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samedi 20 juin 2020

FAUT-IL NOMMER UNE FEMME ARCHEVÊQUE, OU «MONTER EN CHAIRE CHACUN(E) SON TOUR» ?


Ø Et si l’on commençait par re-visiter les notions DE SACERDOCE UNIVERSEL ET DE GOUVERNANCE COMMUNE DU SAVOIR ET DU PEUPLE ? Plutôt que de chercher de fausses issues – fausses, car si on se laissait tenter de les emprunter, rien ne serait changé.

Comme avec ce compromis dont on nous suggère les termes qui se sépareraient sur "... la distinction entre le ministère ordonné et la gouvernance de l’Église ".

Redisons que si le moindre petit pas est fait dans la direction de cette distinction, l'Institution romaine récupérera cette magnifique provocation qui lui est adressée par une femme, l'ajustera à son immuable corpus sexué, bref la digérera.

Pour peu que dans la durée que ces sortes de digestions requièrent de la part d’une cléricature, les plus habiles l'emportent, et tout ira de sorte qu'on aura demain ou après demain des ministères d'administration épiscopale confiés à des femmes.

Mais, à l'encontre de celles-ci, l'exclusion des ministères ordonnés perdurera : cette ségrégation ne sera en rien entamée. Bien au contraire, car la  fortification de la de la ligne de démarcation qui leur fait barrage s'en trouvera consolidée.

C’est une fausse apparence d'égalité qui aura été affichée : à des femmes reviendront donc peut-être les honneurs de fonctions, de responsabilités et de gouvernance séculières qui auront tout pour paraître éminentes ; aux seuls hommes demeurera réservée l'entrée dans le corps sacerdotal - l'exclusion ainsi renouvelée ajoutant à ses prétextes et à ses déguisements de toujours, ce revers de la main qui signifiera que "désormais les femmes n'ont plus de raison de se plaindre".

La seule question qui vaille face à une ségrégation est celle de son abolition. Aurait-on tenu que l'apartheid avait pris fin si les Noirs d'Afrique du Sud avaient pu monter dans les autobus à côté des Blancs, sans accéder en même temps au droit de vote - dont ils auraient continué à être jugé incapables ou indignes de l’exercer ?

L'enjeu ici est spirituel. Et il est inscrit dès la Genèse : il n'est aucune autre distinction entre l'homme et la femme qui se dissocient dans l'Adam, que les parts, les rôles et les affects qui leur sont respectivement donnés dans la reproduction sexuée. Cette reproduction où le Créateur, s'étant ravisé, leur fait prendre place, à leur tour, pour qu'ils participent à la continuation de la création qui procèdera de l'amour.

Les codes sociaux des sociétés humaines, les représentations archaïques, névrotiques, et invariablement sanglantes, sur lesquelles ils se configurent, ne vont pas de sitôt cesser de malfaire, ils ne vont pas renoncer à leur ouvrage, obsessionnellement dédié à la séparation de l'homme et de la femme. Qu’importe à ceux qui les édictent depuis toujours que D.ieu eût signifié que c'est Lui qui les a unis ?

Et si l'essentiel est appelé à la barre dans ce procès millénaire, il n'aura pas beaucoup à plaider pour faire entendre que la lumière que propage cette union des deux sexes couvre un paysage infiniment plus étendu que le seul sujet du mariage - sur lequel ordinairement le contre-sens, ou le non-sens, la concentre.

Il lui suffira de rappeler que ce sont deux sacrements assurément sans pareils, l’Incarnation et son pendant la Résurrection, auxquels des femmes ont été appelées à présider, et qu’il a été échu à deux femmes, et à elles seules, de les administrer ; l’une dans son corps de femme, l’autre d’un geste et d’un mot devant le tombeau vide - le masculin n'en était certes pas absent, mais, pour le premier, l’homme a été placé dans l’ombre, et pour le second, il n’a compté qu’aux rôles de deux épisodiques et fragmentaires témoins .... Et pour cette autre élévation qu'est la Passion – l’élévation d’une mort partagée dont la vie viendrait triompher à jamais -, elle est exemplairement concélébrée au pied de l’instrument du supplice par la mère du condamné et par le disciple préféré.

