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jeudi 13 décembre 2018

¤ LA RÉDUCTION DES INÉGALITÉS : NOTRE GRAND RENONCEMENT.


À  J-C P
A celles et ceux qui posent les bonnes questions
                Qui suscitent les réflexions utiles
                Parce qu’ils pensent juste et vrai.

Un peu de gratitude pour les gilets jaunes - quoiqu'on pense de leurs cahiers de doléances quand ceux-ci désignent des fautifs de leur mauvais sort qui n’y sont pour rien, quoiqu’on se dise de leurs moyens quand ils s’agrègent à la violence de rue – la pire, celle qui est dirigée par ses auteurs contre la République, et par conséquent contre les garanties qui sont l’assise de la liberté.

Nous leur devons à ces gilets jaunes d’avoir remis au jour des sujets que la bienséance élitiste commandait depuis des décennies de ne plus aborder : tôt ou tard, en effet, la croissance reviendrait, à force qu’on privilégie entrepreneurs et actionnaires, et ruissellerait juste ce qu’il faut pour rendre les plaies sociales moins vives. Sans qu’il soit besoin pour ce faire de partager sans modération les fruits de cette croissance : une vieille lune par excellence, ce partage, nous expliquaient, sans ménager leur peine, les tentes pensantes du nouvel ordre économique.

Ces sujets qu’il fallait taire, pour ne pas entraver la marche universelle, salutairement moderne et bienfaisante par nature du « laisser faire, laisser aller », ont deux noms : l’inégalité et l’injustice.

La première fait de la pauvreté un destin, la seconde montre d’abord du doigt l’impôt sous toutes ses formes : tailles et corvées hier, taxes et autres contributions indifférenciées entre riches et pauvres, aujourd’hui.

Réunies, elles ont écrit, dans la durée de notre histoire, la longue chronologie des jacqueries et des émeutes. Celles que l’Ancien Régime a réprimées, règne après règne, avant que la révolte devenant révolution (les petits notables de robe, travaillés par les idées des Lumières, en ayant pris la tête) la dernière éruption emporte une monarchie hors d’état de réformer ce qui était devenu insupportable.    

La confrontation présente avec ces deux mots - inégalité et injustice – devrait au minimum inciter à une réflexion : sur le ‘’de quoi est fait le ressenti d'injustice qui explose’’, et sur le ‘’à quoi tient la nouvelle prise de conscience de l’incompatibilité entre l’inégalité la démocratie’’.

Le point de départ  de cette réflexion, qui, au demeurant, est plutôt une interpellation : un citoyen ne peut se considérer comme tel que s'il acquitte une contribution publique.

Fût-elle de 10 ou de 5 €. Et serait-elle remboursée dans un second temps sous la forme de ''l'impôt négatif'' (dont on ne parle plus), ou dans le cadre d'un revenu universel d'un format ou d'un autre.

Ensuite, il ne faut sans doute pas verser dans la critique systématique des médias. Mais outre que pèsent de plus en plus manifestement sur elles le fait qu'elles appartiennent dans leur très grande majorité aux grands noms du capitalisme, rien ne devrait être plus frappant pour les observateurs que la vacuité de leurs analyses depuis le début de la crise des "gilets jaunes".

A peu d'exceptions près, les gens qui s'expriment dans les médias (les plateaux de télévision confirment presque toujours l'adage "à poser de mauvaises questions, on récolte de mauvaises réponses" - i.e. ‘’à côté de la plaque’’), passent par dessus les interpellations qui ont vraiment du sens.
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        De quoi est fait ce qu'il n'est pas question qu'ils abordent ?

D'abord de ceci - si l'on veut regarder ce qui échappe aux radars de la pensée unique, autrement dit aux dogmes du "tout-marché", au culte de la concurrence, à la consécration de la compétitivité, du profit et des dividendes comme ultima ratio de l'économique et (ce qui est pire encore) comme seule fin du projet sociétal ...

De ceci, donc, qui tient en deux constats majeurs et corrélés.

