04 08 2015
Laisser à L’Esprit son libre
parcours.
RÉPONSE à
L’Esprit
dans la Trinité
par Michel Rondet
s.j.
Publié le 24 juillet 2015 par Garrigues et Sentiers
dans DOSSIER L'ESPRIT
DIEU EST DIEU. La
tautologie qu’énonce l’islam (« Il n'y a de Dieu que Allah») pour
professer sa foi ne différencie pas le monothéisme musulman du monothéisme
chrétien parce que le monothéisme est Un, comme la transcendance est Une, et
parce qu’il a une source unique jaillie du judaïsme. Et parce que Dieu n’est ni
‘’monolithique’’ ni’’ relationnel’’ : Il est (« Je suis celui qui est
» - autre tautologie). On est saisi d’ébahissement, ou d’admiration, devant la
somme des constructions argumentaires et surtout devant les facultés d’imagination
spirituelle qui ont été mobilisées et déployées aux premiers temps de l’ère
chrétienne pour agencer et réunir dans un concept globalisant les citations de
Dieu qui se conjuguent dans les évangiles mettant en situation, selon le cas,
‘le Père’’, le ‘’Fils de Dieu’’ (coexistant avec le Fils de l’Homme) et
‘’l’Esprit’, ou les trois simultanément (Mathieu).
Ingénierie dogmatique versus inconnaissabilité de la
transcendance.
Le dogme
trinitaire est la consolidation de ce concept, mais lui-même a ouvert sur deux
millénaires, siècle après siècle et au cœur de chaque siècle, un champ sans
limite à l’inventivité des théologiens et des exégètes pour configurer et
ordonner une intellection de l’unité d’un Dieu en trois personnes. L’infinie
complexité des combinaisons intellectuelles explicatives du ‘’monde interne de
Dieu’’, et les controverses sans nombre et renouvelées sans fin entre
théoriciens de la foi comme les confrontations conciliaires successives
auxquelles ces figurations ont donné lieu, s’entourent largement pour nous
aujourd’hui d’une opacité qui tient autant à l’ingénierie dogmatique qui a été
mise en œuvre - et dont l’intelligibilité, par pans entiers, nous échappe -
qu’à une interrogation rétrospective sur la raison de cet acharnement à passer outre
à l’inconcevabilité de la ‘’réalité’’ divine par l'esprit humain.
Et c’est d’abord à
cette interrogation que renvoie la conception d’une différenciation/communion
des trois personnes dans l’unicité du Dieu. Le vrai sujet n’étant pas de savoir
si ‘’on croit’’ ou non à la Trinité, ni d’exposer l’idée qu’on en a et le rôle
qu’on assigne a chacune de ses composantes, mais de se demander si la démarche
spirituelle a besoin en l’espèce d’autre support que le premier verset du Prologue
de Jean « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et
le Verbe était Dieu. ». Verset qui nous livre probablement tout ce
qu’il entre dans le projet de l’Esprit de nous confier sur l’Etre de Dieu. Et
qui y procède en proclamant que l’essence de Dieu unit l’inconnaissable de la
transcendance - « Dieu, personne ne le vit jamais » - et
l’intention créatrice qui de toute éternité s’incorpore à celle-ci, en est
inséparable ; une intention créatrice qui renferme l’amour du Créateur
pour sa création et qui, dans sa plénitude, est métaphoriquement identifiée au Verbe,
à la Parole, à la puissance du Logos qui « était au commencement en
Dieu. Tout par lui a été fait ».
L’Esprit n’est pas
nommé par le Prologue, mais il y est désigné et dénommé en tant que lumière, la
seule « vraie » lumière portée par l’acte de création et
contenue dans le Verbe : « En lui était la vie, et la vie était la
lumière des hommes » ; une lumière qui après avoir « luit dans les ténèbres », s’est dévoilée quand « le Verbe s’est
fait chair », quand son incarnation a accompli l’épiphanie par
laquelle elle « venait dans le monde ». Au reste, le
Prologue n’en eût-il dit mot, que l’Esprit y imposerait sa présence et sa force
tant il illumine chaque verset, tant le texte johannique, dans sa splendeur, est
enveloppé de sa lumière et paraît tout entier avoir été dicté par Lui.
