Un constat tout d’abord : Jacques
Chirac a été élu en 2002 avec tout juste 19,88 % des voix … La
"cote" d'Emmanuel Macron est-elle donc aujourd'hui si basse ?
Faut-il en faire la première note de la marche funèbre du quinquennat ?
On peut gloser sans
fin sur le bilan à 3 mois du président Macron - si tant est que le terme de
"bilan", rapporté à une période aussi brève, puisse avoir du sens si
on le détache des besoins en alimentation de l'information en continu.
Et on peut faire,
semaine après semaine, l'exégèse de sondages qui révéleraient la chute de sa
popularité.
Mais toutes les analyses, et leurs
commentaires, qu'on peut lire sur le sujet méconnaissent l'inanité foncière de leur
objet d'étude. Se laissent prendre par la grande illusion qui enveloppe notre
monarchie élective et le système plébiscitaire sur laquelle celle-ci repose.
… Tout change en 2002
Une illusion dont
avait quelque excuse de s'en laisser aveugler jusqu'à l'élection présidentielle
de 2002 où ce système plébiscitaire a disjoncté.
A partir de ce
scrutin où le Front national a mis fin au tête à tête entre candidat des
droites et candidat des gauches, la supercherie qui couronne tous les vices de
l'élection présidentielle au suffrage universel direct - modèle V ème
république - aurait dû sauter aux yeux.
… quand le plébiscite gaullien cesse de fonctionner
Une supercherie
construite sur le caractère de plébiscite qui a été donné au second tour du
scrutin présidentiel : puisque suivant
ce principe et sa logique, il fallait que le président de la République fût élu
à la majorité absolue, le second tour de l'élection a été réservé aux deux
candidats arrivés en tête au premier tour.
Pour un républicain,
l'élection des gouvernants est valide dès lors que la majorité simple est
acquise. Dans une démocratie parlementaire - i.e. dans la démocratie sous sa
forme la plus avancée -, c'est à partir de cette majorité simple que se
construisent en général les gouvernements de coalition. Coalition fondée sur la
négociation et le compromis qui sont l'essence du régime démocratique.
La révision de la
Constitution de 1962 qui a consacré la monarchie élective conforme aux vues du
général de Gaulle, n'avait pas envisagé que l'usure du régime et le dérèglement
de ses mécanismes conduiraient un jour le corps électoral à se déterminer non
sur sa préférence à l'égard de l'un des deux candidats restant en lice, mais en
faveur de celui qui lui apparaîtrait comme incarnant "le moindre
mal". Puis que cette usure et ce
dérèglement contraindraient les citoyens à déterminer leur vote du premier tour
selon un savant calcul, ou une hasardeuse spéculation, dans le dessein, et sous
l'obligation, de configurer le duel le moins révulsif et le moins périlleux
pour le tour final.
… 2017, un cas d’école
Avec l'illustration la plus sidérante de ce
vote où la science électorale - ou la confiance en une divination personnelle
sourcée dans les publications de sondages - se substitue à l'expression d'un
choix démocratique authentique : le cas des électeurs de gauche, a priori
destinés à apporter leurs suffrages à Benoît Hamon grand vainqueur de
"leur" primaire, qui ont voté pour Emmanuel Macron au 1er tour de
2017 pour éliminer François Fillon du second tour.
Autrement dit pour
empêcher un prévaricateur avéré, soutenu en sus par un parti clérical redevenu
menaçant, et porteur de surcroît du programme socialement le plus réactionnaire
jamais proposé aux Français, d'accéder à la présidence de la République après
une victoire courue d'avance dans un duel avec la candidate de l'extrême-droite.
… Une impopularité grandissante ou une adhésion réelle mal
mesurée ?
Ce travestissement
d'un vote démocratique, ajoutant ses effets à ceux du conditionnement
plébiscitaire qui est imposé depuis l'origine dans l’agencement du second tour
de notre élection présidentielle, vide à l'évidence de toute signification les
pontifiantes analyses qui s'attachent à expliquer le désamour dont le président
Macron aurait été l'objet au cours de l'été.
