¤ Chapitre 1 :
LE
CLÉRICALISME, LES CASTES ET LA SÉGRÉGATION.
Surprenant
d’entendre un Pape dénoncer le cléricalisme. Une dénonciation qu’on associait
plus volontiers au nom de Léon Gambetta. Quand, la III ème république étant
encore incertaine et fragile, celui-ci lançait les républicains à l’assaut de
la triple emprise adverse de l’Ordre moral, du royalisme et du Syllabus. Sur ce
mot d’ordre: « Le cléricalisme,
voilà l’ennemi ! ».
… du cléricalisme politique ….
Mot
d‘ordre qui allait faire que, pour longtemps, un républicain serait d’abord un
anticlérical – au sens originel du combat à mener contre ce qui fait la nature
même de tout pouvoir temporel émané de l’espace du religieux, quelle que soit
la forme que prend le clergé dans le culte considéré. Détenteur exclusif du
lien commun avec Dieu, seul traducteur de Sa pensée et gardien de l’unique et
intangible vérité qu’il lit dans cette pensée, ce pouvoir signifie à la cité
séculière qu’il est de ce monde, où il lui appartient de parler et
d’édicter au nom du Très-Haut.
Ce qui,
pour la France, a coalisé contre lui en retour les tenants du libre-examen, en
engageant francs-maçons et ceux de la RPR
à se placer au premier rang parmi les bâtisseurs de la République.
Le
républicanisme est anticlérical parce que la première liberté proclamée par la
République, dans le droit fil de la Déclaration des droits du 26 août 1789
consacrant la liberté des opinions « mêmes
religieuses », est la liberté de conscience. Dont découle
l’affirmation que la République est laïque. Une laïcité dont le libre exercice
des cultes tire sa garantie et où, conjointement, la paix civile - ajustée sur
la cohabitation et le respect des croyances et des non-croyances – trouve sa
sauvegarde.
Anticlérical,
parce que la liberté de conscience se réduit toujours, pour une institution
cléricale, à une liberté de professer l’erreur ; et parce que cette institution
ne saurait par nature se résoudre à ce que la loi, au motif qu’elle exprime la
volonté générale, échappe à son contrôle et, en fin de compte, à sa censure.
En soi,
posséder la certitude qu’on a reçu à legs le monopole de la perception, de la transcription et de la formulation du
juste, du bien et du vrai, exclut qu’on renonce à agir, par un mode ou un
autre, sur le législateur s’il prend à celui-ci de se détourner ou de
s’affranchir de ces trois corpus dont on a reçu la garde. Jusqu’à partir en
campagne si, sous l’invocation de la liberté
personnelle, celle du jugement et du choix de conscience, le normatif
sociétal se déporte de la droite doctrine dans une licence jugée coupable ou
scandaleuse.
Ainsi
en a-t-il été avec les défilés contre l’accès au mariage civil des couples homosexuels. Il était après tout libre à
chacun de voir dans l’extension de ce mariage une déviance détestable – une
double déviance des mœurs (vis-à-vis d’une normalité
sexuelle) et de la loi (vis-à-vis de la figure consacrée de la famille).
Ce
n’était point là, cependant, que résidaient la question ni l’enjeu premiers en
débat : mais bien en une confrontation avec l’empreinte historique d’un
cléricalisme politique qui exposait que nonobstant la Séparation actée depuis
plus d’un siècle, il n’avait rien perdu de ses traits constitutifs.
En ce
que les défilés de l’époque, leur inspiration ou leur orchestration,
induisaient à penser que le concept même de mariage
civil demeurait mentalement étranger à l’Institution romaine. A tout le
moins, ils suggéraient que pour celle-ci, il restait intellectuellement non
concevable – l’union civile eût-elle une ancienneté remontant à 1792 (après
avoir été d’abord établie à l’usage des protestants en 1787) - que le mariage,
sous la forme de ce mariage civil,
fût régi par le droit commun d’un Etat laïque ; et partant que la
législation de cet Etat fixât seule les conditions auxquelles il pouvait être
contracté - sa validité n’étant ainsi subordonnée à d’autre critère que celui
de la conformité à la loi.
