L’humeur devant les dits et les faits,
l’effort de raisonner le quotidien.
Les commentaires du
bloguemestre
au fil de l’actualité
n Le billet du 3 juillet 2016 [1].
UNE ÉTRANGE FAÇON DE PROMOUVOIR
LE DIALOGUE SOCIAL DANS LES ENTREPRISES.
Donc, ce fameux article 2 de la ‘’loi travail’ va faire accomplir
un grand bon en avant à la démocratie sociale. Notion parfaitement floue au
demeurant - ou dont, en tout cas, on est bien en peine de donner une
illustration concrète, que ce soit en France ou ailleurs.
Pour ce qui est de la France, relèverait en effet de l'abus de
langage le fait d'appliquer les termes de "démocratie sociale" aux
divers organismes régis par une cogestion entre les ‘’partenaires sociaux’’
(UNEDIC par ex), ou aux différentes instances, réunions et autres "grandes
messes" dites de concertation entre patronat et syndicats qui ont été
inventées au cours du temps.
Quant aux institutions simplement consultatives, tel le CESE, si
elles ont indiscutablement un intérêt, leur absence de pouvoir décisionnel ne
permet pas de les tenir pour des participants actifs de la démocratie (renvoi
étant fait ici à ‘’La république moderne’’ de Pierre-Mendès France et aux
perspectives qui à cet égard y étaient proposées). On peut tout au plus y
voir une esquisse de la démocratie sociale
Il existe un autre embryon de démocratie sociale, investi de
davantage de prérogatives. Il est
constitué par les comités d'entreprise créés et organisés en 1945 et 1946, et
inspirés par le programme politique, économique et social de la Résistance.
Que ces CE fonctionnent depuis cahin-caha, et assurément bien loin
de ce qu'on en attendait - une coopération effective entre les employeurs et
les représentants élus de leurs salariés - n'a pas remis en cause leur vocation
originelle incluant un droit de regard sur la gestion et la marche de
l’entreprise. Au fil des décennies, le législateur a d'ailleurs sensiblement
accru leurs compétences, en particulier pour conforter leur implication dans la
sauvegarde de l'emploi (fût-ce en consolidant seulement leur capacité à
retarder les licenciements collectifs).
Or, voici qu’à droite, ceux-là même qui dénoncent la pusillanimité
des auteurs de la loi travail, et qui en particulier font grief à l’article 2
de ne pas, ou de ne plus, aller assez loin dans le transfert du "dialogue
social" au niveau de l'entreprise, terre promise de la modernité des
rapports sociaux viennent de démontrer au Sénat une forme surprenante de
cohérence politique.
Qui a consisté à repousser
les "seuils" - ces épouvantails à patrons - à partir desquels la mise
en place des institutions élues par les salariés est rendue obligatoires. De 50 a 100 salariés pour les comités
d'entreprise et, pour faire bonne mesure, de 11 à 20 salariés pour l'élection
des délégués du personnel.
Étrange façon de promouvoir le dialogue dans les entreprises (lequel
n’est souvent que l’agrégation d’un vœu pieux, d’une chimère et d’un mirage) que
de restreindre la création dans celles-ci des organes dédiés à ce même dialogue
...
Et d’autant que le néo-thatchérisme dont la droite est possédée
doit, en bonne logique, en être déjà à configurer la prochaine étape : la
réduction de l'effectif et des droits des délégués syndicaux, et celle des
protections et des moyens dont disposent les sections syndicales d'entreprise.
Mais la cohérence en l'espèce ne réside-t-elle pas dans la rage de
revanche - revanche de classe, revanche d’avidités trop longtemps insatisfaites,
revanche de rapacités hier méprisées et dont l’addition veut à présent être
confondue avec l’intérêt général - qui habite le patronat et la France des
possédants ? Dans leur volonté d’asseoir cette revanche sur l'éradication
du corpus social et sociétal construit depuis la Libération.
Et dans la résolution qui les anime de faire des échéances
électorales de 2017 la "mère des batailles" qui décidera de notre
complète mise en conformité avec les canons de la société de marché globalisée.
