Sans
dépense publique, il n’y a ni nation ni contrat social.
Qui va enfin rappeler cette réalité politique et civique
essentielle qui est devenue l'objet de la plus redoutable négation de la part
des nantis : les contributions publiques forment le tissu même du contrat social,
et si la nation est un « plébiscite de tous les jours », l'impôt y tient
lieu de bulletin de vote.
On peut, par un misérable non sens, s'en prendre aux "cocaïnomanes de la dépense publique",
mais rien ne peut entamer le fait qu'une nation s'agrège par les moyens qu'elle
met en commun pour assurer la protection de ses membres.
C'est du besoin de cette protection que naît l'idée de faire nation : la France, où l'Etat a fait la nation pour s'être
affirmé comme le protecteur le plus sûr des provinces configurant le royaume ou
rejoignant celui-ci, des villes et de leurs franchises, et des habitants des
bourgs de campagnes, en fournit le plus incontestable exemple.
A contrario, la dénonciation systématique de l'impôt - si pour
le peuple, elle est amplement justifiée par l'injustice du système fiscal qui
ne cesse de s’aggraver - est de la part des castes privilégiées, et de leurs
porte-voix, la marque d'un aveuglement si extrême qu'il désarme l'observateur :
cumuler des mesures qui creusent les inégalités devant les contributions
publiques et la rétraction continue des services de l'Etat et de leurs moyens,
conduit nécessairement au délitement de la nation à coups de fractures sociales
accumulées.
Qui toutes ont pour première origine l'impuissance que l'Etat et
les services publics s’infligent à eux-mêmes. Par l’effet de privatisations qui
anéantissent les leviers de l’intérêt général, de paupérisations budgétaires cumulatives
et de dénaturations de l’idée même de Bien Commun.
La vraie question est
bien de savoir si les ressources créées doivent s'employer dans les
"Monopoly" des business en tous genres, ou d'abord s'investir dans la protection que la nation doit à ses
citoyens et sans laquelle sa légitimité dépérit. Et sa nécessité devient de
plus en plus en floue.
Le débat sur la taxation des carburants souligne, si besoin était,
l'incohérence des politiques fiscales poursuivies : le scandale n'est pas dans
une taxation écologique, mais dans
l'injustice effarante qui taxe au même niveau le PDG du CAC 40 – lequel, au demeurant, circule au minimum 5
jours sur 7 dans une voiture de fonction (ce qui vaut au moins autant pour le cadre dirigeant doté d’un ‘’véhicule
statutaire’’ et d’une carte de carburant, sans parler des élus ou des très hauts fonctionnaires véhiculés
par la République) -, et la caissière
d'hyper marché à temps partiel-contraint, de surcroît en charge d'une famille
monoparentale et vivant au fond d'un trou perdu.
Iniquité et absurdité qui se retrouvent dans toute la fiscalité
indirecte, à commencer bien sûr par la TVA (que ses taux varient selon la
nature des biens taxés n'empêche pas que pour un achat donné, un taux identique
frappe le riche et le pauvre - le riche se fournit lui aussi en biens de
première nécessité, et la modicité du taux appliqué sur ceux-ci n'a aucune
justification le concernant).
Aussi bien, les Français ne sont pas allergiques à l'impôt: Ils
l'ont toujours été à des impôts injustes, et d’autant plus violemment que
ceux-ci étaient insupportablement injustes.
A cet égard, il faut redire inlassablement que l'impôt républicain est toujours proportionnel - assis sur les
facultés contributives de chacun. Et que
l'impôt démocratique se doit, lui, d'être progressif - ce que n'est pas la
CSG, anomalie qu'on occulte dans le débat public.
Car de cette progressivité dépend la réduction des inégalités, un impératif qui découle de ce que
l'égalité des conditions est la base de la démocratie en tant que la garantie
d'une égalité effective des droits.
Si l'impôt exprime le contrat social, et si en l'acceptant le
corps social s'affirme en tant que nation, une piste de réflexion s'impose à
l'esprit : n'est-il pas possible, avec les outils informatiques en tous genres
du XXI ème siècle, d'inclure dans les moyens de paiement électroniques une ‘clé’ déterminant le taux d'imposition
indirecte qui s'applique, pour tout achat ou opération taxable, à chaque
citoyen en fonction de ses revenus ?
Gageons que la question n'est pas prêt d'être posée dans nos
sociétés où l'on n'a pas "à
s'excuser d'être riche", où la précarité et la pauvreté sont réduits à ‘’des difficultés éprouvées par les
Français"
sur lesquelles, au mieux, on verse une larme de crocodile, et où les précaires
et les pauvres n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes de leur sort (faute, on le
sait, de traverser la rue pour disputer un emploi
- i. e. celui que l'immigré, par ailleurs dénoncé sans relâche, est le seul à
accepter faute d’autre choix pour essayer de vivre).
Et dans l’alignement quasi universel des politiques publiques –
Union Européenne en premier lieu - sur la religion du tout-marché et sur le
culte subséquent de la concurrence, de la compétitivité et de la pandémique
évaluation du faible par plus fort que lui.
Didier Lévy – 25 11 2018
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