> UN LIBRE EXAMEN
Un article qui provoquait la réflexion
rien qu’en relevant ceci : « On lit sans voir car nos
représentations nous aveuglent ». Observation qui conduisait à se
rapprocher des textes des Ecritures auxquels l’auteure se référait, pour les redécouvrir
et pour expérimenter le type de regard qu’on leur portait.
On s’attaque le plus souvent aux
aveuglements auxquels conduit la servitude de la lettre – la lettre qui tue
quand ‘’l’esprit vivifie’’. Ces
aveuglements entourent l’humanité depuis que le tout premier Livre saint a été
écrit. Ils nous assiègent sans relâche, et sous leur empire, on égorge, on
allume les bûchers, on violente de mille manières et on extermine. Il n’est pas
de cruauté qui ne vienne un jour y prendre son élan.
L’aveuglement que dénonce l’article de
« aubonheurdedieu-soeurmichele »
est d’un autre ordre quoiqu’il soit également corrélé aux intégrismes. Il
renvoie à une interpellation spirituelle qui s’adresse à la foi que chaque
croyant porte en lui, toutes confessions confondues : avons-nous des yeux pour
voir, des oreilles pour entendre, ou une âme vouée à l’obéissance, à la
répétition du croire qu’on nous a
enseigné ?
C’est d’un affranchissement de cette
répétition que se réclame le réexamen personnel qui va être mis en œuvre dans
le commentaire, ci-après, de la restitution de la Pentecôte opérée par les
Actes.
t LA PENTECÔTE DES FEMMES.
« … tandis que les
Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs
yeux. (…). Alors, ils retournèrent à Jérusalem (…). À leur arrivée, ils
montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; c’était
Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu,
Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. Tous, d’un même cœur,
étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et
avec ses frères ».
Et pourtant
l’idée qui prévaut est bien celle-ci : « Au Cénacle, il n’y avait que les ‘’douze’’ apôtres … » - une idée reçue, ou
plutôt une vision reçue, dont l’article de «aubonheurdedieu» entreprend de faire justice en lui opposant le texte précité.
C’est bien
l’obéissance – que toute institution a intérêt à ériger en vertu – qui a
accrédité cette vision reçue, porteuse d’une amputation du projet de D.ieu.
L’amputation que subit la fresque du salut, la fresque de la lumière descendant
sur les futurs témoins du salut, où ne sont censés figurer « que douze apôtres recevant l’Esprit Saint ».
Cette
réduction de la communion en l’Esprit-Saint dans l’image d’une Pentecôte sans
femmes, et sans autres hommes que des élus privilégiés, concorde naturellement avec
des représentations – des projections mentales de la même essence restrictive -
formées dans les temps, les sociétés et les cultes premiers. Au long des
siècles, les pédagogues du récit néotestamentaire ont fait en sorte que cette
image soit exclusive de toute autre et qu’elle soit inentamable.
Et au sein
de l’Eglise, ils en ont d’autant plus fait leur commodité que l’élimination de
personnages qui pour eux n’avaient rien à faire dans le récit, soutenait et entérinait
l’orientation immuable, masculino-centrée et sacerdotale, de l’enseignement qu’ils
dispensaient.
Un
enseignement qui ne tenait évidemment pas à commenter une notation aussi mal
venue que « … assidus à la prière, avec
des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères ». Et surtout
pas à en tirer la conséquence. Conséquence qui surgit en Actes 2/1-3 quand le
jour de la Pentecôte trouve les mêmes « … réunis tous ensemble » pour recevoir en partage ces langues de
feu qui dans le souffle qui remplit la maison, viennent « (se poser) sur chacun ».
On mesure
bien que pour cet enseignement entêté à hiérarchiser d’inégales dignités,
l’attestation de la présence, en sus des apôtres, de personnages aussi
embarrassants que ces femmes juives et ces ‘’frères’’ de Jésus (toujours si
encombrants, au plus haut point et à tous égards) faisait plus que ‘’gêner aux
entournures’’. D’où de sa part, une sorte de ‘’Circulez, il n’y a rien à
voir’’, autrement dit la dispensation d’un conditionnement séculaire à ne compter que les douze apôtres dans
le tableau de la descente de l’Esprit-Saint.
t UN PROLOGUE JUIF.
