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samedi 3 février 2018

JÉRUSALEM, CAPITALE DE QUI ? JÉRUSALEM, CAPITALE DE QUOI …?

 Ou Jérusalem … capitale de rien 
                   
      – ce rien que produit toujours, immanquablement,
        une lecture littéraliste des Écritures.


Une lecture qui n’interroge pas la lettre, qui ne s’attache pas à chaque iota et à chaque trait de la lettre pour interpeller le sens apparent qui s’y forme et pour explorer les failles que recèlent les sens déjà énoncés ; et pour faire ressortir du texte une parcelle de signification qui s’y découvre ou qui y surgit – fût-elle insolite autant qu’incertaine.


Une lecture qui se prend donc au pied-de-la-lettre. Faute de se tenir en alerte devant ce qui lui paraîtrait par trop intelligible, et faute de soupçonner que le iota et le trait de lettre n’ont été déclarés imprescriptibles que pour se prêter sans fin à l’exercice de la construction-déconstruction du signifié et du signifiant.


Et qui se réfute ainsi elle-même tout au long de son parcours, en ce que la lettre mémorisée sur laquelle elle refermera le livre, et dont elle formera sa certitude – « Dieu dit que … », « Dieu commande que … », « Dieu promet que … » -, est la lettre dont il nous a été dit qu’elle tue par opposition à l’esprit qui vivifie. Cet esprit qui hors l’expérience mystique qu’il peut offrir en partage à ses élus, ne se rencontre que dans le questionnement et le doute qui sont les dons ordinaires qu’il dispense.


Que cette lecture au pied-de-la-lettre soit œuvre de mort, quelle preuve plus irréfutablement violente pourrait-il nous en être apportée que par le constat qui acte que tous les fanatismes procèdent d’un littéralisme. Qu’ils en ont procédé de tout temps - au point que ‘’fondamentalisme’’ et ‘’fanatisme’’ sont devenus pour nous des arriérations quasiment synonymes.


Et quelle illustration plus accablante nous en est-il donné que par la confrontation inépuisable des légitimités dont Terre d’Israël et Etat palestinien et, plus exemplairement sans doute encore en ces temps-ci, Jérusalem des Hébreux et Jérusalem de l’Islam, sont le champ de collision.


Ces revendications antagonistes sur Jérusalem n’interpellent-elles pas le monde judéo-chrétien en le renvoyant à une submersion de l’esprit par la lettre prise à son premier degré de lecture. Une interpellation invariablement inaudible qui en appelle pourtant contre les contenus du croire qui se sont forgés dans l’infirmité constitutive du littéralisme : celle qui lui rend inaccessible que l’esquisse de l’esquisse d’une vérité ne pourra jamais s’entrevoir qu’au septième degré de lecture.


Pour qu’il existe une chance qu’elle cesse d’être inaudible, ne faut-il pas d’abord abandonner (et invalider) la référence à une "Jérusalem terrestre" – celle-ci fût-elle conçue en contrepoint d’une "Jérusalem céleste" ? Au bénéfice d’une représentation exclusive de toute confusion du spirituel et du temporel. Et dire ainsi que Jérusalem est une - et une non pas en tant que ville inscrite dans une géographie et positionnée par les cartographes, mais en ce qui l’érige entièrement en composante du projet de la création et en figuration de l’accomplissement ultime des temps de notre monde.


Au regard de ce projet et dans la perspective de cet accomplissement, l’historicité de Jérusalem n’importe pas davantage que celle attribuable à Abraham ou à Moïse, à la servitude en Egypte et à un périple libérateur à travers la Mer Rouge et le Sinaï, à la construction du premier Temple et à la splendeur du règne de Salomon. Ce qui recèle du sens, c’est la somme des signes additionnés sur la longue durée dans une œuvre composite; c’est l’inspiration et la cohérence qui s’y feront jour. Et non l’histoire dans laquelle cette œuvre met une promesse et un enseignement en situation, ni les histoires dont elle a recouvert son corpus spirituel et messianique. 


Ramener Jérusalem au statut d’une capitale, ou assimiler le ‘’peuple d'Israël’’ à l'Etat d'Israël (la légitimité de l’existence de cet Etat n’étant naturellement ici aucunement en débat), est-ce ainsi finalement autre chose - et notamment si l’on considère toutes les dérives auxquelles se prête la notion d'une "Jérusalem terrestre" – qu’instituer une confusion irréparable entre une allégorie spirituelle et sa réduction en un lieu figuré sur la planisphère et dans un temps particulier de l’événementiel attaché à ce lieu ? Et autre chose qu’infirmer une métaphore qui concentre en elle l’espérance consubstantielle à l’Alliance et l’intelligence du cheminement de cette Alliance - voire l’abaisser au niveau des reconstitutions hollywoodiennes de récits bibliques historicisés et de leurs anachronismes ?