La réalité - et cela vaut bien entendu pour ses deux
prédécesseurs - est que les instituts de sondages ne mesurent rien d'autre, à
ce stade d'un mandat présidentiel, que l'assise électorale réelle du président
élu. Décantation faite des emballements d'opinion qui
saluent le vainqueur de la longue joute électorale présidentielle, la
popularité mesurée et chiffrée tend à se confondre avec le niveau de l'adhésion
- l'adhésion véritable, c'est à dire sans les calculs afférents au "vote
utile" - que le président avait recueillie au moment du premier tour du
scrutin présidentiel.
A chacun de se faire
son opinion sur la politique que met en œuvre l'actuel président de la
République. Sur la concordance que présente cette politique avec les discours
de campagne, sur l'orientation libérale qui s'affiche et que ces discours
annonçaient on ne peut plus clairement, et, globalement, sur le projet
macronien d'aligner la France sur la mondialisation sans provoquer de rupture
sociétale. Sans entraîner une déchirure irrémédiable ou explosive de la nation.
Mais qu'on nous
épargne la représentation du grand chœur médiatique qui s'apitoie - les larmes
de crocodile ne cachant pas grand chose du besoin de conforter les audiences et
les lectorats - sur le "mauvais été", la rentrée menaçante et
l'avenir incertain d'un exécutif juste arrivé aux affaires. Un apitoiement qui
surexpose, au reste, des contrariétés, des complications et des déconvenues qui
sont le lot ordinaire de tous les dirigeants des états démocratiques dès leurs
prises de fonctions.
… seule compte l’échéance du jugement populaire
Façon aussi de dire
à ce chœur, à ses experts, à ses éditorialistes, à ses chroniqueurs et autres
invités des plateaux de télévision, que ce quinquennat échouera peut-être, ou
très probablement, comme les précédents, mais qu'en toute hypothèse, un gouvernement a le droit - quand il n'en
a pas le devoir - d'être impopulaire dès lors que le peuple jugera en fin de
compte de son bilan.
Et dès lors que ce
verdict, rendu en pleine connaissance de cause, participera du choix éclairé
que fera le suffrage universel en renouvelant ou non le mandat qu'il est seul
en droit d'accorder pour conduire la politique de la nation. Un choix éclairé
dont le système monarcho-plébiscitaire de la Vème république a amplement
démontré qu'il ne peut plus offrir les conditions.
Sauf à considérer
que la compétition, inhérente aux régimes plébiscitaires, des postures, des
simplifications et des artifices de communication - ce à quoi ce système se
résume depuis pas mal de temps - a quelque chose à voir avec l'exercice de la
démocratie.
Le vrai sujet de
débat n'est pas tant de savoir si nos gouvernants - qu'ils soient
"proactifs' ou prudents, voire inertes - peuvent, en l'état présent des
fragilités de la société et de la réactivité de l'opinion, résister à
l'impopularité qui les assaille, que de trouver à ces gouvernants un mode de désignation qui s'intègre à des
institutions républicaines ayant recouvré la capacité de gérer dans la durée
les aléas de la confiance populaire, ainsi, surtout, que les situations de
défiance qui légitiment ceux-ci.
… et seul le régime
parlementaire sait gérer démocratiquement les crises de confiance entre
gouvernants et gouvernés
A cet égard, le
régime parlementaire est bien le seul où l'équilibre est assuré entre, d'une part, l'indispensable continuité
du gouvernement - on n'y vote pas facilement (et donc pas inconsidérément) une
motion de censure -, et d'autre part,
la sanction démocratique de l'échec ou de l'insuffisance de l'exécutif en
place, ou celle de l'inconduite ou de l'improbité de l'un de ses membres
éminents.
Toutes les procédures nécessaires à cet équilibre y ont été
inventées, expérimentées et confirmées : censure du
gouvernement, destitution de son chef par son propre parti ou par le groupe
parlementaire qui en est issu, dissolution automatique, ou non, du parlement ou
de sa chambre basse, la règle
fondamentale est que ni l'exécutif, ni les députés, n'y disposent jamais d'un
mandat dont la durée serait intangiblement déterminée au départ, et par là
opposable à la volonté du peuple et/ou aux exigences du Bien public.
… Le paradoxe d’une
république dont le pouvoir exécutif s’est affranchi de la Constitution
Vis-à-vis de l’exécutif,
cette règle fondamentale institue donc une faculté de révocation : celle
qui a fait très dommageablement défaut à la Vème république (les exemples viennent d'eux-mêmes à
l'esprit ...). Le paradoxe tenant à ce que les institutions dont celle-ci a
été au dotée à l'origine, et dont la captation du pouvoir exécutif en son
entier par le président de la République a trahi l'esprit, organisaient cette
révocation propre au régime parlementaire suivant le schéma le plus
exemplairement équilibré et rationnalisé que les constitutions françaises aient
jamais connu.
