Le (fameux) 49-3
NOUVELLE LETTRE A UN AMI
COMMUNISTE
par Martin
AVAUGOUR
Concernant cette utilisation du 49-3 par le
gouvernement Valls pour faire passer la loi dite Macron, je te remercie de ton
interrogation,
Le 49-3, sa place dans nos institutions, son
utilité et sa légitimité, c'est l'un de mes sujets de prédilection. On a les
perversions que l'on peut.
N'y voie pas un goût du paradoxe de ma part,
mais en étant bien conscient d'être à contre courant de l’opinion ultra
majoritaire dans le camp républicain, je le considère comme l'article le plus
démocratique de la Constitution. Et en tout cas comme parfaitement démocratique.
Je serais tenté de dire que dans le régime né
de la constitution de 1958 et de la violation permanente dont celle-ci a été l’objet
pour asseoir la prédominance présidentielle, il est à mes yeux à peu près la
seule disposition en vigueur qui soit dans ce cas ...
Je m'explique.
Mon raisonnement part de cette analyse - qui a,
je crois, assez largement cours dans les démocraties scandinaves - qu'en
démocratie on ne gouverne pas parce qu'on a une majorité derrière soi, mais
tant qu'on n'a pas une majorité contre soi.
Ce qui permet à un gouvernement qui ne dispose
au Parlement que d'une majorité relative de gouverner, et de gouverner
légitimement - au moins tant que les groupes parlementaires d'opposition ne
sont pas en mesure de se coaliser contre lui et de le renverser grâce à la
majorité arithmétiquement plus nombreuse en sièges que par définition ils
constituent.
Faute de la réunion de cette coalition
contraire, le gouvernement minoritaire exerce démocratiquement toutes les
compétences de l'exécutif.
Certes les partis d'opposition coalisés pour le
censurer peuvent être entre eux en désaccord sur à peu près tout, et être par
conséquent incapables de gouverner ensemble. Sauf que dans ce cas, une
dissolution étant la conséquence directe de la censure du gouvernement en
place, ils savent qu'ils s'exposent à une sanction du suffrage universel qui a
les plus grandes chances de leur faire payer le fait d'avoir ouvert une crise
gouvernementale sans être capables de former une solution de rechange.
La république fédérale d'Allemagne recoure à la
solution la plus claire et à mon sens la mieux adaptée à ce mode de
fonctionnement de la démocratie parlementaire : la motion de défiance destinée
à renverser le chancelier et le gouvernement en fonction doit comporter le nom
de la personnalité qui sera appelée au poste de chancelier si ladite motion est
votée par la majorité du Bundestag.
Ce qui s'oppose à ce qu'une majorité
d'opposants renverse l'exécutif sans être en mesure de se substituer à lui pour
gouverner.
Dis comme cela, cet énoncé peut sembler un peu
trop théorique, et trop relever du débat entre constitutionnalistes.
Mais concrètement - et même si dans le court
terme le 49-3 soutient les intérêts du tandem Hollande-Vals (du très court
terme, et comme la corde soutient le pendu car le franchissement d'un obstacle
parlementaire ne changera rien au désaveu existant à leur encontre) - le
dispositif qui lie vote d'un projet de loi et existence du gouvernement, et qui
oblige à censurer celui-ci pour empêcher l'adoption d'un teste législatif,
s'avérerait d'une utilité inappréciable si la gauche authentique parvenait
"aux affaires".
C'est déjà un scénario qui à cette heure,
implique d'avoir un gros capital d'espérance à y investir. Mais se
réaliserait-il, qu'il y a fort à parier qu'au mieux, et hors la survenue d'un
séisme politique, cette gauche n'aurait qu'une majorité relative à l'Assemblée
nationale, et faible de surcroît probablement, et que tout ce qui répond dans
la Constitution à la logique démocratique que j'ai mise en avant (on gouverne
tant qu'on n'a pas une majorité contre soi) serait ce qui lui donnerait les
moyens de gouverner et d'agir.
Pour toutes ces raisons, et toujours aussi
paradoxalement, la limitation de l'utilisation du 49-3 introduite dans la
Constitution par Nicolas Sarkozy est à mes yeux une absurdité et un non sens -
certes parmi tant d'autres au cours de ce quinquennat, mais qui suffirait à
elle seule pour prouver qu'on y a raisonné comme des tambours.
