation dans l’objet du doute : il y a les sujets
sur lesquels, en fin de compte, on peut penser ou faire ce qu’on veut,
nonobstant le catéchisme… Et les autres, ceux qui seraient inhérents à la foi.
Et puis,
finalement, il y a le message de Jésus, proclamé par Paul : « si je n’ai pas la
charité, je ne suis pas du Christ ». Et si la seule
chose qui ne tolère pas le doute était, pour un chrétien, cette vérité là ?
Le premier niveau
du doute, c’est celui qui touche l’institution, autrement dit l’Église et
ses exigences : « Le magistère de l’Église engage pleinement l’autorité reçue du
Christ quand il propose, sous une forme obligeant le peuple chrétien à une
adhésion irrévocable de foi, des vérités contenues dans la Révélation divine ou
bien quand il propose de façon définitive des vérités ayant avec celle-là un
lien nécessaire » (Catéchisme de l’Église catholique,
art 88.)
D’abord, les
exigences qui touchent aux apparences sociales : le mariage, le divorce,
l’homosexualité, l’affaire du préservatif, sont celles qui viennent en premier
à l’esprit. Alors qu’elles furent longtemps déterminantes pour être considéré
comme chrétien, il est vrai que la majorité des chrétiens s’est aujourd’hui
affranchie de ces règles normatives : la « désobéissance » ainsi marquée ne
leur pose souvent pas le moindre problème, ni à eux, ni à leur communauté ; à
peine cela pose t-il question aux prêtres qui les accueillent.
Les fidèles
considèrent plutôt cela comme un archaïsme qui, un jour ou l’autre, le plus
proche possible, finira par céder. Plus : beaucoup pensent que ces principes
éloignent injustement des quantités d’hommes et de femmes, de façon dommageable
pour la survie de l’Église. Question réglée, dans nos communautés occidentales…
À peine la question de l’avortement est-elle plus complexe, mais celle de la
contraception est une affaire « réglée ».
Ensuite, la
question sociale : l’attitude de l’Église qui est souvent du côté du
pouvoir établi… Évidemment, la condamnation de la théologie de la libération,
ou seulement la remise au pas de Don Helder Camara, ou plus récemment celle des
franciscains, fait argument dans ce sens ; de la même façon que les prises de
position conservatrices des clergés locaux préférant bénir des régimes
tortionnaires qui préservent l’institution ecclésiale comme au Chili ou plus
loin dans le temps en Espagne. Beaucoup, trouvant l’écart trop grand avec
l’enseignement du Christ, rejettent à la fois l’Église « dévoyée » et les
enseignements fondateurs.
La conséquence la
plus ordinaire, on l’entend encore aujourd’hui, c’est que des pauvres et des
opprimés n’y trouvent pas leur place. Ce n’est presque plus du doute, c’est du
rejet !
Après cela,
viennent les dogmes établis au fil du temps par les théologiens :
commençons par la création du monde, la virginité perpétuelle de Marie, la
question des frères et sœurs de Jésus…
Que dire de
l’immaculée conception de Marie ou de l’Assomption (dogmes récents s’il en est)
?
Là encore, chacun
s’accommode de ses incroyances, aux marges en quelque sorte. Même l’Église ne
peut plus soutenir certaines thèses, mais il a fallu beaucoup de temps pour
qu’elle renonce à quelques-unes (la réhabilitation de Galilée date seulement de
Jean Paul II).
Je réalise
aujourd’hui, que le nom de ce savant est aussi celui du pays de Jésus, porteur
de la Vérité si longtemps ignorée et/ou combattue : hasard ?
Les progrès de la
recherche (archéologique et historique,
d’abord) remettent en cause des points qui semblaient évidents : ainsi David et
Salomon ont-ils vécu aux dates envisagées jusqu’alors et furent-ils les grands
rois que les textes décrivent ? D’autres événements sont décalés dans le temps,
ou complètement mis en cause, comme l’Exode, le massacre des enfants juifs
innocents de l’évangile de Matthieu… Les progrès de l’exégèse aussi contestent
certaines traductions, certains rajouts... Y aurait-il une vérité pour les
savants - des moines et des gens d’Église, souvent - et une autre pour les
fidèles de « base » ? Une vérité qu’il
vaudrait mieux ne pas dire pour ne pas les désorienter ? Sans doute du temps
perdu sur l’Histoire…
Pourquoi ne pas
montrer plutôt la grandeur de ceux qui ont écrit l’Histoire du peuple de Dieu
dans le Premier Testament, puis l’Histoire de Jésus ? Ils ont construit une
cosmogonie, sans doute à base de réalités concrètes, mais aussi en élaborant
des schémas qui se voulaient non pas de la littérature mais bien des outils
pour forger les consciences et accueillir une révélation, celle de Jésus.
Dans ce cas, peu importe si les trompettes de Jéricho n’ont pas sonné pour
faire tomber les murailles : l’important, ce qui est porteur de sens, c’est la
victoire du peuple fidèle de Dieu accomplissant son parcours.
L’important pour
moi, c’est Jésus, Dieu incarné, homme jusqu’au bout de la condition de
l’Homme, qui par sa mort et sa résurrection, manifeste l’inanité du mal et
transforme la mort en victoire.
Viennent ainsi les
« vraies » questions : Jésus fils de Dieu ? Mais qu’est-ce qu’être fils de
Dieu ? La résurrection de Jésus a-t-elle un sens physique ? Comment nous-mêmes
sommes nous reliés à cette filiation et à cette résurrection ? Comment se
manifeste la vie après la mort ? Qu’est-ce que la vie éternelle ?