La perception de
la nature de la transcendance que modèle le Prologue - magnifiée par une
poétique qui transfigure moins de vingt lignes de texte en capital mystique de
la chrétienté - marque cependant tout autant une borne qu’elle s’entrouvre sur
l’histoire du salut : au-delà s’offre l’étendue immensément plus vaste du
champ où l’entendement humain est confronté à lui-même, à ses ressources
d’imagination, d’abstraction et de symbolisation.
Economie du dévoilement
et revendication
d’un libre questionnement de la foi.
Champ qui n’a
cessé d’être parcouru mais qui est ouvert à l’exercice le plus paradoxal qui
soit : toute spéculation sur l’Etre de Dieu trouve en effet sa limite en
ce qu’aucune représentation humaine, aucune figuration née de notre
intelligence, aucun mot des langues des hommes ne peut embrasser ni a fortiori
décrire la particule la plus élémentaire de l’essence de la transcendance. Ne
reste à l’intellection humaine que la capacité de se forger des concepts
explicatifs pour chacun des ‘’mystères de la foi’’, concepts qui seront
architecturés à chaque époque en résonance avec l’intelligence du monde qui est
accessible aux contemporains de cette époque, c’est à dire suivant la lente
avancée du savoir et des facultés individuelles et collectives à appréhender la
création.
Si le dévoilement
de la transcendance est différé « jusqu'à ce que tout soit arrivé »,
si la connaissance de la substance de l’Etre est appelée à demeurer pour nous
impénétrable jusqu’au jour de la parousie, de l’insertion des créatures et de
la création dans le sein du Créateur, comment ne pas imaginer que l’Esprit n’en
a pas moins dispensé quelques lueurs qui sont venues soutenir et infléchir
chaque épisode du cheminement conceptuel des successeurs des apôtres. Mais ces
lueurs s’ajustaient au dessein qui règle l’économie du dévoilement et qui fait
épouser à celui-ci, « tant que le ciel et la terre ne passeront point »,
des intellections fragmentaires et provisoires : le malheur a fait que des
concepts traduisant une vérité inaccessible en représentations transitoires ont
été érigés en dogmes dont l’immobilité et l’intangibilité ont été tenues pour
opposables à la liberté de conscience et partant au libre examen qui commande
l’investigation spirituelle.
Cette élection
dogmatique qui perdure par delà les temps où les nécessités de la consolidation
de la foi pouvaient justifier, ou expliquer, quelques uns des liens qu’il est
dans la nature même des religions de resserrer sur leurs fidèles pour
discipliner et endiguer leur croyance, résiste aujourd’hui à l’irrecevabilité
qu’un grand nombre de dogmes (le plus grand nombre ?) se voient opposer
par des baptisés (appelons-les des ‘’croyants-non croyants’’) qui,
précisément, font le choix du questionnement de la spiritualité en délaissant
la religion institutionnelle et son emprisonnement de la pensée.
Le paradoxe réside
également dans ce que ce questionnement comporte intrinsèquement de
contradictoire et qui se résume dans la confrontation entre d’un côté
l’inaccessibilité pour la raison humaine de la compréhension du monde interne
de Dieu, et de l’autre la revendication d’un libre parcours de l’intelligence
de la foi appliquée à la nature de la transcendance. Mais ce paradoxe
n’invalide pas cette revendication personnelle :’il ne réduit pas les
interrogations et la recherche qui en procèdent à une somme de vanités stériles
dans la mesure où ces interrogations et cette recherche apparaissent comme
constituant la contrepartie apportée en gratitude du don de la foi - i.e.
comme une action de grâce adressée à l’Esprit.
Une contrepartie
qui implique certes que la démarche spirituelle entreprise soit empreinte
d’humilité, qu’elle échange avec d’autres quêtes individuelles, et qu’elle
n’ignore pas les limites extraordinairement étroites assignées à ce qu’elle est
à même de découvrir, ni sa dépendance aux facultés et aux connaissances
nécessaires à sa mise en œuvre, mais qui emporte l’espérance que la réflexion
qu’elle engage reçoive, elle aussi, sa part calculée des lueurs de l’Esprit.
Le dogme : une
transgression à l’interdit de représenter Dieu ?