Rétablir la
composition de l’assistance « faisant
l’expérience du don de l’Esprit », c’est aussi se
placer dans une disposition de lecture qui s’ouvre et se confie à la liberté,
au libre examen. C’est par là se donner la chance d’ouvrir encore plus
largement le champ des questionnements auxquels soumet Actes 1/1-14.
Des questionnements
dont ce commentaire ne distingue à coup sûr qu’une étroite voire une infime
partie. La plupart appartiennent sans doute, aussi longtemps que les temps ne
sont pas accomplis, à l’indéchiffrable des Ecritures. Des contenus
indéchiffrables mais qui n’infirment pas pour autant la vocation qui nous est
donnée, depuis le point de départ de l’Alliance, d’aller à leur devant avec les
grâces d’entendement que chacun et que chaque temps reçoit. Une invitation
paradoxale à une confrontation dont les Prophètes ont dû, au premier chef,
mesurer le rapport inégalitaire qui faisait son essence.
Au fil du
texte, apparaissent des questionnements déjà rencontrés qui donnent le
sentiment d’être en terrain connu : « … pendant quarante jours, il leur est apparu … ». Combien
d’occurrences en effet pour ce nombre de quarante !
Des
occurrences unies dans la même substance hébraïque : le déluge, l'errance des
Hébreux dans le Sinaï, le jeûne de Moïse sur la montagne, le temps Jésus au
désert, ces 40 jours après la Résurrection pour monter vers le Père … Un nombre
familier mais les significations qui lui sont prêtées sont trop loin de
s’accorder pour procurer un repère. Conscient de l’arbitraire du choix, on
privilégiera celui-ci : 40 comme le marqueur biblique d’un nouveau chapitre
de l'histoire du salut.
Autre
questionnement qui se relie, lui, à une incompréhension récurrente dans
l’entourage de Jésus : « … les Apôtres l’interrogeaient : ‘’Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu
vas rétablir le royaume pour Israël ?’’ ».
Pourquoi
faut-il qu’à ces tout derniers paragraphes du récit messianique, les Douze nous
paraissent à ce point obtus ? Obtus au point de revenir sur une question à
laquelle le Messie leur a maintes fois répondu ? Et alors que de surcroît
celui-ci vient pendant quarante jours de leur parler du royaume de D.ieu ?
Pour qu’il
soit attesté du besoin qu’ils ont du
secours du Saint-Esprit ? Ou, plutôt - hypothèse assurément moins triviale
-, parce que l’interrogation des Apôtres doit cette fois recevoir une réponse
différente de Jésus (une réponse qui vaudra singulièrement pour tous ceux qui à
l’avenir se feront les interprètes des desseins de D.ieu) : « Il ne vous appartient pas de connaître les
temps et les moments que le Père a fixés (…) » - rappel d’un
inconnaissable qui a accompagné les pas d’Israël.
Une réponse
qui renvoie tout à la volonté du Père et qui annonce, en compensation, le
partage de l’inspiration de D.ieu et le don du témoignage. Et qui vient se
situer à ce moment précis pour écrire la chronologie qui va de l’imminente
Ascension à la prochaine réception de l’Esprit.
Pour que
l’élévation du Messie s’inscrive, dans la continuité de la genèse hébraïque de
la Révélation, comme le prologue de la Pentecôte, comme l’ultime étape avant le
baptême dans l’Esprit.
t UNE THÉOLOGIE DE LA PERPLEXITÉ ?
Les autres
questionnements entrevus forment autant d’expériences du contact avec des
interrogations sans réponse, au mieux à réponses multiples – multiples laissant
entendre qu’on a affaire ici à un ordre de grandeur proche de l’infini. Le
commentaire ne s’y risque plus à avancer des hypothèses. Tout juste de fragiles
suppositions ou des ébauches de pistes d’intellection. Une suite d’esquisses
d’une esquisse qui s’accordent à la prise de conscience, que ces interrogations
suscitent et requièrent à la fois, de la place qui revient à la spiritualité de
l’inconnaissable et de l’inaccessible, de l’incertitude et de la perplexité.
Parmi ces
questionnements, trois semblent interpeller davantage. Et engager à s’y arrêter
pour signaler une résonance personnelle en regard de leur citation.
. αΩ : « … voici que, devant
eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, qui leur dirent :
‘’Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?’’ ».
L’exégèse,
l’expertise des textes vétéro-testamentaires, offrent-elles une voie de
déchiffrement devant ce surgissement de deux inconnus dans l’instant qui suit
l’élévation de Jésus – pourquoi sont-ils au nombre de deux et vêtus de
blanc ?
Le hasard –
mais en ces matières, y a-t-il jamais un rôle pour le hasard ? – met sous
les yeux un indice, si tant est que là où celui-ci se découvre, il est
susceptible de se ranger parmi les emprunts de l’islam au judaïsme, dans le
patrimoine commun aux religions du Livre.
Un indice
tiré de nombreux hadiths selon lesquels ‘’lorsque le
croyant arrive à l’âge de 40 ans (toujours
ce balisage du temps et de la durée ! …), Dieu
s’adresse aux deux anges qui veillent
sur son serviteur’’ pour leur enjoindre d’être
d’une vigilance à la hauteur de la maturité acquise par ce dernier : « Désormais, soyez
rigoureux à son égard, et relevez toutes ses actions ». Un âge et deux témoins qui consacrent ainsi l’entrée dans la
possession du savoir, du discernement - et dans la responsabilité qui en
découle ?
Et deux
témoins qui suggèrent l’interaction nécessaire entre deux Livres
saints ? L’interaction entre la
première religion du Livre et, respectivement, les deux qui y ont pris leur
source ?
Ce n’est là
bien sûr qu’un rapprochement intuitif. Poursuivi par une démarche aventureuse
qui remonte de l’islam au judaïsme pour tenter de se représenter ces deux inconnus porteurs d’un message
essentiel au moment où s’achève le parcours du Messie chrétien. Inconnus que
les Actes désignent de surcroît comme des hommes
et non comme des anges – ce qu’ils
sont pour l’islam dans la correspondance ici hasardée.
Des anges
qui sont donc l’indication ou le soulignement d’une fausse piste - comme il en
faut ?
. αΩ : « … il leur donna l’ordre de ne pas quitter
Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père ».
Comment ne
pas lire cette injonction comme traçant la démarcation entre les deux temps de
l’Alliance ?
Celui que
clôt l’histoire messianique, entièrement et fusionnellement hébraïque – par la
religion, la culture, la séquence pluri-millénaire de temps et le peuple où
elle s’est inscrite. Une histoire qui ne peut se conclure qu’à Jérusalem, dans
la Jérusalem terrestre qui à travers la symbolique du Temple, est le lieu-signe
de l’élection monothéiste du peuple juif [1].
Et cet autre
temps à l’entrée duquel, à l’instant de l’accomplissement de la promesse du baptême
dans l’Esprit Saint, les témoins du
Messie reçoivent la mission de porter l’Alliance « jusqu’aux extrémités de la terre ». Un instant qui plus que tout autre appartient aux moments que le Père a fixés. Et qui est fixé
au jour de la fête de la Cinquantaine,
commémoration de l’alliance nouée dans le Sinaï à laquelle va répondre un autre
scellement dans l’Alliance. La référence hébraïque ne peut sans raison posséder
cette transparence, la clarté soudainement conférée au texte eût-elle la
fulgurante brièveté de l’éclair.
A ce jour où
des foules juives composites vont se retrouver à Jérusalem pour cette célébration
: et en leur nombre, à côté de juifs hellénisés, des juifs convertis venus des
pays où le prosélytisme juif, en plein élan, a déjà prospéré - dont ces
convertis qui, à l’instar de ce Théophile,
viennent très probablement des cités grecques disséminées autour de la
Méditerranée orientale.
Ainsi l’ordre
de ne pas quitter Jérusalem ne se
lit-il pas comme une simple consigne de repli. Notre entendement y devine
que les conversions au judaïsme, attestées parmi les peuples sous domination
romaine et jusqu’à Rome, et dont l’extension déborde l’empire des Césars, n’ont
pas invalidé le bornage millénaire de la Terre
promise, et que ce bornage donne son sens à la Pentecôte.
