… UN
COMMENTAIRE QUI SE VEUT RÉPUBLICAIN
Je lis toujours Jacques Julliard (auteur de l’édito en question) avec
beaucoup d’intérêt, et tout autant d’attention à l’égard de ses analyses.
Mais pourquoi fait-il cette fixation à
l’encontre de la représentation proportionnelle ? Pourquoi s’en prend-il à
l’idée de changer de constitution – la dernière victime de ses sarcasmes à ce sujet
étant Benoît Hamon.
La représentation proportionnelle :
« accusée, levez-vous ! ».
La représentation proportionnelle, comme
tout système d’élection, a ses défauts. En particulier celui de conduire à un
éparpillement des suffrages et des sièges, obstacle à la formation d’une
majorité claire et solide à l’Assemblée nationale. Mais ce défaut-ci peut être
facilement corrigé ou compensé : en premier lieu par l’instauration d’une prime majoritaire (sur le modèle de celle
qui fonctionne aux élections municipales, et sous réserve d’en minorer
démocratiquement l’ampleur – 30% tout au plus, ce qui est bien suffisant au but
recherché, et non 50%).
Voire par un dispositif du type des ''apparentements'' - tels ceux mis en place pour les élections législatives de
1951 et de 1956 : un dispositif d’une efficience relative à l’époque, mais aujourd’hui
capable de s’inscrire très efficacement dans la logique majoritaire qui s’est
imposée avec le ‘’parlementarisme
rationnalisé’’, œuvre de Michel Debré et seul apport indiscutablement
démocratique, si l’on fait la part de ses excès réglementaristes, de la
Vème république – article 49-3 inclus
nonobstant les contresens auquel il donne lieu.
Reste qu’aucun mode d’élection ne
pouvant être tenu, à lui seul, pour la solution qui règle tous les obstacles à
l’exercice d’une authentique démocratie représentative, le choix le plus sage
est de faire coexister deux types de scrutin – comme cela est la pratique en
Allemagne. C'est-à-dire la représentation proportionnelle au niveau
départemental pour une partie (la moitié ?) des sièges, et un scrutin
majoritaire pour l’autre partie – en s’attachant à ce que la circonscription
retenue pour ce scrutin soit suffisamment vaste pour que le député qui y sera
élu cesse d’être confondu par ses électeurs avec une sorte d’assistante
sociale, et qu’il puisse se consacrer à faire la loi et à contrôler l’action de
l’exécutif et de l’administration.
On impute également à la RP de façonner
un régime des partis dans la mesure où ceux-ci composent les listes et
prédéterminent ainsi pour une bonne part le choix des électeurs. N’est-ce pas
là une fausse querelle, en ce qu’il ne saurait y avoir de régime démocratique
si la vie politique ne s’y organise pas à partir de la place et du
fonctionnement de partis politiques (un fonctionnement lui-même démocratique,
ce qui est la condition la plus délicate à remplir …). La constitution de 1958
est au reste la première qui a reconnu le rôle des partis dans l’expression de
la volonté des citoyens. Il faut aussi noter que dans le mode de scrutin
majoritaire, les investitures accordées par les partis sont tout aussi
déterminantes que le positionnement donné par ceux-ci sur leurs listes dans le
cadre de la RP.
.
.
… « La meilleure des constitutions » ?
Quant à l’intouchabilité que revêtirait
la constitution, le parti-pris de Jacques Julliard en la matière laisse quelque
peu abasourdi. Passons sur le fait que depuis son premier jour - et hors
périodes de cohabitation (une exception
au reste parfaitement démonstrative) -, elle n’a cessé d’être violée à
travers la confiscation par le président de la République des attributions du
Premier ministre et du Gouvernement. Rien dans ce qui devrait être notre Loi
fondamentale, n’habilite le président à ‘’déterminer la politique de la
nation’’, et en tout cas à trancher en dernier ressort, s’agissant (par
exemple) des droits consacrés par le code du travail, des régimes de retraite,
de l’indemnisation du chômage … ou de la taxation des carburants, pour ne rien
dire des contributions réclamées aux grandes fortunes.
On peut malheureusement imaginer qu’un
républicain se laisse abuser par les exégèses qui exonèrent la Vème république
de la déqualification résultant de cette violation continue qui lui est
infligée - un « coup d’Etat permanent
» catégoriquement impensable dans n’importe quel autre pays démocratique se
réclamant par définition de l’état de droit. Des exégèses qui se revendiquent
invariablement d’un ‘’esprit des institutions’’ : lequel légitimerait, au moins
depuis l’élection du président de la République au suffrage universel direct,
qu’on puisse tenir la définition constitutionnelle de la fonction
présidentielle, la place et les compétences dévolues à cette fonction, pour un
vague brouillon griffonné sur un chiffon de papier, ou, au mieux, pour un
canevas modifiable selon la conception personnelle que le premier magistrat de
la République se fait de ses pouvoirs - sinon au gré de son caprice.
Le plus abasourdissant se tient en
revanche, irrévocablement, dans ce que ce même républicain ne constate ni ne
mesure que le régime politique sous
lequel nous vivons est fondamentalement monarchique. Il est pourtant admis
– relativement depuis peu, pour étrange que cela doive paraître - que ce régime
a instauré une ‘’monarchie républicaine’’.
Au-delà même de la contradiction insoluble dans les termes que renferme cette
classification, il serait sans doute plus pertinent de le décrire comme
l’alliage improbable de la Charte de la monarchie de Juillet et du système
plébiscitaire du Second Empire.
Une combinaison des antonymes du mot ‘’république’’, le
texte de 1958 ayant institué une copie conforme de la première – et une copie
que les orléanistes de 1871-1875 auraient pu écrire des deux mains avec
ravissement -, et la pratique inaugurée par le général de Gaulle, puis
consolidée à chaque élection présidentielle, nous ayant réduits à la ‘’rencontre’’,
censée être actée par la voie du plébiscite, entre le peuple et celui qui
aspire à devenir le ‘’chef de l’Etat’’ (on
s’épuise ici à rappeler que cette appellation, remise en vigueur par Philippe
Pétain et utilisée en permanence par Charles de Gaulle et ses successeurs, est
foncièrement incompatible avec la conception républicaine de l’Etat, pour
laquelle cet Etat n’a par essence pas d’autre chef que la communauté des
citoyens réunis dans la nation et propriétaires indivis de la chose publique).
La confiscation de compétences
étrangères à leur mandat qu’ont pratiquée les présidents de la Vème république
a, elle, définitivement assimilée ce régime politique à la consécration d’un
pouvoir personnel.
Faut-il rappeler qu’être républicain, c’est porter dans toutes les fibres
de son être une exécration irréductible
et invincible pour toute forme et toute espèce de pouvoir personnel, à
quelque niveau et dans quel espace collectif que ce soit ?
Et faut-il, subsidiairement, faire observer
que les conflits les plus marquants, voire les plus porteurs de violence, en
cours ou tout récents (crise séparatiste de la Catalogne en Espagne et
indémêlables conséquences du Brexit au Royaume-Uni versus l’insurrection des ‘’Gilets
jaunes’’ en France), apportent beaucoup d’eau au moulin de ceux qui opposent
l’efficacité et la modernité du régime parlementaire, et la raison démocratique
qui le configure, à l’archaïsme induré d’une monarchie plébiscitaire ?
Didier LEVY – 12 décembre 2018
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