Un schéma que
l'irresponsabilité politique du "chef de l'Etat"[1]
(augmentée de l'impunité judiciaire monarchiquement attachée à la fonction)
dont les présidents de la Vème république ont conservé le bénéfice en dépit de
leur confiscation des pouvoirs constitutionnels du Premier ministre[2],
a évidemment vidé de tout contenu.
Et donc rendu
inopérant quant à son objet : la
possibilité de sanctionner le chef de l'exécutif au cours de son mandat.
Qu’importe en effet que le gouvernement et son chef nominal
soient responsables devant le Parlement, si le véritable détenteur des pouvoirs
de gouvernement est à l’abri – sauf déclenchement d’une crise de régime – de toute
censure ? Si rien ni aucune circonstance ne permet de le révoquer ?
Une faculté de
révocation ainsi abolie, comme était corrélativement effacée la nature
parlementaire de nos institutions, alors qu'elle renvoie à rien moins qu'au
principe que nous avons en théorie solennellement adopté dans la Déclaration
des droits de 1789 : « La société a le droit de demander compte à
tout agent public de son administration ».
… une abolition et
un effacement historiquement régressifs, mais un horizon républicain moins
fermé qui ne le paraît
L’irresponsabilité
du titulaire du pouvoir exécutif n’a pas fait entrer la France dans un système
présidentiel. A considérer les régimes classés comme tels[3], ce système ne nous offre, en tant que
société ‘’développée’’, qu’une incarnation référentielle possible : celle
des Etats-Unis d’Amérique. Or, à cette aune, rien ne reproduit en France les freins et contrepoids qui, outre la
structure fédérale, équilibrent le fonctionnement des institutions américaines.
Celles-ci ne fonctionneraient-elles
– jugement formulé naguère par le général de Gaulle– que « cahin-caha »
… Les équilibrent en tout cas sur un modèle conçu au XVIII ème siècle et dont
on peut tenir que le régime parlementaire l’a irréversiblement dépassé en
termes de modernité politique.
Ce vers quoi nous avons régressé est le régime de la monarchie
constitutionnelle[4]. Le mode d’exercice du pouvoir exécutif, à travers les
dispositifs et les pratiques qui ont été décrits et analysés ci-avant,
rapproche en effet davantage notre monarchie élective des royaumes du Maroc et
de la Jordanie que des démocraties avancées qui nous entourent.
Une monarchie
constitutionnelle ressuscitée depuis à présent plus d’un demi-siècle et qui, pour
l’histoire comparative, et hors la transmission héréditaire, s’apparente à
beaucoup d’égards à celle – de très brève durée - qui avait été élaborée pour
le Roi Louis XVI par l’Assemblée Constituante. Pourrait même y figurer, à peine
transposé, le déclaratif énoncé en 1791 que les restaurations ultérieures ont
repris à leur compte : « La
personne du Roi est inviolable et sacrée ».
D’où la tension
permanente qui s’exerce entre un système politique anachronique et une société
qui est globalement dotée de toutes les libertés conformes aux standards des
régimes démocratiques du XXI ème siècle.
Et d’où les incohérences grandissantes de notre vie politique, écartelée entre des
besoins et des impératifs de modernité – le contrôle et la participation
citoyennes au premier chef - auxquels le régime parlementaire peut en vérité seul
répondre, et une configuration monarcho-plébiscitaire qui est, par nature, figée
dans une vision verticale de la légitimité et rétive à tout contrôle effectif
du peuple et de ses représentants.
De là, au total, la
confusion institutionnelle et civique où nous sommes. Mais une confusion dont la prise de conscience
semble heureusement s'étendre de plus en plus largement dans les cercles de l’opinion,
et dont il est permis d'attendre que le retour au régime parlementaire ne sera
pas point trop lointain.
Encore faudra-t-il
conforter cette prise de conscience en déployant la pédagogie nécessaire pour convaincre
nos concitoyens de ce que le plébiscite quinquennal qui pourvoit à l’élévation
d’un monarque à durée déterminée, et inamovible pendant cette durée, leur
confisque des droits essentiels que la République a proclamé à leur intention. Et d’abord de celui de ‘’demander compte’’ de l’exercice de tout
mandat public - et a fortiori du plus éminent -, y compris pendant que ce
mandat s’accomplit.
