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jeudi 5 mai 2016

LIBERTÉ LIBERTINE.


« LA FEMME FIDÈLE ».

     OU UNE FAÇON D'APPELER
À CE "QUE LA FÊTE COMMENCE !".

Pour prolonger un peu ce Premier mai, date qui s'inscrit dans les jours où se fête une libération, et qui porte comme telle l'espoir d'autres libérations à venir, ‘’penserlasubersion’’ vous propose, ci-dessous, un poème, choisi pour ce qu’il a de très coquin - en d’autres temps, on le rangea sous l’étiquette « d’immoral ».

Mais certainement pas choisi que pour cela - qui en soit pourtant suffirait, car on lui attribuerait sans doute, en vertu de ce seul qualificatif de ‘’coquin’’, les vertus d’un antidépresseur. Ce dont nous avons bien besoin en ces jours-ci.

Compte en effet aussi, bien sûr, et doit compter en premier lieu, qu’il est un incontestable chef d’œuvre de la poésie libertine - les amateurs éclairés le connaissent au reste certainement, mais il mérite qu’on s’efforce d’en faire plus largement partager la lecture.

Petit bijou - indiscret -, une vraie merveille peut-on même soutenir, il représente une part de cet « Esprit des Lumières » auquel notre liberté doit tant.

Il est des siècles où la Lumière formée dans les siècles passés, quelle qu’en eût été la nature et la forme originelles, ne parvient plus qu’à peine à traverser les distances jusqu'à nous. A percer à travers les sombres masses constituées par les obscurantismes en tous genres.

Et soudain, imprévisiblement et comme venue de nulle part, la lumière fait plus que de reprendre sa place. Le XVIII ème siècle fut, un peu partout dans notre Europe, de ces moments là. Et il le fut avec génie.

Et si puissamment qu'il suggère à la fois un contraste et une continuité.

De quoi est faite, présentement, la séquence de l'Histoire qui nous est donnée à parcourir ? De fondamentalismes qui tarissent toutes sortes de sources hier encore jaillissantes, ou promises à l’être, et qui prohibent libre examen, libre jugement et libre conduite. De fanatismes de toutes origines, indéfectiblement voués comme ils l'ont été de tout temps à ajouter de la proscription - et la pire - aux discriminations ordinaires, et de la folie meurtrière - et la plus cruelle - à la folie qui se concentre autour de la prétention dogmatique à la vérité - des fanatismes qui se donnent comme jamais libre cours, au point qu'aucun continent ni aucune forme du croire ne parvient plus à s'en dégager.

Et d'intégrismes qui ne manquent naturellement pas de seconder, car c'est ce pour quoi ils sont faits, les intolérances et les fanatismes, mais qui débordent de leur terrain de prédilection comme un fleuve en crue sort de son lit, pour signifier au corps social d'adhérer à un commandement dont ils édictent qu'il est exclusif de tout autre projet et de toute autre vocation ; un commandement qui tient tout entier dans ce triptyque (qui en rappelle un autre à peine pire) ‘’Travail, Performance, Gain’’. Et un commandement qu'on ne qualifiera pas de "laïc", pour la raison que le marché et la libre concurrence qui sont ses référents sont bel et bien, pour le premier, une religion (certes totalement assujettie, par définition, à la simonie) et, pour la seconde, l'objet d'un culte.

Face à ces trois ennemis mortels de la liberté, et de sa condition première qui réside dans l'égalité, nos armes sont d'abord dans notre entêtement absolu à ne leur rien céder. Et quelle meilleure façon de mettre en avant cet entêtement - autre nom de la volonté -, et d'en faire utile usage, que de ne laisser passer aucune occasion, ni aucune prétexte, propres à tourner en ridicule les arriérations qu'ils professent (le ridicule fut une arme très en vogue au temps des Lumières, et Beaumarchais n'est pas pour rien dans la chute systémique de l'Ancien Régime ), à diriger sur eux tout l'arsenal des provocations imaginables, et à subvertir tout argumentaire dont ils se servent par l'effet, en l'espèce dissolvant, de la raison.

De ce point de vue, l'affichage, ici, de notre coquinerie de poème entre assurément dans le registre de la provocation. Pourquoi faudrait-il s'interdire d'espérer en outre que de proche en proche, et par les diverses vertus agissantes de l'exemple, il devienne aussi à la longue une arme de subversion, sinon massive, du moins suffisamment corrosive ?

Sur un autre plan (qui appelle beaucoup de moins de développements car il y a peu à démontrer), pour ce qui est de l'atmosphère dans laquelle baigne notre société, notre temps présent renvoie à bien des égards à l’interminable et étouffante fin du "grand" règne louis-quatorzien - règne qui s’achevait sur le sentiment public qu’il avait été l'un et l'autre, c'est à dire interminablement étouffant. Fin de règne qui fut immédiatement le signal d’un regain de vie pour les idées et d'audace pour les esprits qui les portaient.

Ce dont rend compte, fût ce par un léger détournement de la chronologie qui y est signifiée, le titre d'un film lumineusement intelligent : " QUE LA FÊTE COMMENCE ! ".

Au regard de ce rapprochement et de cette invitation en forme d'injonction, l'envie de sourire avec les ‘’mauvais auteurs’’ d’un siècle de regain des lumières devient presque un acte militant. Lisez ce poème comme tel, mais avant tout pour le bonheur qu’il vous propose : un bonheur d’intelligence - et ceux-ci se font assez rares - et de libertinage un peu plus que badin : subtilement ingénieux.

Didier LEVY - 03 05 2016


La Dame fidèle

Laissez-moi prendre un doux baiser
Sur cette bouche si vermeille,
Disait un cavalier, l’autre jour à l’oreille
D’une dame portée à ne pas refuser.

Non, je ne puis, Monsieur, vous l’accorder, dit-elle ;
Cette bouche que vous voyez,
Promit à mon mari d’être toujours fidèle,
Le serment qu’elle a fait, quoique vous en croyez,
En se livrant à vous, la rendrait criminelle.

Mais il en est bien autrement,
D’une bouche couleur de rose,
Qui ne parle qu’à porte close,
Et qui ne cède point à l’autre en agrément.
Or, celle-ci pour bonne cause,
N’a jamais fait pareil serment.

Ah ! contre mon devoir c’est en vain qu’on me tente ;
La bouche qui promit, Monsieur, n’est pas mon bien ;
Vous voulez un baiser, et bien prenez-en trente
A celle qui ne promit rien.

Antoine Sabatier de Castres
(Contes et vers immoraux du XVIII ème siècle)


 Publié sur Facebook le 4 mai 2016.

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