Le sens
d’une césure, du même ordre de signification que la substitution du baptême par
l’Esprit au baptême par l’eau du Jourdain : c’est de la ville-symbole, de
la ville allégorique de David et de Salomon que part l’universalisation de
l’Alliance, une Alliance qui dès l’épiphanie du don de l’Esprit, ne sera plus
seulement gravée dans des Tables de la Loi remises au peuple de l’élection, ni
confinée dans le Saint des saints sacerdotal du Temple, mais qui se projettera
aux limites de la terre. Sans doute s’y confond-elle de toute éternité, dans
son dessein, avec cette autre alliance, originelle, entre la transcendance et
sa Création.
. αΩ : « Alors, ils retournèrent à Jérusalem depuis
le lieu-dit ‘’mont des Oliviers’’ qui en est proche, – la distance de marche ne
dépasse pas ce qui est permis le jour du sabbat ».
Peut-on
s’étonner que l’auteur, que l’un des rédacteurs du texte, ait eu l’idée de
retenir cette localisation au mont des Oliviers ? De réunir en un lieu
unique les deux enlèvements du Messie : celui qui survient lors de son
arrestation par les gardes du Temple, et celui que forme son enveloppement par
les nuées qui soustraient l’élévation aux yeux des apôtres ?
Pourquoi, en
revanche, cet auteur ou ce rédacteur est-il venu ajouter cette indication
sur la distance de marche que les
apôtres ont à parcourir jusqu’à
Jérusalem, qui de prime abord ne s’imposait pas dans
l’enchaînement de leur récit ? Sinon pour que le sabbat vienne, une nouvelle
fois, s’inscrire au plus inouï de l’histoire messianique, en tant que trait d'union entre l'humain et le divin et ‘’pour
marquer la synchronisation de leurs rythmes respectifs’’.
C’est déjà
de part et d’autre ‘’du jour que l'Éternel a sanctifié’’ qu’ont pris place, en
amont, la Passion et la mort du Fils de l’homme, et en aval sa Résurrection.
L’entre-deux sabbatique, rétréci par la récitation du « est descendu aux
enfers » (qui tend à s’imager à travers la mythologie grecque), ne
renvoie-t-il pas - pour obscurément que cela puisse nous paraître - à l’énoncé
de la Genèse : « Dieu acheva au
septième jour Son œuvre, qu'il avait faite, et Il S'abstint au septième jour de
toute son œuvre, qu'il avait faite » ?
L’Incarnation
s’achève sur le Golgotha [2], et le ‘’repos’’
de D.ieu ne participe-t-il pas alors de la même abstention – la répétition de
‘’qu'il avait faite’’ peut se lire
comme la promesse de la reproduction de cette abstention - que celle que le
sabbat juif commémore ? Et célèbre au demeurant, parmi les significations
qui s’y attachent, comme ‘’ un avant-goût du monde aux
temps messianiques’’.
Le sabbat ne
devait-il pas également positionner l’Ascension du ressuscité dans le
calendrier du peuple de l’élection ? La positionner sur ce jour ‘’hors du
temps’’ et néanmoins, en l’espèce, marqueur du temps qui unit l’élévation de
Jésus au don imminent de l’Esprit.
Un temps si
bref et un lien si fortement énoncé, et énoncé à deux reprises, qu’ils
suggèrent conjointement que ce positionnement de l’Ascension nous nantit d’un
instrument de mesure du souffle de la Pentecôte. Une mesure qui s’évaluera à
l’aune de la profession de foi que comporte le sabbat : la déclaration
réitérée de ce que ‘’Dieu a créé l’Univers en partant de rien, que Son Esprit
domine la matière, qu’Il Est le Maître de notre
force …’’. Profession de foi dont on entend qu’elle englobe la force nouvelle
promise dans les instants qui précèdent l’Ascension et reçue à la venue de
l’Esprit.
L’articulation
de l’Ascension et de la Pentecôte sur le sabbat convainc d’inclure l’histoire
messianique dans la temporalité exclusivement hébraïque de l’Alliance - la
Pentecôte marquant le terme de cette temporalité quand les langues de feu se
partagent et se déposent une à une pour investir les premiers témoins de
l’Alliance devenue d’un coup universelle.
Au reste,
cette histoire messianique aurait-elle pu se placer dans la plus infime
extériorité par rapport au judaïsme sans perdre ses référents au sabbat ?
A ce sabbat qui au moins jusqu’à l’Incarnation, représente le partage le plus
intime et le plus égalitaire offert par la transcendance à sa créature humaine.