… à la critique
pontificale du cléricalisme.
Ce
cléricalisme là ne se confond pas avec celui contre lequel s’insurgent nombre
de catholiques. Quoique leurs deux tournures renferment les revendications
voisines de l’investiture d’une légitimité supérieure et de la détention d’une
autorité sans appel, appliquées respectivement à la tutelle de la cité et au
gouvernement des pensées et des âmes.
Au regard du second, le pape François se fait l’interprète –
tant attendu ! – des catholiques qui n’en peuvent plus, et de longue date
(Vatican II …), d’une hiérarchie ordonnée qui, à tous ses niveaux, peine à
sortir d’une fonction d’autorité et de surveillance dans laquelle une histoire
institutionnelle pluri millénaire l’a configurée sinon emmurée.
Qui apparaît hors d’état d’entendre que le temps n’est plus
où les fidèles trouvaient juste et bon
qu’elle s’investît de les régenter et, par le jeu de son emprise déclinée de
diocèses en paroisses, d’exercer la direction de leur conscience et la tutelle
du plus intime de leur existence. Et qui se montre aussi éloignée d’admettre
que l’accablant bilan des impunités dont ont bénéficié les sinistres affaires
de pédophilie ne pouvait, par ricochets multiples, qu’achever de délégitimer
une gouvernance autocratique et pyramidale - dont l’absolutisme revendiqué
masque de surcroît les concurrences qui interagissent dans le cercle où, à sa
tête, se concentrent les jeux du pouvoir.
On entend au surplus le (lointain) successeur de Pie IX
inviter à l’exercice d’une liberté théologique. Mais on voit plus que
difficilement comment cette liberté – octroyée sans doute dans le bornage de
prudentissimes hypothèses concédées à des théologiens ou à des exégètes autorisés
– peut se frayer un chemin dans une Eglise corsetée de dogmes.
… Les castes
sacerdotales :
des castes indéracinables ?
S’il faut se poser une question face à la critique
pontificale du cléricalisme, c’est bien de se demander si une caste sacerdotale
pourrait ne pas posséder les traits et déployer les pratiques qui la spécifient
comme telle. Si elle saurait produire autre chose que ce que sa nature lui
assigne d’instituer et de pérenniser selon les principes de conduite et de
gouvernance qu’elle incarne ?
Façon plus directe d’interpeller toutes les castes
sacerdotales et plus directement celle qui est propre à l’Eglise romaine :
comment la célébration exclusive du sacré et des actes sacramentaires conférée
au sacerdoce ministériel - une exclusive qui emprunte son privilège à la
prêtrise sacrificielle des cultes anciens - serait à même de se soutenir sans
l’affirmation première du monopole interprétatif et de la l’Infaillibilité
normative dévolus au pouvoir clérical – deux prétentions qui, dans l’ordre
du croire, identifient celui-ci ?
Une caste sacerdotale ne se réforme pas plus qu’un parti
unique. Ceux-ci lui ayant souvent emprunté, elle a en partage avec eux
nombre de traits. Qui sont pour chacun des deux systèmes, leurs lignes de force
les mieux fortifiées : adhésion exigée à une ligne officielle et à une grille de lecture unique, dogmatisme et
centralisme conjugués, réquisition de l’unanimité, suprématie de l’appareil,
prépotence du Numéro Un (hors
contre-pouvoir du collège des prétendants présélectionnés pour sa succession)
…
Si une institution cléricale – et plus spécifiquement l’Institution romaine -
esquissait cependant de s’engager dans un contretype de perestroïka, le modèle original devrait la prévenir de ce qu’une
réformation partie de l’intérieur de la structure de pouvoir en cause, a tout
pour se conclure au plus mal pour celle-ci quand ses initiateurs s’y risquent
en succédant à des hiérarques qui l’ont obstinément et interminablement
retardée.