Pour contraint
qu’il soit, le libre parcours de la foi peut arguer pour sa légitimation d’un
considérant en forme d’interpellation : l’idolâtrie se limite t’elle à
représenter la divinité par des images ou des statues, ou faut-il reconnaître
une autre de ses formes dans le fait de figurer cette même divinité par une
construction intellectuelle qui le façonne à notre entendement, avec des
concepts, des notions, et des mots étrangers à l’ordre de la transcendance
?
Lequel n’intègre
pas notre temporalité - les temps sont peut-être déjà accomplis dans un
‘’ailleurs’’ de la création, dans un univers parallèle dont l’Esprit a suggéré
l’hypothèse à nos astrophysiciens, et qui sait si la parousie réalisée en cet
ailleurs ne se situe pas derrière nous dans une perspective et un
décompte de l’histoire du salut autres que ceux attachés au repérage
chronologique auquel nous, créatures terrestres, avons recours (Graham Green
se demandait déjà s’il n’existait pas une planète où le Christ ne serait pas
mort) ?. Et n’est pas davantage contraint par les autres repères qui
nous servent à borner le monde et ses composantes, à répertorier, à classer et
à nommer ce qui nous est visible, perceptible ou concevable. Que nous ayons été
créés à l’image de Dieu n’entraîne aucunement que l’Etre de Dieu puisse être
déduit de la représentation que nous avons de nous-mêmes, ni des figurations
par lesquelles nous traduisons notre compréhension de la condition humaine et
notre entendement des lois qui gouvernent la part infime de la création que
l’humanité a reçue en apanage. Par là, toute acception de la transcendance sur
laquelle on voudrait s’arrêter ne saurait afficher que son incapacité à définir
ce qui est l’indéfinissable, à délimiter ce qui est sans limite.
L’inconnaissabilité
de la substance de Dieu, et l’impossibilité à Le nommer qui en est le
corollaire, sont inscrites dans la naissance même du monothéisme : la
formation du tétragramme « YHWH » des Hébreux, qu’il était défendu d'articuler, est au cœur de l’invention de la spiritualité
monothéiste où elle a édifié le premier rempart élevé contre les idoles :
idoles faites de matière et d’images et investies de pouvoirs fallacieux -
statues des dieux d’hier ou veau d’or restauré par notre temps -, ou idoles
conçues par l’esprit humain dans la prétention de dessiner, de décrire et en
quelque sorte de créer Dieu.
Le « Béni
soit son Nom », qui ne prononce pas le nom invoqué, qui ne lui
attribue pas un nom, participe du même respect du mystère de l’Etre.
Respect qui est d’abord fait de la reconnaissance de ce que la transcendance
est indicible parce qu’elle irréductible à toute appréhension intellectuelle de
la part des créatures humaines. Cette impossibilité ontologique fut résumée en
ces termes par Michel de Certeau : « Ce que l'on croit n'est pas
vérifiable, manipulable, réductible à un objet de connaissance dont on pourrait
faire le tour » - lequel ajoutait que « ce langage n'est pas
réservé à la mystique ou alors tout croire est mystique ».
Le Prologue de Jean ne dit-il
pas tout en ne disant rien
de ce que le dogme
se donne vocation de déchiffrer ?
Le prologue
johannique - il ne faut pas cesser d’y revenir, et notamment à ses diffractions midrashiques - se garde d’ailleurs
d’approcher de ce qui est l’in-élucidable de l’Etre de Dieu.
Il s’écarte ainsi
de toute énonciation à partir de laquelle nous pourrions imaginer une
quelconque émergence du divin, ou nous figurer le big bang qu’a été
l’implosion de l’amour d’où est née la Création. Réserve qui le fait par deux
fois s’en tenir à la formulation la plus allusive et la plus admirablement
imprécise qui puisse être « Au commencement était ... ». De
même, s’il entre dans l’économie du rapport entre le Fils et le Père plus avant
que par le premier verset (« le Verbe était en Dieu, et le Verbe était
Dieu »), c’est non par l’affirmation d’une vérité révélée mais par une
simple comparaison qui s’agissant du Verbe incarné, renvoie à ce que l’esprit
humain est capable de se représenter : « nous avons vu sa gloire,
gloire comme celle qu’un fils unique tient de son Père ».