Un partage du septième jour qui, en
tant que signe et au regard de ce qu’il rend intelligible dans l’œuvre de
D.ieu, contient sans doute, pour tous les siècles, l’essence de l’essence du
projet conçu pour cette créature [3].
Un signe si
fort et un contenu si dense qu’on peut se risquer à se représenter le sabbat,
et derrière lui la Loi dans chacune de ses lettres
et dans chacun de ses traits, comme
une sorte ‘’d’accélérateur de particules’’ vis-à-vis de la Révélation. Le don
de l’Esprit infléchit le trajet de cette Révélation, mais en référant cette
inflexion à un jour de sabbat, il n’ajoute au trajet qu’un second point
d’entrée, qu’un second point de passage.
A ces deux
cheminements qui vont coexister, ne faut-il pas au départ deux guides ?
Image qui ramène à ces ‘’deux hommes en
vêtements blancs’’ dont le mystère se dissipe s’ils viennent flécher le passage de l’Ascension à la
Pentecôte.
. Ωα : « Tous, d’un même cœur,
étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus … ».
Le
commentaire, arrivé à son terme, ne questionne plus le texte. Mais, cette fois,
un écrit bien plus tardif et qu’aucune institution savante, qu’aucune autorité,
ni théologique ni universitaire, n’est venu valider. Un essai qui appelle
principalement à son crédit d’avoir été publié (ou re-publié) dans une
collection - « L’INFINI » (Gallimard) – dirigée par Philippe Sollers.
Mais un
essai éblouissant d’intelligence, libre et intrépide dans tous les champs qu’il
explore, et dont l’auteur– pour autant que le lecteur non averti en ces
matières puisse pleinement en juger – est armé à tout le moins d’une triple
maîtrise : de l’hébreu – son investigation le mobilise, allant du texte au
mot et du mot à la lettre et au nombre -, de l’herméneutique juive et des
Ecritures (y compris les textes chrétiens apocryphes).
Pour qui a
lu - et comment penser que ce puisse être sans en ressentir la plus vive
excitation intellectuelle - le « PORTRAIT D’ISRAЁL EN JEUNE FILLE »,
sous-titré « Genèse de Marie », la thèse soutenue par l’auteur,
Sandrick Le Maguer, développée dans le cheminement midrashique qui modèle sa
singularité volontaire, confronte à une exégèse déroutante du personnage de ‘’Marie la mère de Jésus’’.
Ce « PORTRAIT D’ISRAЁL … » ne
se résume pas en quelques lignes. Ce serait d’ailleurs un grand dommage s’agissant
d’un ouvrage qui requiert de suivre soigneusement ses développements combinés –
y compris dans les pistes qu’il paraît parfois emprunter sans que l’ordre
suivie dans le tracé de l’itinéraire se fasse d’emblée apparent.
Sandrick Le
Maguer place ses pas dans ceux de Bernard Dubourg et épouse la conviction
raisonnée de celui-ci que l’hébreu est la langue originale du Nouveau
Testament. Mais ce qu’il entreprend en conséquence comme rétroversion n’est pas
une tentative de retour à cet hébreu sous-jacent, mais une lecture du mode de
production du texte qui vise à restituer à celui-ci et à ses personnages la pensée
hébraïque dont ils sont issus. Ce qui a pour premier effet de révoquer toute
littéralité et toute historicité pour se conformer à la pensée juive.
Une étude
qui se déploie à travers tour le champ biblique, mais qui se consacre à un
unique personnage du Nouveau Testament : Marie. L’approche qui en est faite rebondit de sources en sources,
donnant le sentiment d’épuiser les citations et les références, et mobilise
toutes les ressources que le midrash réunit et combine. Pour aboutir, au terme
de cette ‘’traversée’’ des images constitutives de la jeune fille d’Israël, et en en ayant appelé à toutes les
Myriam-Marie de la Bible, à l’identification de Marie à la communauté d’Israël. Et de toutes les Marie avec elle.
Cette
personnification en Marie de la communauté d’Israël – du ‘’peuple’’ juif, du
judaïsme – a évidemment des conséquences innombrables, et pour certaines
probablement insondables, sur les représentations chrétiennes (on pense au
dogme de l’Assomption, pour ne rien dire de l’impact sur celui de
l’Immaculée-conception).