A l’égard de celles qui ont délivré de tels sacrements dans la plénitude de leur vocation, quelle relégation de leur sexe, quelle exclusion conséquente vouée à les tenir en dehors du service du croire - de quelque service du croire que ce soit - saurait-elle faire sens ? Et ce serait même, en fin de compte, abaisser leur vocation, qui fut accomplie au sommet spirituel de l’histoire de leur foi,  si on prenait cette éviction en compte pour l’ajouter à tout ce qui rend irrépressiblement dérisoire l'interminable refus et rejet opposé aux femmes et, plus fondamentalement et plus outrageusement encore, à la féminité.

Le contraste est tellement inouï qu’il se requalifie en un paradoxe insoutenable : de ceux qui commandent qu’on porte le regard au-delà de ce qui déjà les réfute. Et en l’espèce, le regard n’a pas à se hasarder trop loin : il s’arrête sur le plus visible - que tant de scrutateurs, qu’ils soient du passé ou de l’horizon du cléricalisme, s’interdisent de voir. Deux bornes auxquelles, pour ce qui est en cause ici,  l’Eglise romaine s’est depuis si longtemps et si fixement arrêtée que tout cours nouveau de la pensée spirituelle l’y dépasse et l’y abandonne.

Comment entendrait-elle ainsi que l'exclusion des femmes des ministères ordonnés procède d’une répulsion insurmontable de leur sexe, de la confusion millénaire entre le corps de la femme et  l’impuretépureté et impureté étant les deux notions les plus démentiellement déviantes et violentes qu’ait forgé le genre humain -, de son endurcissement dans la méconnaissance et le déni de la grandeur qui est conférée à la fusion amoureuse des corps à partir du don de la reproduction sexuée.

Cette exclusion ne tient pas à d’autres racines. Lesquelles ne sont devenues inextirpables qu’en ce qu’elles ont été, vis-à-vis de l’intelligence symbolique de la Genèse, vis-à-vis de la dissociation de l’Adam et donc de ce même don de la reproduction sexuée, autant de métastases d’un mal qui a pris corps avec la dénaturation chrétienne du ‘’penser-judaïsme’’ qui a sévie aux premiers siècles chrétiens. Et qui fut moins, au reste, le délaissement d’un tronc commun du croire qu’une révocation de l’esprit de l’Alliance.

 L’autre borne est la butte sur laquelle s’est positionnée la caste sacerdotale. Une caste de prêtres, coulée dans le moule des religions païennes et calquée sur des hiérarchies impériales de la Rome antique, qui, pour des siècles, s’est faite sourde à l’incongruité spirituelle et scripturale qu’elle incarnait.

Que seuls des hommes, et des hommes en célibat, eussent accès à cette caste, à ses pouvoirs et à son éminence, signifiait que la femme, les femmes en tant que sexe, formait un genre spirituellement inférieur. Pas même une caste, mais bien un genre - d’abord spécifié par l’impur qu’elles contenaient, par l’impur dont elles étaient faites.

C’est donc bien cette butte qu’il importe d’araser. Sinon l’égalité spirituelle ne verra jamais le jour. Sauf, bien entendu, pour celles et ceux qui auront établi cette égalité dans le chemin de liberté dont ils auront résolument fait le choix.

La masculinité tenue pour élective ne fait pas que scandaliser les consciences. Le célibat y ajoute un indépassable blasphème à l’encontre de la Création : la peur et le dégoût du corps, l’assimilation à une ordure de ce qui participe à l’expression de l’amour, de cet amour dont le récit de la Genèse est le poème. Que reste-t-il de l’Alliance quand le corps de la femme et de l’homme, créés ensemble dans l’Adam et dissociés pour être les deux pôles de l’amour transposé du divin dans l’humain, et par conséquent cet amour lui-même, deviennent, sur des siècles, objets de honte, et font le sujet du péché ?

A toutes les raisons exégétiques, historiques, sociétales qui invalident l’élévation séparative d’un corps sacerdotal, et partant sa légitimité à confisquer la moindre part d’un ‘’pouvoir’’ spirituel, s’ajoute une contestation où le grief et la désolation se confondent, et qui est peut-être, pour l’entendement de notre temps, la plus radicale de toutes : notre cléricature a méconnu la célébration du charnel, la glorification qui revient à la chair en sa totalité, et par son enseignement du mépris d’une œuvre d’amour qui lui répugnait l’a rendue souillure.

Nous savons qu’aucune faute ne reste sans appel. Mais quelles que soient les représentations  tourmentées  et archaïques sur lesquelles on s’est conformé, s’y assujettir à un degré où le projet du créateur ne se lit plus dans la création, tend bien à évoquer le péché contre l’esprit.

Didier LEVY - 31 05 2020

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