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lundi 4 juillet 2016

D'HUMEUR ET DE RAISON : « PARCE QUE VOUS CROYEZ ENCORE À LA LUTTE DES CLASSES * ? »


L’humeur devant les dits et les faits,
l’effort de raisonner le quotidien.

Les commentaires du bloguemestre
au fil de l’actualité


n Le billet du  3 juillet 2016 [1].

UNE ÉTRANGE FAÇON DE PROMOUVOIR LE DIALOGUE SOCIAL DANS LES ENTREPRISES.

Donc, ce fameux article 2 de la ‘’loi travail’ va faire accomplir un grand bon en avant à la démocratie sociale. Notion parfaitement floue au demeurant - ou dont, en tout cas, on est bien en peine de donner une illustration concrète, que ce soit en France ou ailleurs.

Pour ce qui est de la France, relèverait en effet de l'abus de langage le fait d'appliquer les termes de "démocratie sociale" aux divers organismes régis par une cogestion entre les ‘’partenaires sociaux’’ (UNEDIC par ex), ou aux différentes instances, réunions et autres "grandes messes" dites de concertation entre patronat et syndicats qui ont été inventées au cours du temps.

Quant aux institutions simplement consultatives, tel le CESE, si elles ont indiscutablement un intérêt, leur absence de pouvoir décisionnel ne permet pas de les tenir pour des participants actifs de la démocratie (renvoi étant fait ici à ‘’La république moderne’’ de Pierre-Mendès France et aux perspectives qui à cet égard y étaient proposées). On peut tout au plus y voir une esquisse de la démocratie sociale

Il existe un autre embryon de démocratie sociale, investi de davantage de prérogatives. Il est constitué par les comités d'entreprise créés et organisés en 1945 et 1946, et inspirés par le programme politique, économique et social de la Résistance.

Que ces CE fonctionnent depuis cahin-caha, et assurément bien loin de ce qu'on en attendait - une coopération effective entre les employeurs et les représentants élus de leurs salariés - n'a pas remis en cause leur vocation originelle incluant un droit de regard sur la gestion et la marche de l’entreprise. Au fil des décennies, le législateur a d'ailleurs sensiblement accru leurs compétences, en particulier pour conforter leur implication dans la sauvegarde de l'emploi (fût-ce en consolidant seulement leur capacité à retarder les licenciements collectifs).

Or, voici qu’à droite, ceux-là même qui dénoncent la pusillanimité des auteurs de la loi travail, et qui en particulier font grief à l’article 2 de ne pas, ou de ne plus, aller assez loin dans le transfert du "dialogue social" au niveau de l'entreprise, terre promise de la modernité des rapports sociaux viennent de démontrer au Sénat une forme surprenante de cohérence politique.

Qui a consisté à repousser les "seuils" - ces épouvantails à patrons - à partir desquels la mise en place des institutions élues par les salariés est rendue obligatoires. De 50 a 100 salariés pour les comités d'entreprise et, pour faire bonne mesure, de 11 à 20 salariés pour l'élection des délégués du personnel.

Étrange façon de promouvoir le dialogue dans les entreprises (lequel n’est souvent que l’agrégation d’un vœu pieux, d’une chimère et d’un mirage) que de restreindre la création dans celles-ci des organes dédiés à ce même dialogue ...

Et d’autant que le néo-thatchérisme dont la droite est possédée doit, en bonne logique, en être déjà à configurer la prochaine étape : la réduction de l'effectif et des droits des délégués syndicaux, et celle des protections et des moyens dont disposent les sections syndicales d'entreprise.

Mais la cohérence en l'espèce ne réside-t-elle pas dans la rage de revanche - revanche de classe, revanche d’avidités trop longtemps insatisfaites, revanche de rapacités hier méprisées et dont l’addition veut à présent être confondue avec l’intérêt général - qui habite le patronat et la France des possédants ? Dans leur volonté d’asseoir cette revanche sur l'éradication du corpus social et sociétal construit depuis la Libération.

