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mercredi 20 janvier 2016

D’HUMEUR ET DE RAISON - le journal de «penserlasubversion»


L’humeur devant les dits et les faits,
l’effort de raisonner le quotidien.

 Les commentaires du bloguemestre au fil de l’actualité



¨¨ Le billet du 19 mars 2016 [1].

A PROPOS DE A L’ARTICLE « OUVRIR DE NOUVELLES VOIES DU "VIVRE ENSEMBLE » PUBLIE PAR LE BLOGUE "GARRIGUES ET SENTIERS" le 17 mars 2016.

L’IDÉOLOGIE QUI PORTE L’IDÉE
QUE LE MARCHÉ EST LA SOLUTION ET LE SALUT

INTERROGER LES QUESTIONS QUI MODÈLENT LE DÉBAT PUBLIC
ET LES VALEURS QUI EXIGERAIENT QUE LES GENS CHANGENT DE VIE.

Un rappel d’abord. Lors du débat parlementaire sur l'adoption du Traité de Rome, Pierre Mendès France dénonça ce qui était à ses yeux l’archaïsme de la pensée économique qui inspirait les auteurs du traité : (de mémoire) « Vous croyez que la concurrence règle tous les problèmes ... ». Il convient d'ajouter que tant que le Marché commun - première appellation de l'union européenne (et qui disait bien de quoi il retournait en termes de projet) - réunissait les six Etats fondateurs, tous à des niveaux économiques et sociaux comparables, "la concurrence non faussée" pouvait correspondre à une réalité.

Réalité qui a disparu avec l'extension de la couverture du traité à des Etats retardés économiquement et ne disposant pas, ou ne disposant plus, d'un système de protection sociale digne de ce nom. Un traité (et ceux qui en ont ensuite déployé les ambitions) dont par ailleurs l'allégeance puis la soumission des objectifs et du fonctionnement aux règles et normes édictées par la doxa néolibérale n'ont pas cessé de s'aggraver.

Conjuguée avec la mondialisation de la concurrence, cette dénaturation de l'économie interne du traité a fait entrer l'union européenne dans la logique et sous le règne de ce dumping généralisé et universalisé dont nous voyons chaque jour davantage qu'il broie littéralement nos sociétés, leurs équilibres et les solidarités sur lesquelles elles reposaient. L'abandon progressif par l'Europe du tarif extérieur commun - protection nécessaire et légitime du marché intérieur unifié - a été l'exposition la plus flagrante de l'adhésion de l'UE à la systématisation planétaire d'un dumping trinitaire : salarial, social et fiscal - auquel s’ajoute, avec des effets de plus en plus irréversibles, un dumping environnemental. Le traité euro-atlantique en cours de mise au point, dont les négociateurs veillent à le bâtir dans le secret, sicut latro, est voué à tenir lieu de clé de voûte de notre inféodation à la religion mondiale du marché

« Le capitalisme a gagné » a-t-il été dit par une figure qui naguère fut chez nous exemplaire de la gauche. Ce qui en réalité l'emporte actuellement, suivant un processus en cours depuis quatre décennies, c'est la contagion d'un modèle idéologique appliqué à l'économie qui dispose de tous les relais susceptibles de la rendre irrésistible, à l'instar de l'expansion des totalitarismes des années trente.

Un modèle qui tient tout entier dans la raison qui le configure : restaurer un capitalisme pur et dur, par l'abolition de toutes les entraves étatiques et de toutes les contraintes sociales imposées ici par le New Deal et ailleurs (en Europe) dans les refondations qui ont suivi la Second Guerre mondiale, : un capitalisme disposant de la plénitude des attributs et des moyens indispensables à la réalisation de ses fins, i.e. à l’obtention de la profitabilité maximale dans le plus court temps possible, et pour la durée la plus longue compatible avec sa mécanique de destruction-création de valeur.

Par là, le capitalisme ne peut se concevoir sans la maîtrise des ressorts fondamentaux par lesquels il régule à la fois sa conservation et sa croissance, et qui conditionnent et régissent la poursuite de ses buts substantiels : et au premier rang de ces ressorts, la libre disposition de sa main d'oeuvre au moyen du triple ajustement des niveaux d'emploi, de salaire et de durée du travail. Trois modes d’ajustement qui, considérés dans leurs fins, n'en font qu'un, qu'ils soient respectivement mis en oeuvre selon les circonstances du moment, ou qu'ils soient plus ou moins ouvertement combinés.

