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vendredi 30 décembre 2016

LE FRONT POPULAIRE : UNE MÉMOIRE VIVANTE ET ACTIVE.

Rendre de nouveau intelligible la signification du Front Populaire pour lui donner toute la place qui lui revient dans les enjeux politiques de 2017.

> Oui, il importe, au regard des choix électoraux qui nous attendent, de replacer le Front Populaire au première rang dans nos centres d’intérêt, et de le repositionner dans nos débats comme une référence majeure.

¤ Une haine de classe au sens le plus pur.

Le quasi silence qui a entouré les 80 ans du ‘’Front Popu’’ est révélateur de l’état du pays et de celui de la gauche - gauche ‘’canal philosophique’’ exceptée, disons plus simplement celle qui se rend encore au Mur des Fédérés, et/ou celle qui relit le « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel.

Ce n’est pas de rancune dont il faut parler, mais de haine, à propos de la mémoire que la haute, la grande et la moyenne bourgeoisie ont gardé de cette première irruption de la gauche dans la charge des responsabilités publiques - quand bien même n’était-il question que d’exercice du pouvoir et non de prise du pouvoir pour suivre la distinction théorisée par Léon Blum.

Il convient à cet égard de se rappeler que le gouvernement du Front Populaire comptait des prolos d’origine et des fils de prolo, (et des femmes de surcroît !). Pour la droite dans son ensemble, non seulement la gauche n’a pas vocation à gouverner, mais les gens issus des basses classes sont tout juste bons à figurer décorativement sur les bancs de l’opposition - de préférence sur des strapontins.

Mais cette haine, haine de classe au sens le plus pur, s’est principalement nourrie, parmi toutes les avancées sociales que Front Populaire a réalisées et tous les bouleversements qu’il a accompagnés, de deux motifs qui renvoient à ce que le parti de l’ordre a tenu pour les plus inexpiables attentats dirigés contre lui et contre ses intérêts. D’une part, les occupations d’usines (engagées avant la formation du cabinet Blum), véritables insurrections de la dignité ouvrière que les patrons ont vécue comme une subversion du sacro-saint droit de propriété et, partant, de la légitimité de leur pouvoir absolu.

Et d’autre part, la combinaison des ‘’Quarante heures’’ et des congés payés, dénoncés comme la concrétisation du droit à la paresse : les riches, depuis le temps de l’esclavage, ont toujours détesté que les pauvres se reposent, et d’abord parce qu’à leurs yeux, ce temps de repos leur est tout simplement volé. Et non seulement volé à l’enrichissement des plus nantis auquel le temps de travail des pauvres doit servir, mais distrait de cette grande économie du temps de travail dont le capitalisme à l’impérieuse nécessité qu’elle soit assise sur une durée de travail et d’emploi précaire : pour que cette durée soit disponible sans limite si l’actionnaire en tire profit, ou pour qu’elle soit convertie en temps de chômage, partiel ou total, également à la convenance du même actionnaire.

L’exécration des 40 heures et des congés payés n’a cessé d’habiter la droite la plus indurée. C’est elle qui inspire le discours pénitentiel de Philippe Pétain sur « l’esprit de jouissance (qui) l’a emporté sur l’esprit de sacrifice », et il suffit d’écouter le programme décliné aux primaires de la droite par François Fillon pour réentendre ce discours inchangé sur le fond, et pour retrouver intactes les représentations mentales sur lesquelles il se fonde et se formate.

Une haine que le procès de Riom a voulu assouvir en imputant aux 40 heures l’impréparation et la défaite de la France en mai-juin 1940. Imputation dont Léon Blum fit si puissamment justice, mettant notamment en jeu la responsabilité du maréchal Pétain dans les choix qui en matière de défense avaient conduit à notre écroulement militaire, que le régime de Vichy fut contraint de suspendre sine die un procès qui se retournait contre lui. Et que finalement, Philippe Pétain - comme aurait pu le faire avant lui Louis XIV - décida de juger lui-même les accusés.

La légende calomnieuse d’un Front Populaire qui aurait ‘’désarmé’’ la France a montré qu’elle avait la vie dure : une preuve éloquente en a été donnée quand François Fillon l’a reprise à son compte, démontrant à quel point elle est ancrée chez les possédants et dans toutes les allégeances mémorielles des schémas de pensée typés à droite.


¤ L’homme politique le plus haï.

