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samedi 15 décembre 2018

SUR UN ÉDITO DE « MARIANNE » : IDÉES FAUSSES OU NOUVELLE DÉMOCRATIE.


… UN COMMENTAIRE QUI SE VEUT RÉPUBLICAIN

Je lis toujours Jacques Julliard (auteur de l’édito en question) avec beaucoup d’intérêt, et tout autant d’attention à l’égard de ses analyses.

Mais pourquoi fait-il cette fixation à l’encontre de la représentation proportionnelle ? Pourquoi s’en prend-il à l’idée de changer de constitution – la dernière victime de ses sarcasmes à ce sujet étant Benoît Hamon.


          La représentation proportionnelle : 
                                                         « accusée, levez-vous ! ».

La représentation proportionnelle, comme tout système d’élection, a ses défauts. En particulier celui de conduire à un éparpillement des suffrages et des sièges, obstacle à la formation d’une majorité claire et solide à l’Assemblée nationale. Mais ce défaut-ci peut être facilement corrigé ou compensé : en premier lieu par l’instauration d’une prime majoritaire (sur le modèle de celle qui fonctionne aux élections municipales, et sous réserve d’en minorer démocratiquement l’ampleur – 30% tout au plus, ce qui est bien suffisant au but recherché, et non 50%).

Voire par un dispositif du type des ''apparentements'' - tels ceux mis en place pour les élections législatives de 1951 et de 1956 : un dispositif d’une efficience relative à l’époque, mais aujourd’hui capable de s’inscrire très efficacement dans la logique majoritaire qui s’est imposée avec le ‘’parlementarisme rationnalisé’’, œuvre de Michel Debré et seul apport indiscutablement démocratique, si l’on fait la part de ses excès réglementaristes, de la Vème république – article 49-3 inclus nonobstant les contresens auquel il donne lieu.

Reste qu’aucun mode d’élection ne pouvant être tenu, à lui seul, pour la solution qui règle tous les obstacles à l’exercice d’une authentique démocratie représentative, le choix le plus sage est de faire coexister deux types de scrutin – comme cela est la pratique en Allemagne. C'est-à-dire la représentation proportionnelle au niveau départemental pour une partie (la moitié ?) des sièges, et un scrutin majoritaire pour l’autre partie – en s’attachant à ce que la circonscription retenue pour ce scrutin soit suffisamment vaste pour que le député qui y sera élu cesse d’être confondu par ses électeurs avec une sorte d’assistante sociale, et qu’il puisse se consacrer à faire la loi et à contrôler l’action de l’exécutif et de l’administration.

On impute également à la RP de façonner un régime des partis dans la mesure où ceux-ci composent les listes et prédéterminent ainsi pour une bonne part le choix des électeurs. N’est-ce pas là une fausse querelle, en ce qu’il ne saurait y avoir de régime démocratique si la vie politique ne s’y organise pas à partir de la place et du fonctionnement de partis politiques (un fonctionnement lui-même démocratique, ce qui est la condition la plus délicate à remplir …). La constitution de 1958 est au reste la première qui a reconnu le rôle des partis dans l’expression de la volonté des citoyens. Il faut aussi noter que dans le mode de scrutin majoritaire, les investitures accordées par les partis sont tout aussi déterminantes que le positionnement donné par ceux-ci sur leurs listes dans le cadre de la RP.
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          … « La meilleure des constitutions » ?

Quant à l’intouchabilité que revêtirait la constitution, le parti-pris de Jacques Julliard en la matière laisse quelque peu abasourdi. Passons sur le fait que depuis son premier jour - et hors périodes de cohabitation (une exception au reste parfaitement démonstrative) -, elle n’a cessé d’être violée à travers la confiscation par le président de la République des attributions du Premier ministre et du Gouvernement. Rien dans ce qui devrait être notre Loi fondamentale, n’habilite le président à ‘’déterminer la politique de la nation’’, et en tout cas à trancher en dernier ressort, s’agissant (par exemple) des droits consacrés par le code du travail, des régimes de retraite, de l’indemnisation du chômage … ou de la taxation des carburants, pour ne rien dire des contributions réclamées aux grandes fortunes.

On peut malheureusement imaginer qu’un républicain se laisse abuser par les exégèses qui exonèrent la Vème république de la déqualification résultant de cette violation continue qui lui est infligée - un « coup d’Etat permanent » catégoriquement impensable dans n’importe quel autre pays démocratique se réclamant par définition de l’état de droit. Des exégèses qui se revendiquent invariablement d’un ‘’esprit des institutions’’ : lequel légitimerait, au moins depuis l’élection du président de la République au suffrage universel direct, qu’on puisse tenir la définition constitutionnelle de la fonction présidentielle, la place et les compétences dévolues à cette fonction, pour un vague brouillon griffonné sur un chiffon de papier, ou, au mieux, pour un canevas modifiable selon la conception personnelle que le premier magistrat de la République se fait de ses pouvoirs - sinon au gré de son caprice.

Le plus abasourdissant se tient en revanche, irrévocablement, dans ce que ce même républicain ne constate ni ne mesure que le régime politique sous lequel nous vivons est fondamentalement monarchique. Il est pourtant admis – relativement depuis peu, pour étrange que cela doive paraître - que ce régime a instauré une ‘’monarchie républicaine’’. Au-delà même de la contradiction insoluble dans les termes que renferme cette classification, il serait sans doute plus pertinent de le décrire comme l’alliage improbable de la Charte de la monarchie de Juillet et du système plébiscitaire du Second Empire.

Une combinaison des antonymes du mot ‘’république’’, le texte de 1958 ayant institué une copie conforme de la première – et une copie que les orléanistes de 1871-1875 auraient pu écrire des deux mains avec ravissement -, et la pratique inaugurée par le général de Gaulle, puis consolidée à chaque élection présidentielle, nous ayant réduits à la ‘’rencontre’’, censée être actée par la voie du plébiscite, entre le peuple et celui qui aspire à devenir le ‘’chef de l’Etat’’ (on s’épuise ici à rappeler que cette appellation, remise en vigueur par Philippe Pétain et utilisée en permanence par Charles de Gaulle et ses successeurs, est foncièrement incompatible avec la conception républicaine de l’Etat, pour laquelle cet Etat n’a par essence pas d’autre chef que la communauté des citoyens réunis dans la nation et propriétaires indivis de la chose publique).

La confiscation de compétences étrangères à leur mandat qu’ont pratiquée les présidents de la Vème république a, elle, définitivement assimilée ce régime politique à la consécration d’un pouvoir personnel.

Faut-il rappeler qu’être républicain, c’est porter dans toutes les fibres de son être une exécration irréductible et invincible pour toute forme et toute espèce de pouvoir personnel, à quelque niveau et dans quel espace collectif que ce soit ?

Et faut-il, subsidiairement, faire observer que les conflits les plus marquants, voire les plus porteurs de violence, en cours ou tout récents (crise séparatiste de la Catalogne en Espagne et indémêlables conséquences du Brexit au Royaume-Uni versus l’insurrection des ‘’Gilets jaunes’’ en France), apportent beaucoup d’eau au moulin de ceux qui opposent l’efficacité et la modernité du régime parlementaire, et la raison démocratique qui le configure, à l’archaïsme induré d’une monarchie plébiscitaire ?

Didier LEVY – 12 décembre 2018 


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