Et pour faire
entendre que le plébiscite en lui-même ne peut, par vocation, qu’engendrer un pouvoir
de type personnel. D’autant plus solitaire, arrogant et présomptueux qu’il se
conjugue avec l'irresponsabilité
politique qui coure d’un plébiscite à l’autre pour le vainqueur de ces
compétitions électorales archaïques. Là
encore, et en remontant juste avant le dernier quinquennat écoulé, les exemples
s’imposent d'eux-mêmes à la mémoire.
Deux messages à
faire passer inlassablement. Du second découle plus spécialement la conclusion de
cette tribune.
Par le rappel du
principe qui - avec la conviction que toute autorité qui se dérobe au contrôle
et à la sanction devient despotique, ou au minimum arbitraire - a fédéré au fil
du temps[5]
les adversaires des Badinguet, des Mac-Mahon et autres Boulanger ; puis
les contempteurs successifs du système de la V ème république, de Pierre Mendès
France aux promoteurs d’une nouvelle République ressourcée dans le
parlementarisme :
‘’Etre républicain, c’est porter
dans toutes les fibres de son être une exécration absolue et irréductible à l’encontre
de toute forme de pouvoir personnel‘’.
Didier LEVY – 1er septembre 2017
Publié sur Facebook le 30 août 2017. Dans une première version sensiblement moins développée, et en introduction à la publication de l’article « Macron : les raisons d'une chute », EDITO de Matthieu Croissandeau sur L’OBS-électronique du 30 08 2017.
¤ DEUX EXTRAITS :
‘’A quoi tient une cote de popularité ?
Quatre mois après son arrivée à l’Elysée, celle d’Emmanuel Macron poursuit sa
dégringolade, sondage après sondage. A écouter les commentaires, on finirait par
croire que l’été fut des plus calamiteux, voire que la fin est proche… Deux
jugements aussi excessifs qu’expéditifs. (…).
‘’ Davantage que les chiffres de sa
courbe sondagière toutefois, ce sont les raisons de ce dévissage qui devraient
préoccuper le président. Car, à l’évidence, ce mouvement marque à la fois une
impatience, une déception et une incompréhension (…)’’.
[1]
Appellation privilégiée par le général de Gaulle
et avant lui par Philippe Pétain.
Faut-il rappeler que dans la conception républicaine, l’Etat - organe qui appartient à l’indivision des
citoyens dont il émane – ne saurait avoir d’autre ‘’chef’’ que le collectif de
ces citoyens aux mains desquels il est confié. Quelque délégation que ceux-ci
peuvent donner aux magistrats de la cité pour conduire, sous leur contrôle, les
affaires publiques.
[2] Hors périodes dites de cohabitation, où le rapport de
forces politique rétablit le partage constitutionnel des compétences entre le
président de la République et le Premier ministre qui recouvre, comme le
gouvernement, la plénitude du rôle que lui attribuent les articles 20 et 21 de
la Constitution.
[3] Et bien sûr
seulement ceux (majoritairement situés en Amérique Latine) qui après avoir
épousé des transitions démocratiques à peu près parallèles, ont cessé d’être le
simple habillage de dictatures issues d’un pronunciamiento militaire, et/ou
celui de la tyrannie d’une oligarchie économique ou clanique.
[4] ‘’Constitutionnelle’’ s’entendant évidemment,
en l’espèce, au sens des classifications en vigueur. Redisons que la V ème
république relève fort peu de cette qualification pour avoir détourné son économie
institutionnelle au profit du président de la République, et ce dès la promulgation
de sa constitution. Un détournement de la Constitution, i.e. une violation de la Loi fondamentale, qui ne se retrouve dans
aucune autre démocratie : dans ces états de droit (ce que nous prétendons
être), il y serait tout simplement impensable.
[5] On évoque ici le
seul temps de paix. Il va de soi que l’opposition au pouvoir personnel du
Maréchal Pétain, et au régime qui en procédait, englobait et conjuguait une
multiplicité de motifs dont l’importance est indépartageable, comme leur
association a varié individuellement : motifs patriotiques, motifs politiques –
dont la fidélité à la République -, motifs philosophiques, motifs spirituels …
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