L'idée maîtresse étant toujours que l'humain est un coût, et que comme pour tout autre coût, l'impératif, la seule considération à prendre en compte, est son abaissement..

Didier LEVY - 19 03 2016


L'ARTICLE DE BERNARD GINISTY.
               
« OUVRIR DE NOUVELLES VOIES DU "VIVRE ENSEMBLE »
Publié le 17 mars 2016 par ‘’Garrigues et Sentiers’’

"Le débat actuel sur la réforme du Code du Travail ne saurait se réduire à des négociations pour arracher telle ou telle « avancée » aux yeux des partenaires sociaux. Il s’agit ni plus ni moins que de repenser les modalités de notre vivre ensemble bousculé de plus en plus par la mondialisation et les nouvelles technologies.

"Cette situation oblige à ce qu’on pourrait appeler une « guerre de mouvement » face à laquelle certains pensent que l’essentiel serait d’étoffer la « ligne Maginot » d’un imposant code du travail protecteur des salariés tandis que d’autres posent la rémunération de l’actionnaire comme la clé du problème.

"On ne peut éviter de s’interroger pour savoir pourquoi, avec un code du travail aussi dense et une rémunération de l’actionnaire qui n’a cessé de croître, la France continue à avoir un taux de chômage nettement supérieur aux pays comparables de la zone euro.

"Edgard Morin analyse ainsi cette situation : « Il y a eu une usure totale de la pensée politique. À gauche, notamment. À droite, il n’y avait pas réellement de besoin. Il leur suffisait d’administrer les choses telles qu’elles sont. Mais, pour tous ceux qui se proposaient d’améliorer ne serait-ce qu’un peu le monde, il y avait besoin d’une pensée. Tout cela s’est vidé. Et non seulement cela s’est vidé, mais ce vide s’est rempli avec de l’économie, qui n’est pas n’importe laquelle. C’est une doctrine néolibérale qui s’est prétendue science au moment où les perroquets répétaient que les idéologies étaient mortes parce que le communisme était mort ! Cette nouvelle idéologie portait l’idée que le marché est solution et salut pour tous problèmes humains. Et ces politiques y ont cru. Jusqu’à aujourd’hui où ils rêvent de la croissance... Ils n’ont même pas l’intelligence d’imaginer ce qui peut croître et ce qui peut décroître en essayant ensuite de combiner les deux » [1].

"La réponse à la crise que traversent nos sociétés ne consiste pas d’abord à trouver de nouvelles réponses aux mêmes questions, mais d’abord à interroger les questions qui structurent le débat public et les « valeurs » au nom desquelles on prétend lire et modifier la vie des gens. Hugues Puel, directeur pendant plus de 10 ans de la revue Économie et Humanisme constate : « la question de la valeur des choses est devenue obsolète sous toute autre forme que leur valeur monétaire telle qu’elle se présente sur le marché » [2]. Par ailleurs, la conjugaison d’une pensée posant en principe l’antagonisme entre entrepreneurs et salariés avec une logique jacobine prétendant régler au niveau national toutes les questions afférentes à l’activité humaine conduit à des blocages.

"La financiarisation de toute activité humaine réduisant les salariés à n’être que des « variables d’ajustement » à ses enjeux, la pensée binaire ignorant la complexité et la centralisation, faisant l’impasse sur la capacité de chaque citoyen d’être acteur sur le terrain dans sa vie sociale et professionnelle sont les trois obstacles majeurs à l’ouverture de nouvelles voies du vivre ensemble".

Bernard Ginisty

1 – Edgar Morin Notre futur in Terra eco net n°60 (septembre 2014)
2 – Hugues Puel : Responsabiliser la finance in revue Lumière et Vie, avril-juin 2010

Publié dans ‘’Signes des temps’’.

[1] Publié sur Facebook ce même jour.


¨ Le billet du 2 mars 2016 [1].

DÉGRAISSER LE CODE DU TRAVAIL ?

Dégraisser le code du travail (ce qui n'a bien sûr rien à voir avec la nécessité de le clarifier et de le moderniser - d'abord dans l'intérêt des salariés puisque la législation sociale a été inventée à cette fin) : il n'y aurait pas, sous l'empire de la compétitivité, d'autre choix

Or, je ne pense pas qu'une société fracturée comme l'est la nôtre puisse supporter un accroissement de la précarité sans aller à la catastrophe - la forme de celle-ci étant imprévisible. Le délitement du lien social est d'autant plus inquiétant en France que la nation s'est construite autour de l'Etat et que celui-ci - et la monarchie capétienne qui l'a édifiée de Philippe le Bel à Louis XIV - a tiré sa légitimité de la fonction de protection qui lui a été reconnue.