Et dans la résolution qui les anime de faire des échéances électorales de 2017 la "mère des batailles" qui décidera de notre complète mise en conformité avec les canons de la société de marché globalisée. En somme, une ‘’normalisation’’ capitaliste aussi brutale dans ses effets que le fut en son genre celle qui vint tourner la page du Printemps de Prague.

Quels que soient les calculs de tactique politique qui déterminent ses votes au Parlement, la droite française, pleinement inscrite à présent dans l’offensive mondialisé où se parachève la reconquête par le capitalisme pur et dur de l’intégralité de ses ‘’fondamentaux’’, ne saurait regarder la loi travail que comme "bonne à prendre". Parce qu’elle participe avec retard à cette reconquête, tout ce qui s’accomplit avec cette loi, prologue de la restauration d’un ordre social accordé au ‘’tout-marché’’, représente pour la droite un gain de temps - et lui donne une juste mesure des obstacles qu'elle aura devant elle dans peu de mois.

La concordance respectivement du discours et des attentes entre la droite et son électorat naturel appelle ici un éclairage plus ciblé : on appréhende en effet mieux le caractère névrotique de la fixation que fait patronat sur ces fameux seuils sociaux en se rappelant qu'un CE, ça ne "pèse" en pratique, en fait de contrainte, que la mesure d’une réunion par mois (et souvent d'un demi-journée tout au plus) ; et que les délégués du personnel n'imposent également à l'employeur que de les recevoir mensuellement ... Comme on le voit, une double et énorme entrave à la compétitivité de leur entreprise !

Ajoutons que les avis des CE ne sont jamais ... que des avis. Et qu’en séance, le chef d'entreprise n'a, tout au plus, et s'il le veut bien, qu'à prêter aux représentants du personnel une écoute apparemment patiente et une attention à peu près polie.

Reste l'impact symbolique d'un organe élu par les salariés et investi pour débattre en leur nom. Un impact insupportable, car c’est celui d’une immixtion outrageante au regard de la conception séculaire qui érige un patronat de droit divin. Ou de la conviction inébranlable des plus "hauts managers" de détenir - de par leur naissance supérieure et/ou leurs études éminentes - le monopole de la compétence, si ce n'est le don d'infaillibilité. Sans compter que pour ces gens-là écouter les porte-paroles de leur plèbe, et a fortiori discuter avec eux, n’est rien d’autre que du temps perdu - et qu’est-il de plus dommageable sachant que chacun de leurs instants doit être employé à garanti aux actionnaires qu'ils seront gavés de dividendes ...

Et joue de surcroît l'insoutenable contrariété qui s'attache à la protection que la loi accorde aux représentants du personnel, aux heures de délégation à consentir à ceux-ci et aux obstacles de procédure mis à leur renvoi.

Autant de concrétisations de la légitimité de ces représentants dont le législateur a décidé, alors même que pour les détenteurs de l'autorité patronale cette légitimité est tout bonnement inimaginable.

Parce qu’il serait inconcevable qu’il existât dans l’entreprise  - voire dans le pays - une autre légitimité que celle qu’ils tiennent de leur appartenance à la plus haute caste, ou de l’onction qu’ils ont reçue de celle-ci au sortir de leur ‘’Grande école’’.

A quel précédent cet ordre social aristocratique, arrogant et méprisant comme ils le sont tous et l’ont tous toujours été, et les prétentions insatiables de ceux qu’il consacre au rang d’élite, nous renvoient-ils, si ce n’est à la réaction nobiliaire qui précéda l’explosion révolutionnaire de 1789 ? Et à l’exigence d’égalité qui figura au premier rang de la revendication publique qui allait emporter en quelques semaines l’Ancien Régime ?

Comme quoi, l’optimisme en politique n’est pas toujours une sottise. Et peut ne pas être tout à fait sans fondement.

Didier LEVY - 03 07 16
"D'HUMEUR ET DE RAISON"

* Énoncé, indépassable dans le genre, que l'on doit à M. Copé du temps où il pouvait tenir l'ascension de sa carrière pour irrésistible...

 [1] Publié sur Facebook ce même jour.

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