Mais, le
livre refermé, elle ne dévalue pas les représentations de la ‘’Vierge-Marie’’,
ou les autres intellections chrétiennes de la mère de Jésus, ni les rôles
traditionnellement assignés à celle-ci. L’identification au peuple de
l’élection apparaît d’abord comme une élévation de l’appréhension spirituelle
du personnage de Marie. Et comme une source d’éclairements sur tous les
épisodes de l’histoire de l’Incarnation dans lesquelles figure la femme qui a
porté le Messie (qu’on pense notamment à sa présence représentée au pied de la
croix et au « Mère voici ton fils …,
fils … » que ménage cette mise en scène).
Faut-il
ajouter que l’adhésion à cette personnalisation d’Israël sous les traits de Marie se concilie, dans la croyance
intime de chacun, avec les autres figures mariales qui sont installées, en
général au gré des éducations reçues, dans cette croyance.
t L’ALLIANCE EST UNE.
Pour
réducteur que ce soit vis-à-vis de cette « Genèse de Marie », le
sujet de ce commentaire entraîne qu’on privilégie ce qui, dans thèse qu’on a
succinctement rapportée, a un impact direct dans la lecture du récit des Actes
qui mène à la Pentecôte.
Et quel
impact ! Que Marie la mère de Jésus compte au nombre des « … réunis tous ensemble » le jour de
la Pentecôte, dévoile un tableau que le Christianisme n’a pas cherché à se
représenter parce qu’il n’était sans doute pas imaginable qu’il eût été
peint : celui d’Israël recevant le baptême dans l’Esprit Saint. Et le
recevant du même souffle que les futurs témoins du Messie.
Pour qui ne
récuse pas a priori ce dévoilement pour tout ce que ses incidences ont de
dérangeant et de provoquant, le juste questionnement ne réside-t-il dans le
renversement du doute : comment aurait-on expliqué que le peuple de
l’élection se fût trouvé privé de ce don nouveau de l’Esprit, de l’inspiration nouvelle
de Dieu ajoutée à l’Alliance ?
Qu’Israël
eût été convoqué au partage des langues
de feu, n’est-il pas l’un des accomplissements de la Promesse sur laquelle
l’Alliance s’est nouée, et dont la foi hébraïque n’a cessé de percevoir qu’en
dépit des colères de l’Eternel à l’endroit de son peuple, elle était renouvelée
de génération en génération ?
Promesse que
le Messie confirme en attestant qu’il n’est pas venu pour abolir la Loi –
comprise comme l’expression et le corps de l’Alliance -, ou les prophètes –
entendus comme la succession des témoins de tous les renouvellements et de
toutes les consolidations de celle-ci. Une confirmation qu’il renforce encore
quand il énonce que « tant que le
ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la Loi un seul
iota ou un seul trait de lettre, jusqu'à ce que tout soit arrivé ».
Une
énonciation qui est jugée à ce point capitale que soin est pris de répéter
presque à l’identique à son début - ‘’tant que le ciel et la terre ne passeront
point’’ – et à sa fin - ‘’jusqu'à ce que tout soit arrivé’’
- le caractère irréfragable de l’attache tissée par la Loi et la temporalité supra
humaine de l’Alliance.
Le baptême dans
l’Esprit du peuple de l’élection révèle une fresque plus complète à notre
perception du projet de la transcendance. L’Incarnation ouvre un épisode neuf
dans l’Alliance, et la Pentecôte donne à cette Alliance une étendue sans
limite. Mais vis-à-vis de cet épisode et de cette étendue, le judaïsme
conserve, dans un emplacement de cette fresque, la place de témoin qui lui a
été impartie.
Non
seulement de témoin appelé à garder intacts les constituants de la Promesse qui
ont régi le temps pré-messianique, mais, bien plus éminemment, de témoin
investi, grâce à sa communion à l’inspiration de D.ieu qu’a délivrée la
Pentecôte, d’une Promesse qui demeurera vivante jusqu’à ce que les siècles
soient accomplis, aussi inextinguible que le buisson ardent.
