« LA
FEMME FIDÈLE ».
OU UNE FAÇON D'APPELER
À CE "QUE LA FÊTE
COMMENCE !".
Pour prolonger un peu ce Premier mai, date qui s'inscrit dans les
jours où se fête une libération, et qui porte comme telle l'espoir d'autres
libérations à venir, ‘’penserlasubersion’’ vous propose, ci-dessous, un poème,
choisi pour ce qu’il a de très coquin - en d’autres temps, on le rangea sous
l’étiquette « d’immoral ».
Mais certainement pas choisi que pour cela - qui en soit pourtant
suffirait, car on lui attribuerait sans doute, en vertu de ce seul qualificatif
de ‘’coquin’’, les vertus d’un antidépresseur. Ce dont nous avons bien besoin
en ces jours-ci.
Compte en effet aussi, bien sûr, et doit compter en premier lieu, qu’il
est un incontestable chef d’œuvre de la poésie libertine - les amateurs
éclairés le connaissent au reste certainement, mais il mérite qu’on s’efforce
d’en faire plus largement partager la lecture.
Petit bijou - indiscret -, une vraie merveille peut-on même
soutenir, il représente une part de cet « Esprit des Lumières » auquel notre
liberté doit tant.
Il est des siècles où la Lumière formée dans les siècles passés,
quelle qu’en eût été la nature et la forme originelles, ne parvient plus qu’à
peine à traverser les distances jusqu'à nous. A percer à travers les sombres
masses constituées par les obscurantismes en tous genres.
Et soudain, imprévisiblement et comme venue de nulle part, la
lumière fait plus que de reprendre sa place. Le XVIII ème siècle fut, un peu
partout dans notre Europe, de ces moments là. Et il le fut avec génie.
Et si puissamment qu'il
suggère à la fois un contraste et une continuité.
De quoi est faite, présentement, la séquence de l'Histoire qui nous
est donnée à parcourir ? De fondamentalismes qui tarissent toutes sortes de
sources hier encore jaillissantes, ou promises à l’être, et qui prohibent libre
examen, libre jugement et libre conduite. De fanatismes de toutes origines,
indéfectiblement voués comme ils l'ont été de tout temps à ajouter de la
proscription - et la pire - aux discriminations ordinaires, et de la folie
meurtrière - et la plus cruelle - à la folie qui se concentre autour de la
prétention dogmatique à la vérité - des fanatismes qui se donnent comme jamais
libre cours, au point qu'aucun continent ni aucune forme du croire ne parvient plus à s'en dégager.
Et d'intégrismes qui ne manquent naturellement pas de seconder, car
c'est ce pour quoi ils sont faits, les intolérances et les fanatismes, mais qui
débordent de leur terrain de prédilection comme un fleuve en crue sort de son
lit, pour signifier au corps social d'adhérer à un commandement dont ils
édictent qu'il est exclusif de tout autre projet et de toute autre vocation ;
un commandement qui tient tout entier dans ce triptyque (qui en rappelle un
autre à peine pire) ‘’Travail,
Performance, Gain’’. Et un commandement qu'on ne qualifiera pas de
"laïc", pour la raison que le marché et la libre concurrence qui sont
ses référents sont bel et bien, pour le premier, une religion (certes
totalement assujettie, par définition, à la simonie) et, pour la seconde,
l'objet d'un culte.
Face à ces trois ennemis mortels de la liberté, et de sa condition
première qui réside dans l'égalité, nos armes sont d'abord dans notre
entêtement absolu à ne leur rien céder. Et quelle meilleure façon de mettre en
avant cet entêtement - autre nom de la volonté -, et d'en faire utile usage,
que de ne laisser passer aucune occasion, ni aucune prétexte, propres à tourner
en ridicule les arriérations qu'ils professent (le ridicule fut une arme très en vogue au temps des Lumières, et
Beaumarchais n'est pas pour rien dans la chute systémique de l'Ancien Régime ),
à diriger sur eux tout l'arsenal des provocations imaginables, et à subvertir
tout argumentaire dont ils se servent par l'effet, en l'espèce dissolvant, de
la raison.
De ce point de vue, l'affichage,
ici, de notre coquinerie de poème entre assurément dans le registre de la
provocation. Pourquoi faudrait-il s'interdire d'espérer en outre que de
proche en proche, et par les diverses vertus agissantes de l'exemple, il
devienne aussi à la longue une arme de subversion, sinon massive, du moins
suffisamment corrosive ?
Sur un autre plan (qui
appelle beaucoup de moins de développements car il y a peu à démontrer),
pour ce qui est de l'atmosphère dans laquelle baigne notre société, notre temps
présent renvoie à bien des égards à l’interminable et étouffante fin du
"grand" règne louis-quatorzien - règne qui s’achevait sur le
sentiment public qu’il avait été l'un et l'autre, c'est à dire interminablement
étouffant. Fin de règne qui fut immédiatement le signal d’un regain de vie pour
les idées et d'audace pour les esprits qui les portaient.
Ce dont rend compte, fût ce par un léger détournement de la
chronologie qui y est signifiée, le titre d'un film lumineusement intelligent :
" QUE LA FÊTE COMMENCE ! ".
Au regard de ce rapprochement et de cette invitation en forme
d'injonction, l'envie de sourire avec les ‘’mauvais
auteurs’’ d’un siècle de regain des lumières devient presque un acte
militant. Lisez ce poème comme tel, mais avant tout pour le bonheur qu’il vous
propose : un bonheur d’intelligence - et ceux-ci se font assez rares - et de
libertinage un peu plus que badin : subtilement ingénieux.
Didier LEVY - 03 05
2016
La Dame fidèle
Laissez-moi prendre un
doux baiser
Sur cette bouche si
vermeille,
Disait un cavalier,
l’autre jour à l’oreille
D’une dame portée à ne
pas refuser.
Non, je ne puis,
Monsieur, vous l’accorder, dit-elle ;
Cette bouche que vous
voyez,
Promit à mon mari d’être
toujours fidèle,
Le serment qu’elle a
fait, quoique vous en croyez,
En se livrant à vous, la
rendrait criminelle.
Mais il en est bien
autrement,
D’une bouche couleur de
rose,
Qui ne parle qu’à porte
close,
Et qui ne cède point à l’autre
en agrément.
Or, celle-ci pour bonne
cause,
N’a jamais fait pareil
serment.
Ah ! contre mon devoir
c’est en vain qu’on me tente ;
La bouche qui promit,
Monsieur, n’est pas mon bien ;
Vous voulez un baiser, et
bien prenez-en trente
A celle qui ne promit
rien.
Antoine Sabatier de
Castres
(Contes et vers immoraux du XVIII ème siècle)
Publié sur Facebook le 4 mai 2016 .
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