Fonction qu'il n'assume plus assez, ou d'une façon suffisamment probante, pour que cette légitimité ne soit pas mise en cause, et tout pas supplémentaire dans cet abandon et cette démission grossit la probabilité d'une crise de régime et d'une crise sociétale.

Pardon d'être aussi "archéo", mais le message rabâché depuis des années sur l’impératif qu'il y aurait à faire disparaître des droits et des garanties dont chacun(e) a été conquis(e) comme un progrès majeur, n'a d'autre raison que de s'accorder aux fondamentaux du capitalisme. Capitalisme qui ne saurait fonctionner avec la profitabilité qui lui est nécessaire que s'il peut jouer en toute liberté sur trois variables : les salaires, le temps de travail et l'emploi. La libre concurrence n'en mobilise pas d'autres, si ce n'est la crédulité des consommateurs (et partant, au point où on en est, leur santé...).

Ce qu'on appelle la crise, ou la perte de compétitivité, ou "le défi de la mondialisation" - et tous autres synonymes inventés par les experts et les communicants du recul social - ne sont rien d'autre, en profondeur, que les symptômes concordants de la fin d'un système économique - le mur écologique auquel ce dernier se heurte signe à lui seul l'acte de décès d'un modèle d'économie dont la logique est celle du gaspillage, de l'exploitation des hommes et de la prédation infligée à la planète. Le tout sur fond de spéculation compulsive, de fraude financière et fiscale et de corruption.

Conclusion qui, elle, rie devrait pas passer pour archaïsante : la raison ne commande pas de restaurer l'équilibre des forces entre l'économique et le social en vigueur au milieu du XIX ème siècle, mais d'inventer une autre forme de société. On distingue clairement dans les multiples novations qui ont changé nos modes de vie depuis vingt ans de quoi construire une authentique économie de l'intelligence, et dans la prise de conscience de l'impératif environnemental la chance d'une projection de la volonté politique au service de la conception et de la construction d'un développement durable.

Là réside le vrai et le seul défi. A nous de le relever sans rien renier des composantes majeures de notre contrat social : la liberté dans l'égalité et dans la solidarité.

Didier LEVY - 02 03 2016

[1] Publié sur Facebook le 2 mars 2016.


¨ Le billet du 15 février 2016 [1].

LE PAPE ET LE PATRIARCHE SE SONT RENCONTRES :
OUI, UN MOMENT HISTORIQUE … MAIS …

PRES DE MILLE ANS APRES LE SCHISME ENTRE CHRÉTIENS D'ORIENT ET D'OCCIDENT, LES CHEFS DE FILE DES DEUX ÉGLISES, LE PAPE FRANÇOIS ET LE PATRIARCHE KIRILL, SE SONT RENCONTRES POUR LA PREMIERE FOIS A CUBA.

Oui, il y a bien le moment historique. Cette suspension dans le dialogue, pour quelques heures, d'un schisme millénaire. Après la prière commune du Pape François et du patriarche de Constantinople dans la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem en 2014, c'est là peut-être le second pas sur le long chemin de la réconciliation - sinon de l'union retrouvée par delà le Filioque.

MAIS fallait-il, en cette occasion, heurter une autre éthique chrétienne - autre que celle verrouillée par le Magistère - en réaffirmant en commun des positions qui pour tant de croyants et de non croyants sont devenues inaudibles pour s'être fermées aux réalités de la vie humaine et aux réalités de l'amour humain tel que celui-ci s'exprime, librement et en conscience, dans les sociétés avancées ?

Rien n’est épargné : « La famille est fondée sur le mariage, acte d'amour libre et fidèle d'un homme et d'une femme. (…). Nous regrettons que d'autres formes de cohabitation soient désormais mises sur le même plan que cette union, tandis que la conception de la paternité et de la maternité comme vocation particulière de l'homme et de la femme dans le mariage, sanctifiée par la tradition biblique, est chassée de la conscience publique ».