D’une Promesse
où continuera de fructifier et de se déployer cette pensée juive dont tant
d’indices concordants suggèrent que l’Eternel - qui ne lui a offert que ce
qualifiant de son Etre en traduction du « JE SUIS CELUI QUI SUIS » - a voulu
le concours. À un titre qui a priori nous échappe, et peut-être simplement pour
aider à ce que la Création découvre peu à peu de quel sens elle est faite.
Entrevoir
ainsi l’insertion du judaïsme dans le baptême par l’Esprit, n’est-ce pas aussi,
en quelque sorte, inverser ‘’la charge de la preuve’’ ? Cette insertion
n’est en effet plus seulement dictée, en ce jour de la fête de la Cinquantaine où il est fait mémoire
de l’alliance qui s’est actée dans le Sinaï, par l’irrévocabilité de cette
alliance, mais par le besoin que
D.ieu a de son peuple, du peuple qu’Il a élu pour répondre à ce besoin.
Le Besoin ? S’il existe un mot pour
transcrire à notre usage cette notion en restituant la part de vérité qu’elle
contiendrait, on devine que celui-ci appartient à ce vocabulaire inconnu, et
inaccessible, dont Israël avait appris qu’il recouvrait tout le champ et tous
les alentours de la théonymie.
Mais
s’arrêter en l’espèce devant l’image d’un besoin prêté à D.ieu, c’est néanmoins
s’interroger sur la cohérence du dessin - et du dessein - qui peuvent
configurer cette image : si la vocation du peuple de l’élection s’étend au-delà
de la conclusion du temps messianique, et si pour tous les prolongements à
venir de cette vocation, le judaïsme doit être partie prenante à la Pentecôte,
en quoi réside la plus grande vraisemblance de la finalité que la transcendance
attribue à ces prolongements ?
En est-il
une plus décisive que celle qui sans effacer la déploration du Prologue « Il vint chez lui, et les siens ne l’ont pas
reçu », s’étend dans l’histoire du salut et du projet du Créateur de
part et d’autre de l’Incarnation. Et qui assigne à cet enjambement de
l’Incarnation de marquer, d’une séquence à l’autre de l’Alliance, la continuité
du processus de transfiguration qui fait sourdre l’essence de la Loi, qui
la requalifie en Amour.
Une
transfiguration dont la transmission résume après la Pentecôte toute
l’enseignement confié à l’Alliance. Pédagogie immensément difficile, et qui
expose devant nous qu’elle n’a pas même dépassé le stade de sa leçon
inaugurale, tant la créature humaine se voue naturellement à l’obéissance
aveugle à l’incompréhensible – par nature son ‘’péché contre l’esprit’’, contre
l’Esprit. Et d’autant plus si cet incompréhensible impose une servitude.
Mais une
pédagogie qui est armée contre l’inclination à la servitude de la plus
subversive, de la plus révolutionnaire des réfutations : celle qui a
affirmé que La Loi a été faite pour
l'homme, et non l'homme pour la Loi. Et cette réfutation est présente, et
sans doute bien davantage que préfigurée, dans le judaïsme du temps
messianique.
C’est dans
le courant de pensée qui la porte que vient se placer l’enseignement du Rabbi Jésus : celui-ci se confronte
aux Pharisiens non en adversaire de leur démarche doctrinale d’interprétation
de la Loi, mais comme un agitateur d’idées au sein de la même mouvance. Où les
thèses qu’il défend font de lui une sorte de contestataire avant-gardiste
regardé comme l’inventeur de jurisprudences extrêmes ou paradoxales, aussi
déconcertantes qu’impossibles à réfuter tant est il est pénétré de la sagesse
de la Loi.
L’idée que
la Loi n’est pas un carcan, qu’elle ne se réduit pas à un corpus interminable
de contraintes et d’interdits, mais qu’elle doit être reçue et comprise comme
un don, prend sa source dans la séquence hébraïque de l’Alliance. Elle connaît
de la bouche même du Messie, dans l’achèvement de cette séquence, sa
formulation la plus indépassable, mais l’intelligence du texte de la Loi a déjà
émergé avant Lui.
N’est-ce pas
cette capacité à vivifier par l’esprit la lettre de la Loi dont a été gratifié
le peuple de l’élection et qui a progressivement germé en son sein, qui
détermine le D.ieu de l’Alliance à compter celui-ci parmi les témoins créés le
jour de la Pentecôte aux côtés – schématiquement - des témoins du Messie ?