Certains chrétiens
ne se posent sans doute jamais ces questions ; par manque d’esprit critique ?
Par inculture ? Par obéissance ? L’Église ne l’exige plus, et c’est tout à son
honneur.
Aujourd’hui au
contraire, la foi de chacun ne peut se concevoir sans la liberté de penser et
l’on ne saurait accepter une foi contrainte. Du coup, cette liberté oblige à
examiner loyalement ses propres croyances.
Quelle est ma foi
? En quoi est-ce que je crois ? Qu’est-ce qui, pour moi, « ne passe pas » ? Cet
examen de vérité est un devoir à l’égard de moi-même et à l’égard de l’Église
qui m’accueille en son sein : mais veut-elle le savoir ? et qu’en fait-elle ?
On a beaucoup dit
que dans l’Église chacun construisait son petit catéchisme : une foi à la carte
en quelque sorte. Mais y-a-t-il un socle minimum de la foi ?
Au plan personnel,
que peut-on avouer ? Et, sauf à devenir schizophrène, que peut-on soi-même
accepter de ne pas croire quand on se dit chrétien ? Y a–t-il un seuil en deçà
duquel il convient, par honnêteté envers les autres mais aussi pour sauvegarder
sa propre intégrité, de renoncer à se dire chrétien et à quitter la communauté
? Jusqu’à quel point de doute, ou d’incroyance, peut-on se dire d’Église
?
Je peux me dire
que je doute, mais que le doute a justement une face positive : je ne suis pas
sûre que Dieu ait physiquement ressuscité, mais je ne suis pas sûre non plus
qu’il n’ait pas ressuscité ! Alors, c’est le pari de la foi : nous voici
dans ce qui est à mon sens un grand confort, le « on verra bien et je fais
comme si », la garantie sur l’avenir en quelque sorte. Et pour assurer le tout,
je me mets en situation de conformité, je fais les gestes, et je dis les
paroles. Oui, mais il y quelque chose de malsain dans cette attitude de
profiteur. Pourtant, dans le même temps où on se veut lucide et honnête, chacun
d’entre nous a au fond de son âme comme une lumière qui s’allume et signale
que, malgré tout, rien n’interdit d’espérer : instinct de survie, effet de la
foi ?
Et pourtant, je
suis là, dans la communion avec Jésus ; même, je reste ! , je reste dans
l’Église, malgré les doutes et les insatisfactions. Je dirais même les
frustrations.
Un dominicain qui
me fait parfois l’amitié d’une rencontre a écrit : « Dieu, cette chose qui
n’est rien, que l’on peut nier sans aucune conséquence, dont le croyant même
perd cent fois la trace, et qui, lorsque le moment est donné, remplit tout,
éclaire tout, semble suffire à tout. »
Je reste ! Et
c’est rester qui démonte les accusations de scandale et de folie des croyants
que soulignait Paul.
Je reste pour
autre chose ; c’est parce que la résurrection de Jésus, physique ou non, a
signifié au monde le retournement de l’ordre des choses : c’est cette
nouvelle création qui est ma foi.
« Je suis la résurrection et la vie ;
celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » : là est ma foi.
Dieu m’aime-t-il ?
Dieu me connaît-il ? Dieu peut-il m’aider, me protéger ? Souvent, je souffre du
silence de Dieu. Je ne sais pas comment établir le dialogue avec Dieu. Il est
dur de surmonter la déception de l’attente.
Mais j’ai une
vision, celle du Monde de Dieu, où l’amour et la justice triomphent et je suis,
à ma modeste place, un artisan de ce monde nouveau. Il n’en reste pas moins que
la foi engage une vie. Et ce ne sont pas seulement des mots : aider au fonctionnement
d’une paroisse, s’engager dans la recherche religieuse, travailler aux œuvres
de charité, tout cela prend du temps, et on ne suit pas le message de Jésus
sans implication de tout l’être.
Est-ce cela l’essentiel
de la foi ? Le vrai signe de la foi ? Est-ce là qu’il n’y a pas de
place pour le doute ? Mettre les forces de notre vie au service du Message,
c’est notre foi. C’est dans le monde où il s’est incarné que Jésus nous envoie.
L’Église dont nous sommes les membres est une Église pour le monde.
Matthieu 22,36 : « quel est le plus grand commandement, Maître ? Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur… : voilà le premier et le plus grand
commandement. Le second lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme
toi-même. À ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les
prophètes. »
Car la foi n’est
pas de croire en des choses incroyables ! La foi, c’est de vivre le Message au
quotidien, et, comme le bon samaritain, d’être le prochain de tous nos frères :
«
Aimez-vous les uns les autres comme Dieu vous aime ».
Danielle Nizieux
Publié le 5 septembre 2006 par « Garrigues et
Sentiers » (dans ‘’Réflexions en chemin’’).
UNE TRIBUNE LIBRE ?
Voir la publication sur «penserlasubversion» et sur FACEBOOK le 10 mars 2016 :
‘’LE BLOGUE « PENSERLASUBVERSION » S’OUVRE A DES
TRIBUNES LIBRES.
‘’L’idée est d'élargir les publications de « penserlasubversion », en s’ouvrant à des contradictions
de points de vue. Ou à des points de vue orientés ou éclairés différemment de
ceux de la rédaction du blogue. Et qui, contradictions ou différences
d’approches, apporteront un enrichissement à la réflexion que nous voulons
porter et susciter.
‘’Porte ouverte donc aux contradicteurs de tous bords qui se
réclament de la liberté de l’esprit, du débat partagé, et du devoir de penser
selon leur conscience et en pleine responsabilité’’.
MERCI PAR AVANCE DE VOS
ENVOIS !