Riom souligne aussi l’élévation intellectuelle et morale du président du conseil du gouvernement du Front Populaire. Mais rappelle en regard de cette élévation, et du legs que représente l’œuvre accomplie en 1936, que dans notre histoire moderne, Léon Blum fut certainement l’homme politique le plus haï. Comme socialiste, comme juif, comme auteur de « Du Mariage ». Liste non limitative …

Réchappant au lynchage mené par les militants de l’Action Française le jour des obsèques de Jacques Bainville, cible de l’apostrophe hideuse de Xavier Vallat lors de la présentation à la Chambre de son ministère (« Pour la première fois, ce vieux pas gallo-romain va être gouverné …  par un Juif »), exposé à un déchaînement de la vindicte dans l’atmosphère de Vichy aux jours où se réunit l’Assemblée nationale qui abandonne le pouvoir à Philippe Pétain, mis en accusation, condamné à être emprisonné à vie puis livré aux Allemands - liste là encore non limitative -, Blum ne trouve cependant pas dans cette continuité de l’exécration et de la persécution dirigées contre la grande figure de la République qu’il a été, et pas davantage dans l’ampleur historique des réformes attachées à son gouvernement qui aurait dû y suffire, la reconnaissance publique que les républicains en général et la/les gauche(s) en particulier devraient lui manifester.

Peu de traces d’ailleurs d’une reconnaissance dans l’espace public - hors les villes de tradition ou de passé socialiste. Pour Paris, une place et une station de métro (partagée avec Voltaire … partage plutôt incongru si le défenseur du capitaine Dreyfus ne se trouvait pas ainsi associé au défenseur de Calas). Et un modeste lieu de mémoire dans la maison de sa fin de vie à Jouy-en-Josas.

Et bien moins de présence encore dans le référentiel politique d’une gauche qui ne cite pratiquement plus son nom ni son action, comme si son silence s’alignait sur la relégation historique infligée à la personne de Léon Blum - une relégation dont la droite fait sa première vengeance de sa grande peur de 1936. Ou comme si ce silence était concédé par lâcheté à la dégradation de l’image de Léon Blum que les entreprises conjuguées des castes fortunées et des phalanges composites de l’extrême-droite n’ont jamais cessé de répandre, et aussi largement que le camp républicain leur a laissé l’espace de le faire.


¤ ‘’Défaire le programme du CNR’’.

La haine a souvent été mise en avant dans les lignes qui précédent. Pour la raison que celle-ci est bien le moteur de l’hyper droitisation qu’a mise en évidence la victoire écrasante de François Fillon à la primaire de la droite.

Une hyper droitisation qui porte, outre la renaissance du cléricalisme politique, la somme de rancune et de rage dont est possédée cette France qui rêverait d’effacer tout ce qui a été écrit entre les 40 et les 35 heures. Qui a de longue date brisé le pacte républicain qui protégeait le modèle social adopté à la Libération, en déchirant du même coup le contrat social refondé à partir du programme du Conseil National de la Résistance.

Rien n’est plus éclairant à cet égard que de citer l’ex-idéologue en chef du patronat. Lequel a su résumer la restauration du capitalisme dans toute la latitude de sa profitabilité, celle de l’avant-années trente, en un mot d’ordre qui valait plan de campagne : « Il s’agit de défaire méthodiquement le programme du CNR ».

C’est encore d’un silence, ou d’une coupable inattention, dont la majorité de la gauche endosse la responsabilité en n’ayant pas retourné, et en ne retournant pas, aux ultras libéraux et aux néo-thatchériens de la droite le modus operandi ainsi énoncé, qui ramène la prétendue modernité de leurs programmes à ce qu’elle est : l’obsession d’assouvir une revanche et de récupérer en totalité des pouvoirs et des capacités d’enrichissement trop longtemps restreints.

L’objectif et la démarche tracés par Denis Kessler laissaient pourtant bien entendre que le démantèlement du corpus économique et social sur lequel le CNR avait voulu asseoir la reconstruction de la France et de la République impliquait - outre d’anéantir les avancées de justice sociale incluses dans ce corpus, et donc celles qui y prenaient place à titre de conquêtes du Front Populaire - de revenir simultanément, suivant la même logique, sur les acquis sociaux qui étaient venus par la suite développer le contrat social de la Libération, avec en la matière les dates-phares de 1968 et de 1981.