L’Histoire tendra même à lui confirmer que le changement
auquel on se résout trop tardivement est le plus souvent fatal à ses
acteurs : Louis XVI fut ainsi l’un de nos rois les plus réformateurs, de
bon puis de mauvais gré, mais il ne lui était plus temps, en 1787 et 1788,
d’introduire un système représentatif dans une organisation décentralisée de
l’administration intérieure du royaume, ou de concevoir une réforme judiciaire
alliant humanisation, rationalisation et simplification ; et encore moins
de réfléchir à une ‘’constitution (du) siècle’’ introduisant une
démocratisation des institutions initiée sous son égide et appelée à être
approuvée par le peuple.
Un
grand nombre d’espérances catholiques se fédèrent cependant sur l’attente d’une
réformation interne. Mais pour quelle déception ? Autant qu’à l’induration
du cléricalisme, ces espérances devront se mesurer aux traits qui font la force
et la durée des castes indéracinables. Si universels qu’ils leur sont comptés
comme consubstantiels.
… La caste est faite de ce qui n’y
entre pas :
la ségrégation
du féminin.
Le plus
saillant de ces traits communs se reconnait en ce que toute caste entreprend de
se soutenir, de se consolider et de se perpétuer par les exclusions qu’elle
prononce. Elle n’existe d’abord que par l’entre-soi qu’elle édicte, et elle ne
dure, dans l’identité et le statut qu’elle se confère, qu’en vertu de
l’énonciation des catégories auxquelles elle assigne de demeurer en son dehors.
La
caste sacerdotale n’agir pas différemment. Le corps clérical de l’Institution
romaine – s’il a prononcé et consacré sa surélévation en tant que seul
détenteur du magistère de la vérité et que célébrant unique du sacramentel - a emprunté la délimitation de cette surélévation
aux même types de discriminations séparatives
que celles édifiées par les hautes castes en tous genres pour asseoir leur
prééminence et leur domination.
Comme toutes les autres castes
sacerdotales, il a stipulé des exclusions
formées à sa discrétion et déclarées perpétuelles, dont la plus radicale
a été infligée au féminin.
Une
double ségrégation du féminin, double en
ce qu’elle fonde le clerc en ‘’homme d’église’’
et qu’elle lui ordonne le célibat, sur laquelle, en notre temps, se concentre
la critique des dérives cléricales de l’Eglise romaine. Parce qu’elle figure
toutes les démarcations que celle-ci a tracées autour du statut d’un ministère
ordonné contrefait en détenteur de pouvoirs magiques. Parce que sans la
répudiation du féminin, ce statut, privé de son critère d’entrée le plus
clivant, aurait été moins irrépressiblement distinctif.
L’accession
des femmes, à la seconde moitié du XXème siècle, aux ministères pastoraux dans
les églises luthériennes et réformées, le rabbinat des femmes dans le judaïsme
réformiste (entre autres branches), ou encore, pour la France et au sein de
l’esquisse d’un islam ‘’libéral’’, la postulation comme iman(e) d’une doctorante
en islamologie ainsi que la prière musulmane, mixte
et progressiste, dirigée début septembre 2019 par deux femmes converties,
apportent autant de pierres, et respectivement pour les trois religions du Livre, à l’infirmation d’un
interdit mis à l’ordination des femmes.
Une
infirmation qui, s’agissant du christianisme des premiers siècles, est soutenue
par une vraisemblance historique[1].
Et qui n’a d’ailleurs jamais trouvé, dans le corps clérical de l’Institution
romaine, que la contradiction d’un argumentaire doctrinal ou exégétique d’une
rare indigence. Au point de renvoyer le bannissement du féminin au seul
questionnement de l’ancestral : celui des reproductions mentales dont
l’archaïsme suggère leur connexion aux structures les plus primitives du cerveau
de notre espèce.
Didier Lévy – septembre
2019
> Chapitre suivant : L’IMPURETÉ
DU FÉMININ.
[1] Des
travaux universitaires, anglo-saxons et italiens en particulier, tiennent qu’il
y eut des femmes prêtres et évêques dans le christianisme primitif. Notamment à
partir de représentations figurant sur les premières œuvres d'art chrétiennes
(dont des femmes à l'autel dans certaines des églises les plus importantes de
la chrétienté).
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