Jérusalem métaphore de l’apothéose annoncée à la consommation des siècles et, conjointement, de la longue marche élective des nations concourant à la construction et à l’achèvement de notre monde, ne se pénètre pas plus en s’arrêtant à des songes et à des légendes qu’à coup d’effets spéciaux. A l’instar de l’interprétation que réclament, si l’on vient à les questionner, la fronde de David, la chevelure de Samson ou le ventre de la baleine de Jonas, la Jérusalem-symbole requiert un niveau d’explication plus exigeant - une intellection plus haute - que celle qui prête à la transcendance d’avoir un jour posé le doigt sur une petite ville cananéenne qui n’avait a priori rien de particulier, pas même d’avoir jusque là alterné périodes d’importance et de déclin. Sauf à se servir des mots, pris tels qu’ils viennent, comme les fabricants d’idoles le font du bois, du bronze ou de l’or, et de tout autre matériau brut dont sont fabriquées les idoles.


Et sur ce mot, sur ce nom de Jérusalem, s’interdire la découverte, sous le couvert de "sens uniques", de significations infinies - probablement la vocation à laquelle nous sommes appelés pour progresser dans notre intellection du projet qui aura justifié le long inachèvement de la création - ne participe-t-il pas du péché contre l'esprit ?

Contre l'esprit de questionnement qui, de millénaire en millénaire, vivifie la singularité du monothéisme juif, indissociable de la quête de sens en laquelle réside le ressort intuitif et la respiration même du judaïsme et, qui sait, jusqu'à sa raison d'être pour l'humanité. L'assignation au questionnement s'étendant, eût-elle de longue date cédée chez beaucoup aux disciplines de la foi, aux fils qui se sont crus ‘’séparés d'Israël’’ nonobstant leur communauté d’élection.


Jérusalem partage et décline avec d’autres figurations le même concept spirituel : celui que transcrirait, ou transposerait, dans notre contemporain (en étant dénommé sans doute avec moins de charge poétique) le Point Omega et, inclusivement, la trajectoire qui s’y conclut. Si l’on cesse de s’attacher à cette dimension conceptuelle et aux hachures du temps qu’elle efface, Jérusalem n’est plus qu’un enjeu géostratégique. 


De même le Troisième Temple ne renverra plus qu’à l’objet d’un concours d’architectes. Et le peuple juif s’effacera derrière l’entité génétique dans laquelle une ‘’science’’ racialiste a voulu l’identifier et circonscrire l’exécration qu’elle lui portait – au demeurant une déviance parallèle a entraîné des savants sionistes sur la même piste génétique parce que les identitarismes qui convoquent la biologie se retrouvent, a minima, dans des chimères identiquement construites.


Il va de soi que ni l‘universalité de Jérusalem, ni la réunion-intégration en Israël qui a déjà été engagée par les nations, et qui s’est successivement opérée par des siècles de conversions multipolaires et d’exodes de peuples divers, n’empêchent de concevoir la passion charnelle éprouvée pour la terre d’Israël. Et pas davantage de se représenter la vénération des ‘’lieux de mémoire’’ inscrits dans cette terre.


Mais - et puisque aussi bien le « royaume n’est pas de ce monde » - cette passion et cette vénération n’ont pas le pouvoir d’occulter que seuls les signes contiennent et contiendront le sens du récit que nous sommes appelés à écrire dans l’œuvre créatrice.


Qu’au « Tout est grâce » de Bernanos répond le « Tout est spirituel » qui s’imprime en sous-titre du premier et du second Testament. Et que tout ce qui nous rend impénétrable le langage de ces signes nous amène à assumer une contradiction qui touche au plus central du croire : ce n’est pas la foi qui élève – elle n’est qu’un rapprochement parmi d’autres de la transcendance -, mais l’Esprit et lui seul.


Reste une interpellation envers nous-mêmes : pour répondre à cette contradiction, ne faudra-il pas se ranger à l’idée que l’Esprit est dispensé autant au croyant qu’à l’incroyant - au tenant des dogmes autant qu’au théologien rebelle ou qu’à l’essayiste téméraire ou au philosophe athée - pour que soifs d’entendement et dons parcimonieux de lumière aident, les jours venus, à produire davantage de clairvoyants et de justes.



Didier LEVY – 22 janvier 2018   


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