L'impôt sur le revenu ne représente que 7% de la fiscalité globale en France. Il faut ajouter à cela qu'on a très significativement réduit sa progressivité, ce qui mécaniquement fait en supporter un part injustifiable, et de plus en plus insupportable, aux classes moyennes.

La plus large partie des contributions publiques est donc composée de taxes qui frappent sans distinction riches, moins riches et pauvres. Ou de contributions comme la CSG - qui n'est que proportionnelle, et qui n'a donc aucun effet redistributeur.

L'insurrection contre l'impôt, telle qu'elle se manifeste depuis quatre semaines - et quel que soit le type d'arguments ou de discours par lesquels cette contestation véhémente s'exprime - tient bien à un ressenti d'injustice dont l'arrière-plan est l'abandon de tout projet de réduction des inégalités.

Cet abandon a profité d'une résignation quasi générale devant la puissance des moyens mis en œuvre par la reconquête néolibérale, une reconquête qui semblait irrésistible.

La confrontation avec le défi écologique (étant avoué qu’on a du mal à ne pas se dire que celui-ci est perdu d'avance, en tout cas sur le sujet climatique), a fait que cette résignation a laissé apparaître qu'elle était sur le point de céder. Dans la mesure où une prise de conscience a commencé à se faire jour : le financement de la transition écologique ne s'annonce en rien solidaire, et passant par le modèle de fiscalité existant, il va immanquablement faire "plonger" le niveau de vie des classes moyennes.

Et réduire à rien, à peu près à rien, ce qui reste de pouvoir d'achat aux plus faibles et aux plus précaires - pour eux, on pourra parler d'un "pouvoir d'achat négatif".

Ce qui semble annoncer une conflictualité aussi forte qu'insoluble tient à ce que la configuration de la pensée économique de Macron, de Bercy et de Bruxelles oppose une forme de rejet immunitaire à toute greffe d'une révision politique dans le sens de la réduction des inégalités.

Et en particulier vers les deux mesures de justice fiscale qui sont la première condition d'une réhabilitation républicaine de l'impôt (avec le paiement universel de celui-ci) : rendre la CSG progressive, et financer la transition environnementale par une contribution du même type, donc proportionnelle et progressive, et aussi clairement affectée à son objet que l'est la CSG.

En y ajoutant la restitution à l'IRPP d'une progressivité très forte pour les tranches supérieures (aux Etats-Unis, pays a priori assez peu bolchevique, de Roosevelt à Reagan, la tranche la plus élevée était imposée à 90%), seul moyen au demeurant de maintenir les prélèvements fiscaux, sociaux et écologiques à un montant total compatible avec les revenus des classes moyennes.

Ce qui, au total, peut aussi se résumer à l'endroit de qui formule ou partage ce diagnostic, en un "Vous rêvez !". La dette la plus dangereuse pour la République est d'ordre politique : elle découle d'un insondable déficit d'espoir.

Didier LEVY - 12 12 2018

¤ Voir aussi notre publication :  ‘’L'IMPÔT EST LE PREMIER BULLETIN DE VOTE’’ (25 novembre 2018).


> dont cet extrait :

« A cet égard, il faut redire inlassablement que l'impôt républicain est toujours proportionnel - assis sur les facultés contributives de chacun. Et que l'impôt démocratique se doit, lui, d'être progressif - ce que n'est pas la CSG, anomalie qu'on occulte dans le débat public.

« Car de cette progressivité dépend la réduction des inégalités, un impératif qui découle de ce que l'égalité des conditions est la base de la démocratie en tant que la garantie d'une égalité effective des droits.

« Si l'impôt exprime le contrat social, et si en l'acceptant le corps social s'affirme en tant que nation, une piste de réflexion s'impose à l'esprit.

 «  N'est-il pas possible, avec les outils informatiques en tous genres du XXI  ème siècle, d'inclure dans les moyens de paiement électroniques une ‘clé’ déterminant le taux d'imposition indirecte qui s'applique, pour tout achat ou opération taxable, à chaque citoyen en fonction de ses revenus ? ».Haut du formulaire



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