Quant au ‘droit inaliénable à la vie’’, que dire du recours à l'image la plus outrée pour faire valoir une position autiste vis à vis des épreuves, des iniquités et des violences, et de toutes les situations de détresse et de souffrance qui conduisent à l'IVG : « Des millions d'enfants sont privés de la possibilité même de paraître au monde. La voix du sang des enfants non nés crie vers Dieu (...) ».

Et ceci encore dans le même registre de l'outrance et de la méconnaissance des douleurs humaines : « Le développement de la prétendue euthanasie conduit à ce que les personnes âgées et les infirmes commencent à se sentir être une charge excessive pour leur famille et la société en général (…) ».

Et enfin ce parti-pris qui, à la fois, renvoie aux positionnements du passé qui ont rejeté des avancées des connaissances humaines et méconnaît l'ampleur d'une autre souffrance, celle de la privation d'enfant : «Nous sommes aussi préoccupés par le développement des technologies de reproduction biomédical (…) ».

Si le baiser de paix entre les Eglises devait être à ce prix, nombre de chrétiens le donneraient dans le silence et la révolte de leurs convictions blessées, et dans la revendication plus forte que jamais de leur liberté de jugement - celle qui est déniée par ce rappel à l'ordre en forme de glaciation

Didier LEVY - 15 02 2016

(Ce billet est tiré d’un commentaire sur l’article de Jean-Marie Guénois pour Lefigaro publié le 14 février 2016 par le blogue « Garrigues et Sentiers »..


[1] Publié sur Facebook ce même jour.



¨ Le billet du 22 janvier 2016 [1].

A PROPOS DU POINT DE VUE DE L'ÉCRIVAINE JOUMANA HADDAD [2]
publié le mercredi 20 janvier 2016 sur ‘’Les Nouvelles/NEWS’’ 
(http://www.lesnouvellesnews.fr/cologne-le-viol-et-nos-homm…/) :

« APRES COLOGNE. LE VIOL ET NOS HOMMES ».

UNE TRIBUNE D'UNE VALEUR ET DUNE FORCE MORALE INESTIMABLES !

Dans chaque école, sur chaque livret de famille, et répétitivement sur tous les types d’affichage public on devrait en lire cet extrait :

"Au lieu d’interdire à votre fille de porter une jupe, essayez de faire comprendre à votre fils qu’une jupe n’est pas une invitation au sexe. Au lieu de forcer votre fille à se couvrir, essayez d’expliquer à votre fils qu’une femme est autre chose qu’un corps. Au lieu de prouver à votre fille que l’homme est l’ennemi, essayez de prouver à votre fils que les femmes sont des partenaires de valeur".

Permettez-moi d'ajouter un témoignage personnel : je n'ai pas été élevé "en garçon", on ne m'a pas inculqué ce qu'étaient les comportements de petit mâle auxquels il me fallait me conformer. Et les rares incitations que j'ai pu malgré tout recevoir qui étaient susceptibles d'aller dans le sens d'un dressage machiste, une bénédiction particulière - je mesure aujourd'hui que c'était une bénédiction et que le bienfait qu'elle représentait est de ceux dont on rend grâce pour la vie (à une transcendance ou au hasard et à la nécessité qui configurent le cours d'une existence) - a fait qu'elles n'ont eu aucune prise, qu'elles n'ont laissé aucune empreinte sur moi.

Je n'ai donc aucun mérite à regarder une femme comme un autre être humain et seulement comme cela. Et seulement comme cela quelle que soient l'attirance, le charme et la séduction que je lui trouve : exactement comme j'écoute une musique qui me bouleverse en sachant que c'est une musique, comme je lis un poème qui me transporte en sachant que c'est un poème, ou que je regarde un tableau qui me touche en sachant que je regarde un tableau.

J'entends par là que du point de vue de ce qui identifie un être humain à notre humanité, réduire une femme au désir ou au fantasme que ses traits physiques inspirent, comme au reste, bien sûr, à la représentation d’impureté et d'invalidité que lui attachent les sociétés et les modèles de pensée archaïques, m'est aussi foncièrement étranger que de m'arrêter à une couleur de peau, à un type de chevelure, et a fortiori à une origine, à une langue ou à une spiritualité. Comme si les uns ou les autres de ces marqueurs, visuels ou intellectuels, pouvaient si peu que ce soit départager en qualité et en droit une créature humaine d'une autre créature humaine ou signifier que telle créature ne saurait être reconnue pour humaine à part entière ; ou encore discriminer de quelque autre façon que ce soit entre ces créatures.