Reste que le 49-3 met dans une situation
extrêmement inconfortable, c'est le moins qu'on puisse en dire, les groupes
parlementaires hostiles à un texte mais peu disposés à faire tomber le
gouvernement (comme on disait encore sous la IV ème république) et surtout à
mêler leurs voix à celles de l'autre bord politique de l'opposition.
La réponse à ce dilemme relève nécessairement
du cas par cas.
Face à un projet de loi jugé totalement
inacceptable - peut-être les ou des dispositions de la loi Macron
appellent-elles bien cette qualification -, devant un tournant politique (ou sa
concrétisation) qui marque une séparation, une ligne de fracture philosophique,
irréparables - même référence ici à la loi Macron ... - ou lorsque l'enjeu
concerne un principe fondamental, le débat de conscience, car s'en est un, se
tranche par le vote de la motion de censure. Simplement par ce qu'il emporte la
conviction qu'il n'a pas d'autre issue.
Ceci étant, et pour ne pas tomber dans une
forme d'angélisme, la décision se mesure également au contexte politique du
moment. Autrement dit, il serait irresponsable ne pas mettre en balance
l'équilibre des forces politiques et, en premier lieu, l'estimation la plus
plausible du résultat des élections législatives qui interviendront en cas de
vote de la censure.
Réflexion qui peut déborder sur le moyen terme
- c.a.d. se projeter par exemple dans un affrontement finalement victorieux
avec la droite revenue au pouvoir : mais on sait que ce type de raisonnement,
par lequel il faut aussi passer, est exposé à être hasardeux et donc spéculatif
...
Sur le terrain de l'opportunité, de la prise en
compte de l'analyse politique qui pèse parallèlement à l'appréciation fondée
sur les principes en cause, la donnée essentielle me paraît être en fin de
compte - je reprends tes termes que je crois très justes - "de retrouver, coûte que coûte, les voix
populaires recrues dans l'abstentionnisme, et ceci depuis de nombreuses
années".
La détermination la plus pertinente est
assurément celle qui ménage une chance de prévenir le scénario catastrophe qui
se profile pour 2017.
De ce point de vue,, une cohabitation
Hollande-UMP (qu'est-ce qui peut encore les séparer ?) vaut mieux que ce que
comporte comme perspectives le dit ''scénario 2017''.
A la condition, et tout est là, qu'une gauche
socialiste structurée et crédible émerge dans les deux ans à venir, avec un
programme à la mesure de l'ère nouvelle où nous sommes entrés et avec la
capacité retrouvée de créer un espoir autour de l'idée de socialisme - en
termes de nouvelles formes de croissance, d'emploi, de solidarité et de
protection sociale, de justice fiscale et d'égalité, et peut-être par dessus tout
de citoyenneté et d'ouverture d'une nouvelle donne pour la République.
A défaut de quoi, cette cohabitation, et son
échec prévisible - parce qu’il est prévisible qu'elle persévérerait dans une
politique aussi inefficace qu'elle est injuste et dans des choix et des moyens
d'un temps révolu - donneraient au Front national et à sa candidate les
meilleures chances d'un irrésistible succès.
En confirmant et en renforçant encore, et dans
une mesure qui risquerait d'être décisive, ce qui les porte dans l'opinion
depuis l'arrivée de Marine Le Pen à la tête de l'extrême-droite : l'idée que
celle-ci a réussi à imposer (à plus du tiers de nos concitoyens ...) qu'elle
incarne la seule autre offre politique en face de partis de gouvernement
enfermés dans la doxa néolibérale et soumis aux directives de ses intégristes
aux commandes des instances européennes.
J'ajoute à cette configuration désespérante :
et en face d'une gauche socialiste qui en serait dramatiquement restée à 6% des
intentions de vote.
On peut hélas craindre que ce soit là l'idée et
l'alternative que se représenteront les électeurs de 2017 : le parti lepéniste
versus des "sortants" - configuration idéale pour l'extrême-droite à
toutes les époques (le poujadisme hier par exemple) car la plus conforme à son
discours -, que ces sortants soient le PS isolé ou un attelage PS-UMP-UDI réuni
depuis deux années dans une cohabitation impopulaire et dénoncée jour après
jour par les porte-parole du Front.
J'espère avoir répondu au mieux à ton
interrogation. Mais merci par avance, bien sûr, de tes remarques éventuelles
Salut et fraternité.
Et bien amicalement
Martin Avaugour
22 02
2015
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