Rendre de nouveau intelligible
la signification du Front Populaire pour lui donner toute la place qui lui revient
dans les enjeux politiques de 2017.
> Oui, il
importe, au regard des choix électoraux qui nous attendent, de replacer le
Front Populaire au première rang dans nos centres d’intérêt, et de le
repositionner dans nos débats comme une référence majeure.
¤ Une haine de classe au sens le plus
pur.
Le quasi silence qui a entouré les 80
ans du ‘’Front Popu’’ est révélateur de l’état du pays et de celui de la gauche
- gauche ‘’canal philosophique’’ exceptée, disons plus simplement celle qui se
rend encore au Mur des Fédérés, et/ou celle qui relit le « Indignez-vous ! » de
Stéphane Hessel.
Ce n’est pas de rancune dont il faut
parler, mais de haine, à propos de la mémoire que la haute, la grande et la
moyenne bourgeoisie ont gardé de cette première irruption de la gauche dans la
charge des responsabilités publiques - quand bien même n’était-il question que d’exercice
du pouvoir et non de prise du pouvoir pour suivre la distinction
théorisée par Léon Blum.
Il convient à cet égard de se rappeler
que le gouvernement du Front Populaire comptait des prolos d’origine et
des fils de prolo, (et des femmes de surcroît !). Pour la droite
dans son ensemble, non seulement la gauche n’a pas vocation à gouverner, mais
les gens issus des basses classes sont tout juste bons à figurer décorativement
sur les bancs de l’opposition - de préférence sur des strapontins.
Mais cette haine, haine de classe au
sens le plus pur, s’est principalement nourrie, parmi toutes les avancées
sociales que Front Populaire a réalisées et tous les bouleversements qu’il a
accompagnés, de deux motifs qui renvoient à ce que le parti de l’ordre a tenu pour
les plus inexpiables attentats dirigés contre lui et contre ses intérêts. D’une
part, les occupations d’usines (engagées avant la formation du cabinet Blum),
véritables insurrections de la dignité ouvrière que les patrons ont vécue comme
une subversion du sacro-saint droit de propriété et, partant, de la légitimité
de leur pouvoir absolu.
Et d’autre part, la combinaison des
‘’Quarante heures’’ et des congés payés, dénoncés comme la concrétisation du
droit à la paresse : les riches, depuis le temps de l’esclavage, ont
toujours détesté que les pauvres se reposent, et d’abord parce qu’à leurs yeux,
ce temps de repos leur est tout simplement volé. Et non seulement volé à
l’enrichissement des plus nantis auquel le temps de travail des pauvres doit
servir, mais distrait de cette grande économie du temps de travail dont le
capitalisme à l’impérieuse nécessité qu’elle soit assise sur une durée de
travail et d’emploi précaire : pour que cette durée soit disponible sans
limite si l’actionnaire en tire profit, ou pour qu’elle soit convertie en temps
de chômage, partiel ou total, également à la convenance du même actionnaire.
L’exécration des 40 heures et des
congés payés n’a cessé d’habiter la droite la plus indurée. C’est elle qui
inspire le discours pénitentiel de Philippe Pétain sur « l’esprit de
jouissance (qui) l’a emporté sur l’esprit de sacrifice », et il suffit
d’écouter le programme décliné aux primaires de la droite par François Fillon
pour réentendre ce discours inchangé sur le fond, et pour retrouver intactes
les représentations mentales sur lesquelles il se fonde et se formate.
Une haine que le procès de Riom a voulu assouvir en imputant aux 40 heures
l’impréparation et la défaite de la France en mai-juin 1940. Imputation dont
Léon Blum fit si puissamment justice, mettant notamment en jeu la
responsabilité du maréchal Pétain dans les choix qui en matière de défense
avaient conduit à notre écroulement militaire, que le régime de Vichy fut
contraint de suspendre sine die un procès qui se retournait contre lui. Et que
finalement, Philippe Pétain - comme aurait pu le faire avant lui Louis XIV -
décida de juger lui-même les accusés.
La légende calomnieuse d’un Front
Populaire qui aurait ‘’désarmé’’ la France a montré qu’elle avait la vie
dure : une preuve éloquente en a été donnée quand François Fillon l’a
reprise à son compte, démontrant à quel point elle est ancrée chez les
possédants et dans toutes les allégeances mémorielles des schémas de pensée
typés à droite.
¤ L’homme politique le plus haï.
Riom souligne aussi l’élévation
intellectuelle et morale du président du conseil du gouvernement du Front
Populaire. Mais rappelle en regard de cette élévation, et du legs que
représente l’œuvre accomplie en 1936, que dans notre histoire moderne, Léon
Blum fut certainement l’homme politique le plus haï. Comme socialiste, comme
juif, comme auteur de « Du Mariage ». Liste non limitative …
Réchappant au lynchage mené par les
militants de l’Action Française le jour des obsèques de Jacques Bainville,
cible de l’apostrophe hideuse de Xavier Vallat lors de la présentation à la
Chambre de son ministère (« Pour la première fois, ce vieux pas
gallo-romain va être gouverné … par un
Juif »), exposé à un déchaînement de la vindicte dans l’atmosphère de
Vichy aux jours où se réunit l’Assemblée nationale qui abandonne le pouvoir à
Philippe Pétain, mis en accusation, condamné à être emprisonné à vie puis livré
aux Allemands - liste là encore non limitative -, Blum ne trouve cependant pas
dans cette continuité de l’exécration et de la persécution dirigées contre la
grande figure de la République qu’il a été, et pas davantage dans l’ampleur
historique des réformes attachées à son gouvernement qui aurait dû y suffire,
la reconnaissance publique que les républicains en général et la/les gauche(s)
en particulier devraient lui manifester.
Peu de traces d’ailleurs d’une
reconnaissance dans l’espace public - hors les villes de tradition ou de passé
socialiste. Pour Paris, une place et une station de métro (partagée avec
Voltaire … partage plutôt incongru si le défenseur du capitaine Dreyfus ne se
trouvait pas ainsi associé au défenseur de Calas). Et un modeste lieu de
mémoire dans la maison de sa fin de vie à Jouy-en-Josas.
Et bien moins de présence encore dans le référentiel politique
d’une gauche qui ne cite pratiquement plus son nom ni son action, comme si
son silence s’alignait sur la relégation historique infligée à la personne de
Léon Blum - une relégation dont la droite fait sa première vengeance de sa
grande peur de 1936. Ou comme si ce silence était concédé par lâcheté à la
dégradation de l’image de Léon Blum que les entreprises conjuguées des castes
fortunées et des phalanges composites de l’extrême-droite n’ont jamais cessé de
répandre, et aussi largement que le camp républicain leur a laissé l’espace de
le faire.
¤ ‘’Défaire le programme du CNR’’.
La haine a souvent été mise en avant
dans les lignes qui précédent. Pour la raison que celle-ci est bien le moteur
de l’hyper droitisation qu’a mise en évidence la victoire écrasante de François
Fillon à la primaire de la droite.
Une hyper droitisation qui porte,
outre la renaissance du cléricalisme politique, la somme de rancune et de rage
dont est possédée cette France qui rêverait d’effacer tout ce qui a été écrit
entre les 40 et les 35 heures. Qui a de longue date brisé le pacte républicain
qui protégeait le modèle social adopté à la Libération, en déchirant du même
coup le contrat social refondé à partir du programme du Conseil National de la
Résistance.
Rien n’est plus éclairant à cet égard
que de citer l’ex-idéologue en chef du patronat. Lequel a su résumer la
restauration du capitalisme dans toute la latitude de sa profitabilité, celle
de l’avant-années trente, en un mot d’ordre qui valait plan de campagne : « Il
s’agit de défaire méthodiquement le programme du CNR ».
C’est encore d’un silence, ou d’une
coupable inattention, dont la majorité de la gauche endosse la responsabilité
en n’ayant pas retourné, et en ne retournant pas, aux ultras libéraux et aux
néo-thatchériens de la droite le modus operandi ainsi énoncé, qui ramène
la prétendue modernité de leurs programmes à ce qu’elle est : l’obsession d’assouvir une revanche et de
récupérer en totalité des pouvoirs et des capacités d’enrichissement trop
longtemps restreints.
L’objectif et la démarche tracés par Denis
Kessler laissaient pourtant bien entendre que le démantèlement du corpus
économique et social sur lequel le CNR avait voulu asseoir la reconstruction de
la France et de la République impliquait - outre d’anéantir les avancées de
justice sociale incluses dans ce corpus, et donc celles qui y prenaient place à
titre de conquêtes du Front Populaire - de revenir simultanément, suivant la
même logique, sur les acquis sociaux qui étaient venus par la suite développer
le contrat social de la Libération, avec en la matière les dates-phares de 1968
et de 1981.
La consigne de ‘’défaire le programme
du CNR’’ traçait et trace en réalité à elle seule, et contre elle, la ligne de résistance à tenir. Pour
que République justifie la qualification de sociale qu’elle revendique.