J'apporte ce témoignage personnel avant tout pour faire entendre que ne rien arrêter aux différences sexuées (on a compris que j'inclus et que j'englobe ici toutes les "minorités sexuelles") dans l'idée qu'on se fait de l'appartenance à l'humanité, que ne rien inférer de ces différences contre l'indistinction de dignité qui découle par essence de cette appartenance, constitue une formidable libération intérieure pour qui est en mesure de le faire et de régler en conséquence ses modes de pensée et de conduite.

Et pour qui n'a pas eu à passer en la matière par un apprentissage - la grâce que j'ai eue -, prendre conscience qu'on a vécu et qu’on vit tout naturellement dans cette libération procure un sentiment dont il est difficile de rendre exactement compte. Rien assurément d’une vanité, et bien davantage que l’impression de détenir une supériorité intellectuelle et morale : une sérénité faite de la perception d’avoir été porté au-delà du seuil de la victoire sur les pires préjugés. Et qui est pénétrée de la conviction que ce présent s’accompagne pour son bénéficiaire de la vocation à prendre part à la multitude des combats qui se mènent en vue d’étendre un jour sans limite cette victoire.

Une sérénité qui n’est pas une béatitude, une vocation qui n’est pas une contrainte. Mais à elles deux les composantes d’une confiance dans l’avenir et par là d’une sorte de jubilation tranquille. D’une paix intérieure d’un type très particulier - un peu au fond celle qu’on souhaite charitablement à tous ceux qui sont possédés par une arriération qui invalide leur relation au féminin, et qui les voue à mépriser par aveuglement et jusqu’à l’abominable la moitié du genre humain quand elle ne les abaisse au plus atroce de la barbarie.

Didier LEVY - 20 01 2016

[1] Publié sur Facebook le 23 janvier 2016.

[2] Cette tribune a été publiée sur Facebook le 21 janvier 2016.


¨ Le billet du 18 janvier 2016 [1].

PROSCRIRE LE VOILE … ET PORTER LA KIPPA ?

Le Huron qui nous visiterait aujourd’hui se demanderait sans doute quelle logique nous commande simultanément de dénoncer le premier et d’ériger la seconde en symbole de la liberté de conscience ?  Et par quel raisonnement des élus de la nation sans lien connu avec le judaïsme et contempteurs habituels du voile, en sont tout récemment venus à paraître devant les médias en porteurs occasionnels de la kippa pensant par là marquer une solidarité avec ses porteurs ordinaires.

On lui expliquerait certes sans mal ce qui les sépare radicalement : d’un côté le signe distinctif par excellence des sociétés patriarcales et l’exposant édicté par celles-ci pour circonscrire l’impureté intrinsèque du sexe féminin et pour identifier l’infériorité qui découle de cette impureté et qui voue la jeune fille et la femme à être la propriété exclusive d’un homme, père (ou frère-s) puis mari. Et à n’exister que comme l’objet de cette possession.

De l’autre le port d’une marque de respect envers l’Eternel face auquel s’est conçue la première spiritualité monothéiste.

Sauf que cette explication pêcherait singulièrement par sa superficialité, par sa paresseuse simplification.


On suggérera en somme d’y regarder de plus près.

Inventé des siècles avant le Coran, n’ayant (à ce que nous disent des experts parmi les mieux crédibles) qu’un lien ténu avec celui-ci - au moins pour la spiritualité qui s’y exprime versus le rigorisme normatif qui présentement l’étouffe -, le voile bénéficie a priori, en ce que son port est revendiqué en tant que soumission personnelle à une obligation religieuse, de la protection de la loi républicaine qui consacre la liberté de conscience et le libre exercice des cultes.

La kippa, d’importation récente (le judaïsme ashkénaze de mon enfance l’ignorait complètement en dehors les lieux du culte), peut se réclamer de la même protection. Mais en offrant une perspective qui de prime abord élargit le questionnement ou la contestation citoyenne qu’elle suscite.

 En effet pour tout juif qui se veut un tant soit peu ‘’éclairé’’, elle renvoie à l’interprétation suivante (tout récemment publiée sur Facebook) :

« La kippa n'est pas une obligation religieuse juive. C'est un signe d'humilité pour le croyant, cela signifie 'il y a un D.ieu au dessus de moi et (que) je dois me rappeler qu'il y a toujours quelqu'un de plus fort que moi'. Rien n'oblige les juifs à porter des signes distinctifs. Les religieux peuvent porter n'importe quel type de chapeau ou de casquette ou de bonnet à pompon, juste pour rappeler qu'ils se considèrent comme "en dessous de D.ieu".».

