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lundi 23 février 2015

Le (fameux) 49-3 - NOUVELLE LETTRE A UN AMI COMMUNISTE

Le (fameux) 49-3

NOUVELLE LETTRE A UN AMI COMMUNISTE

par Martin AVAUGOUR

Concernant cette utilisation du 49-3 par le gouvernement Valls pour faire passer la loi dite Macron, je te remercie de ton interrogation,

Le 49-3, sa place dans nos institutions, son utilité et sa légitimité, c'est l'un de mes sujets de prédilection. On a les perversions que l'on peut.

N'y voie pas un goût du paradoxe de ma part, mais en étant bien conscient d'être à contre courant de l’opinion ultra majoritaire dans le camp républicain, je le considère comme l'article le plus démocratique de la Constitution. Et en tout cas comme parfaitement démocratique.

Je serais tenté de dire que dans le régime né de la constitution de 1958 et de la violation permanente dont celle-ci a été l’objet pour asseoir la prédominance présidentielle, il est à mes yeux à peu près la seule disposition en vigueur qui soit dans ce cas ...

Je m'explique.

Mon raisonnement part de cette analyse - qui a, je crois, assez largement cours dans les démocraties scandinaves - qu'en démocratie on ne gouverne pas parce qu'on a une majorité derrière soi, mais tant qu'on n'a pas une majorité contre soi.

Ce qui permet à un gouvernement qui ne dispose au Parlement que d'une majorité relative de gouverner, et de gouverner légitimement - au moins tant que les groupes parlementaires d'opposition ne sont pas en mesure de se coaliser contre lui et de le renverser grâce à la majorité arithmétiquement plus nombreuse en sièges que par définition ils constituent.

Faute de la réunion de cette coalition contraire, le gouvernement minoritaire exerce démocratiquement toutes les compétences de l'exécutif.

Certes les partis d'opposition coalisés pour le censurer peuvent être entre eux en désaccord sur à peu près tout, et être par conséquent incapables de gouverner ensemble. Sauf que dans ce cas, une dissolution étant la conséquence directe de la censure du gouvernement en place, ils savent qu'ils s'exposent à une sanction du suffrage universel qui a les plus grandes chances de leur faire payer le fait d'avoir ouvert une crise gouvernementale sans être capables de former une solution de rechange.

La république fédérale d'Allemagne recoure à la solution la plus claire et à mon sens la mieux adaptée à ce mode de fonctionnement de la démocratie parlementaire : la motion de défiance destinée à renverser le chancelier et le gouvernement en fonction doit comporter le nom de la personnalité qui sera appelée au poste de chancelier si ladite motion est votée par la majorité du Bundestag.

Ce qui s'oppose à ce qu'une majorité d'opposants renverse l'exécutif sans être en mesure de se substituer à lui pour gouverner.

Dis comme cela, cet énoncé peut sembler un peu trop théorique, et trop relever du débat entre constitutionnalistes.

Mais concrètement - et même si dans le court terme le 49-3 soutient les intérêts du tandem Hollande-Vals (du très court terme, et comme la corde soutient le pendu car le franchissement d'un obstacle parlementaire ne changera rien au désaveu existant à leur encontre) - le dispositif qui lie vote d'un projet de loi et existence du gouvernement, et qui oblige à censurer celui-ci pour empêcher l'adoption d'un teste législatif, s'avérerait d'une utilité inappréciable si la gauche authentique parvenait "aux affaires".

C'est déjà un scénario qui à cette heure, implique d'avoir un gros capital d'espérance à y investir. Mais se réaliserait-il, qu'il y a fort à parier qu'au mieux, et hors la survenue d'un séisme politique, cette gauche n'aurait qu'une majorité relative à l'Assemblée nationale, et faible de surcroît probablement, et que tout ce qui répond dans la Constitution à la logique démocratique que j'ai mise en avant (on gouverne tant qu'on n'a pas une majorité contre soi) serait ce qui lui donnerait les moyens de gouverner et d'agir.

Pour toutes ces raisons, et toujours aussi paradoxalement, la limitation de l'utilisation du 49-3 introduite dans la Constitution par Nicolas Sarkozy est à mes yeux une absurdité et un non sens - certes parmi tant d'autres au cours de ce quinquennat, mais qui suffirait à elle seule pour prouver qu'on y a raisonné comme des tambours.


