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mercredi 31 octobre 2018

¤ RADIOGRAPHIE D’UNE PERVERSION POLITIQUE.


« EN FRANCE, AUJOURD’HUI, ON LAISSE DES ÉLÈVES DEVANT DES PERSONNES QUI N’ONT PAS ÉTÉ FORMÉES AU MÉTIER D’ENSEIGNANT ».

(LIBÉRATION FR - Par Marie Piquemal / 29 octobre 2018)

C'est aussi une illustration du déni de l'utilité de la dépense publique - regardée comme autant d'argent détourné des jeux de ce business dont les grands "opérateurs" constituent la forme moderne de la féodalité - une féodalité qui n'est pas combattue par l'Etat comme ce fut le cas, sans relâche, pour la première du genre à partir du XIII ème siècle, mais dans laquelle les Etats s'insèrent, épousant ses intérêts de par leur conversion à la doxa ordo-libérale, au tout-marché et au culte de la concurrence.

Et c'est aussi le déni d'un constante historique qui a modelé la société française : de tous temps les serviteurs de l'Etat - participant de la légitimité que cet Etat tirait de son rôle protecteur et qui a été fondatrice de sa capacité à "faire nation" - ont eu un statut particulier. Titulaire d'offices définis par leur vénalité [1] et par leur transmission à titre patrimonial sous l'Ancien Régime, fonctionnaires après la Révolution et issus de la garantie donnée au corps social d'un égal accès aux emplois publics via les concours.

Le même effondrement de l'intelligence - celui que produit immanquablement l'occultation de l'histoire que l'ignorance inflige, ou qu'on s'autorise en se jugeant infaillible : on n'aura pas tort de penser à cet égard à notre M. Macron) - rend invisible ce qui différencie, par vocation et par essence, le service public des activités marchandes.

Tout dans cette histoire a séparé le service public et les diverses formes de négoce.  Et pourtant, combien d'entre nous n'ont pas entendu qu'"un hôpital doit être géré comme une entreprise" (avec ces variantes, non limitatives, de ce non sens inégalable appliquées à un tribunal, à une université, à une mairie - pourquoi pas, tant qu’on y est, à un régiment, à une prison ou à un cimetière ?).

De ce point de vue, multiplier les contractuels dans l'enseignement épouse la même logique que le recours massif aux CDD dans le monde de l'entreprise. De même, désigner les agents qui, dans un CHU, enregistrent les patients qui viennent se faire opérer du titre de "chargé de clientèle" est l'un des défis à la raison, pour ne pas dire l'une des obscénités communicatives de l'entendement, qu'induit la dénaturation du service public.

Une dénaturation qui va de pair avec la paupérisation de ses moyens. Avec la dévaluation et la déqualification de ses missions : qu’on interroge à cet égard les agents de l’Office national des forêts qui n’en peuvent plus d’être devenus, rentabilité oblige (rentabilité à la plus courte vue, s’entend), de simples « coupeurs de bois ».

Haro sur l'ancienneté - quid des aptitudes et des connaissances qui s'acquièrent seulement dans la durée et par l’expérience ? - au profit d'un prétendu "mérite". Qui s'interroge sur la valeur de ce mérite que la compulsion de l'évaluation entend mesurer et, au demeurant, dans une confusion basique de critères entre le privé et le public.

Et qui peut ne pas voir que le contractuel, sans droits ni protections, ne devient un modèle que parce qu'il est statutairement exclu des garanties d'emploi, et de l'accès à toutes les configurations de contre-pouvoirs, de "freins et balances", qui résistent à l'arbitraire hiérarchique ; qu'il est par avance promis à toutes les sessions de lavages de cerveaux que met inlassablement en place l'idéologie managériale, à seule fin de tout conformer et de tout convertir à la règle d'airain de la profitabilité – une idéologie dont, au fond des choses, la raison d’être est que le système qu’elle sert et qu’elle promeut ne concevra jamais sa main d'œuvre qu'en tant que variable d'ajustement.

La mesure qui est publiée de l'utilisation des contractuels dans l'E.N., évidemment rapprochée des dernières déclarations gouvernementales sur le sujet de la fonction publique, confirme que le service public devrait se faire à l’idée - qui a déjà été signifiée à son prolongement qu'était naguère le secteur public – qu’il est incompatible avec la conformation d'un modèle de société, censé être paré de toutes les vertus de la modernité, auquel celui auquel il a appartenu est voué à laisser place nette. Parce qu’en vertu de cette même modernité, il est plus que temps de rompre avec le contrat social réécrit à la Libération dans le droit fil du programme du CNR. De passer ce pacte social à la broyeuse.

Si les privatisations, l'ouverture à la concurrence et la prohibition des monopoles publics ont fait presque entièrement disparaître le secteur public et, par là, détruit les plus puissants leviers de l'intérêt général (crédit, énergie, investisseurs institutionnels …), l'absorption des services publics par les logiques de marché vise, elle, à achever d’effacer et d’éradiquer un référentiel citoyen du rôle de l’Etat qui fait partie des traits contemporains constitutifs du pacte républicain et de la conception républicaine de la nation. Or, s'agissant de celle-ci, quel pire aveuglement peut-il  exister que de plus percevoir que le service public est la principale ligne de défense contre les menaces de fracturation du corps social ?

Ce qui nous ramène à l'école, eu égard à ce que celle-ci est sans doute le premier lieu où l'avancement de la fracturation de la nation s’affiche et se constate.

A tout ceci s'ajoute un constat saisissant : les gouvernants d'aujourd'hui, formatés par l'ordo-libéralisme - hors du marché point de salut ! - ne sont même plus en capacité de concevoir que pour une partie notable des citoyens (et ceux-ci entendent-ils naturellement recevoir une juste rétribution de leur travail), le but de l'existence humaine n'est pas de "faire du fric".

Mais que ce qui donne sens à leur vie professionnelle, ce qui, pour eux, attache à celle-ci sa valeur au sein de la société, est le dévouement au bien public. Un bien public auquel ils ont fait le choix de se consacrer - à la place où, dans l'étendue des composantes de celui-ci, ils sont appelés à servir l’utilité commune et à répondre aux besoins les plus fondamentaux d'un collectif humain.

Didier LEVY
31 10 2018 



[1] La mise en vente des offices s’étant multipliée à mesure que l’Etat, confronté à une impécuniosité chronique, a trouvé là un moyen de se renflouer. Des créations d’emplois de fonctionnaires qui (au moins dans un premier temps) rapportent de l’agent aux finances publiques, voilà qui lèverait bien des préventions du côté de MM. Macron, Philippe, Le Maire et Darmanin … Et qui aurait tout pour les rendre en la matière ‘’cocaïnomanes à la dépense publique’’.


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