Le point majeur en l’espèce, à savoir que les juifs religieux peuvent porter n’importe quel couvre-chef, doit être souligné, lu en lettres majuscules et inlassablement publié : non certes à l’encontre des seules pratiques d’un judaïsme identitariste, mais vis à vis de tous les affichages de signes d’appartenance confessionnelle dans l’espace public.

La démonstration de la faisabilité d’une neutralité civile de l’exposition de ces appartenances nous est d’ailleurs apportée - malheureusement de façon trop clairsemée - par l’exemple de ces jeunes filles et de ces femmes de religion musulmane qui recourent, en substitution du voile, à d’autres façons, parfaitement banalisées, de couvrir leur cheveux.

Que chaque confession - pour celles et ceux des croyants qui s’attachent à ce qu’ils jugent être une lecture orthodoxe de celle-ci (ce qui laisse bien sûr entière la question d’une intelligence de la foi où la raison moderne est mise au service de l’approche spirituelle …) -, pratique cette forme de discrétion, et les polémiques, les exclusions et jusqu’aux haines qui se déchaînent sur la question des ’’signes religieux’’ baisseraient significativement en intensité, voire perdraient grandement de leur  malfaisance.

Préconiser cette discrétion ne signifie en rien que ces croyants auraient à se cacher, que leur croyance devrait se vivre dans la clandestinité ou dans le secret de l’espace privatif. Il s’agit seulement d’affirmer que la liberté de conscience suppose un échange de respect : un respect des convictions de chacun par quiconque professe d’autres convictions, un respect qui est fait d’abord, de l’un envers l’autre, de tact, de mesure et de scrupules réciproques.

Et un respect auquel contrevient donc le fait de projeter au regard d’autrui sa propre croyance sans se soucier le moins du monde de la perception qu’en aura cet autrui. Un autrui confronté sans s’y attendre à l’exposition des marques vestimentaires (ou capillaires ou en forme de pilosité - … énumération non limitative !) d’une revendication confessionnelle et différencialiste dans un espace qu’il a appris à tenir pour dédié à une neutralité laïque que lui-même observe spontanément comme une civilité ordinaire.

La méconnaissance de la réserve qu’imposent en cette matière, individuellement et collectivement, la discrétion, le sens de la mesure et le tact, creuse les incompréhensions, nourrit les rejets, et fortifie jour après jour les représentations et les discours qui s’emploient à légitimer les discriminations et jusqu’à l’anathémisation  de telle ou telle catégorie en raison de ses spécificités cultuelles ou culturelles. La tolérance a bien peu de chances d’y résister.


A cette pédagogie élémentaire du ‘’vivre ensemble’’ pour lequel a été instituée la laïcité à la française, s’ajoute une autre considération non mois fondamentale. Liberté de conscience et libre exercice des cultes sont bien inscrits dans les droits fondamentaux proclamés par la République, héritière directe en cela de la Déclaration de 1789. Mais redisons encore une fois que par définition, aucun droit n’est absolu - sauf à devenir tyrannique en acquérant la capacité d’abolir d’autres droits, y compris de tout aussi essentiels.

A cet égard, la liberté des cultes ne s’est jamais exercée sans limites - et d’abord celle que fixe l’ordre public républicain (réserve posée dans la loi de Séparation de 1905 et conforme à son esprit libéral et à son dessein de pacification).

De ce point de vue, le port en public de signes d’appartenance confessionnelle sort du champ exclusif de la mise en œuvre de libertés constitutionnelles dès lors que l’ensemble des affichages de cet ordre pratiqués par les adeptes d’une religion - cette dernière étant prise en général de surcroît dans sa lecture et sa pratique la plus fondamentalistes - deviennent les marqueurs d’un identitarisme revendiqué.

Un identitarisme qui se veut ou qui devient par la force des choses constitutif d’un communautarisme configuré en enclave séparative de la nation. Et qui entend ou entendra se régir, c’est à dire régir ses membres, suivant une législation qui lui est propre, qui obéit à des valeurs et des normes différentes de celles en vigueur au sein de la nation, et que la République est fondée à considérer comme attentatoire, ou susceptible de le devenir à brève échéance, aux droits et  garanties qu’elle s’est donnée pour vocation d’assurer à toutes les citoyennes et à tous les citoyens. Et qui a motif à regarder comme telle cette législation distinctive du seul constat que tout communautarisme est voué à se faire oppresseur en son propre sein.