Une position de combat qu’il incombe à la gauche de défendre, mais pas
uniquement à elle puisque l’histoire y appelle également les gaullistes ‘’de
sensibilité sociale’’ et les chrétiens-sociaux, et pour personnaliser et
simplifier, les héritiers d’Edmond Michelet et de Jacques Chaban-Delmas, de
Robert Buron et de Paul Bacon.
Si l’on ne veut pas s’illusionner sur
l’attachement à l’égalité et à la solidarité de la majorité de ceux qui
devraient être les défenseurs naturels de l’une et de l’autre, le programme du CNR
et les valeurs refondatrices que la République en a tirées - des valeurs
auxquelles elle s’est tenue jusqu’aux ‘’privatisations Balladur’’ de 1986 -
dessinent au moins une ligne partage au
sein des gauches. Et de ce point de vue, il est à craindre que les plus
nombreux soient ces temps-ci du mauvais côté de cette démarcation.
Du côté où l’on est disposé à
consentir d’autres abandons à ‘’la main bienfaisante du marché’’, d’autres
concessions à ‘’la concurrence libre et non faussée’’.
Où l’on s’est résigné à croire, selon
le diagnostic à l’emporte-pièce de Michel Rocard, que « le capitalisme
a gagné », et rallié à l’idée que la compétitivité est la seule
grandeur et le seul devoir susceptible d’être offerts aux destinées des sociétés
et des hommes.
Sans voir que de renoncements en
renoncements à l’espoir qu’une autre société est possible, on se fait complice d’une
régression pratiquement sans limite de l’ordre public social.
Et qu’on contribue, si on n’en accélère
pas la marche, à un processus dont la fin ne consiste en rien d’autre qu’à replacer
le monde du travail dans la dépossession de droits et de protections qui
faisait au XIX ème la condition des ouvriers face aux patrons. En privant en
premier lieu l’Etat de sa fonction de gardien du Bien commun et de garant de
l’intérêt général, et des moyens de remplir sa mission de protection des
citoyens. C'est-à-dire des bases mêmes sur lesquelles a reposé la construction
de sa légitimité. Pour substituer à la régulation publique le libre jeu de la
violence sociale exercée par les plus riches.
¤ Une nouvelle Déclaration des droits.
Face à ce processus et à l’acharnement
qui l’active, l’une des digues à construire doit assurément s’édifier au cœur
même de la Loi fondamentale. Par l’ajout
d’une nouvelle Déclaration des droits à la constitution qui finira bien par
réhabiliter le régime républicain - en réformant ou en remplaçant celle de
1958 qui conjugue les deux vices d’avoir fondé une monarchie élective à
caractère plébiscitaire et de s’être prêtée, depuis son premier jour, à
l’usurpation par le président de la République des attributions qu’elle
réservait au gouvernement et à son chef. Une Déclaration des droits qui
sanctuarisera en totalité ceux qui ont été rétablis ou proclamés à la
Libération, et ceux qui ont été postérieurement acquis.
Déclarer intangibles (et opposables)
les principes, droits et libertés constitutifs du contrat social qui s’est
imposé « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres
sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine »
réparerait l’échec qu’a constitué la non adoption de la déclaration attachée au
projet de constitution du 19 avril 19 46 rejeté par référendum. Un échec
imparfaitement compensé par les préambules respectifs des constitutions de la
IV ème et de V ème république.
Et inclure dans cette nouvelle
Déclaration les droits et garanties reconnus sur le demi-siècle écoulé, ce se
serait poser un obstacle de taille devant toutes les entreprises
réactionnaires. Celles qui sont à l’œuvre pour détruire le cadre économique et
le modèle social dessinés au temps de la Résistance, et également, bien sûr,
celles qui se mobilisent pour subvertir la laïcité.
¤ Un droit
conquis, une liberté proclamée : pas de retour en arrière !
Et pour finir sur une tonalité
volontairement radicale, cette question : peut-on préserver les trois
attributs que la République s’est donnée en se qualifiant de laïque, démocratique et sociale,
et l’ensemble des sauvegardes individuelles et collectives qui valident cette
triple nature, sans attacher une qualification pénale à toute entreprise
concertée visant à abolir, ou à restreindre, les droits, libertés et
protections soutenues par la Constitution et par la
déclaration des droits incorporée à celle -ci ?
Pour quiconque se range dans une
gauche authentique, la réponse ne peut être qu’affirmative - résolument et
définitivement affirmative.
Didier LEVY - 29 12 2016
« D’HUMEUR
ET DE RAISON »
Publié sur Facebook ce jour.
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