Reste que le 49-3 met dans une situation extrêmement inconfortable, c'est le moins qu'on puisse en dire, les groupes parlementaires hostiles à un texte mais peu disposés à faire tomber le gouvernement (comme on disait encore sous la IV ème république) et surtout à mêler leurs voix à celles de l'autre bord politique de l'opposition.

La réponse à ce dilemme relève nécessairement du cas par cas.

Face à un projet de loi jugé totalement inacceptable - peut-être les ou des dispositions de la loi Macron appellent-elles bien cette qualification -, devant un tournant politique (ou sa concrétisation) qui marque une séparation, une ligne de fracture philosophique, irréparables - même référence ici à la loi Macron ... - ou lorsque l'enjeu concerne un principe fondamental, le débat de conscience, car s'en est un, se tranche par le vote de la motion de censure. Simplement par ce qu'il emporte la conviction qu'il n'a pas d'autre issue.

Ceci étant, et pour ne pas tomber dans une forme d'angélisme, la décision se mesure également au contexte politique du moment. Autrement dit, il serait irresponsable ne pas mettre en balance l'équilibre des forces politiques et, en premier lieu, l'estimation la plus plausible du résultat des élections législatives qui interviendront en cas de vote de la censure.

Réflexion qui peut déborder sur le moyen terme - c.a.d. se projeter par exemple dans un affrontement finalement victorieux avec la droite revenue au pouvoir : mais on sait que ce type de raisonnement, par lequel il faut aussi passer, est exposé à être hasardeux et donc spéculatif ...

Sur le terrain de l'opportunité, de la prise en compte de l'analyse politique qui pèse parallèlement à l'appréciation fondée sur les principes en cause, la donnée essentielle me paraît être en fin de compte - je reprends tes termes que je crois très justes -  "de retrouver, coûte que coûte, les voix populaires recrues dans l'abstentionnisme, et ceci depuis de nombreuses années".

La détermination la plus pertinente est assurément celle qui ménage une chance de prévenir le scénario catastrophe qui se profile pour 2017.

De ce point de vue,, une cohabitation Hollande-UMP (qu'est-ce qui peut encore les séparer ?) vaut mieux que ce que comporte comme perspectives le dit ''scénario 2017''.

A la condition, et tout est là, qu'une gauche socialiste structurée et crédible émerge dans les deux ans à venir, avec un programme à la mesure de l'ère nouvelle où nous sommes entrés et avec la capacité retrouvée de créer un espoir autour de l'idée de socialisme - en termes de nouvelles formes de croissance, d'emploi, de solidarité et de protection sociale, de justice fiscale et d'égalité, et peut-être par dessus tout de citoyenneté et d'ouverture d'une nouvelle donne pour la République.

A défaut de quoi, cette cohabitation, et son échec prévisible - parce qu’il est prévisible qu'elle persévérerait dans une politique aussi inefficace qu'elle est injuste et dans des choix et des moyens d'un temps révolu - donneraient au Front national et à sa candidate les meilleures chances d'un irrésistible succès.

En confirmant et en renforçant encore, et dans une mesure qui risquerait d'être décisive, ce qui les porte dans l'opinion depuis l'arrivée de Marine Le Pen à la tête de l'extrême-droite : l'idée que celle-ci a réussi à imposer (à plus du tiers de nos concitoyens ...) qu'elle incarne la seule autre offre politique en face de partis de gouvernement enfermés dans la doxa néolibérale et soumis aux directives de ses intégristes aux commandes des instances européennes.

J'ajoute à cette configuration désespérante : et en face d'une gauche socialiste qui en serait dramatiquement restée à 6% des intentions de vote.

On peut hélas craindre que ce soit là l'idée et l'alternative que se représenteront les électeurs de 2017 : le parti lepéniste versus des "sortants" - configuration idéale pour l'extrême-droite à toutes les époques (le poujadisme hier par exemple) car la plus conforme à son discours -, que ces sortants soient le PS isolé ou un attelage PS-UMP-UDI réuni depuis deux années dans une cohabitation impopulaire et dénoncée jour après jour par les porte-parole du Front. 

J'espère avoir répondu au mieux à ton interrogation. Mais merci par avance, bien sûr, de tes remarques éventuelles

Salut et fraternité.
Et bien amicalement

Martin Avaugour
22 02 2015


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