En somme, une ‘’normalisation’’
capitaliste aussi brutale dans ses effets que le fut en son genre celle qui
vint tourner la page du Printemps de Prague.
Quels que soient les calculs de tactique politique qui déterminent
ses votes au Parlement, la droite française, pleinement inscrite à présent dans
l’offensive mondialisé où se parachève la reconquête par le capitalisme pur et
dur de l’intégralité de ses ‘’fondamentaux’’, ne saurait regarder la loi
travail que comme "bonne à prendre". Parce qu’elle participe avec
retard à cette reconquête, tout ce qui s’accomplit avec cette loi, prologue de
la restauration d’un ordre social accordé au ‘’tout-marché’’, représente pour
la droite un gain de temps - et lui donne une juste mesure des obstacles
qu'elle aura devant elle dans peu de mois.
La concordance respectivement du discours et des attentes entre la
droite et son électorat naturel appelle ici un éclairage plus ciblé : on appréhende
en effet mieux le caractère névrotique de la fixation que fait patronat sur ces
fameux seuils sociaux en se rappelant qu'un CE, ça ne "pèse" en
pratique, en fait de contrainte, que la mesure d’une réunion par mois (et
souvent d'un demi-journée tout au plus) ; et que les délégués du personnel
n'imposent également à l'employeur que de les recevoir mensuellement ... Comme
on le voit, une double et énorme entrave à la compétitivité de leur entreprise
!
Ajoutons que les avis des CE ne sont jamais ... que des avis. Et qu’en
séance, le chef d'entreprise n'a, tout au plus, et s'il le veut bien, qu'à
prêter aux représentants du personnel une écoute apparemment patiente et une
attention à peu près polie.
Reste l'impact symbolique
d'un organe élu par les salariés et investi pour débattre en leur nom. Un impact insupportable, car c’est celui d’une
immixtion outrageante au regard de la conception séculaire qui érige un
patronat de droit divin. Ou de la conviction inébranlable des plus "hauts
managers" de détenir - de par leur naissance supérieure et/ou leurs études
éminentes - le monopole de la compétence, si ce n'est le don d'infaillibilité.
Sans compter que pour ces gens-là écouter les porte-paroles de leur
plèbe, et a fortiori discuter avec eux, n’est rien d’autre que du temps perdu -
et qu’est-il de plus dommageable sachant que chacun de leurs instants doit être
employé à garanti aux actionnaires qu'ils seront gavés de dividendes ...
Et joue de surcroît l'insoutenable contrariété qui s'attache à la
protection que la loi accorde aux représentants du personnel, aux heures de
délégation à consentir à ceux-ci et aux obstacles de procédure mis à leur
renvoi.
Autant de concrétisations de
la légitimité de ces représentants dont le législateur a décidé, alors même que
pour les détenteurs de l'autorité patronale cette légitimité est tout bonnement
inimaginable.
Parce qu’il serait inconcevable qu’il existât dans
l’entreprise - voire dans le pays - une
autre légitimité que celle qu’ils tiennent de leur appartenance à la plus haute
caste, ou de l’onction qu’ils ont reçue de celle-ci au sortir de leur ‘’Grande
école’’.
A quel précédent cet ordre social aristocratique, arrogant et méprisant
comme ils le sont tous et l’ont tous toujours été, et les prétentions
insatiables de ceux qu’il consacre au rang d’élite, nous renvoient-ils, si ce
n’est à la réaction nobiliaire qui précéda l’explosion révolutionnaire de 1789 ?
Et à l’exigence d’égalité qui figura au premier rang de la revendication
publique qui allait emporter en quelques semaines l’Ancien Régime ?
Comme quoi, l’optimisme en politique n’est pas toujours une
sottise. Et peut ne pas être tout à fait sans fondement.
Didier LEVY - 03 07
16
"D'HUMEUR ET DE RAISON"
* Énoncé, indépassable dans le genre, que
l'on doit à M. Copé du temps où il pouvait tenir l'ascension de sa carrière
pour irrésistible...
[1] Publié sur Facebook ce
même jour.
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