La consigne de ‘’défaire le programme du CNR’’ traçait et trace en réalité à elle seule, et contre elle, la ligne de résistance à tenir. Pour que République justifie la qualification de sociale qu’elle revendique. Une position de combat qu’il incombe à la gauche de défendre, mais pas uniquement à elle puisque l’histoire y appelle également les gaullistes ‘’de sensibilité sociale’’ et les chrétiens-sociaux, et pour personnaliser et simplifier, les héritiers d’Edmond Michelet et de Jacques Chaban-Delmas, de Robert Buron et de Paul Bacon.

Si l’on ne veut pas s’illusionner sur l’attachement à l’égalité et à la solidarité de la majorité de ceux qui devraient être les défenseurs naturels de l’une et de l’autre, le programme du CNR et les valeurs refondatrices que la République en a tirées - des valeurs auxquelles elle s’est tenue jusqu’aux ‘’privatisations Balladur’’ de 1986 - dessinent au moins une ligne partage au sein des gauches. Et de ce point de vue, il est à craindre que les plus nombreux soient ces temps-ci du mauvais côté de cette démarcation.

Du côté où l’on est disposé à consentir d’autres abandons à ‘’la main bienfaisante du marché’’, d’autres concessions à ‘’la concurrence libre et non faussée’’.

Où l’on s’est résigné à croire, selon le diagnostic à l’emporte-pièce de Michel Rocard, que « le capitalisme a gagné », et rallié à l’idée que la compétitivité est la seule grandeur et le seul devoir susceptible d’être offerts aux destinées des sociétés et des hommes.

Sans voir que de renoncements en renoncements à l’espoir qu’une autre société est possible, on se fait complice d’une régression pratiquement sans limite de l’ordre public social.

Et qu’on contribue, si on n’en accélère pas la marche, à un processus dont la fin ne consiste en rien d’autre qu’à replacer le monde du travail dans la dépossession de droits et de protections qui faisait au XIX ème la condition des ouvriers face aux patrons. En privant en premier lieu l’Etat de sa fonction de gardien du Bien commun et de garant de l’intérêt général, et des moyens de remplir sa mission de protection des citoyens. C'est-à-dire des bases mêmes sur lesquelles a reposé la construction de sa légitimité. Pour substituer à la régulation publique le libre jeu de la violence sociale exercée par les plus riches.


¤ Une nouvelle Déclaration des droits.

Face à ce processus et à l’acharnement qui l’active, l’une des digues à construire doit assurément s’édifier au cœur même de la Loi fondamentale. Par l’ajout d’une nouvelle Déclaration des droits à la constitution qui finira bien par réhabiliter le régime républicain - en réformant ou en remplaçant celle de 1958 qui conjugue les deux vices d’avoir fondé une monarchie élective à caractère plébiscitaire et de s’être prêtée, depuis son premier jour, à l’usurpation par le président de la République des attributions qu’elle réservait au gouvernement et à son chef. Une Déclaration des droits qui sanctuarisera en totalité ceux qui ont été rétablis ou proclamés à la Libération, et ceux qui ont été postérieurement acquis.

Déclarer intangibles (et opposables) les principes, droits et libertés constitutifs du contrat social qui s’est imposé « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine » réparerait l’échec qu’a constitué la non adoption de la déclaration attachée au projet de constitution du 19 avril 1946 rejeté par référendum. Un échec imparfaitement compensé par les préambules respectifs des constitutions de la IV ème et de V ème république.

Et inclure dans cette nouvelle Déclaration les droits et garanties reconnus sur le demi-siècle écoulé, ce se serait poser un obstacle de taille devant toutes les entreprises réactionnaires. Celles qui sont à l’œuvre pour détruire le cadre économique et le modèle social dessinés au temps de la Résistance, et également, bien sûr, celles qui se mobilisent pour subvertir la laïcité.


¤ Un droit conquis, une liberté proclamée : pas de retour en arrière !

Et pour finir sur une tonalité volontairement radicale, cette question : peut-on préserver les trois attributs que la République s’est donnée en se qualifiant de laïque, démocratique et sociale, et l’ensemble des sauvegardes individuelles et collectives qui valident cette triple nature, sans attacher une qualification pénale à toute entreprise concertée visant à abolir, ou à restreindre, les droits, libertés et protections soutenues par la Constitution et par la déclaration des droits incorporée à celle -ci ?

Pour quiconque se range dans une gauche authentique, la réponse ne peut être qu’affirmative - résolument et définitivement affirmative.

Didier LEVY - 29 12 2016
« D’HUMEUR ET DE RAISON »

Publié sur Facebook ce jour.

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