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dimanche 29 novembre 2015

LA FIERTÉ D’ÊTRE FRANÇAIS …


une nouvelle page du roman national ?

Cet article répond à l’analyse développée dans Marianne (n° 971).par l’éditorial de Jacques Julliard « CE QU’ONT CHANGÉ LES IDES DE NOVEMBRE » - analyse que, pour une fois, ‘’penserlasubersion’’ ne partage pas.


Que d’innombrables chorales improvisées entonnent La Marseillaise est certes l’expression d’une réaction naturelle et salutaire de la part de la Nation blessée et des citoyens qui la composent. Ceux-ci montrent ainsi qu’ils se veulent mobilisées face à l’épreuve à laquelle leur pays est désormais confronté. Et ailleurs dans le monde, c’est le signe d’une sympathie pour la France, d’une solidarité avec elle au moment où des attentats meurtriers et abjects la frappent.

Mais est-ce la même Marseillaise qui est partout chantée ? Pour ne parler que de la France, s’agit-il de La Marseillaise lancée face aux pelotons d’exécution allemands sous l’Occupation nazie - qu’elle l’eût été par des résistants communistes, démocrates chrétiens ou issus de l’Action française - ou de celle que s’approprie le parti de Marine Le Pen, détournée et dirigée contre une immigration qui depuis trois décennies, est dénoncée aux ‘’vrais’’ enfants de la patrie comme incontrôlée et dévastatrice ?

« La fierté d’être français » laisse encore plus perplexe.

Plus précisément, est-on bien certain de pouvoir célébrer en même temps la France et « la tradition politique et philosophique qu’elle représente » quand ces deux traditions sont aussi mélangées ? Ainsi suis-je fier d’être français comme Diderot, comme Condorcet et comme Victor Hugo, et avec Zola ou Anatole France, ou Albert Camus, ou dois-je englober dans cette fierté Edouard Drumont, Charles Maurras, Rebatet … ou Eric Zemmour ? Quand pour le versant politique, on a d’un côté Jaurès, Léon Blum, Jean Moulin et Pierre Mendès France, et, de l’autre, des Pierre Laval, des Xavier Vallat ou des Jean-Marie Le Pen ? Pierre Brossolette, Georges Boris, ou le général de Bollardière versus Philippe Henriot, Joseph Darnand ou Maurice Papon. Pour ne rien dire de Charles de Gaulle versus Nicolas Sarkozy.

Qu’on compte les pires parmi ses concitoyens, qu’y faire ? Mais occulter que ces pires sont nos concitoyens, c’est glisser vers le roman national qui statufie une France en escamotant les autres. C’est également entrer dans ces démarches qui visent à sélectionner les critères censés être constitutifs d’une identité nationale valorisante autant qu’imaginaire. Une identité collective qui se construit sur une métaphore que le sens des mots invalide - une ‘’identité’’ ne saurait être qu’individuelle -, et qui sert trop bien à soutenir les discriminations et les exclusions xénophobes, comme elle a alimenté ailleurs les épurations ethniques.

La guerre produit effectivement une fraternité d’armes, et elle amalgame les individus très au-delà de celui qui croie au ciel et de celui qui n’y croit pas. Mais, nonobstant le discours officiel, nous n’en sommes pas là.

Au reste, qui ne pourrait citer au moins une vingtaine de noms d’hommes publics, publicistes ou politiques semeurs d’égarements et de phobies, avec lesquels, à ce jour, il ne voudrait pour rien au monde qu’on lui prête une identité partagée ?

Le désaccord avec le point de vue qu’épouse Jacques Julliard porte ainsi sur la conception d’un imaginaire français. Chacun reste libre de se faire « une certaine idée de la France » - « la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs », ou la patrie des droits de l’homme et de la liberté éclairant le monde. Mais dans la guerre que l’intelligence et la raison ont à mener contre l’obscurantisme, le fanatisme et le délire de tuer que ce dernier nourrit toujours, comment penser que l’idéalisation d’une figure de la France serait l’arme la mieux appropriée ? Quelle allégorie lumineuse et tricolore peut résister à la dénégation que lui apportent, entre autres crimes du colonialisme, la ‘’pacification’’ de l’Algérie par Bugeaud, la répression à Sétif en 1945, et les opérations ‘’de maintien de l’ordre’’ entre 1954 et 1962 marquées par l’usage généralisé de la torture et la pratique tout aussi courante des ‘’corvées de bois’’ ?

Que l’image historique de la France se voie imputer des événements qui l’altèrent ne tient pas à « une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français (et) non au génie de la patrie ». Que le racisme se soit beaucoup imprimé sur cette image est un constat qui ne se laisse pas réfuter, et certainement pas une « idée chic » propagée par des gauchistes et des ‘’bobos’’. La France, c’est la rafle du Vel’ d’Hiv’ autant hélas que l’abri offert aux enfants juifs dans les fermes de la Creuse, que l’asile donné aux Juifs dans les villages protestants du Vivarais et des Cévennes.

Les Grandes Heures de notre histoire justifient la gloire que nous en tirons et que tant d’hommes et de femmes célèbrent avec nous de part le monde. Même si la révolution américaine, et dans une certaine mesure la révolution batave, ont précédé la nôtre. Même si les conquêtes des armées de la Révolution française n’ont pas apporté que la liberté et des lois émancipatrices aux peuples d’Europe - les idées de progrès n’ont pas pesé très lourd, dans la durée, et au regard du reste, dans les besaces des soldats de la République et encore bien moins chez ses généraux.

Gardons-nous donc de tout messianisme national et assumons la France, non dans la mémoire embellie qu’on nous a transmise, mais dans les traits complexes et parfois troubles de son visage réel, dans le legs composite dont elle nous fait les héritiers. C’est en nous tenant à cet égard à la vérité des faits que ce qui nous appartient effectivement d’exemplaire prendra toute sa place dans l'armature du message que les démocraties ont à faire prévaloir contre le regain des arriérations et de leurs fureurs.

Un message qui est celui du droit au libre examen et à la liberté de conscience ; et un message qui a à franchir des frontières déroutantes. Telle celle qui traverse un pays où des centaines de milliers de personnes s’acharnent contre la reconnaissance de l’égalité des droits pour les homosexuels, en prétendant conformer la législation d’une république laïque à la conception du mariage sur laquelle s’arque boute le clergé de la religion anciennement hégémonique.

Didier LEVY  -  28 11 2015


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