N’y a-t-il pas une nécessité – ce qu’on a appelé faute de mieux un besoin – qui commande que l’intellection
du rapport à la transcendance qui s’est ancrée dans le judaïsme perdure dans le
temps post messianique ? Si cette nécessité est avérée, l’investissement
de D.ieu dans le judaïsme rabbinique n’a pas déçu …
Certes, la
charge qui dès l’instant du don de l'Esprit, incombe à l'Alliance de
porter jusqu'aux extrémités de la
terre la reconfiguration des normes de la Loi en témoignage de l’Amour
dispensé par le Créateur, est entièrement étalonnée et cataloguée sur la Bonne
nouvelle apportée par le Messie.
Mais notre
regard rétrospectif sur le chemin qu’a suivi la transmission de cette Bonne
nouvelle ne nous laisse distinguer qu’un étroit sentier qui a serpenté de la
Pentecôte jusqu’à nous, souvent envahi de mauvaises herbes qui en ont dissimulé
la vue et qui ont risqué de le rendre impraticable.
Demeure que
cette sente presque dérisoire en regard du convoi qui devait l’emprunter est
bien celle par laquelle l’espérance n’a eu d’autre choix que de passer. Et où
elle a trouvé, pour la conduire et l’éclairer, le nombre minimum de guides et
d’interprètes faute duquel elle se serait probablement égarée.
Elle s’y est
avancée sans forcément apercevoir cet autre sentier, peut-être plus resserré
par l’exigence qui a présidé à son tracé, qui sinuait parallèlement à proximité
presque immédiate. Et qui a livré à qui voulait les recevoir, les compositions
et les agencements de la pensée juive qu’une étude inlassablement reprise, et
toujours plus profondément et plus contradictoirement creusée, des textes
fondateurs de l’Alliance avait quintessenciés.
Autant de
constructions qu’écarté de la communion de la Pentecôte, le judaïsme eût menées
pour son seul compte, mais qui, de par l’insertion du peuple de l’élection dans
le baptême par l’Esprit, font corps avec l’architecture intellectuelle et
spirituelle de l’Alliance. Fût-ce invisiblement, et sans que l’injonction « Ecoute Israël » eût pris le sens d’une
attention réciproque des deux bâtisseurs du témoignage à leurs discernements
respectifs.
Une
attention qui aurait fait répondre par l’affirmative à un questionnement qui en
englobe une multiplicité d’autres, dont ceux que ce commentaire a
abordés : concevoir que l’Alliance est une et que le don de la Pentecôte
est unitaire, nonobstant les divergences et les contradictions du croire, n’est-ce pas, somme toute, une
façon de rendre grâce de ce qu’il y a
plusieurs demeures dans la maison du Père ?
Didier
LEVY
- Dimanche de Pentecôte du 4 juin 2017
Publié sur Facebook le 06 06 2017
> ‘’Une Pentecôte pour toutes et tous - Ac 1/1-14’’ - Un article publié le 22 mai 2017 sur Le blog de « aubonheurdedieu-soeurmichele ».
¤
Le lien : http://aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/2017/05/une-pentecote-pour-toutes-et-tous-ac-1/1-14.html
[1] Nonobstant l’antériorité
et la longue complémentarité intellectuelle de la Babylone juive au long du
temps de l’empire perse.
[2]
Sauf à lire la rencontre au tombeau avec Marie de Magdala comme un espace-temps
appartenant encore à la séquence de l’Incarnation pour que soit donnée une
témoin à la résurrection plénière de la chair. Une témoin qualifiée entre
toutes par l’élévation de son amour échangé avec le Fils de l’homme (sans
préjudice, dans cette qualification, de ce qui est avancé plus loin au sujet
des Maries des deux Testaments).
[3] Deux
rappels au sujet de l’éminence du sabbat dans la spiritualité juive. On sait
que pour le Talmud, le Messie viendra le
jour où tous les Juifs observeront correctement deux sabbats consécutifs.
A partir de cette représentation, il a été enseigné, dans le même sens, que la
parfaite observance de plus d'un sabbat par l’ensemble du peuple de
l’élection, ‘’y inclus les assimilés et les apostats’’, laisserait penser que
le royaume de Dieu serait déjà sur terre.
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