L’accentuation des phénomènes communautaristes, surtout si ceux-ci sont alliés à une inertie de la République devant leur essor et leur ancrage, provoque en réaction, on ne le voit présentement que trop, une sorte de contre-communautarisme qui se manifeste sous des formes de plus en plus agressives. Et qui porte en lui sa dérive naturelle qui est d’étendre sa fureur à toute identification minoritaire ou à tout soupçon de particularité identitaire.


De plus en plus nombreux sont ceux qui s’alarment d’une confrontation à venir entre les communautarismes qui se sont structurés au milieu des fractures sociales et éducatives que les trois dernières décennies ont vu s’additionner et s’aggraver. Peut-on parler de scénario catastrophe quand le contexte international, fait de guerres des religions et d’escalades concurrentielles entre fanatismes paroxystiques, est puissamment capable de pousser au pire ? Et alors qu’il suffira pour que ce pire se produise, de laisser libre cours à l’expansion des séparatismes culturels et cultuels et, par contrecoup, à l’extension et à l’induration des retranchements qui s’opèrent dans le référentiel-refuge qui s’est construit sur l’imaginaire d’une ’’identité française’’  - un imaginaire qui mobilise les pulsions xénophobes mais également racistes et antisémites, en jouant alternativement ou simultanément sur ces trois claviers maléfiques, et qui oeuvre non à affaiblir les communautarismes  mais à les dresser encore davantage contre la nation et les uns  contre les autres.

Derrière le questionnement du voile et de la kippa se dessine le péril qui menace à courte ou moyenne échéance la République. Et la réponse que ce péril appelle, réfléchie et objectivée suivant les critères sur lesquels le parti républicain s’est toujours fondé, et formulée selon les termes dans lesquels il s’est historiquement reconnu. Soutenons donc haut et fort que « le communautarisme voilà l’ennemi ! ».

Un ennemi qui a aussi pour noms les ghettos de toutes natures constitués un peu partout, les préjugés et au premier chef les plus archaïques qui ciblent immanquablement le féminin, les discriminations et le mépris qui les organise, les inégalités qu’on entretient en qualifiant de modernité le fait qu’elles perdurent et s’accentuent démesurément, et de service rendu à la compétitivité le soin mis à ne surtout pas les combler, et, bien sûr au terme de tous les manquements de la République à elle-même, les violences qui prospèrent sur l’ignorance et l’inculture.

Encore convient-il de s’attaquer à cet ennemi multiforme en plein cohérence avec la raison qui a présidé à la définition de l’objectif poursuivi. Autrement dit, de ne pas croire ou prétendre qu’on s’en prend aux communautarismes, de ne pas imaginer qu’on déploie la bonne pédagogie en ce sens, et qu’on manifeste son attachement à la République en adhérant à ce combat , si en parallèle on revendique la faculté d’installer des crèches dans les mairies, ou si l’on défile contre le ‘’mariage pédé’’ en laissant entendre par là que la loi républicaine devrait être soumise à un nihil obstat préalable d’autorités religieuses..

Le communautarisme peut mettre fin à la République, à l’idée de la  Nation exprimée en 1789. Il peut détruire les libertés, les égalités et les protections de la dignité humaine forgées depuis la Révolution - y inclus ce que chacune de celles-ci a trouvé comme source ou inspiration dans le judaïsme, dans la pensée grecque puis dans le christianisme, ou dans la formation de l’esprit des Lumières.

Mais c’est toujours à la laïcité qu’un communautarisme commence par s’attaquer, qu’il a besoin avant toute chose de faire disparaître. Le reste, tout le reste, suivra.

Une laïcité dont on a largement oublié qu’elle s’est définie dans un pays qui est entré dans les guerres modernes de religion sous le règne de François 1er pour n’en sortir - symboliquement - que par le poème d’Aragon La Rose et le Réséda. Et qui est à même de voir à travers les deux exemples qu’on a cités ci-avant que le fanatisme et son aveuglement ne demandent qu’à se déchaîner de nouveau, et que derrière eux les haines et les violences confessionnelles ne sauraient être rangées au nombre des volcans éteints.

Faudrait-il ajouter « A bon entendeur, salut » ?

Didier LEVY - 18 01 2016

[1] Publié sur Facebook le 18 janvier 2016.

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