Et si la transcendance se concevait
uniquement dans le non dit,
et en
tout dernier ressort dans le silence de la négation du dogme ?
Pour tout un
courant de la spiritualité chrétienne (Scot Erigène, maître Eckhart. …) - qui
sous notre lecture rétrospective trace un parallèle avec l’univers intellectuel
du judaïsme dans lequel Dieu est à la fois Unique et Inconnaissable -, la transcendance
se conçoit uniquement dans l’abstraction, et en ultime fin par le silence.
Ce courant n’augmente
Dieu d’aucun qualificatif. Il n’est pas ‘’Tout
puissant’’, tout au plus peut-on dire que la toute puissance Lui appartient
car elle ne peut participer que de son essence ; Il n’est pas ‘’Miséricordieux’’, c’est la miséricorde qui réside en Lui et qui en tant
qu’expression de l’amour se confond dans l’Etre avec l’intention créatrice. De
même Il n’est pas ‘’éternel’’, et la
proclamation originelle du monothéisme tourne la difficulté à lui attacher un
attribut en inversant la définition qu’elle donne de Lui à Israël :
« L’Eternel est ton Dieu » - qui peut se déchiffrer par ‘’ce
que tu as comme idée de l’éternité est ce que tu as à connaître de la substance
de YHWH’’.
Les désignations
qui font de chaque expression d’un summum du Bien, de la Bienveillance, de la
Justice, ou de la Puissance et de la Gloire, un équivalent servant à nommer le
divin ne s’en trouvent pas invalidées (ce qui vaut d’une certaine façon pour ‘’les plus beaux noms de Dieu’’ dans
l’islam), à commencer par l’invocation du « Seigneur », mais pour
autant qu’elles sont employées en pleine conscience de la translation opérée
entre l’indicible et l’image poétique qui émane d’une pénétration spirituelle
ou d’une expérience mystique.
Plus fondamentalement,
c’est l’intention d’entrer dans l’Etre intime de Dieu et de le décrire que
récuse la réfutation des discours sur la nature de la transcendance, que vise
le parti de s’affranchir de toute adhésion à des concepts qui ont le projet
d’anticiper le dévoilement. Décrire, n’est-ce pas en effet mesurer une finitude
et s’en accommoder ? Et s’agissant de Dieu, cela ne revient-il pas à
méconnaître sa liberté ? Une liberté qui ne se distingue pas du caractère
in-élucidable de la substance de l’Etre. Et une liberté dont seul un cheminement
vers l'absolu peut sans doute nous laisser deviner un aperçu de contour,
l’esquisse d’une esquisse : l’Esprit ne nous y donne-t-il pas à entrevoir
qu’elle se fonde sur ce qu’Il n’est l’infini de rien, de rien de précisément
délimité - ni infirment bon, ni infiniment parfait, ni infiniment rien
d’autre, mais l’infini de tout, l’infini en soi.
Que la
transcendance soit in-élucidable et indicible - « c’est seulement dans
ce que (le) langage ne dit pas que Dieu est vraiment Dieu »- permet
également d’entendre, par symétrie, qu’elle ignore nos catégories, et notamment
qu’elle n’est pas binaire : partant, la question de savoir si ‘’Dieu
existe’’ ou non n’a pas plus de sens, dans l’ordre qui est le sien, que la
dispute, ou la spéculation, pour déterminer de qui procède le Fils.
Différenciation
essentielle qui est au reste soutenue par des propositions bien plus radicales,
et on empruntera notre conclusion à celle qui, dans le nombre, est peut-être la
plus subversive parce qu’elle illustre incomparablement la capacité de
dérangement que possède l’Esprit quand il se fait complice de nos
questionnements et leur auxiliaire.
Une capacité qui
en l’espèce, est mise en lumière en trois courtes phrases où se découvre
l’avertissement que la démarche vers l’intelligence de la foi vise sa propre
fin qui se confond avec un éveil spirituel : « Nous ne savons pas
ce qu'est Dieu. Dieu lui-même ignore ce qu'il est parce qu'il n'est pas quelque
chose. Littéralement Dieu n'est pas, parce qu'il transcende l'être ».
Ce qu’il fallait
en somme démontrer : DIEU EST DIEU.
Didier LEUWEN - 4 août 2015
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire